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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YEREBASMAZ c. TURQUIE

(Requête no 14710/03)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2006

FINAL

10/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Yerebasmaz c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14710/03) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Gündüz Yerebasmaz (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 avril 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me M. Ergen, avocat à Zonguldak. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 2 juin 2005, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

4. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur la recevabilité et le bien fondé de la requête dans le délai qui lui était imparti à cet effet. Toutefois, par une lettre du 1er avril 2006, il a fait savoir à la Cour qu’il entendait maintenir sa requête.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952 et réside à Zonguldak.

6. En 1992, l’administration de l’exploitation des charbons nationaux (ci-après « l’administration ») envoya le requérant au Japon pour une formation d’une durée de trois mois.

7. Au retour de cette formation, par une décision du 3 juin 1992, l’administration refusa de lui payer une partie de l’indemnité de frais de voyage.

8. Le 27 juillet 1992, le requérant saisit le tribunal administratif de Zonguldak et demanda l’annulation de cet acte administratif.

9. Par un jugement du 25 décembre 1992, le tribunal donna gain de cause au requérant et décida l’annulation de l’acte administratif.

10. Par un arrêt du 19 octobre 1995, le Conseil d’État rejeta le pourvoi de l’administration et confirma ainsi le jugement de première instance.

11. Le 13 février 1996, l’administration paya la somme de 43 163 545 livres turques (TRL) [540 ECU, à l’époque] au requérant sur la base du taux de change du 20 janvier 1992.

12. Le 25 juin 1996, en désaccord sur le montant qu’il avait perçu, le requérant introduisit devant le tribunal une action visant à obtenir des dommages et intérêts. Il soutint à cet égard que le mode de calcul de l’administration lui était préjudiciable.

13. Par un jugement du 24 octobre 1996, le requérant fut débouté de sa demande.

14. Le 6 avril 2000, le Conseil d’État cassa ce jugement.

15. Le 22 mars 2001, le tribunal, statuant sur renvoi, accueillit partiellement la demande du requérant et condamna l’administration à lui payer la somme de 564 918 455 TRL [environ 645 euros], assortie d’intérêts moratoires à compter du 13 février 1996.

16. Le 18 mars 2002, le Conseil d’État confirma le jugement du 22 mars 2001.

17. Le 26 septembre 2003, il rejeta l’action en rectification de l’arrêt intentée par le requérant.

18. A ce jour, aucun paiement n’a été effectué par l’administration au requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. En vertu de l’article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur les voies d’exécution et la faillite et de l’article 19 de la loi no 1530 du 3 avril 1930 sur les communes, les biens appartenant à l’État et aux communes ainsi que les biens destinés à l’usage public ne peuvent faire l’objet d’une saisie (voir, entre autres, Gaganuş et autres c. Turquie, no 39335/98, § 18, 5 juin 2001).

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

20. Le requérant se plaint du non-paiement par l’administration des dommages et intérêts alloués par une décision de justice. Il invoque les articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention.

21. Selon le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes comme l’exige l’article 35 de la Convention, faute d’avoir engagé la procédure d’exécution forcée.

22. La Cour rappelle qu’elle a déjà rejeté une exception semblable (voir, entre autres, Yalçınkaya c. Turquie, no 14796/03, 2 février 2006, Fadıl Yılmaz c. Turquie, no 28171/02, 21 juillet 2005, Metaxas c. Grèce, no 8415/02, 27 mai 2004, et Karahalios c. Grèce, no 62503/00, 11 décembre 2003). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception du Gouvernement.

23. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil 1997-IV, et Tunç c. Turquie, no 54040/00, 24 mai 2005) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en outre que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

II. SUR LE FOND

24. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, par exemple, Bourdov c. Russie, no 59498/00, CEDH 2002-III, Romachov c. Ukraine, no 67534/01, 27 juillet 2004, et Kuzu c. Turquie, no 13062/03, 17 janvier 2006).

25. La Cour relève que le jugement en faveur du requérant reste inexécuté depuis près de trois ans. Dès lors, en s’abstenant pendant ce laps de temps de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision judiciaire définitive rendue en l’espèce, les autorités turques ont partiellement privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 de leur effet utile.

26. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 ont été méconnus en l’espèce.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

28. La Cour note que le requérant n’a formulé aucune demande de satisfaction équitable.

29. Dans ces circonstances, la Cour estime que le requérant n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 60 du règlement. Aucune demande de satisfaction équitable n’ayant été valablement formulée, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’accorder une indemnité à ce titre.

30. Toutefois, la Cour note que la violation qu’elle a constatée continue à ce jour et il incombe à l’État défendeur de payer la dette due au requérant dans les meilleurs délais.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président