Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHMET EMİN ACAR c. TURQUIE

(Requête no 1901/02)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2006

DÉFINITIF

10/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mehmet Emin Acar c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1901/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mehmet Emin Acar (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 novembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes A. Aktay et T. Akıllıoğlu, avocats à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 2 juin 2005, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1952 et réside à Mersin.

5. Le 5 juin 1997, la Direction générale des routes nationales (« l’administration ») procéda à l’expropriation de deux terrains appartenant au requérant, sis à Mersin, en vue de la construction d’une autoroute.

6. La commission d’expert d’İçel évalua la valeur des biens en question à 18 296 307 000 livres turques (TRL) – (102 231 euros (EUR)). Ce montant fut versé au requérant le 27 août 1997, date du transfert de propriété.

7. Le 4 septembre 1997, le requérant introduisit un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Mersin.

8. Le 3 décembre 1999, après avoir ordonné une expertise, le tribunal donna partiellement gain de cause au requérant et condamna l’administration à lui verser une indemnité complémentaire de 42 223 694 000 TRL – (81 373 EUR), assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 27 août 1997.

9. Le 1er juin 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par l’administration et confirma ainsi le jugement de première instance.

10. Le 3 juillet 2000, le requérant saisit le bureau d’exécution et de recouvrement des dettes, qui envoya à l’administration expropriante un ordre de paiement d’un montant de 44 223 694 000 TRL – (75 007 EUR).

11. Le 29 mai 2001, l’administration versa au requérant la somme de 126 390 520 000 TRL – (131 752 EUR) au titre de l’indemnité complémentaire d’expropriation.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998VI, pp. 26742676, §§ 17-25).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

13. Le requérant se plaint d’une perte de valeur de l’indemnité complémentaire d’expropriation, en raison de l’insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Il invoque à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

14. Selon le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention, les voies de recours internes faute d’avoir correctement exercé le recours mis à sa disposition par l’article 105 du code des obligations. La réparation des prétendues pertes du fait du retard dans le paiement de l’indemnité complémentaire aurait été possible si l’intéressé avait établi l’existence d’un dommage subi au-delà de celui qui se trouve compensé par les intérêts moratoires.

15. La Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’affaire Aka c. Turquie (arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1997-VI, pp. 26782679, §§ 34-37). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette donc l’exception du Gouvernement.

16. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil 1997-IV) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

17. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).

18. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir au propriétaire un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de ses biens. C’est ce retard qui amène la Cour à considérer que le requérant a eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.

19. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

20. Le requérant se plaint également de ce que la durée des procédures judiciaires a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.

A. Sur la recevabilité

21. La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B. Sur le fond

22. Eu égard à la conclusion formulée ci-dessus sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question séparément sous l’angle de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

24. Le requérant affirme devoir être dédommagé pour un préjudice matériel qu’il évalue à 164 000 dollars américains (USD). Il réclame en outre la réparation d’un dommage moral qu’il évalue à 5 000 USD.

25. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

26. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 17 455 EUR au requérant à titre de dommage matériel.

Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

27. Le requérant demande également 3 000 USD pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

29. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû au titre des impôts, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 17 455 EUR (dix-sept mille quatre cent cinquante-cinq euros) pour dommage matériel ;

ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président