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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HALİS DOĞAN c. TURQUIE (no 3)

(Requête no 4119/02)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2006

DÉFINITIF

10/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Halis Doğan c. Turquie (no 3),

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 mars et 19 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4119/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Halis Doğan (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 février 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me İ. Bilmez, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. La requête a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 et 10 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 7 mars 2006, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

6. Ni le requérant ni le Gouvernement n’ont déposé d’observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1944 et réside à Istanbul

8. Le requérant publia le quotidien Özgür Bakış, en sa qualité de propriétaire, du 18 avril 1999 au 23 avril 2000.

9. Par un acte d’accusation présenté le 16 août 1999, en application des articles 5 et 8 §§ 1 et 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, et des articles 36 et 169 du code pénal, le procureur de la République intenta une action pénale à l’encontre du requérant pour propagande séparatiste par voie de presse en demandant sa condamnation en raison de la publication, respectivement en pages 2 et 3 du numéro 82 du 8 juillet 1999, de deux articles intitulés « La nouvelle étape du complot » (« Komplo’nun yeni aşaması ») et « Naissance » (« Doğum ») dans la rubrique intitulée « Analyse » (« Analiz »).

10. En se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière dans son mémoire en défense déposé devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, le requérant soutint que l’infraction qui lui était reprochée n’avait pas été constituée et qu’il n’avait qu’exercé sa liberté d’expression. Il précisa que les faits reprochés devaient être examinés à la lumière de la liberté d’expression.

11. Par un arrêt du 17 février 2000, en application des articles 16 de la loi no 5680 sur la presse et 8 § 2 de la loi no 3713, la cour de sûreté de l’État condamna le requérant, en sa qualité de propriétaire du quotidien et en raison de la publication des articles incriminés, à une amende de 1 971 270 000 livres turques. En application de l’article 2 additionnel de la loi no 5680, la cour ordonna l’interdiction de la publication du quotidien pour six jours. Dans ses motifs, elle se référa aux passages suivants de l’article intitulé « La nouvelle étape du complot » :

« Avec cette campagne, d’une part, il s’agit de calmer les milieux qui ont été provoqués et de s’orienter vers de nouveaux accords ; d’autre part, ils veulent habituer petit à petit les Kurdes au plan de faillite. Il convient de rappeler qu’avec cette campagne, une nouvelle guerre psychologique vient d’être déclenchée contre les Kurdes. Les Kurdes s’attendent à une perte de confiance, à un éparpillement, à une dislocation ainsi qu’à une démoralisation. Sans aucun doute, cela constitue en même temps un des tournants les plus importants de la guerre. Toutes les valeurs, l’honneur des Kurdes ainsi que leur dirigeant font l’objet de discussion. Tout cela est utilisé pour la réussite du plan de faillite des Kurdes.

(...)

L’un des aspects de cette campagne a débuté par une publication dévalorisant l’estime et le charisme du secrétaire général du PKK[1]. Il est très clair qu’avec cet effort en diffamation, ils veulent jouer avec l’unité de la lutte révolutionnaire patriotique, avec la détermination de la lutte et la ligne révolutionnaire.

(...)

Ainsi, cette « révolte », du point de vue des Kurdes, constitue la « dernière révolte » planifiée. Attendre une autre issue ne serait rien d’autre qu’une tromperie. Le danger auquel font face les Kurdes n’est pas n’importe quel danger, il s’agit du danger qui intéresse directement leur existence et leur destin. Cela, sans exagération, constitue pour eux un problème de survie ou de disparition. Le processus est de nature si brûlant et si vital.

(...)

Au contraire, [maintenant] c’est le temps de la mobilisation nationale. Si toutes les forces, les capacités et les moyens ne doivent pas passer en action, à quel moment passeront-ils en action ?

(...)

Dans la mémoire et la culture des Kurdes, il y a la notion dite du « jour d’honneur ».

Voilà, aujourd’hui, il s’agit d’un jour bien au-delà du jour d’honneur (...) »

12. Dans ses motifs, la cour se référa également aux passages suivants de l’article intitulé « Naissance » :

« Toute naissance se fait dans la douleur. (...) Le problème kurde, en particulier après l’arrivée du président Öcalan en Turquie avec l’aide d’un complot international mené par les États-unis d’Amérique, entre dans la phase d’un accouchement très douloureux. Cette étape apporte à tous beaucoup de douleur.

(...)

Ces points de vues sont vrais ou faux (...) Mais le fait qu’ils pensent ainsi doit être clairement pris au sérieux de notre part. Car, depuis des années, ils n’ont pas cerné la profondeur du problème kurde. Les douleurs vécues ont été considérées comme « les buts des forces extérieures sur la Turquie ». Ainsi la révolte menée par le PKK a été opprimée comme la 28e révolte kurde et la liquidation de son dirigeant a permis de croire que le problème a été enfoui sous une chape de béton pour l’éternité.

Cela étant, notre véritable garantie est la volonté de notre peuple, qui est prêt à toute sorte de sacrifice et à casser les chaînes de l’esclavagisme du 21e siècle pour obtenir absolument la liberté. C’est notre politique pionnière qui transporte en une étape rayonnante notre lutte de la liberté. Nos faucons qui atteignent leur véritable sacrifice. Ce sont là nos garanties (...) Cette étape critique est remplie de tous les dangers et risques, consolider notre unité nationale en atteignant les buts déterminés en les dépassant, renforcer notre organisation et être prêts aux deux alternatives de la direction de la lutte, tel est notre devoir historique qui ne peut être reporté en cette période. »

13. Le 18 février 2000, le requérant forma un pourvoi en cassation.

14. L’avis du procureur général près la Cour de cassation ne lui fut pas communiqué.

15. Par un arrêt du 6 juillet 2000, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué. Le requérant en fut informé le 29 août 2000.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

16. Le droit et la pratique internes pertinents concernant la loi relative à l’instauration des cours de sûreté de l’État sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Gençel c. Turquie (no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003) ; la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme dans l’arrêt Yalçın Küçük c. Turquie (no 28493/95, § 21, 5 décembre 2002) ; La loi no 4778 du 11 janvier 2003 relative à l’avis du procureur général près la Cour de cassation dans les arrêts Tosun c. Turquie (no 4124/02, §§ 16 et 17, 28 février 2006) et Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 34, CEDH 2002V).

17. L’article 16 § 4 de la loi no 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse est ainsi libellé :

« S’agissant des infractions commises par voie de publications autres que les périodiques, la responsabilité pénale appartiendra à l’auteur, au traducteur ou au dessinateur de la publication constitutive du délit, ainsi qu’à l’éditeur. Toutefois, les peines privatives de liberté infligées aux éditeurs seront converties en une amende, ce sans égard au quantum [de la peine d’emprisonnement]. (...) »

18. L’article 2 additionnel de cette loi dispose que lorsque l’infraction a été commise par voie de presse, le tribunal peut ordonner l’interdiction de la publication dans laquelle l’article incriminé a été publié pour une durée de trois jours jusqu’à un mois.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19. Le requérant se plaint que l’avis du procureur général près la Cour de cassation ne lui a pas été notifié. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui, en sa partie pertinente, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

20. Le Gouvernement conteste l’allégation du requérant.

21. La Cour rappelle avoir examiné un grief identique à celui présenté par le requérant et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication de l’avis du procureur général, compte tenu de la nature des observations de celui-ci et de l’impossibilité pour un justiciable d’y répondre par écrit (voir Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002V, Abdullah Aydın (no 2) c. Turquie, no 63739/00, § 30, 10 novembre 2005, et Tosun c. Turquie, no 4124/02, § 22, 28 février 2006).

22. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

23. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue qu’en raison de sa condamnation, ses droits à la liberté de pensée et d’expression ont été méconnus. Il invoque l’article 10, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, (...) »

25. Se référant à l’arrestation du chef du PKK et au climat de tolérance qui s’en est suivi en Turquie, le Gouvernement soutient que, de par leur contenu, les deux articles en cause soutenaient ouvertement les activités de l’organisation terroriste et appelaient la population kurde à poursuivre ses activités séparatistes. Les propos publiés allaient au-delà des limites imposées par la jurisprudence de la Cour.

26. Conformément aux limitations prévues à l’article 10 § 2 de la Convention, le juge national jouit d’une marge d’appréciation plus large dans l’examen de la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression. A cet égard, il a considéré que ces articles faisaient la propagande de l’organisation terroriste PKK. Cette ingérence, prévue par la loi, était une mesure nécessaire dans une société démocratique pour protéger la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sécurité publique.

27. Le Gouvernement soutient qu’il faut tenir compte du contexte dans lequel ces articles ont été publiés. Pris dans leur ensemble, ils avaient pour but de présenter les activités terroristes du PKK comme une lutte d’indépendance nationale pour les Kurdes. Leur contenu donne un message au lecteur selon lequel les activités terroristes entraînant la mort de milliers de citoyens étaient justifiées pour obtenir l’indépendance des Kurdes. En se référant à la jurisprudence de la Cour et en tenant compte du caractère sensible de la situation régnant dans le Sud-Est de la Turquie en matière de sécurité et de la nécessité pour les autorités d’exercer leur vigilance face à des actes susceptibles d’accroître la violence, le Gouvernement soutient que l’ingérence litigieuse n’enfreignait pas la liberté d’expression.

28. A la lumière de ces explications et tenant compte des conditions spécifiques dans lesquelles se trouvait la Turquie à cette époque, les autorités nationales ont jugé que de telles publications, faisant l’apologie d’une organisation terroriste dont le chef avait été condamné et emprisonné, pourraient augmenter la tension au sein de la société en Turquie. La condamnation du requérant à une amende pénale reste proportionnée au but visant la protection de l’ordre public.

29. Le requérant conteste ces arguments. Le quotidien dont il était le propriétaire avait pour but d’informer la population, l’opinion publique ainsi que l’État. Sa condamnation à une amende pénale ainsi que l’interdiction de la publication du quotidien sont disproportionnées par rapport au but poursuivi.

30. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation au pénal du requérant constituait une ingérence dans son droit à la liberté d’expression, protégé par l’article 10 § 1. Il n’est pas davantage contesté que l’ingérence était prévue par la loi – articles 16 de la loi no 5680 sur la presse et 8 § 2 de la loi no 3713 et poursuivait plusieurs buts légitimes, à savoir le maintien de la sécurité nationale et la protection de l’intégrité territoriale ainsi que la défense de l’ordre et la prévention du crime, au sens de l’article 10 § 2 (voir Baran c. Turquie, no 48988/99, § 26, 10 novembre 2004). La Cour souscrit à cette appréciation.

31. En l’occurrence, le différend concerne la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour rappelle les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à larticle 10, tels qu’elle les a exposés notamment dans les arrêts Halis Doğan c. Turquie (no 75946/01, § 31, 7 février 2006), Yalçın Küçük c. Turquie (no 28493/95, § 37, 5 décembre 2002), Zana c. Turquie (25 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VII, pp. 2547-2548, § 51), et Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) (26 avril 1979, série A no 30, p. 38, § 62).

32. La Cour constate que le requérant a été condamné, en sa qualité de propriétaire du journal Özgür Bakış, pour avoir fait de la propagande séparatiste par voie de presse en raison de la publication de deux articles intitulés respectivement « La nouvelle étape du complot » et « Naissance » relatant la lutte que doit mener désormais le PKK, après l’arrestation de son chef Abdullah Öcalan. Elle rappelle que l’ingérence en cause doit être examinée en ayant égard au rôle essentiel des publications, en l’occurrence un quotidien, qui concerne un sujet d’actualité dans une démocratie (voir, parmi d’autres, Yalçın Küçük, précité, § 38, Okçuoğlu c. Turquie [GC], no 24246/94, § 44, 8 juillet 1999, Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 54, 8 juillet 1999, Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 41, et Fressoz et Roire, précité, § 45). Si toute publication ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de la protection des intérêts vitaux de l’État, telles la sécurité nationale ou l’intégrité territoriale, contre la menace du terrorisme, ou en vue de la défense de l’ordre ou de la prévention du crime, il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions politiques, y compris sur celles qui divisent l’opinion. A sa fonction qui consiste à en diffuser s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. La liberté de recevoir des informations ou des idées fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants (voir, mutatis mutandis, Lingens, précité, §§ 41-42).

33. Dans le cas d’espèce, la Cour portera une attention particulière aux termes employés dans les articles et au contexte de leur publication. A cet égard, elle tient compte des circonstances entourant le cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées à la lutte contre le terrorisme (voir İbrahim Aksoy c. Turquie, nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, § 60, 10 octobre 2000, et Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, p. 1568, § 58).

34. A travers les deux articles, le journal donne le point de vue de la nouvelle lutte à mener par le PKK, organisation armée et illégale. Les propos y exprimés ne font pas le constat des évènements sociaux, culturels ou historiques ni même appèlent à la résolution du problème kurde par la paix. La Cour relève la nette intention de stigmatiser l’autre protagoniste au conflit par l’emploi d’expressions telles que « [a]u contraire, [maintenant] c’est le temps de la mobilisation nationale. Si toutes les forces, les capacités et les moyens ne doivent pas passer en action, à quel moment passeront-ils en action ? Dans la mémoire et la culture des Kurdes, il y a la notion dite du « jour d’honneur ». Voilà, aujourd’hui, il s’agit d’un jour bien au-delà du jour d’honneur. » Ou encore l’utilisation de propos tels que « [c]ela étant, notre véritable garantie est la volonté de notre peuple, qui est prêt à toute sorte de sacrifice et à casser les chaînes de l’esclavagisme du 21e siècle pour obtenir absolument la liberté. C’est notre politique pionnière qui transporte en une étape rayonnante notre lutte de la liberté. Nos faucons qui atteignent leur véritable sacrifice. » De fait, dans l’ensemble, la teneur des articles peut passer pour inciter à l’usage de la violence, à la résistance armée, ou au soulèvement ; c’est là, aux yeux de la Cour, un élément essentiel à prendre en considération (voir, mutatis mutandis, Müslüm Gündüz c. Turquie (déc.), no 59745/01, 13 novembre 2003, et Zana, précité, § 60). Ces propos émanent de deux articles publiés dans un journal après l’arrestation d’Abdullah Öcalan, et dont la teneur incite ceux qui défendent la cause des Kurdes à des violences. Dans un pareil contexte, force est de constater que les articles étaient susceptibles de favoriser la violence dans la région du Sud-Est. Dans cette perspective, la Cour juge que les motifs de la condamnation du requérant étaient tout à la fois pertinents et suffisants pour justifier une ingérence dans le droit de l’intéressé à la liberté d’expression. Elle rappelle que le simple fait que des « informations » ou « idées » heurtent, choquent ou inquiètent ne suffit pas à justifier pareille ingérence. Toutefois, en l’espèce, il s’agit d’incitation à l’apologie de la violence.

35. Il est clair pour la Cour que les articles litigieux s’analysent en un appel à la guerre ou, pour le moins, à la reprise des actions armées. Les articles s’associent aux idées du PKK et lancent un appel à l’emploi de la force armée contre l’État turc. Les propos exprimés réveillent des instincts primaires et renforcent des préjugés déjà ancrés qui se sont exprimés au travers d’une violence meurtrière. Or, la Cour a conscience des préoccupations des autorités au sujet de mots ou d’actes susceptibles d’aggraver la situation régnant en matière de sécurité dans la région du Sud-Est où, depuis 1985 environ, de graves troubles faisaient rage entre les forces de sécurité et les membres du PKK, ayant entraîné de nombreuses pertes humaines et la proclamation de l’état d’urgence dans la plus grande partie de la région (Zana, précité, § 10). Dans ce contexte, le lecteur retire l’impression que le recours à la violence est une mesure d’autodéfense nécessaire et justifiée face à l’agresseur (voir Sürek (no 1), précité, § 62, et Sürek c. Turquie (no 3) [GC], no 24735/94, § 40, 8 juillet 1999).

36. S’il est vrai que le requérant ne s’est pas personnellement associé aux opinions exprimées dans les articles, il n’en a pas moins fourni à leurs auteurs un support pour attiser la violence et la haine. Il partageait les « devoirs et responsabilités » qu’assument les rédacteurs et journalistes lors de la collecte et de la diffusion d’informations auprès du public, rôle qui revêt une importance accrue en situation de conflit et de tension (Sürek (no 1), précité, § 63, et Betty Purcell et autres c. Irlande, no 15404/89, décision de la Commission du 16 avril 1991).

37. C’est pourquoi la Cour conclut que la peine d’amende infligée au requérant en sa qualité de propriétaire du quotidien ainsi que l’interdiction temporaire de la publication du quotidien peuvent raisonnablement être considérées comme répondant à un « besoin social impérieux », et que les motifs avancés par les autorités pour justifier la condamnation de l’intéressé sont « pertinents et suffisants ».

38. Eu égard à la marge d’appréciation dont jouissent les autorités nationales en pareil cas, l’ingérence litigieuse était donc proportionnée aux buts légitimes poursuivis, conformément à l’article 10 § 2 de la Convention.

39. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

41. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable après la décision sur la recevabilité bien que, dans la lettre qui lui a été adressée le 10 mars 2006, son attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans les observations écrites sur le fond. En outre, l’intéressé ne sollicitant aucune somme au titre des frais et dépens, la Cour estime que le montant qui lui a été octroyé au titre de l’assistance judiciaire contribue suffisamment à ses frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une satisfaction équitable au requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


[1]. Parti des travailleurs du Kurdistan.