Přehled
Rozsudek
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ZASŁONA c. POLOGNE
(Requête no 25301/02)
ARRÊT
STRASBOURG
10 octobre 2006
DÉFINITIF
10/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zasłona c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25301/02) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sławomir Zasłona (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 juin 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par M. Wojciech Hermeliński, avocat à Warszawa. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 15 novembre 2005, la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1964 et réside à Poręba.
5. Il fut arrêté le 12 février 2001, et placé en détention provisoire. Le tribunal de district releva que l’intéressé était soupçonné de s’être livré, dans le cadre d’un groupe organisé, à des agressions armées sur des chauffeurs routiers en usurpant l’identité d’un officier de police. Le juge estima que les témoignages recueillis et les preuves saisies indiquaient de manière suffisante que le requérant pourrait être considéré comme un des auteurs des faits.
6. La détention provisoire fut prolongée le 13 novembre 2001, pour tous les inculpés. Le tribunal rappela que les intéressés étaient soupçonnés d’actes en bande organisée avec usage d’armes à feu, qu’il était nécessaire de recueillir des preuves supplémentaires et de procéder à des expertises.
7. L’enquête fut clôturée le 15 mars 2002.
8. A la même date, un acte d’accusation fut dirigé contre le requérant. Soixante-neuf témoins furent convoqués.
9. Le 26 mars 2002, le tribunal régional prolongea la détention des inculpés en invoquant la gravité des faits, la sévérité de la peine encourue et la nécessité de préciser les faits. Le tribunal rejeta dans la même décision une demande de remise en liberté présentée par un des détenus.
10. Le 10 juin 2002, le tribunal régional prolongea la détention de tous les inculpés et rejeta la demande de remise en liberté présentée par l’un d’entre eux en se fondant essentiellement sur la sévérité de la peine encourue.
11. Le 17 septembre 2002, le tribunal régional prolongea de nouveau la détention des inculpés en se fondant sur deux témoignages, la sévérité de la peine encourue et le risque d’entraver le bon déroulement de la procédure.
12. Le 28 octobre 2002 eut lieu la première audience devant le tribunal régional.
13. Le 11 juillet 2003, la cour d’appel accueillit la demande de prolongement de la détention provisoire présentée par le tribunal régional pour les besoins de la procédure. La cour estima que les preuves rassemblées démontraient de manière convaincante que les intéressés pourraient être les auteurs des faits reprochés.
14. Entre le 25 mars 2003 et 12 avril 2005, la détention provisoire de l’intéressé fut prolongée huit fois. La nécessité d’assurer le bon déroulement de la procédure et la probabilité que le requérant eût été l’auteur des faits reprochés figuraient parmi les principaux motifs du prolongement de l’application de la mesure.
15. Le 29 mars 2005, le tribunal régional reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de dix ans de prison. La période de détention provisoire de l’intéressé fut imputée sur la peine à exécuter.
16. Le 15 août 2005, le requérant interjeta appel.
17. Le 2 décembre 2005, la cour d’appel de Varsovie annula la décision précédente et renvoya l’affaire pour réexamen devant le tribunal régional de Płock.
18. Le 9 décembre 2005, la cour d’appel prolongea la détention du requérant pour assurer le bon déroulement de la procédure.
19. Le 14 mars 2006, le requérant fut remis en liberté.
20. L’affaire est toujours pendante devant le tribunal régional.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
21. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et cite l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »
A. Sur la recevabilité
22. Le Gouvernement ne soulève aucune exception préliminaire d’irrecevabilité de la requête.
23. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1 La période à prendre en considération
24. La Cour constate que la durée de la détention provisoire de l’intéressé se divise en deux périodes. La première s’étend du 12 février 2001, date de son placement en détention, au 29 mars 2005, date de sa condamnation en première instance, soit environ quatre ans et un mois. La deuxième s’étend du 2 décembre 2005, date de l’annulation de la décision du 29 mars 2005 et du renvoi de l’affaire pour réexamen, au 14 mars 2006, date de la remise en liberté du requérant, soit environ trois mois. La durée totale de la détention provisoire du requérant est dès lors d’environ quatre ans et quatre mois.
2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire
25. Le Gouvernement considère que le grief est manifestement mal fondé.
26. A titre liminaire, il met l’accent sur la nature des infractions commises par le requérant, qui avaient trait à la délinquance organisée. Il souligne qu’en Pologne le nombre de procédures pénales concernant les groupes organisés est considérable et qu’il continue de croître. Il attire l’attention de la Cour sur les difficultés procédurales et logistiques qui sont inhérentes à ce type d’affaires et qui les rendent complexes, ce qui est le cas en l’espèce.
27. Le Gouvernement souligne surtout que la présente affaire impliquait dix huit prévenus. Soixante-neuf témoins étaient appelés à comparaître et cent sept audiences eurent lieu. Le dossier de l’affaire comptait cent volumes.
28. Le Gouvernement relève que les prévenus ont contribué eux-mêmes à prolonger de la procédure en introduisant diverses demandes et recours à l’encontre de chaque décision incidente liée au procès.
29. S’agissant de la prolongation de la détention de l’intéressé, le Gouvernement estime que celle-ci se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu’elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux, lesquels ont fourni à chaque fois des explications particulièrement détaillées et fondées sur les circonstances concrètes de l’affaire.
30. Il soutient que les raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis les infractions reprochées persistaient tout au long de la procédure. Selon le Gouvernement, on pouvait raisonnablement croire qu’une fois remis en liberté l’intéressé tenterait de se soustraire à la justice et d’entraver le bon déroulement de la procédure, notamment en influençant les témoignages à recueillir.
31. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il allègue que les motifs invoqués dans les décisions prolongeant sa détention étaient répétitifs. Il estime également qu′il ne saurait être tenue pour responsable de l′allongement de la procédure résultant du fait qu′il avait introduit divers demandes et recours. Selon lui, il s′agissait des actes de procédure qu′il avait droit d′accomplir. Il conclut que la prolongation de sa détention n’était pas justifiée par raisons pertinentes et était en conséquence infondé.
32. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controuvés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
33. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir notamment l’arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).
34. La Cour observe qu’en l’espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention par la sévérité de la peine encourue, par la complexité de l’affaire ainsi que par le risque de fuite et d’entrave à la bonne marche de justice.
35. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (quatre années et quatre mois) se justifiait au regard de l’article 5 § 3.
36. La Cour ne décèle aucune raison de la sorte en l’espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes de libération du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour observe de surcroît que tout au long de la procédure, les juges ont motivé leurs décisions par le caractère complexe de l’affaire, soulignant surtout la sévérité de la peine encourue du fait de la nature des infractions reprochées à l’intéressé.
37. La Cour rappelle à cet égard qu’à la lumière de sa jurisprudence établie, l’existence d’un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d’une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir, notamment, les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A no 7, p. 22, § 14 ; Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A no 10, p. 29, § 11 ; Letellier c. France précité, § 43 ; Scott c. Espagne du 30 novembre 1996, CEDH 1996‑VI, p. 2304, § 78).
38. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.
39. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
40. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure. Il cite l’article 6 § 1 de la Convention.
41. La Cour relève que ce grief doit être déclaré irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes. Le requérant avait en effet omis d’engager une action sur la base de l’article 5 de la loi de 17 juin 2004, pour constater que sa cause n’a pas été entendue dans un « délai raisonnable » (Charzyński c. Pologne (déc.) no 15212/03 (procédure pénale) et Michalak c. Pologne (déc.) no 24549/03 (procédure civile)).
42. Dès lors, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
43. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
44. Le requérant réclame 25 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’il aurait subi.
45. Le Gouvernement estime cette somme excessive. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il demande à la Cour d’apprécier le montant de la satisfaction équitable sur la base de sa jurisprudence dans des affaires similaires et à la lumière de la conjoncture économique interne.
46. La Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 500 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
47. Le requérant, qui a bénéficié d’une aide judiciaire du Conseil de l’Europe de 850 euros (EUR), demande le remboursement des frais d’avocat exposés pour la procédure devant la Cour, qui s’élèvent à 1 500 euros (EUR). Il présente des justificatifs.
48. Le Gouvernement prie la Cour de ne rembourser que les frais et dépens dont se trouvent établis la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Il renvoie à cet égard à l’arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983 (série A no 66, p. 14, § 36).
49. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
50. Dès lors, s’agissant des frais et dépens afférents à la procédure devant les organes de la Convention, la Cour estime raisonnable la somme de 650 euros (EUR), plus toute somme pouvant être due au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, et l’octroie à l’intéressé.
C. Intérêts moratoires
51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour dommage moral et 650 EUR (six cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ; ces sommes sont à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président