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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TUNCELİ KÜLTÜR VE DAYANIŞMA DERNEĞİ
c. TURQUIE

(Requête no 61353/00)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Tunceli Kültür ve Dayanışma Derneği c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61353/00) dirigée contre la République de Turquie et dont une association, Tunceli Kültür ve Dayanışma Derneği (Association culturelle et d’entraide de Tunceli) (« la requérante »), agissant par le biais de son représentant légal, M. Selman Yeşilgöz, a saisi la Cour le 20 juillet 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me Ö. Kılıç, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 15 mars 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le 30 septembre 1995, le comité directeur de Tunceli Kültür ve Dayanışma Derneği (ci-après « l’association ») conféra pouvoir à M. Yeşilgöz, son président, pour la représenter dans le cadre de toute procédure civile ou pénale diligentée par elle ou à son encontre.

5. Le 17 novembre 1996, le comité directeur de l’association se réunit en congrès.

6. Le 18 novembre 1996, un rapport de police fut établi par les policiers en charge de la surveillance de cette réunion. Ce document qui retranscrit les déclarations faites par les participants lors du congrès fut remis à la Direction du Bureau des associations.

7. Les 26 décembre 1996, 26 mai 1997 et 21 avril 1998, le procureur de la République inculpa le président, deux membres du bureau et onze membres du comité directeur de l’association pour avoir, lors du congrès litigieux, fait ou autorisé des déclarations d’ordre politique dont la teneur était contraire à l’objet social de l’association. Il requit leur condamnation en vertu des articles 5 § 6 et 76 de la loi no 2908 sur les associations.

8. Le 18 novembre 1998, le tribunal correctionnel de Fatih acquitta cinq accusés mais condamna neuf membres du comité directeur de l’association, dont M. Yeşilgöz, à une peine d’un an d’emprisonnement et 1 890 000 livres turques (TRL) [environ 5 euros (EUR)] d’amende. Cette peine fut assortie d’un sursis pour l’ensemble des condamnés, sauf deux. En outre, le tribunal prononça la dissolution de l’association en vertu de l’article 76 § 1 de la loi no 2908.

9. Dans ses attendus, le tribunal estima notamment :

« (...) Les responsables de l’infraction énoncée à l’article 76 de la loi no 2908 sont le président du comité directeur et ses membres (...)

De ce fait, seuls les accusés, qui sont le président [M. Yeşilgöz] et les membres du comité directeur, sont pénalement responsables au regard de l’article 76 de la loi no 2908 ; l’infraction reprochée aux autres accusés n’est pas constituée.

Selon les statuts et les buts de l’association, [il s’agit] d’une association de nature sociale soumise à la loi sur les associations no 2908, [qui] n’a pas la nature d’un parti politique, (...) avec des points de vue et déclarations tels (...) « A Dersim, il y a la guerre, l’État doit accepter le droit de la guerre ; il faut s’organiser pour préparer la lutte ». (...), un appel [est] fait à la lutte politique (...) De ce fait, il apparaît que l’association en question, de manière contraire aux buts inscrits dans ses statuts, a agi en méconnaissance des interdictions définies aux articles 5 et 37 de la loi no 2908. (...) Il convient de sanctionner les dirigeants et dissoudre l’association (...) »

10. Le 14 décembre 1998, les neuf membres de l’association condamnés se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire, ils invoquèrent le non-respect par le tribunal correctionnel de la loi et des règles procédurales, et demandèrent la réouverture des débats.

11. Le 24 janvier 2000, le procureur général près la Cour de cassation présenta son avis sur le fond du recours. Il déclara qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience et demanda la confirmation du jugement de première instance pour le président et un membre du comité directeur de l’association et la cassation pour ses autres membres.

12. Cet avis ne fut pas notifié aux membres de l’association.

13. Le 14 février 2000, au vu de l’avis du procureur général, la Cour de cassation estima que les circonstances d’espèce ne justifiaient pas la réouverture des débats. Elle confirma le jugement de première instance à l’égard de deux condamnés – le président de l’association et un membre du comité directeur – mais l’infirma s’agissant des autres pour insuffisance de preuves.

14. Par la suite, il fut procédé à la dissolution de l’association et à la liquidation de ses biens.

15. Ainsi, le 9 mars 2000, le sous-préfet du département d’Ümranye informa la requérante de l’ouverture d’une procédure de mise en liquidation judiciaire de son antenne locale d’Ümranye.

16. Le 10 mars 2000 fut dressé le procès-verbal de liquidation de l’antenne locale de l’association se trouvant à Kartal.

17. De même, le 22 mars 2000, fut dressé le procès verbal de liquidation de l’antenne locale de Beyoğlu.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

18. En vertu de l’article 37 de la loi no 2908 du 6 octobre 1983, les associations ne peuvent mener d’activités en dehors du but énoncé dans leurs statuts.

19. Aux termes de l’article 76 § 1 de cette loi :

« Seront punis d’un à trois ans d’emprisonnement et de trente à cent millions de livres turques d’amende ceux qui fondent des associations dont la création est interdite par l’article 5 de cette loi, et les présidents d’association qui agissent contrairement à l’article 37 § 1 alinéa 2, dès lors que leur comportement n’appelle pas de sanction plus lourde ; dans tous les cas sera prononcée la dissolution de l’association. »

20. La loi no 5231, entrée en vigueur le 4 novembre 2004, a modifié la loi sur les associations du 6 octobre 1983. Aux termes de la nouvelle loi, la condamnation pénale des dirigeants d’association pour avoir mené des activités contraires à l’objet social de leur association n’emporte plus la dissolution de cette dernière. Les dispositions nouvelles peuvent se lire comme suit :

« Article 30 : Les associations,

a) ne peuvent mener d’activités en dehors du but énoncé dans leur statut (...)

Article 32 : (...)

o) Seront punis de cinq cent millions à un milliard de livres turques d’amende les dirigeants d’association qui agissent en violation de l’interdiction énoncée au paragraphe a) de l’article 30 ; la peine d’amende sera augmentée de moitié en cas de récidive (...) »

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

21. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

22. La requérante soutient que sa dissolution en raison des déclarations faites par ses membres porte atteinte à ses droits à la liberté d’expression et d’association, tels que définis aux articles 10 et 11 de la Convention. Se fondant sur les mêmes faits, elle invoque également l’article 1 de la Convention. La Cour décide d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 11 ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. (...) »

1. Sur l’existence d’une ingérence

23. Le Gouvernement ainsi que la requérante reconnaissent que la dissolution de l’association s’analyse en une ingérence dans le droit à sa liberté d’association. C’est aussi l’opinion de la Cour.

2. Sur la justification de l’ingérence

a) « Prévue par la loi »

24. Les parties s’accordent à considérer que l’ingérence était « prévue par la loi » : la mesure litigieuse prononcée par le tribunal correctionnel de Fatih était fondée sur les articles 5, 37 et 76 de l’ancienne loi no 2908 (paragraphes 18-19 ci-dessus). La Cour n’a aucune raison de s’écarter de cette analyse.

b) But légitime

25. Le Gouvernement soutient que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, poursuivait un but légitime au regard de l’article 11 § 2, à savoir la protection de la sécurité nationale, la défense de l’ordre et la prévention du crime, et était nécessaire car répondant à un besoin social impérieux.

26. La requérante ne se prononce pas.

27. La Cour considère que la mesure litigieuse peut passer pour avoir visé au moins l’un des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 11 : la protection de la sécurité nationale.

c) « Nécessaire dans une société démocratique »

28. Le Gouvernement soutient que la mesure litigieuse était nécessaire dans une société démocratique et répondait à un besoin social impérieux et à un but légitime. Il précise en outre que la loi sur les associations a été réformée.

29. La requérante réitère ses allégations.

30. Si, dans le contexte de l’article 11, la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d’autres fins, notamment la protection du patrimoine culturel ou spirituel, la poursuite de divers buts sociaux ou économiques, la proclamation et l’enseignement d’une religion, la recherche d’une identité ethnique ou l’affirmation d’une conscience minoritaire, sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie. En effet, le pluralisme repose aussi sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité et de la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts artistiques, littéraires et socio-économiques. Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. Il est tout naturel, lorsqu’une société civile fonctionne correctement, que les citoyens participent dans une large mesure au processus démocratique par le biais d’associations au sein desquelles ils peuvent se rassembler avec d’autres et poursuivre de concert des buts communs (voir Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 92, CEDH 2004I).

31. Elle rappelle en outre qu’elle a confirmé à plusieurs reprises la relation directe entre la démocratie, le pluralisme et la liberté d’association et a établi le principe selon lequel seules des raisons convaincantes et impératives peuvent justifier des restrictions à cette liberté (voir, par exemple, IPSD et autres c. Turquie, no 35832/97, § 35, 25 octobre 2005, et Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt du 10 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, § 40).

32. La Cour relève d’emblée qu’une action pénale a été diligentée contre les dirigeants et membres de l’association pour avoir fait des déclarations d’ordre politique dont la teneur était contraire à l’objet social de l’association. Or, dans ses attendus, le tribunal correctionnel a considéré que seules les personnes poursuivies, et non l’association elle-même, étaient pénalement responsables au regard de la loi pertinente. Néanmoins, en condamnant les dirigeants, il a également dissous l’association, conformément aux articles 5 et 76 de l’ancienne loi no 2908 (paragraphe 9 ci-dessus) alors même qu’elle n’était pas partie à la procédure pénale diligentée contre ses dirigeants. L’association a été dissoute avec effet immédiat et définitif. La Cour ne peut que constater la sévérité extrême de la mesure litigieuse.

33. La Cour relève à cet égard que la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence (voir, par exemple, Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999-IV).

34. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour conclut que la sanction infligée à l’association par le tribunal correctionnel de Fatih ne saurait passer pour proportionnée à tout but légitime invoqué par le Gouvernement. Dès lors, la Cour considère que la dissolution de l’association ne pouvait raisonnablement répondre à un « besoin social impérieux » et qu’elle n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique » (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, arrêt du 30 janvier 1998, Recueil 1998I, § 61).

35. Il s’ensuit que l’article 11 a été violé en l’espèce.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

36. La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions nationales et ne pas avoir disposé d’une voie de droit aux fins de révision ou d’abrogation de la loi no 2908. Elle se plaint également des conséquences matérielles de sa dissolution, laquelle a mis fin aux cotisations, aides et dons qu’elle recevait. Elle allègue une violation des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

37. Eu égard aux motifs fondant son constat de violation de l’article 11 de la Convention (paragraphes 34-35 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément s’il y a eu, en l’espèce, violation de ces dispositions.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

39. La requérante réclame la somme de 5 000 EUR à titre de dommage matériel. Elle soutient qu’en raison de sa dissolution, elle n’a pu jouir de ses biens personnels, des cotisations de ses membres et sympathisants et des aides publiques.

40. Elle réclame 2 000 EUR pour chacun des membres de son comité directeur et 4 000 EUR pour M. Yeşilgöz, son président, soit 20 000 EUR au total.

41. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

42. La Cour note que la demande dont il s’agit repose sur une application fictive des dispositions qui, dans la loi sur les associations, régissent l’octroi, à certaines conditions, d’aides publiques auxdites associations, ainsi que sur une estimation des cotisations des membres et sympathisants. Or, l’on ne saurait spéculer sur l’effet de l’application desdites dispositions à l’association ni sur le montant des cotisations éventuelles. En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 69).

43. La Cour admet que la requérante a subi un dommage moral. Elle l’estime toutefois suffisamment compensé par le constat de violation de l’article 11.

B. Frais et dépens

44. La requérante réclame la somme de 3 110 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

45. Le Gouvernement conteste cette somme.

46. Eu égard aux éléments du dossier, la Cour trouve raisonnables les frais engagés devant elle. Statuant en équité, elle décide qu’il y a lieu d’accorder le montant réclamé en entier.

C. Intérêts moratoires

47. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

4. Dit, à l’unanimité, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

5. Dit, par six voix contre une,

a) que lÉtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 110 EUR (trois mille cent dix euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du paiement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de Mme Mularoni.

J.-P.C.
S.D.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE
Mme LA JUGE MULARONI

Je ne partage pas l’opinion de la majorité qui estime que la dissolution de l’association requérante a emporté violation de l’article 11 de la Convention.

La majorité reconnaît que cette dissolution était prévue par la loi et poursuivait au moins un des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 11. Reste donc à trancher la « nécessité de l’ingérence dans une société démocratique ».

J’observe que :

1) l’association requérante était une association « culturelle et d’entraide » ;

2) lors du congrès de l’association, le président et un certain nombre de membres du comité directeur ont fait, entre autres, les déclarations suivantes : «A Dersim, il y a la guerre, l’État doit accepter le droit de la guerre ; il faut s’organiser pour préparer la lutte » (voir § 9 de l’arrêt) ;

3) ces déclarations n’ont rien de culturel ni de « coopératif » et me paraissent, bien au contraire, très graves.

La Cour a rappelé plusieurs fois, par exemple dans les affaires concernant la liberté d’expression, que l’exercice des droits et libertés protégés par la Convention comporte des devoirs et des responsabilités (voir, entre autres, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 102, CEDH 2004XI). Devoirs et responsabilités qui me paraissent complètement négligés par les plus hautes responsables de l’association requérante en l’espèce. En outre, je constate qu’un discours de haine ou d’incitation à la violence a souvent emmené cette Cour à justifier non seulement des sanctions très lourdes prononcées à l’encontre des journalistes, mais aussi l’emprisonnement (ibidem, § 115).

Je souligne que la Cour a dit que la liberté d’association n’est pas absolue et qu’il faut admettre que lorsqu’une association, par ses activités ou les intentions qu’elle déclare expressément ou implicitement dans son programme, met en danger les institutions de l’État ou les droits et libertés d’autrui, l’article 11 ne prive pas les autorités d’un État du pouvoir de protéger ces institutions et personnes. Cela découle à la fois du paragraphe 2 de l’article 11 et des obligations positives qui incombent à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de reconnaître les droits et libertés des personnes relevant de sa juridiction (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 94, CEDH 2004I, et Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, §§ 96-103, CEDH 2003II).


Certes, l’État doit user de ce pouvoir avec parcimonie, car les exceptions à la règle de la liberté d’association appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à cette liberté (voir Gorzelik et autres, précité, § 95).

A ce propos, je constate qu’il s’agit de la seule requête de ce genre introduite contre la Turquie par une association culturelle. Cela signifie que la mesure, qui était prévue par l’ancienne loi, a été appliquée avec extrême prudence par les autorités de l’État défendeur.

Je crois qu’en l’espèce la Cour aurait dû conclure comme elle l’a fait dans l’affaire Refah Partisi et autres précitée et dire ainsi qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.