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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CAPOCCIA c. ITALIE

(Requête no 30227/03)

ARRÊT

STRASBOURG

5 octobre 2006

DÉFINITIF

05/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Capoccia c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de Mme F. Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 septembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30227/03) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, MM. Gianni Capoccia, Filomeno Capoccia et Giuseppe Capoccia (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 septembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Mes R. Baldassini, G. Eramo et B. Forte, avocats à Sora. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Le 4 mars 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1959, 1927 et 1925 et résident respectivement à Cassino et Sao Paulo (Brésil).

5. Les requérants sont copropriétaires en raison des trois cinquièmes d'un terrain constructible sis à Cassino et enregistré au cadastre, feuille 36, parcelles 2 et 7. Ils ont hérité ce terrain de deux personnes différentes.

6. Par un arrêté du 7 novembre 1977, le conseil municipal (Giunta muncipale) de Cassino approuva un projet de construction d'habitations à loyer modéré sur le terrain.

1. L'occupation de la première partie du terrain

7. Par un arrêté du 3 avril 1978, le conseil municipal de Cassino autorisa l'Institut autonome de gestion des HLM (« IACP ») à occuper d'urgence une partie du terrain, à savoir 5 954 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans à compter de l'occupation matérielle, en vue de son expropriation afin de procéder à la construction des habitations à loyer modéré.

8. Le 27 juin 1978, l'IACP procéda à l'occupation matérielle de cette partie du terrain.

2. L'occupation de la deuxième partie du terrain

9. Par un arrêté du 2 avril 1980, la municipalité autorisa l'IACP à occuper d'urgence une autre partie du terrain, à savoir 32 244 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans à compter de l'occupation matérielle, en vue de son expropriation afin de procéder à la construction des habitations à loyer modéré.

10. Le 16 juin 1980, l'IACP procéda à l'occupation matérielle de cette partie du terrain.

3. La procédure diligentée devant les juridictions internes

11. Par un acte d'assignation notifié le 13 mars 1990, les requérants, ayant entre-temps hérité, introduisirent devant le tribunal de Cassino une action en dommages-intérêts à l'encontre de la municipalité de Cassino et de l'IACP. Ils faisaient valoir que l'occupation des deux parties du terrain était illégale, étant donné qu'elle s'était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans qu'il fût procédé à l'expropriation formelle et au paiement d'une indemnité. Ils demandaient un dédommagement correspondant aux trois cinquièmes de la valeur vénale des deux parties du terrain qui avaient été occupées, plus intérêts et réévaluation.

12. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l'expert, les parties du terrain occupées avaient une extension globale de 38 700 mètres carrés. Leur valeur vénale globale au moment de l'expiration des délais d'occupation autorisée, à savoir respectivement les 27 juin 1983 et 16 juin 1986, était de 619 200 000 ITL, soit 16 000 ITL le mètre carré. En outre, l'expert évalua à 154 800 000 ITL l'indemnité d'occupation.

13. Par un jugement déposé au greffe le 30 août 1999, le tribunal de Cassino statua que la propriété des parties du terrain occupées avait été transférée à l'administration en raison de la transformation irréversible de celles-ci, en vertu du principe de l'expropriation indirecte.

14. Quant à la première partie du terrain, occupée le 27 juin 1978, le tribunal déclara que le droit des requérants au dédommagement était prescrit.

15. S'agissant de la deuxième partie du terrain, occupée le 16 juin 1980, le tribunal statua que les requérants avaient droit à un dédommagement, calculé en raison des trois cinquièmes du dédommagement relatif à cette partie du terrain globalement considérée. Le tribunal calcula ce dédommagement au sens de la loi budgétaire no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur, et condamna donc la municipalité et l'IACP à verser aux requérants les sommes de 172 898 880 ITL, à titre de dédommagement pour la perte de cette partie du terrain, et de 92 880 000 ITL, à titre d'indemnité d'occupation.

16. Par un acte notifié le 10 novembre 1999, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d'appel de Rome, faisant notamment valoir qu'ils avaient droit à un dédommagement égal aux trois cinquièmes de la valeur vénale des deux parties du terrain qui avaient été occupées.

17. L'IACP se constitua dans la procédure, attaquant le jugement du tribunal notamment dans la partie où il avait reconnu le droit des requérants à une indemnité d'occupation, au motif que ces derniers n'avaient pas demandé au tribunal une telle indemnité.

18. Par un arrêt déposé au greffe le 11 février 2002, la cour d'appel de Rome rejeta l'appel des requérants et statua que ces derniers n'avaient droit à aucune indemnité d'occupation, compte tenu de ce qu'ils ne l'avaient pas demandée devant le tribunal. Par conséquent, la cour d'appel condamna la municipalité et l'IACP à verser aux requérants uniquement le dédommagement conséquent à la perte de la deuxième partie du terrain occupée, qu'elle évalua à 172 898 640 ITL, soit 89 294,70 EUR.

19. D'après les requérants, cet arrêt de la cour d'appel a acquis force de chose jugée le 29 mars 2003.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

20. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

21. Les requérants allèguent avoir été privés de leur terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

22. Le Gouvernement ne soulève pas d'exceptions concernant la recevabilité de ce grief.

23. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

24. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d'espèce, il s'agit d'une occupation de terrain dans le cadre d'une procédure administrative reposant sur une déclaration d'utilité publique. Il admet que la procédure d'expropriation n'a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun décret d'expropriation n'a été adopté.

25. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n'a pas été remis en cause par les juridictions nationales.

26. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l'expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Le principe de l'expropriation indirecte devrait être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l'arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.

27. Le Gouvernement en conclut qu'à partir de 1983, les règles de l'expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.

28. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Cour a reconnu que l'idée de loi recouvre les principes généraux énoncés ou impliqués par elle (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33 § 45) ainsi que du droit non écrit (voir l'arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) du 26 avril 1979, série A no 30, § 47).

29. Il s'ensuit que la jurisprudence consolidée de la Cour de cassation ne saurait être exclue de la notion de loi au sens de la Convention.

30. Le Gouvernement rappelle que dans une affaire allemande (Forrer Niedenthal c. Allemagne, arrêt du 20 février 2003) la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui ont privé la requérante de toute protection contre l'atteinte porté à sa propriété. Le Gouvernement demande à la Cour d'appliquer le même critère de jugement à la présente affaire.

31. S'agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu'un décret d'expropriation n'ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.

32. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible en raison de la construction d'une œuvre d'utilité publique, la restitution de celui-ci n'est plus possible.

33. Le Gouvernement définit l'expropriation indirecte comme le résultat d'une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l'intérêt général prévale sur l'intérêt des particuliers, lorsque l'ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et répond à l'utilité publique.

34. Quant à l'exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l'administration est tenue d'indemniser le particulier.

35. Cependant, cette indemnisation peut être inférieure au préjudice subi par l'intéressé, vu que l'expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l'illégalité commise par l'administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.

36. Le Gouvernement admet que les requérants n'ont pas pu être entièrement indemnisés et que par l'effet de la loi no 662 de 1996, l'indemnité accordée est inférieure à la valeur du terrain.

37. Toutefois, vu que l'expropriation indirecte répond à un intérêt collectif, le Gouvernement soutient que le montant de l'indemnité que les requérants ont pu obtenir rentre dans la marge d'appréciation laissée aux États pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Il rappelle en outre que l'indemnité telle que plafonnée par la loi en cause sera en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l'expropriation avait été régulière.

38. A la lumière de ces considérations et se referant aux affaires Forrer Niedenthal c. Allemagne (précité) et OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté.

b) Les requérants

39. Les requérants s'opposent à la thèse du Gouvernement.

40. Ils font observer que l'expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l'autorité publique d'acquérir un bien en toute illégalité.

41. Les requérants dénoncent un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à leur cas au motif qu'un principe jurisprudentiel, tel que celui de l'expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l'existence d'une ingérence

42. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

43. La Cour relève que, en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants comme étant privés de leur bien en raison de sa transformation irréversible. A défaut d'un acte formel d'expropriation, le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l'arrêt de la cour d'appel de Rome a eu pour effet de priver les requérants de leur bien au sens de la deuxième phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 61, CEDH 2000VI, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).

44. Pour être compatible avec l'article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d'utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d'examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu'il s'est avéré que l'ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n'était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).

45. Dès lors, la Cour n'estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu'une réparation intégrale en faveur des requérants n'a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).

b) Sur le respect du principe de légalité

46. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, précité ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.

47. Dans la présente affaire, la Cour relève qu'en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les requérants comme privés de leur bien en raison de sa transformation irréversible, les conditions d'illégalité de l'occupation et d'intérêt public de l'ouvrage construit étant réunies. Or, en l'absence d'un acte formel d'expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n'est que par la décision judiciaire définitive que l'on peut considérer le principe de l'expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l'acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, les requérants n'ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 29 mars 2003, date à laquelle l'arrêt de la cour d'appel de Rome est devenu définitif.

48. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l'administration de tirer parti d'une occupation de terrain illégale. En d'autres termes, l'administration a pu s'approprier du terrain au mépris des règles régissant l'expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu'une indemnité soit mise en parallèle à la disposition des intéressés.

49. S'agissant de l'indemnité, la Cour constate que l'application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d'espèce a eu pour effet de priver les requérants de la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi.

50. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l'ingérence litigieuse n'est pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants.

51. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

52. Les requérants se plaignent de l'adoption et l'application de la loi no 662 du 23 décembre 1996. Le grief a été communiqué sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

53. Le Gouvernement soutient que la requête est tardive, étant donné que le délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention aurait commencé à courir soit le 1er janvier 1997, date de l'entrée en vigueur de la loi no 662 de 1996, soit le 30 avril 1999, date du dépôt au greffe de l'arrêt par lequel la Cour constitutionnelle a jugé cette loi compatible avec la Constitution. A l'appui de ses allégations, le Gouvernement cite l'affaire Miconi c. Italie (Miconi c. Italie, (déc.), no 66432/01, 6 mai 2004).

54. Les requérants s'opposent à la thèse du Gouvernement.

55. La Cour rappelle qu'elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005) et Binotti c. Italie (no 2) (no 71603/01, 13 octobre 2005). Elle n'aperçoit aucun motif de s'écarter de ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception du Gouvernement.

56. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

57. Le Gouvernement observe que la loi litigieuse n'a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par les requérants. En outre, l'application de cette loi n'aurait pas eu de répercussions négatives pour les requérants. Il en conclut que l'application de la disposition litigieuse à la cause des requérants ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l'appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère notamment aux arrêts Forrer-Niedenthal c. Allemagne (précité), OGIS Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (précité) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004-VIII).

58. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

59. La Cour vient de constater, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par les requérants n'est pas conforme au principe de légalité (paragraphes de 49 à 51 ci-dessus). Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de cette disposition (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 133, CEDH 2006).

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

60. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

61. A titre de préjudice matériel, les requérants sollicitent d'abord le versement d'un dédommagement de 102 579,36 EUR, assorti d'intérêts et réévaluation.

62. En outre, ils demandent une indemnité d'occupation égale aux intérêts calculés sur la somme de 191 874,06 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain.

63. Enfin, ils sollicitent le versement d'une indemnité pour non jouissance du terrain et d'une indemnité correspondant à la plus-value apportée au terrain par l'ouvrage public y construit, sans toutefois chiffrer celles-ci.

64. S'agissant du préjudice moral, les requérants demandent la somme de 60 000 EUR.

65. Enfin, ils demandent 50 000 EUR pour les frais de procédure devant la Cour, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA) en sus.

66. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas étayé leurs demandes et qu'en tout état de cause les sommes demandées seraient excessives.

67. A titre subsidiaire, il fait valoir que les critères de calcul d'un tel dédommagement employés par les requérants seraient inexactes.

68. Enfin, le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées dans les arrêts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, 30 octobre 2003, et Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, 11 décembre 2003.

69. S'agissant du dommage moral et des frais de la procédure à Strasbourg, le Gouvernement trouve que les sommes réclamées par les requérants sont excessives et s'en remet à la sagesse de la Cour.

70. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş Aracı Boštjan M. Zupančič
Greffière adjointe Président