Přehled
Rozsudek
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE SODADJIEV c. BULGARIE
(Requête no 58733/00)
ARRÊT
STRASBOURG
5 octobre 2006
DÉFINITIF
05/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sodadjiev c. Bulgarie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
M. Villiger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 58733/00) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mitko Simeonov Sodadjiev (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 avril 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes M. Neikov et S. Stefanova, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.
3. Le 8 novembre 2004, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
4. Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La procédure pénale à l'encontre du requérant
5. Le requérant est né en 1970 et réside à Plovdiv.
6. Le 29 juillet 1993, le requérant fut interrogé par un enquêteur de la police de Plovdiv après avoir été surpris avec un complice en flagrant délit de vol de deux bouteilles de gaz appartenant à un particulier. Dans le cadre de l'enquête préliminaire effectuée, d'autres personnes furent interrogées et une évaluation des objets volés fut effectuée.
7. Le 5 août 1993, le requérant et son présumé complice furent formellement inculpés et renvoyés devant le tribunal de district (районен съд) de Plovdiv.
8. Lors de la première audience qui se tint le 12 août 1993, le tribunal considéra que l'enquête n'était pas complète et qu'une expertise médicale était nécessaire afin de déterminer la capacité de discernement des prévenus au moment des faits, étant donné qu'ils étaient sous l'emprise de l'alcool et que le coprévenu du requérant déclarait ne se souvenir de rien. En conséquence, il renvoya le dossier au parquet pour la réalisation de ladite expertise.
9. Aucun acte d'instruction ne fut toutefois effectué jusqu'au 1er septembre 1999, lorsque l'enquêteur en charge du dossier interrogea deux témoins. Le 2 septembre 1999, celui-ci procéda à une nouvelle inculpation, auditionna le requérant et lui notifia le dossier d'instruction.
10. Le même jour, l'enquêteur ordonna la réalisation de l'expertise médicale demandée par le tribunal. Selon le rapport d'expertise, déposé le 7 septembre 1999, au moment des faits le requérant ne présentait pas de troubles psychiques consécutifs à son état d'ivresse.
11. Le 8 septembre, une nouvelle inculpation fut également effectuée à l'égard du complice présumé du requérant. Par un acte d'accusation du 15 décembre 1999, ils furent renvoyés en jugement.
12. Une audience se tint devant le tribunal de district de Plovdiv le 3 avril 2000, à laquelle le tribunal mit un terme à la procédure et homologua la transaction conclue entre le parquet et les deux prévenus, qui étaient assistés d'un avocat. Aux termes de cette transaction, le requérant se reconnaissait coupable du vol et se voyait imposer une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis.
B. Tentatives de l'avocat du requérant de consulter le dossier pénal
13. Le 5 avril 2000, l'avocat du requérant demanda à consulter le dossier pénal au greffe du tribunal du district de Plovdiv, ce qui lui fut refusé au motif que l'affaire était terminée. Il fut autorisé à consulter celui-ci le 7 avril 2000, après avoir déposé une nouvelle demande.
14. Suite à la communication de la requête au gouvernement défendeur, l'avocat du requérant sollicita une nouvelle fois à consulter le dossier pénal. Il lui fut répondu que le dossier n'était pas disponible au tribunal, ayant été transmis à l'agent du Gouvernement au ministère de la Justice.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION QUANT À LA DURÉE DE LA PROCEDURE
15. Le requérant allègue que la durée de la procédure pénale en l'espèce n'a pas respecté un « délai raisonnable » et qu'il ne disposait pas de recours effectif en droit interne susceptible de remédier à ce grief. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ainsi libellés en leurs passages pertinents :
Article 6
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
16. Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations.
A. Sur la recevabilité
17. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que ceux-ci ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
1. Sur la durée de la procédure
18. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II, et Portington c. Grèce, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2630, § 21).
19. Concernant la présente espèce, elle constate que la procédure a débuté par l'audition du requérant le 29 juillet 1993 et a pris fin le 3 avril 2000 suite à l'homologation par le tribunal de l'accord transactionnel conclu entre le requérant et le procureur. Celle-ci a donc duré six ans et huit mois.
20. La Cour note que l'affaire, qui portait sur un banal cas de vol, ne présentait pas de complexité particulière ; les prévenus avaient reconnu les faits et la principale question était celle de leur capacité de discernement au moment de la commission de l'infraction.
21. Concernant le comportement des autorités, la Cour relève qu'entre le 12 août 1993, lorsque le tribunal a renvoyé le dossier pour un complément d'enquête, et le 1er septembre 1999, soit pendant près de six ans, la procédure est restée au point mort et aucun acte n'a été réalisé. Le Gouvernement n'a fourni aucune justification pour cette période d'inactivité. La Cour ne relève par ailleurs aucun élément indiquant que celle-ci serait due au comportement du requérant.
22. Au vu de ces observations, la Cour estime que la durée de la procédure en l'espèce a dépassé le « délai raisonnable » voulu par l'article 6 § 1 de la Convention, en violation de cette disposition.
2. Sur l'existence d'un recours effectif
23. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés qui s'y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir un redressement approprié (voir, parmi d'autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).
24. Eu égard à sa conclusion ci-dessus concernant la durée de la procédure, la Cour considère que le requérant disposait d'un « grief défendable » de méconnaissance de l'article 6 § 1. Il convient dès lors de déterminer si le droit interne était susceptible de lui offrir une réparation adéquate.
25. La Cour rappelle à cet égard que la portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief en cause. Elle a déjà jugé que pour être « effectif », au sens de cette disposition, un recours dont un justiciable dispose pour se plaindre de la durée d'une procédure doit permettre d'« empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée, ou [de] fournir à l'intéressé un redressement approprié pour toute violation s'étant déjà produite » (Kudła, précité, § 158).
26. En l'absence d'observations de la part du Gouvernement, la Cour ne dispose d'aucun élément indiquant l'existence en droit bulgare à l'époque des faits d'une voie de recours susceptible d'accélérer le cours d'une procédure pénale ou de fournir aux personnes concernées une réparation pour les retards déjà intervenus.
27. Partant, la Cour conclut à la violation de l'article 13 de la Convention en ce que le requérant ne disposait pas d'un recours effectif en droit interne pour remédier à son grief tiré de la durée excessive de la procédure pénale.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
28. Le requérant se plaint par ailleurs de l'iniquité de la procédure, plus particulièrement du fait que l'expertise destinée à évaluer ses facultés de discernement n'a été effectuée que six ans après les faits et, qui plus est, après la clôture de l'enquête. Il invoque l'article 6 § 1, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
29. A cet égard, la Cour rappelle que ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 § 1 n'empêchent une personne de renoncer aux garanties qui y sont consacrées de manière expresse ou tacite. Toutefois, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, p. 20, § 66). Lorsqu'une personne renonce à son droit à un tribunal en matière pénale par une transaction ayant pour effet d'éteindre l'action publique, parmi les conditions à remplir figure en tous cas l'absence de contrainte (Deweer c. Belgique, arrêt du 27 février 1980, série A no 35, p. 25, § 49).
30. En l'espèce, le requérant a conclu avec le procureur une transaction aux termes de laquelle il se reconnaissait coupable et acceptait l'imposition d'une peine d'emprisonnement avec sursis, alors qu'il était assisté d'un avocat et en mesure de connaître les conséquences de cette acceptation. La Cour note qu'il n'a au demeurant pas soutenu, ni devant la juridiction interne ayant homologué l'accord, ni dans le cadre de la présente procédure, que son consentement aurait été obtenu par la contrainte ou de manière autrement contraire aux droits de la défense. La Cour considère dans ces circonstances que le requérant a renoncé de manière non équivoque à se prévaloir des garanties d'un procès équitable.
31. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'ARTICLE 34 DE LA CONVENTION
32. Dans ses observations postérieures à la communication de la requête, le requérant se plaint de ce que son avocat n'a pas pu consulter le dossier pénal en mai 2005 au motif que celui-ci avait été transmis à l'agent du Gouvernement. Il invoque à cet égard l'article 34 de la Convention, qui dispose :
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »
33. Le requérant considère que les autorités internes l'ont ainsi empêché de consulter le dossier pénal qui lui était nécessaire pour présenter des observations devant la Cour et en particulier pour indiquer à celle-ci la date exacte à laquelle il avait été renvoyé en jugement en août 1993. Il estime en outre que la transmission des pièces du dossier à la partie adverse à la procédure devant la Cour est contraire au droit interne et ajoute que le Gouvernement a retenu le dossier pénal sans même présenter d'observations devant la Cour.
34. En réponse, le Gouvernement expose que le droit interne habilite l'agent à exiger la transmission des dossiers judiciaires. Il expose par ailleurs que le requérant a eu accès au dossier pénal lorsqu'il l'a demandé en avril 2000 et a pu obtenir les documents nécessaires à l'introduction de sa requête. Il considère enfin que les insinuations du requérant dans le sens que le dossier aurait été retenu dans le but de l'empêcher d'y avoir accès sont totalement infondées et que si le Gouvernement n'a effectivement pas présenté d'observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, il a néanmoins transmis à la Cour l'ensemble des pièces pertinentes, notamment celles attestant les faits auxquels le requérant fait référence.
35. La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré par l'article 34 de la Convention soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec les institutions de la Convention, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs (voir, parmi d'autres, Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1219, § 105, et Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, §§ 130-131, CEDH 1999-IV). Par ailleurs, aux termes de l'article 47 § 1, point h), de son règlement, toute requête introduite en vertu de l'article 34 de la Convention doit être assortie « des copies de tous documents pertinents et en particulier des décisions, judiciaires ou autres, concernant l'objet de la requête ».
36. Dans la présente espèce, la Cour relève toutefois que le requérant a eu l'occasion de consulter le dossier et d'obtenir des copies des pièces lorsqu'il a demandé à le faire au moment de l'introduction de la requête en avril 2000. Elle note par ailleurs que le Gouvernement a transmis à la Cour l'ensemble du dossier pénal et notamment la pièce à laquelle fait référence le requérant. Au vu de ces considérations, la Cour estime qu'il n'y a pas eu entrave au droit de recours individuel du requérant de la part des autorités.
37. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
38. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
39. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi du fait des violations des articles 6 § 1 et 13.
40. Le Gouvernement juge ces prétentions excessives.
41. Compte tenu de tous les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
42. Le requérant demande également 1 778 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, dont 1 680 EUR d'honoraires d'avocat et 98 EUR de frais. Il produit un décompte du travail effectué pour un total de 24 heures au taux horaire de 70 EUR, ainsi que des justificatifs des frais engagés, et demande que les montants alloués par la Cour soient directement versés à ses avocats.
43. Le Gouvernement estime injustifié le tarif horaire de 70 EUR, en particulier lorsqu'il est appliqué à des activités telles que le photocopillage.
44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 600 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
45. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 § 1 concernant la durée de la procédure pénale et de l'article 13 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée excessive de la procédure pénale ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares selon les taux applicables au moment du versement :
i. 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral ;
ii. 600 EUR (six cent euros) pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire indiqué par les avocats du requérant ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président