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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GIANAZZA c. ITALIE
(Requête no 69878/01)
ARRÊT
STRASBOURG
5 octobre 2006
DÉFINITIF
05/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gianazza c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de Mme F. Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 septembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 69878/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ferruccio Gianazza (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 mai 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me C. L. Scrosati, avocat à Busto Arsizio. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.
3. Le 2 septembre 2004, la Cour (première section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention (équité de la procédure) au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1919 et réside à Parabiago (Milan).
6. Il était propriétaire d'un terrain de 3 290 mètres carrés sis à San Vittore Olona (Milan).
7. Par un arrêté du 3 février 1982, la municipalité de San Vittore Olona autorisa l'occupation dudit terrain pour une période maximale de cinq ans en vue de construire des bâtiments résidentiels. Le 3 mars 1982, le terrain fut occupé matériellement et les travaux de construction furent entamés.
8. Par un acte notifié le 14 mars 1987, le requérant assigna la municipalité de San Vittore Olona à comparaître devant le tribunal de Milan. Il fit valoir que l'occupation se poursuivait au-delà de la période autorisée sans qu'il fût procédé à l'expropriation formelle du terrain. Il demanda la restitution de son bien et un dédommagement.
9. La municipalité se constitua dans la procédure et excipa notamment que l'occupation demeurait légitime, car le délai initial de cinq ans avait été prorogé ex lege.
10. Le 18 juillet 1989, le tribunal ordonna une expertise technique visant à établir la valeur du terrain litigieux. Dans son rapport déposé le 24 juin 1990, l'expert nommé d'office affirma que la superficie du terrain du requérant était de 3 812,27 mètres carrés et conclut que la valeur de celui-ci au moment de l'occupation était comprise entre 80 000 et 42 000 ITL par mètre carré.
11. Par un jugement du 30 juin 1992, le tribunal fit droit à la demande de dédommagement du requérant. Il rejeta tout d'abord l'exception de la municipalité et affirma que le délai autorisé ne pouvait pas être considéré comme étant prorogé en l'absence d'une décision de l'administration.
En outre, le tribunal fixa la valeur du terrain au moment de l'occupation à 70 000 ITL/m² et condamna la municipalité à payer au requérant les sommes de 266 865 900 ITL pour la perte de la propriété du terrain et de 3 500 000 ITL pour la perte de la propriété de bâtiments constituant des accessoires de celui-ci. Ces sommes devaient être actualisées et majorées d'intérêts.
12. Le 9 février 1993, la municipalité de San Vittore Olona interjeta appel devant la cour d'appel de Milan.
13. Par un arrêt non définitif du 21 février 1995, cette dernière reforma partiellement le jugement de première instance.
La cour d'appel affirma que le délai initialement fixé pour l'occupation avait été prorogé ex lege par effet de l'entrée en vigueur de la loi no 42 de 1985 et avait pris fin le 3 mars 1990. Par conséquent, à la même occasion, elle ordonna une nouvelle expertise visant à calculer la valeur marchande du terrain litigieux à cette dernière date, qui constituait le moment où l'occupation était devenue illicite.
14. Selon le rapport de l'expert, déposé le 20 juillet 1995, la valeur marchande du terrain du requérant en mars 1990 était de 496 411 500 ITL.
15. Entre-temps, entra en vigueur la loi no 359 du 8 août 1992, prévoyant à son article 5 bis de nouveaux critères d'indemnisation pour l'expropriation de terrains constructibles.
16. Par un arrêt no 369 de 1996, la Cour constitutionnelle déclara cette disposition inconstitutionnelle. Le 23 décembre 1996 entra en vigueur la loi budgétaire no 662 de 1996, modifiant la disposition déclarée inconstitutionnelle et disposant que l'indemnisation intégrale ne pouvait pas être accordée pour une occupation de terrain ayant eu lieu avant le 30 septembre 1996.
17. Par une ordonnance du 27 mai 1997, la cour d'appel de Milan disposa une nouvelle expertise tenant compte desdites modifications législatives.
18. Par un arrêt du 23 juin 1998, la cour d'appel condamna la municipalité de San Vittore Olona à payer au requérant la somme de 273 191 133 ITL à titre d'indemnisation pour la perte du terrain.
19. Le 12 février 1999, le requérant se pourvut en cassation. Il fit valoir entre autres que le montant de l'indemnité devait être réévalué.
20. Par un arrêt du 27 septembre 2000, la Cour de cassation cassa partiellement l'arrêt de la cour d'appel. En faisant droit à la demande du requérant, la Cour de cassation renvoya l'affaire à la cour d'appel de Milan pour la réévaluation du montant de l'indemnité à la date de la décision judiciaire.
21. Par un acte du 7 mai 2001, le requérant réassigna la municipalité devant la cour d'appel de Milan.
Par la suite, lorsque la procédure était pendante devant la cour d'appel, la municipalité accepta de payer au requérant le montant la somme due à titre d'indemnité, calculée aux termes de la loi no 662 de 1996, réévaluée selon les indications fixées par la Cour de cassation.
22. Par une décision du 13 mars 2003, le juge d'instruction ordonna que la procédure fût rayée du rôle.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
24. Le requérant allègue avoir été privé de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
25. Le Gouvernement excipe du dépassement du délai de six mois. Il soutient que ce grief est tardif dans la mesure où il a été introduit six mois après l'arrêt non définitif du 21 février 1995, faisant état du transfert des terrains litigieux.
Le Gouvernement est de l'avis que ce jugement constitue la « décision interne définitive » à compter de laquelle le délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention a commencé à courir.
26. La Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception similaire dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie (no 58858/00, déc. du 2 septembre 2004). Elle considère que, conformément à sa jurisprudence (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000‑VI, § 69, et Donati c. Italie, no 63242/00, décision du 13 mai 2004 et également dans l'arrêt, § 62) ce n'est que par la décision définitive que le principe de l'expropriation indirecte doit passer pour effectivement appliqué. Elle estime qu'en l'espèce la décision définitive est celle du 13 mars 2003, ayant mis fin à la procédure devant la cour d'appel de Milan. Dès lors, le délai de six mois a commencé à courir à cette date.
27. Il s'ensuit que l'exception ne saurait être retenue. La Cour relève par ailleurs que ce grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
28. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d'espèce, il s'agit d'une occupation de terrain dans le cadre d'une procédure administrative reposant sur une déclaration d'utilité publique. Il admet que la procédure d'expropriation n'a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun arrêté d'expropriation n'a été adopté.
29. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n'a pas été remis en cause par les juridictions nationales.
30. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l'expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Selon le Gouvernement, le principe de l'expropriation indirecte doit être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l'arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.
31. Le Gouvernement en conclut qu'à partir de 1983, les règles de l'expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.
32. Le Gouvernement rappelle que dans l'affaire Forrer‑Niedenthal c. Allemagne (arrêt du 20 février 2003), la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui avaient privé la requérante de toute protection contre l'atteinte portée à sa propriété. Il demande à la Cour de suivre la même approche pour la présente affaire.
33. S'agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu'un arrêté d'expropriation n'ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.
34. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible par la construction d'un ouvrage d'utilité publique, la restitution du terrain n'est plus possible.
35. Le Gouvernement définit l'expropriation indirecte comme le résultat d'une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l'intérêt général l'emporte sur l'intérêt des particuliers, lorsque l'ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et qu'il répond à l'utilité publique.
36. Quant à l'exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l'administration est tenue d'indemniser les intéressés.
37. Compte tenu de ce que l'expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l'illégalité commise par l'administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, l'indemnisation peut être inférieure au préjudice subi.
38. La fixation du montant de l'indemnité en cause rentre dans la marge d'appréciation laissée aux Etats pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Le Gouvernement rappelle en outre que l'indemnité telle que plafonnée par la loi budgetaire no 662 de 1996 est en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l'expropriation avait été régulière.
39. A la lumière de ces considérations et en se référant notamment aux affaires OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, 20 juillet 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté et que la situation dénoncée est compatible à tous points de vue avec l'article 1 du Protocole no 1.
b) Le requérant
40. Se référant à la jurisprudence de la Cour en matière d'expropriation indirecte, le requérant observe que l'application du principe de l'expropriation indirecte à son cas n'est pas conforme au principe de la prééminence du droit.
41. Il dénonce ensuite un manque de clarté, de prévisibilité et de précision des principes et des dispositions appliqués à son affaire.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l'existence d'une ingérence
42. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).
43. La Cour relève que, en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré le requérant comme étant privé de son bien à compter de la date d'expiration du délai d'occupation autorisée. A défaut d'un acte formel d'expropriation, le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l'arrêt de la cour d'appel de Milan a eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la deuxième phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura précité, § 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).
44. Pour être compatible avec l'article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d'utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d'examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu'il s'est avéré que l'ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n'était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).
45. Dès lors, la Cour n'estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu'une réparation intégrale en faveur du requérant n'a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).
b) Sur le respect du principe de légalité
46. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000‑VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000‑VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.
47. Dans la présente affaire, la Cour relève qu'en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, les juridictions italiennes ont considéré le requérant comme privé de son bien à compter du moment où l'occupation avait cessé d'être autorisée, les conditions d'illégalité de l'occupation et d'intérêt public de l'ouvrage construit étant réunies. Or, en l'absence d'un acte formel d'expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n'est que par la décision judiciaire définitive que l'on peut considérer le principe de l'expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l'acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, le requérant n'a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 13 mars 2003, date à laquelle la procédure judiciaire a été définitivement close.
48. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l'administration de tirer parti d'une occupation de terrain illégale. En d'autres termes, l'administration a pu s'approprier du terrain au mépris des règles régissant l'expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu'une indemnité soit mise en parallèle à la disposition de l'intéressé.
49. S'agissant de l'indemnité, la Cour constate que l'application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d'espèce a eu pour effet de priver le requérant de la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi.
50. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l'ingérence litigieuse n'est pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requérant.
51. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
52. Le requérant allègue que l'adoption et l'application de la loi no 662 du 23 décembre 1996 à sa procédure constitue une ingérence législative contraire à son droit à un procès équitable tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
53. Le Gouvernement affirme que la requête a été introduite tardivement dans la mesure où le requérant se plaint que le montant du dédommagement a été calculé au sens de la loi no 662 de 1996. Selon le Gouvernement, le délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention a commencé à courir soit le 1er janvier 1997, à savoir à la date de l'entrée en vigueur de cette loi, soit à la date du dépôt au greffe de l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 148 du 26 avril 1999, par lequel cette dernière juridiction a confirmé la légalité de la disposition en question. A l'appui de ses allégations, le Gouvernement cite l'affaire Miconi c. Italie (Miconi c. Italie, (déc.), no 66432/01, 6 mai 2004).
54. Le requérant s'oppose à la thèse du Gouvernement.
55. La Cour renvoie aux observations développées ci-dessus lors de l'examen de l'exception d'irrecevabilité du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1. Aucune raison ne permet de parvenir à une conclusion différente par rapport à la présente exception. Il y a donc lieu d'écarter cette dernière.
B. Sur le fond
56. Le Gouvernement observe que la loi litigieuse n'a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par le requérant. En outre, l'application de cette loi n'aurait pas eu de répercussions négatives pour le requérant. Il en conclut que l'application de la disposition litigieuse à la cause du requérant ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l'appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère spécifiquement aux arrêts Forrer-Niedenthal c. Allemagne (no 47316/99, 20 février 2003), OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004‑VIII).
57. La Cour vient de constater, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par les requérants n'est pas conforme au principe de légalité. Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation (paragraphes 52 à 54 ci-dessus), la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 ‑ 133, CEDH 2006).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
58. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »²
59. Le requérant réclame à titre de préjudice matériel 231 408,62 EUR, soit la différence entre la valeur marchande du terrain et le montant reconnu par les autorités judiciaires pour dédommagement, réévaluée et assortie d'intérêts. Il demande également 72 669,60 EUR à titre d'indemnité pour l'occupation légitime.
60. Le requérant sollicite en outre 30 200 EUR à titre de préjudice moral.
61. Enfin, il réclame 20 420, 25 EUR pour frais de procédure devant les autorités nationales et 16 537,50 EUR pour frais de procédure devant la Cour.
62. Le Gouvernement conteste les prétentions matérielles des requérants, tant dans leur fondement que dans leur montant, et observe qu'elles sont en tout état de cause excessives et basées sur des calculs erronés.
63. Quant au préjudice moral, le Gouvernement soutient qu'un tel dommage dépend de la durée excessive de la procédure devant les juridictions nationales. Par conséquent, le versement d'une quelconque somme à titre d'indemnisation est subordonné à l'épuisement du remède Pinto, qui n'a pas été prouvé en l'espèce. En tout état de cause, le Gouvernement estime que la somme réclamée par les requérants est excessive.
64. Enfin, le Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants à titre de frais et dépens sont excessives et basées sur des calculs erronés.
65. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue le président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Fatoş Aracı Boštjan M. Zupančič
Greffière adjointe Président