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Rozhodnutí
CINQUIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 16085/02
présentée par Elena Georgieva GEORGIEVA
contre la Bulgarie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 23 octobre 2006 en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
M. V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 1er avril 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, Mlle Elena Georgieva Georgieva, est une ressortissante bulgare, née en 1979 et résidant à Plovdiv. Elle est représentée devant la Cour par Me E. Nedeva, avocate à Plovdiv.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
Le 17 juin 2001, la requérante fut appréhendée par une patrouille de police. Les agents de police saisirent sur elle un sachet qui contenait 0,06 gramme d’une substance en poudre qui s’avéra être un mélange de caféine, de paracétamol et d’héroïne. Des poursuites pénales furent ouvertes contre la requérante pour acquisition et détention illicite de stupéfiants, infraction pénale prévue par l’article 354a, alinéa 1 du Code pénal (CP). L’enquête fut confiée au service d’instruction de Plovdiv et enregistrée sous le no 584/01.
Le 12 août 2001, la requérante fut appréhendée par une patrouille de police pour la deuxième fois. Les agents de police saisirent quatre sachets qui contenaient au total 0,245 gramme de la même substance en poudre. La requérante fut mise en garde à vue pour 24 heures, à compter de 16 h 30 le même jour.
Des poursuites pénales furent ouvertes pour la deuxième fois contre elle pour acquisition et détention illicite de stupéfiants. L’enquête fut confiée au service d’instruction de Plovdiv et enregistrée sous le no 797/01.
Le 13 août 2001, la requérante fut examinée par un médecin qui constata qu’elle était dépendante de l’héroïne. Le même jour, elle fut mise en garde à vue par le magistrat instructeur pour une deuxième période de 24 heures. Sa garde à vue fut prolongée par le procureur de district de Plovdiv pour une période de 72 heures à compter du 13 août 2001 à 16 heures 30.
Le 15 août 2001, la requérante fut formellement inculpée par le magistrat instructeur d’avoir acquis et détenu illicitement des stupéfiants et fut interrogée par ce dernier. Le magistrat instructeur prolongea la garde à vue de la requérante afin de la conduire devant un juge. Une expertise fut ordonnée afin de déterminer si la quantité de stupéfiants saisie de la requérante était pour sa consommation personnelle en dose unitaire.
Le 16 août 2001, la requérante fut conduite devant un juge du tribunal régional de Plovdiv qui la plaça en détention provisoire. Selon la requérante, le juge aurait refusé de prendre en considération son état de dépendance à l’héroïne et le fait que les stupéfiants qu’elle avait détenus auraient servi à sa consommation personnelle, ce qui l’aurait rendue pénalement irresponsable selon les dispositions de l’article 354a, alinéa 3 du CP.
Quelque temps après, la requérante forma un recours contre sa détention provisoire. Le 8 octobre 2001, le tribunal régional de Plovdiv rejeta son recours. Le tribunal régional conclut que la détention provisoire avait été ordonnée conformément à la législation nationale. Le tribunal prit en compte le fait que la requérante avait été inculpée pour avoir commis une infraction pénale susceptible d’une peine d’emprisonnement entre dix et quinze ans, que l’ensemble des preuves recueillies permettait de soupçonner qu’elle avait effectivement commis le crime reproché et que cela avait été sa deuxième inculpation pour des faits semblables après celle du 17 juin 2001. Le tribunal estima que la question de savoir si le stupéfiant saisi sur la requérante était destiné à sa consommation personnelle n’avait aucune incidence sur la procédure de contrôle de la légalité de la détention provisoire, mais était une question de fond qui devrait être examinée par le tribunal statuant sur le fond de l’affaire. Cette décision fut confirmée le 16 octobre 2001 par la cour d’appel de Plovdiv.
En novembre 2001, à une date non précisée, la requérante forma un deuxième recours contre sa détention provisoire. Devant le tribunal compétent, l’avocat de la requérante souligna que toutes les mesures d’instruction avaient déjà été effectuées à l’exception de l’expertise ordonnée le 15 août 2001. Il indiqua également que les deux poursuites pénales contre la requérante avaient été réunies par le service d’instruction le 28 septembre 2001. Par une décision du 14 novembre 2001, le tribunal régional rejeta son recours. Le tribunal constata qu’il existait encore un danger pour la requérante de commettre une nouvelle infraction pénale ou de se soustraire à la justice car elle encourait une peine de réclusion criminelle supérieure à dix ans et elle avait déjà été inculpée pour des faits semblables. Cette décision fut confirmée le 20 novembre 2001 par la cour d’appel de Plovdiv.
Un troisième recours contre la détention provisoire fut formé par la requérante en janvier 2002. Ses avocats dénoncèrent la durée excessive de la détention provisoire due à l’absence de l’expertise ordonnée le 15 août 2001. La défense demanda l’imposition d’une simple mesure de contrôle judiciaire consistant en l’interdiction de quitter la ville sans autorisation préalable (подписка) car la requérante était au chômage et habitait chez ses parents, chômeurs eux aussi, et n’avait pas la possibilité de payer aucun cautionnement.
Le 25 janvier 2002, le tribunal régional maintint la détention provisoire de la requérante. Il constata qu’il n’y avait pas de nouvelles circonstances justifiant la modification de la mesure de contrôle judiciaire. Le tribunal prit en compte le fait que la requérante encourait toujours une peine de réclusion criminelle supérieure à dix ans et que sa dépendance à l’héroïne rendait le danger de commettre de nouvelles infractions pénales réel et sérieux. Le tribunal régional conclut que la durée de la détention provisoire en l’occurrence ne dépassait pas la limite du raisonnable aux termes de la Convention. La requérante attaqua cette décision devant la cour d’appel de Plovdiv.
Le 31 janvier 2002, la cour d’appel de Plovdiv leva la détention provisoire de la requérante. La juridiction interne estima que toutes les mesures d’instruction avaient été effectuées, que la dépendance de la requérante à l’héroïne était établie et qu’il restait uniquement à établir si la quantité de drogue saisie était pour consommation personnelle en « dose unitaire », ce que devrait prouver l’expertise ordonnée le 15 août 2001. La cour d’appel prit en compte la durée de la détention qui à ce moment-là s’élevait à plus de cinq mois. La cour d’appel imposa à la requérante une caution d’environ 750 euros. N’étant pas en mesure de s’acquitter de cette somme, la requérante resta en détention provisoire jusqu’à la fin des poursuites pénales contre elle.
Par une ordonnance du 4 mars 2002, le procureur régional de Plovdiv mit fin aux poursuites pénales contre la requérante en estimant que l’héroïne détenue par elle était en quantité indiquant une consommation personnelle en dose unitaire. La requérante fut libérée.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Le trafic de stupéfiants
L’alinéa 1 de l’article 354a CP prévoit une peine de réclusion criminelle allant de dix à quinze ans et une amende allant de cent mille à deux cent mille leva pour le fait, entre autres, d’acquérir ou de détenir sans autorisation des substances stupéfiantes à haut risque pour la santé. Selon l’Annexe no 1 de la loi sur le contrôle des stupéfiants et leurs précurseurs, l’héroïne fait partie du groupe des stupéfiants à haut risque.
L’alinéa 3 de l’article 354a CP, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, énonçait que :
« N’est pas punie une personne en état de dépendance aux stupéfiants qui acquiert ... détient ... des stupéfiants ou autres produits analogues lorsque leur quantité indique qu’ils sont destinés à être consommés en une seule fois. »
Cette disposition législative fut abrogée en mars 2004. Il ressort des procès-verbaux des délibérations au sein de l’Assemblée nationale que cet amendement a été motivé principalement par l’augmentation du nombre des personnes dépendantes aux stupéfiants et par un certain nombre de jugements des tribunaux internes dans lesquels la disposition précitée aurait été interprétée de manière erronée.
Le 13 octobre 2006, un nouvel amendement du Code pénal entra en vigueur. Le cinquième alinéa de l’article 354a, dans sa nouvelle rédaction, prévoit que l’acquisition et la détention de stupéfiants est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 000 leva (environ 495 euros) en cas d’insignifiance de la faute imputée au prévenu.
2. La garde à vue
La loi sur le ministère de l’Intérieur, en vigueur à l’époque des faits, autorisait les organes de police à placer une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale en garde à vue pour une période maximale de vingt-quatre heures (articles 70 et 71).
L’article 202 du Code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, autorisait le magistrat instructeur à placer en garde à vue toute personne arrêtée en flagrant délit. Le magistrat instructeur était obligé d’en informer le procureur compétent dans un délai de vingt-quatre heures et ce dernier pouvait confirmer la garde à vue ou libérer la personne concernée.
Le procureur pouvait prolonger la garde à vue jusqu’à soixante-douze heures (article 203 CPP).
3. La détention provisoire et les recours contre elle
L’article 152 CPP prévoyait la mise en détention provisoire de l’accusé si celui-ci encourait une peine d’emprisonnement et s’il existait un danger réel pour lui de commettre une nouvelle infraction pénale ou de se soustraire à la justice (alinéa 1). Sauf preuve du contraire, le danger réel était présumé, entre autres, si la personne en cause encourait une peine de réclusion criminelle d’au moins dix ans (alinéa 2 (4)).
Selon l’article 152a CPP, la détention provisoire était ordonnée par un juge du tribunal de première instance en audience publique, en présence du procureur, de l’accusé et de son défenseur. Le magistrat instructeur pouvait ordonner la détention de l’accusé pendant vingt-quatre heures afin de le traduire devant le juge. La décision de placement en détention provisoire était susceptible d’un appel devant le tribunal supérieur.
Selon l’article 152b CPP, l’accusé avait la possibilité de former un recours contre sa détention provisoire devant le tribunal de première instance. La demande était examinée en audience publique, en présence du procureur, de l’intéressé et de son défenseur. Le juge pouvait soit confirmer la détention provisoire, soit la remplacer par une autre mesure de contrôle judiciaire et relâcher l’intéressé. Cette décision était susceptible d’appel devant le tribunal supérieur. Dans le cas de rejet de la demande, le tribunal pouvait fixer un délai maximum de deux mois pour l’introduction d’un nouveau recours contre la détention provisoire.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, la requérante se plaint de la durée excessive de sa détention provisoire.
2. Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, la requérante se plaint que le contrôle judiciaire de sa détention provisoire n’a pas été efficace car les tribunaux n’ont pas pris en compte le déroulement de l’enquête, n’ont pas motivé leurs décisions et ont négligé les arguments de la défense.
3. Invoquant les articles 6 §§ 1 et 2, 8 et 13 de la Convention, la requérante se plaint que l’article 354a CP, qui pénalise l’acquisition et la détention de stupéfiants, ne fait pas de différence entre trafiquants de drogue et personnes dépendantes des stupéfiants et que ces dispositions portent atteinte à son droit au respect de la vie privée et à la présomption d’innocence.
EN DROIT
1. La requérante allègue une violation de l’article 5 § 3 de la Convention à cause de la longueur excessive de sa détention provisoire pendant l’enquête pénale menée contre elle pour acquisition et détention de stupéfiants. L’article 5 § 3 de la Convention se lit comme suit :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. La requérante se plaint que, dans le cadre de la procédure d’examen de la légalité de sa détention provisoire, les tribunaux internes ont refusé de prendre en considération des faits susceptibles de dissiper le soupçon qu’elle avait commis une infraction pénale et n’ont pas motivé le maintien de sa détention. Elle invoque l’article 5 § 4 de la Convention libellé ainsi :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
3. La requérante se plaint que les dispositions du code pénal en vigueur à l’époque des faits pertinents concernant l’acquisition et la détention de stupéfiants ne faisaient pas de différence entre les trafiquants de drogue et les usagers de stupéfiants. Invoquant les articles 6 §§ 1 et 2, 8 et 13 de la Convention, elle allègue une ingérence injustifiée à son « droit » de consommer des stupéfiants qui, selon elle, relève du domaine de sa vie privée.
La Cour estime que le grief relève de l’article 8 de la Convention, qui se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’expression « vie privée » est large et ne se prête pas à une définition exhaustive (K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 79, 17 février 2005). Néanmoins, la Cour considère qu’aucun « droit » de consommer des stupéfiants illicites ne peut être induit de la notion de protection de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention.
Il est vrai que l’ouverture et la conduite de poursuites pénales contre la requérante ont nécessairement entraîné des répercussions sur sa vie privée. Même à supposer que de telles répercussions puissent s’analyser en une ingérence dans la vie privée de la requérante au sens de l’article 8 de la Convention, le grief s’avère manifestement mal fondé pour les raisons exposés ci-après.
Pour se concilier avec l’article 8 § 2, une ingérence dans l’exercice d’un droit garanti par l’article 8 doit être « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite de ce ou ces buts (Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 19, § 43). Pour être nécessaire dans une société démocratique l’ingérence en cause doit se fonder sur un besoin social impérieux ce qui impose, notamment, qu’elle demeure proportionnée au but légitime poursuivi (McLeod c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, p. 16, § 52).
Dans le cas d’espèce l’ingérence alléguée était prévue par la législation interne et reposait sur les dispositions de l’article 354a CP.
L’incrimination de l’acquisition et de la détention de stupéfiants par l’article 354a CP poursuivait le but légitime de protéger la santé de larges couches de la société en combattant le trafic de stupéfiants. La lutte contre la toxicomanie et ses effets nocifs pour la santé des individus implique nécessairement des mesures législatives, y compris des mesures relevant du domaine du droit pénal, susceptibles de restreindre l’approvisionnement en stupéfiants. Dans l’adoption de ces mesures les Etats membres disposent d’une large marge d’appréciation. La Cour considère qu’il existe en l’occurrence un besoin social impérieux pouvant justifier des politiques pénales diverses dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie.
La Cour observe que les poursuites pénales contre la requérante ont été terminées le 4 mars 2002 par le procureur régional de Plovdiv à cause de sa dépendance à l’héroïne et de la faible quantité du stupéfiant détenu par elle.
En l’espèce, la Cour considère que rien ne permet de conclure à un quelconque manque de proportionnalité de la législation en question (l’article 354a CP). Les dispositions de l’article 354a CP, telles quelles en vigueur à l’époque des faits pertinents, visaient toute une série d’actes illicites constituant l’approvisionnement en stupéfiants, entre autres la détention et l’acquisition de drogue. Il s’ensuit que l’ouverture des poursuites pénales sur la base de l’article 354a CP contre la requérante ne peut pas être considérée comme une ingérence disproportionnée dans sa vie privée.
Dans la mesure où la requérante se plaint de l’absence de justification de sa détention provisoire, ce fait relève du champ d’application de l’article 5 de la Convention.
Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’ingérence alléguée, notamment les poursuites pénales fondées sur les dispositions de
l’article 354a CP, est justifiée comme « nécessaire dans une société démocratique » et ne s’analyse pas en une violation de l’article 8 de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs de la requérante tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président