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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DE BLASI c. ITALIE

(Requête no 1595/02)

ARRÊT

STRASBOURG

5 octobre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire de Blasi c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mme I. Ziemele, juges,
et de Mme F. Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1595/02) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Antonino De Blasi (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me C. De Filippi, avocat à Parme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ivo Maria Braguglia, et par son coagent adjoint, M. Nicola Lettieri.

3. Le 14 juin 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1944 et réside à Opera (Milan).

1. La procédure de faillite

5. Par un jugement déposé le 13 février 1996, le tribunal de Milan déclara la faillite de la société « De Blasi Antonino e C. S.n.c. » ainsi que de M. G.T., associés de celle-ci, et la faillite personnelle du requérant.

6. L'audience pour la vérification de l'état du passif de la faillite fut fixée au 24 mai 1996 et, le 2 juillet 1996, l'état du passif fut déclaré exécutoire.

7. A une date non précisée, l'inventaire des biens des faillis fut rédigé. Celui-ci comprenait les meubles faisant partie des leurs habitations, deux voitures du requérant, un appartement de M. G.T., la moitié d'un autre appartement avec garage du requérant, la moitié d'un garage du requérant ainsi que des terrains et des immeubles du requérant, dont une partie était en copropriété, situés à Partanna (Trapani).

8. A des dates non précisées de 1997, les deux voitures du requérant et les meubles faisant partie de l'habitation de M. G.T. furent vendus.

9. Le 15 janvier 2001, l'appartement de M. G.T. fut vendu à la suite d'une procédure d'exécution.

10. Le 13 novembre 2002, la moitié du garage du requérant fut vendue aux enchères.

11. Le 27 août 2003, les terrains et les immeubles de Partanna firent l'objet d'une expertise selon laquelle la plus part de ces biens étaient difficilement vendables, compte tenu de ce que certains d'entre eux étaient en copropriété et qu'un des immeubles étaient en très mauvais état.

12. Le 14 janvier 2005, la moitié de l'appartement avec garage du requérant, qui avait fait l'objet d'une procédure d'exécution, fut vendue aux enchères.

13. Une audience fut fixée au 26 octobre 2006.

2. La procédure introduite conformément à la loi Pinto

14. Le 28 mai 2002, le requérant introduisit un recours devant la cour d'appel de Brescia conformément à la loi Pinto se plaignant de la violation de l'article 6 de la Convention ainsi que de son droit au respect de sa correspondance, de sa vie familiale, de son droit au respect de ses biens, notamment en raison de la durée de la procédure, et de la limitation de son droit de vote.

15. Par une décision du 11 novembre 2002, la cour d'appel rejeta la demande du requérant. Elle souligna la rapidité des phases d'exécution de l'état du passif de la faillite et d'inventaire des biens. La cour considéra aussi que le retard dans la clôture de la procédure était lié aux difficultés objectives de liquidation et « aux limites du système italien lequel, exception faite pour la vente aux enchères et celle par négociation privée, ne prévoit pas d'autres moyens pour liquider les biens de la faillite ». La longueur de la procédure n'était donc pas imputable aux autorités compétentes. Par ailleurs, la cour indiqua qu'un appartement et un garage de propriété du requérant faisaient l'objet d'une autre procédure d'exécution, que le syndic était intervenu dans cette procédure et que des tentatives de vendre la partie du garage qui ne faisait pas l'objet de la procédure d'exécution avaient eu lieu, toutefois sans succès.

16. A une date non précisée de janvier 2003, le requérant se pourvut en cassation. Il se plaignit de la durée de la procédure de faillite et du fait que celle-ci était encore pendante. Le requérant souligna aussi que, à partir de sa déclaration de faillite, il avait subi la limitation de certaines libertés personnelles, telles que la liberté de circulation, le droit au respect de sa correspondance et de sa vie familiale, son droit de vote et son droit au respect de ses biens. Par ailleurs, il observa que, dès sa déclaration de faillite, il n'avait pas pu ouvrir un compte courant et que, même si la loi sur la faillite n'empêche pas explicitement l'exercice d'une nouvelle activité d'entreprise, celui-ci est rendu de facto impossible en raison des difficultés à repérer des fonds. De plus, l'accès aux fonctions publiques est interdit jusqu'à cinq ans après la clôture de la procédure. Enfin, selon le requérant, le dédommagement moral relatif à la durée de la procédure de faillite doit tenir compte, entre autres, de la prolongation des incapacités dérivant du statut de failli.

17. Par un arrêt déposé le 15 septembre 2005, la Cour de cassation rejeta la demande du requérant et condamna celui-ci au paiement des frais et dépens. Elle observa que les considérations du requérant portant sur le prolongement du statut de personne ayant fait faillite n'étaient pas relevant dans le cas d'espèce, en raison de ce qu'elles ne peuvent que concerner une situation dans laquelle la durée de la procédure a été déraisonnable et de ce qu'elles avaient été soulevées en abstrait, sans référence à la situation personnelle du requérant. Elle considéra aussi que la décision attaquée avait dûment pris en compte les circonstances et la complexité de l'affaire ainsi que le comportement des parties. De plus, la Cour de cassation rappela sa jurisprudence (arrêts nos 1338 et 1340 de 2004) selon laquelle, en matière de durée de procédure, les cours d'appels compétentes doivent prendre en compte « les critères temporels moyens » élaborés par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La Cour de cassation affirma qu'elles peuvent tout de même conclure à une solution différente dans la mesure où celle-ci soit dûment motivée.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

18. Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION, QUANT À LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

19. Sans invoquer aucun article de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure de faillite. Ce grief doit être analysé sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

A. Sur la recevabilité

20. La Cour constate que le requérant a épuisé les voies de recours internes conformément à la loi Pinto. Elle considère que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

21. Le requérant soutient que les observations du Gouvernement ont été présentées tardivement, contrairement à l'article 38 du règlement de la Cour.

22. La Cour relève avoir fixé au 13 octobre 2005 le délai pour la présentation des observations du Gouvernement et que celui-ci a envoyé ses observations le 13 octobre 2005 même.

23. Le Gouvernement fait valoir que la durée de la procédure a été due au comportement du requérant, lequel « n'a pas tenu des écritures comptables et, après la déclaration de faillite, a soustrait des montants découlant de son activité d'entrepreneur, ainsi obligeant le syndic a des activités complexes afin de destiner aux créanciers les montants soustraits ». Selon les observations envoyées par le juge délégué de la faillite, « il ne ressort pas du dossier que le requérant, suite à sa déclaration de faillite, ait acquis des biens faisant partie de la faillite ». Le Gouvernement fait valoir aussi que « les autorités étatiques (tribunal, juge délégué et syndic) possèdent très peu de moyens pour influer sur la rapidité de la procédure de faillite ».

24. Le requérant considère que le comportement relatif aux écritures comptables ne devrait pas être pris en compte par la Cour, s'agissant de faits antérieurs à sa déclaration de faillite. De plus, il souligne que, après sa déclaration de faillite, il n'a soustrait aucun bien faisant partie de l'actif et que cette information est confirmée par les observations du juge délégué.

25. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure relevant de l'article 6 § 1 de la Convention doit s'apprécier dans chaque cas d'espèce suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment à la complexité de la cause, au comportement des requérants et à celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Comingersoll c. Portugal, [GC], no 35382/97, CEDH 2000-IV).

26. La Cour note que, dans le cas d'espèce, le caractère « raisonnable » de la durée de la procédure a fait l'objet d'un examen par la cour d'appel de Brescia ainsi que par la Cour de cassation au sens de la loi Pinto.

27. En même temps, elle rappelle être appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention tels qu'interprétés dans sa jurisprudence et « une erreur manifeste d'appréciation de la part du juge national peut aussi découler d'une mauvaise application ou interprétation de la jurisprudence de la Cour » (voir Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 82).

28. La Cour observe que, dans le cas d'espèce, la longueur de la procédure n'est pas imputable au comportement du requérant. En effet, le Gouvernement n'a pas étayé son affirmation relative à l'absence des écritures comptables et il est vrai que l'absence de soustraction des biens faisant partie de la faillite de la part du requérant est confirmée par les observations du juge délégué.

29. En même temps, il ressort du dossier que la durée de la procédure en question a été liée à des difficultés objectives de liquidation des biens qui ne sont pas, en tant que telles, imputables à l'Etat. En effet, suite à l'inventaire des biens du requérant et de M. G.T., les organes de la faillite se sont activés pour liquider l'actif. Les intervalles de temps entre une vente et l'autre étaient justifiés par le fait que certains biens immeubles faisaient en même temps l'objet d'autres procédures d'exécution ainsi que par le faible intérêt commercial d'autres biens.

30. Tout en admettant qu'il s'agit donc d'une procédure complexe et qu'aucun retard spécifique n'est imputable à l'Etat, la Cour constate que la procédure de faillite a débuté le 13 février 1996 et qu'elle est toujours pendante. Elle a donc déjà duré plus de dix ans.

31. Par ailleurs, la Cour note que les seules ventes faisant obstacle à la définition de la procédure sont celles relatives aux meubles de l'habitation du requérant et aux biens situés à Partanna, lesquels, selon une expertise du 27 août 2003, sont en partie « difficilement vendables ».

32. Dans ce contexte, la Cour estime que la carence de moyens du système législatif italien visant à accélérer la définition des procédures de faillite, tel que mentionnée dans les observations du Gouvernement et dans la décision de la cour d'appel de Brescia, ne saurait pas justifier la limitation du droit du requérant à voir sa cause close dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

33. A cet égard, la Cour rappelle aussi que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire « de telle sorte que les cours et les tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, y compris de trancher les causes dans un délai raisonnable » (voir Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, CEDH 1999-II).

34. La Cour estime donc que, dans le cas d'espèce, la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

35. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA CORRESPONDANCE ET DE LA VIE FAMILIALE, 1 DU PROTOCOLE No 1 ET 2 DU PROTOCOLE No 4

36. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint de la violation de son droit au respect de sa correspondance et de sa vie familiale. Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, il se plaint que la déclaration de faillite l'a privé de ses biens, notamment en raison de la durée de la procédure. Invoquant l'article 2 du Protocole no 4, il se plaint de la limitation de sa liberté de circulation, notamment en raison de la durée de la procédure. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 8 de la Convention

« 1. Toute personne a droit au respect de sa (...) vie familiale (...) et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Article 2 du Protocole no 4

« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.

3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique. »

A. Sur la recevabilité

37. La Cour note d'abord que le requérant a omis d'étayer le grief portant sur son droit au respect de sa vie familiale. Cette partie de la requête doit donc être rejetée pour défaut manifeste de fondement selon l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

38. La Cour relève ensuite que, dans son arrêt no 362 de 2003, déposé le 14 janvier 2003, la Cour de cassation a pour la première fois reconnu que le dédommagement moral relatif à la durée des procédures de faillite doit tenir compte, entre autres, de la prolongation des incapacités dérivant du statut de failli.

39. La Cour rappelle avoir retenu que, à partir du 14 juillet 2003, l'arrêt no 362 de 2003 ne peut plus être ignoré du public et que c'est à compter de cette date qu'il doit être exigé des requérants qu'ils usent de ce recours aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention (voir Sgattoni c. Italie, no 77132/01, § 48, 6 octobre 2005).

40. La Cour constate que, dans le cas d'espèce, le requérant a épuisé les voies de recours internes conformément à la loi Pinto. Cette partie de la requête n'est due pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

41. Quant à l'article 1 du Protocole no 1, dans les observations envoyées par le Gouvernement, celui-ci fait valoir que le requérant « a utilisé des immeubles faisant partie de l'actif de la faillite pour acquérir des gains illicites ». Il n'y a donc pas eu une réelle suspension de l'administration de ses biens. Toutefois, selon les observations envoyées par le juge délégué de la faillite, « il ne ressort pas du dossier que le requérant, suite à sa déclaration de faillite, ait acquis des biens faisant partie de la faillite ». De plus, le Gouvernement souligne que la grande partie des biens faisant partie de la faillite a été vendue dans un délai raisonnable et que, quant aux biens restants, les autorités étatiques possèdent très peu de moyens pour influer sur la rapidité de la procédure, en dehors des tentatives de vente des biens aux enchères ou par négociation privée.

42. Le requérant affirme avoir été privé de son droit de propriété pendant plus de dix ans. De plus, il souligne que, après sa déclaration de faillite, il n'a soustrait aucun bien faisant partie de l'actif de la faillite et que cette information est confirmée par les observations du juge délégué.

43. Quant à l'article 2 du Protocole no 4, le Gouvernement soutient que « le requérant n'a jamais respecté cette restriction et qu'il s'est rendu à l'étranger pour jouer aux jeux d'hasard des montants qui devaient rentrer dans l'actif de la faillite ».

44. Le requérant soutient que la limitation de sa liberté de circulation n'a pas été proportionnée à l'objectif poursuivi, notamment en raison de la durée de la procédure. De plus, il souligne que le Gouvernement n'a fourni aucune preuve quant au non respect de la limitation de sa liberté de circulation de la part du requérant.

45. En ce qui concerne le droit au respect de la correspondance, le Gouvernement observe que « la limitation y relative est justifiée par un besoin social impérieux, à savoir reconstruire les mouvement d'affaires et récupérer les créances de la faillite ».

46. Selon le requérant, la limitation du droit au respect de sa correspondance n'a pas été proportionnée à l'objectif poursuivi, notamment en raison de la durée de la procédure.

47. La Cour relève que, suite à sa déclaration de faillite, le requérant a subi une ingérence dans son droit au respect de ses biens et de sa correspondance ainsi que dans sa liberté de circulation (voir Luordo c. Italie, no 32190/96, §§ 67, 75 et 91, CEDH 2003IX et Bottaro c. Italie, no 56298/00, §§ 28, 36 et 50, 17 juillet 2003).

48. Cette ingérence, prévue par les articles 42, 48 et 49 de la loi de la faillite, poursuit un objectif légitime, à savoir la protection des droits d'autrui, notamment des créanciers de la faillite.

49. Il reste à savoir toutefois si, dans le cas d'espèce, il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, au sens de l'alinéa 2 des articles 1 du Protocole no 1 et 8 de la Convention et de l'article 2 du Protocole no 4 alinéa 4, notamment à la lumière de la durée de la procédure (voir Luordo, précité, §§ 70, 71, 78, 79, 96 et 97 et Bottaro, précité, §§ 31, 32, 39, 40, 54 et 55).

50. La Cour rappelle que cette procédure a débuté le 13 février 1996 et qu'elle est toujours pendante. Elle a donc duré plus de dix ans. Compte tenu des considérations qui précèdent portant sur le caractère « raisonnable » de cette durée, de l'avis de la Cour, la longueur de la procédure en question a entraîné la rupture de l'équilibre à ménager entre l'intérêt général au paiement des créanciers de la faillite et l'intérêt du requérant au respect de ses biens, de sa correspondance et de sa liberté de circulation.

51. Partant, il y a eu violation des articles 1 du Protocole no 1, 8 de la Convention et 2 du Protocole no 4.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

52. Le requérant se plaint du fait que les incapacités personnelles dérivant de sa mise en faillite perdurent jusqu'à l'obtention de la réhabilitation et du fait que, selon l'article 143 de la loi sur la faillite, celle-ci ne peut être demandée que cinq ans après la clôture de la procédure. Ce grief doit être analysé sous l'angle de l'article 8 de la Convention, quant au droit au respect de la vie privée du requérant, lequel est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A. Sur la recevabilité

53. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

54. La Cour considère que l'ensemble des incapacités dérivant de l'inscription du nom du failli dans le registre entraîne en soi une ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant qui, compte tenu de la nature automatique de ladite inscription, de l'absence d'une évaluation et d'un contrôle juridictionnels sur l'application des incapacités y relatives ainsi que du laps de temps prévu pour l'obtention de la réhabilitation, n'est pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l'article 8 § 2 de la Convention.

La Cour estime donc qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1

55. Invoquant l'article 3 du Protocole no 1, le requérant se plaint en outre de la limitation de son droit de vote. Cet article est ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

Le Gouvernement n'a pas présenté d'observations.

Selon le requérant, la limitation de son droit de vote a un caractère afflictif incompatible avec l'article 3 du Protocole no 1.

La Cour note que la perte du droit de vote suite à la mise en faillite ne peut pas excéder cinq ans à partir de la date du jugement déclarant la faillite. Or, ce jugement ayant été déposé le 13 février 1996, le requérant aurait dû introduire son grief au plus tard le 13 août 2001. La requête ayant été introduite le 11 décembre 2001, la Cour estime que ce grief est tardif et doit être rejeté conformément à l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

56. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas disposer d'une voie de recours pour se plaindre des incapacités dérivant de la mise en faillite. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

A. Sur la recevabilité

Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu se prévaloir des remèdes prévus aux articles 26 et 36 de la loi sur la faillite. De toute manière, cette partie de la requête devrait être rejetée puisqu'il ne s'agit pas de « griefs défendables ».

Selon le requérant, le système législatif n'offre pas de remède effectif pour se plaindre de la prolongation des incapacités dérivant de la mise en faillite.

La Cour rappelle d'emblée avoir déjà constaté la violation de l'article 13 de la Convention en raison du manque d'un recours effectif pour se plaindre de la limitation prolongée du droit au respect de la correspondance du failli (Bottaro c. Italie, no 56298/00, §§ 41-46, 17 juillet 2003). Elle estime donc que le grief soulevé par le requérant doit être examiné uniquement sous l'angle de l'article 13 de la Convention.

Elle observe ensuite que l'article 26 de la loi sur la faillite prévoit certes la possibilité pour le requérant d'introduire un recours devant le tribunal. Toutefois, ce recours n'a pour objet que les décisions du juge délégué et ne peut pas, de ce fait, constituer un remède efficace contre la restriction prolongée du droit au respect de la correspondance, des biens et de la liberté de circulation du requérant, conséquence directe du jugement déclarant la faillite et non pas d'une décision du juge délégué.

En outre, la Cour relève que l'article 36 de la loi sur la faillite prévoit la possibilité de saisir le juge délégué pour se plaindre des actes d'administration du syndic. Toutefois, la Cour observe que ce recours concerne les activités d'administration du patrimoine du failli accomplies par le syndic jusqu'à la vente des biens et la satisfaction des créanciers. Il ne peut donc en aucun cas être de nature à porter remède au prolongement des incapacités dont le requérant a fait l'objet (Bottaro, précité, § 45).

57. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

58. La Cour a déjà traité d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 13 de la Convention (voir Bottaro c. Italie, précité, §§ 41-46).

59. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

Partant, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, QUANT À L'IMPOSSIBILITÉ D'ACCÉDER AUX DOCUMENTS DE LA PROCÉDURE

60. Enfin, invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l'impossibilité d'accéder aux documents de la procédure.

61. La Cour estime que, le requérant ayant omis d'étayer ce grief, celui-ci doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement selon l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VII. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT D'ESTER EN JUSTICE

62. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint pour la première fois dans ses observations de la limitation de son droit d'ester en justice.

63. La Cour constate que ce grief a été introduit tardivement, après la communication de la requête au Gouvernement. Elle ne l'examinera donc pas.

VIII. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

65. Le requérant réclame 338 279,27 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 12 394,98 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subis.

66. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions.

67. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. Quant au préjudice moral, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 13 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

68. Le requérant demande également 25 520,96 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour.

69. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions.

70. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2000 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

71. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au griefs tirés des articles 6 § 1, en ce qui concerne la durée de la procédure, 8 et 13 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;

5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

6. Dit qu'il y a eu violation de l'article 2 du Protocole no 4 ;

7. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş Aracı Boštjan M. Zupančič
Greffière adjointe Président