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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÇOMAK c. TURQUIE

(Requête no 225/02)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2006

DÉFINITIF

10/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Çomak c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 225/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. İlhan Çomak (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 novembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes S. Ballıkaya et M. Çelik, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 4 octobre 2005, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1973 et réside à Istanbul.

5. Le 29 août 1994, le requérant fut arrêté en possession d’une fausse carte d’identité et d’un revolver. Il était soupçonné d’appartenir au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), une organisation illégale en droit turc.

6. Le 13 septembre 1994, le requérant fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Le même jour, il fut déféré devant le juge assesseur près cette même cour.

7. Par un acte d’accusation du 20 octobre 1994, le procureur de la République inculpa le requérant en vertu de l’article 125 du code pénal. Il lui reprocha notamment d’avoir mené des activités séparatistes et d’avoir provoqué des incendies de forêt dans la région d’Istanbul.

8. Le 1er novembre 1994 débuta le procès du requérant devant la cour de sûreté de l’État, composée d’un magistrat militaire et de deux juges civils.

9. Aux audiences des 15 décembre 1994 et 9 février 1995, la cour entendit le requérant en sa défense.

10. Au cours des audiences tenues entre le 4 avril et le 26 septembre 1995, la cour procéda notamment à l’audition du requérant, des coaccusés ainsi que des témoins. Elle demanda également que fussent produites les cassettes d’enregistrement vidéo concernant la reconstitution des faits. Elle ordonna, en outre, la convocation des fonctionnaires de police ayant signé les procès-verbaux de découverte des lieux et de reconstitution des faits.

11. A l’audience du 26 septembre 1995, la cour constata la production des cassettes d’enregistrement vidéo demandées.

12. Aux audiences des 5 mars, 29 août, 12 novembre 1996 et 21 janvier 1997, la cour procéda à l’audition des témoins et des policiers signataires des procès-verbaux en question.

13. Les 21 janvier, 18 mars et 15 mai 1997, la cour ordonna la convocation de deux témoins afin de procéder à leur audition.

14. Le 10 juillet 1997, la cour entendit l’un des témoins, lequel confirma l’appartenance du requérant à l’organisation incriminée.

15. Le 5 mars 1998, le procureur de la République requit l’application de l’article 125 du code pénal à l’encontre du requérant.

16. A compter de l’audience du 29 juin 1999 et jusqu’au 31 octobre 2000, la cour de sûreté de l’État siégea en une chambre composée de trois juges civils. Toutefois, le dossier contient peu d’éléments concernant les actes de procédure de la cour pendant cette période.

17. Le 31 octobre 2000, la cour de sûreté de l’État reconnut le requérant coupable d’activités séparatistes, au sens de l’article 125 du code pénal, et le condamna à l’emprisonnement à perpétuité. Par ailleurs, elle l’acquitta du chef de provocation d’incendies de forêt pour insuffisance de preuves.

18. Le 21 mai 2001, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19. Le requérant allègue que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial du fait qu’un juge militaire a siégé pendant une partie de la procédure au sein de la cour de sûreté de l’État qui l’a condamné. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent en l’espèce est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

20. Le Gouvernement fait valoir que la décision interne définitive quant au grief relatif au manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’État est celle rendue en première instance par cette même juridiction. A cet égard, il soutient que la Cour de cassation n’était nullement habilitée à se prononcer sur ce grief et que, partant, le pourvoi ne constituait pas un recours interne efficace pour remédier à la situation dénoncée. Le Gouvernement en conclut que le requérant aurait dû introduire sa requête dans les six mois à calculer à partir du 31 octobre 2000, date du jugement de première instance.

21. La Cour rappelle qu’elle a déjà rejeté une exception semblable dans l’affaire Özdemir c. Turquie (no 59659/00, §§ 24-26, 6 février 2003). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à cette conclusion et écarte donc l’exception du Gouvernement. Par conséquent, ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

22. Le Gouvernement plaide l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

23. La Cour rappelle que, dans l’affaire Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, §§ 116-118, CEDH 2005-...), elle a attaché de l’importance à la circonstance qu’un civil doive comparaître devant une juridiction composée, même en partie seulement, de militaires et a considéré que pareille situation met gravement en cause la confiance que les juridictions se doivent d’inspirer dans une société démocratique. Puis, soulignant que la juridiction contestée doit paraître indépendante des pouvoirs exécutif ou législatif dans chacune des trois phases de la procédure, à savoir l’instruction, le procès et le verdict, elle a conclu que lorsque le magistrat militaire prend part à un ou plusieurs actes de procédure qui restent par la suite valables dans l’instance pénale concernée, l’accusé peut raisonnablement éprouver des doutes quant à la régularité de l’ensemble de la procédure, à moins qu’il ne soit établi que la procédure suivie par la suite devant la cour a suffisamment dissipé ces doutes. Plus précisément, le fait que le magistrat militaire ait participé, dans un procès contre un civil, à un acte de procédure faisant partie inhérente de l’instance prive l’ensemble de la procédure de l’apparence d’avoir été menée par un tribunal indépendant et impartial.

24. En l’espèce, la Cour relève que, le 20 octobre 1994, une action pénale a été engagée contre le requérant devant une cour de sûreté de l’État, composée de deux juges civils et d’un magistrat militaire. Avant le remplacement de ce dernier par un juge civil le 29 juin 1999, près de cinq ans environ après le déclenchement des poursuites, plusieurs audiences sur le fond consacrées, entre autres, à l’audition des témoins et à l’établissement des déclarations du requérant ont eu lieu et de nombreux actes procéduraux ont été adoptés. Ces actes, qui n’ont pas été renouvelés ultérieurement, ont été tous validés en tant que tels par le juge remplaçant.

25. Dans ces conditions, la présente affaire ne diffère guère de l’affaire Öcalan précitée et la Cour ne saurait admettre que le remplacement du juge militaire avant la fin de la procédure a dissipé les doutes raisonnables du requérant quant à l’indépendance et l’impartialité du tribunal qui l’a jugé.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

27. Le requérant réclame respectivement 191 160 nouvelles livres turques [environ 100 600 euros (EUR)] et 50 000 EUR au titre des préjudices matériel et moral. En outre, il estime que seul un nouveau procès constituerait une satisfaction équitable.

28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

29. La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (voir, mutatis, mutandis, Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 3074, § 49). De même, pour la Cour, lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné par un tribunal qui ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité exigées par la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Öcalan, précité, § 210 in fine).

B. Frais et dépens

30. Le requérant demande 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

31. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

32. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

33. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Dit

a) que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président