Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêtes nos 17019/02 et 30070/02
présentées par Çetin İPEK, Murat ÖZPAMUK
et
Seyithan DEMİREL
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 17 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites le 9 février 2002 et le 30 avril 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Çetin İpek (« Ç.İ. »), Murat Özpamuk (« M.Ö. ») et Seyithan Demirli (« S.D. ») sont des ressortissants turcs, nés en 1985 et résidant à Diyarbakır. Ils sont représentés devant la Cour par Me Mustafa Sezgin Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 1er décembre 2001, dans le cadre d’une enquête menée contre l’organisation illégale PKK[1], les policiers de la section antiterrorisme de la direction de sûreté de Diyarbakır (« la direction ») perquisitionnèrent le domicile de M.Ö. où se trouvaient également les deux autres requérants. Le procès-verbal d’arrestation et de perquisition dressé sur-le-champ et signé par les requérants, mentionne que les policiers se sont présentés au domicile de M.Ö. vers 01 h 20, qu’ils lui ont brièvement expliqué la situation et ensuite procédé à une perquisition avec son consentement. Le procès-verbal indique par ailleurs qu’aucun objet ou document illégal ne fut saisi, mais que les requérants furent appréhendés alors qu’ils s’apprêtaient à partir et qu’ils furent arrêtés en vue d’être interrogés sur leur lien avec le PKK. Avant d’être placés en garde à vue dans les locaux de la direction, les requérants furent examinés par un médecin.

Les 2 et 3 décembre 2001, les policiers perquisitionnèrent également les domiciles de Ç.İ. et S.D. respectivement, sans pour autant retrouver une quelconque pièce à conviction.

Toujours le 3 décembre 2001, la direction demanda au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« le procureur » - « la cour de sûreté de l’Etat») l’autorisation de garder les requérants pour une durée supplémentaire de deux jours. L’autorisation requise fut accordée.

Le même jour, les requérants signèrent des dépositions reconnaissant leur appartenance et assistance au PKK, notamment par la voie d’apologie de l’organisation et de collecte de fonds au profit des familles de ses militants.

Lors de leur garde à vue, les requérants subirent des tortures telles l’électrocution et le jet d’eau. Ils ont été également battus et privés de nourriture et de boisson.

Le 4 décembre 2001, à la fin de leur garde à vue, les requérants furent examinés par un médecin. Dans son rapport établi le même jour, ce dernier indiqua que M.Ö. souffrait des maux de dos, sans pour autant déceler une quelconque anomalie. Quant aux autres requérants, à part une vieille lésion observée sur le dos de Ç.İ., le médecin conclut à l’absence de coup et blessure sur leur corps.

Toujours le 4 décembre 2001, les requérants furent d’abord traduits devant le procureur, et ensuite comparurent devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat. Devant le procureur ainsi que le juge, M.Ö. réitéra partiellement sa déposition. Quant aux deux autres requérants, devant le procureur, ils affirmèrent n’avoir aucun lien avec le PKK et contestèrent leur déposition faite à la police, laquelle ils soutinrent avoir signé sans en connaître le contenu lorsqu’ils comparurent devant le juge assesseur. Ce dernier ordonna la mise en détention provisoire des requérants qui, de ce fait, furent transférés à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır.

Le 5 décembre 2001, le procureur mit les requérants en accusation pour appartenance et assistance à une bande armée, en application des articles 168 et 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.

Par une lettre adressée au parquet de Diyarbakır le 17 janvier 2002, Ç.İ. soutint avoir été soumis à des tortures lors de sa garde à vue. Il soutint notamment avoir été battu, arrosé d’eau, et avoir subi des électrocutions. Il exposa aussi que, le jour de leur comparution devant le procureur, les policiers les intimidèrent en les menaçant de torture pour qu’ils ne révèlent rien devant les autorités judiciaires.

A l’audience tenue le 5 février 2002, les requérants comparurent devant la cour de sûreté et rétractèrent leur déposition faite à la police. M.Ö. et S.D. soutinrent notamment les avoir signé sous la contrainte. Le même jour, la cour de sûreté ordonna la mise en liberté des requérants.

A la date de l’introduction de la requête, le procès demeurait pendant devant cette juridiction.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

A l’époque des faits, l’article 16 de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence exclusive desdites juridictions, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant ledit juge. En cas de délit collectif, en raison du nombre des accusés et de la difficulté de la réunion des preuves et pour des raisons semblables, le procureur pouvait prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours. Ensuite, si l’investigation n’avait pas abouti, la garde à vue pouvait être prolongée par le juge, sur demande du procureur, jusqu’à sept jours ou dix jours si la personne était arrêtée dans une région soumise à l’état d’urgence.

Par ailleurs, l’article 128 du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi no 3842 du 18 novembre 1992, prévoyait que toute personne arrêtée ou dont la garde à vue a été prolongée sur ordre d’un procureur pouvait contester la mesure en question devant le juge d’instance compétent et, le cas échéant, être libérée. Dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, cet article n’était initialement applicable que dans sa version antérieure aux modifications du 18 novembre 1992, version qui ne prévoyait pas de moyen de recours pour les personnes arrêtées ou maintenues en garde à vue sur ordre du parquet. Par la loi no 4229 du 6 mars 1997, cette exception fut abrogée et l’article en question devint également applicable dans la procédure devant ces juridictions.

L’article 19 du règlement sur la procédure d’arrestation, de placement en garde à vue et d’interrogatoire prévoit que tout mineur ayant atteint l’âge de 13 ans bénéficie, ex officio, de l’assistance d’un avocat dès le début de son arrestation. Toutefois, cette disposition n’était vraisemblablement pas applicable dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été interrogés sous la torture. A cet égard, ils soutiennent notamment que leur isolement de quatre jours dans les locaux de la direction serait à lui seul en faveur d’une présomption de véracité de leurs allégations. Par ailleurs, ils dénoncent le caractère superficiel de l’examen médical qu’ils subirent.

2. Les requérants font également grief de plusieurs atteintes injustifiées à leurs droits garantis par l’article 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 de la Convention. Ainsi, ils déplorent :

a) avoir été arrêtés en l’absence d’une raison plausible justifiant cette mesure, dans la mesure où aucun objet ou document illégal ne fut saisi lors de la perquisition ayant conduit à leur arrestation ;

b) n’avoir été informés des raisons de leur arrestation et des accusations portées à leur encontre que le jour de leur interrogatoire le 3 décembre 2001, soit deux jours après leur placement en garde à vue ;

c) la durée excessive de leur garde à vue de quatre jours, vu notamment leur âge à l’époque des faits ;

d) n’avoir disposé d’aucun recours effectif contre la décision prise par le procureur quant à la prolongation de leur garde à vue ; à cet égard, ils soulignent notamment qu’à supposer même qu’un recours existait en droit interne, ils ne pourraient pas l’exercer de façon effective, en l’absence d’un avocat susceptible de les conseiller ;

e) enfin, l’absence de voie de réparation en droit interne pour les violations de leurs droits consacrés par les quatre premiers paragraphes de l’article 5.

EN DROIT

1. Les requérants allèguent avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention pendant leur garde à vue.

La Cour note que de sérieuses questions se posent quant à savoir si la règle de l’épuisement des voies de recours internes a été respectée en l’espèce. Toutefois, elle estime ne pas devoir examiner plus avant ce point car elle considère qu’en tout état de cause cette partie de la requête ne saurait être retenue, pour les motifs qui suivent.

La Cour constate que les requérants n’ont pas produit devant elle le moindre élément ou commencement de preuve susceptible d’étayer leurs allégations de mauvais traitements, sauf les explications qui ressortent de la lettre que Ç.İ. a adressée à la cour de sûreté de l’Etat. Certes, la Cour reconnaît qu’il peut être difficile pour un individu d’obtenir des preuves quant aux mauvais traitements infligés lors d’une garde à vue. Elle reconnaît également qu’il peut y avoir des cas où la difficulté pour le requérant de produire des preuves résulte, au moins en partie, de l’omission par les autorités de réagir d’une façon effective aux griefs formulés à l’époque pertinente (voir, mutatis mutandis, Caloc c. France, no 33951/96, § 91, 20 juillet 2000, et İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 90, CEDH 2000VII). Or, à cet égard, la Cour relève que les requérants restent totalement muets. S’ils critiquent l’absence d’un examen médical sérieux, il ne ressort pas non plus du dossier qu’ils aient, à une quelconque phase de leur détention ou après leur mise en liberté, cherché à voir un médecin afin de contester les constats faits dans lesdits rapports, alors que certains sévices dont ils auraient été victimes sont de nature si grave que l’on pourrait s’attendre à ce que des séquelles pussent être décelées même longtemps après les faits (voir, entre autres, Kaplan c. Turquie (déc.), no 24932/94, 19 septembre 2000). Du reste, ils n’ont jamais suggéré qu’on leur ait refusé l’autorisation de voir un médecin. En conséquence, les requérants ne pouvaient pas légitimement escompter que les investigations approfondies seraient menées sans qu’ils fournissent aux autorités compétentes un fondement plus solide au sujet de leurs doléances (voir, par exemple, Kaplan, précitée).

Ainsi, la Cour n’aperçoit rien permettant de supposer que des agents de l’Etat ont infligé aux requérants des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ni permettant de remettre en question la manière dont les autorités nationales ont agi en l’espèce.

En conclusion et à supposer même que les requérants aient épuisé la voie pénale qui leur était ouverte en droit turc, la Cour considère que cette partie de la requête demeure non étayée. Aussi, la Cour doit-elle la rejeter comme étant manifestement mal-fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. S’agissant du grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, il convient de noter que le procès-verbal de perquisition et d’arrestation du 1er décembre 2001, signé par les requérants, atteste qu’une brève explication sur la situation a été faite à M.Ö. Il indique par ailleurs que les requérants ont été arrêtés afin d’être interrogés sur leurs liens avec le PKK. La Cour considère donc que celui-ci savait, déjà le jour de son arrestation, qu’on le soupçonnait d’être mêlé à des activités d’une organisation illégale.

Il s’ensuit qu’il n’y a aucune apparence de violation de cette disposition de la Convention et que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

3. En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité des griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention, et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

Ajourne l’examen des requêtes en tant qu’elles portent sur l’article 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention;

Déclare les requêtes irrecevables pour le surplus.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président


[1] Parti des travailleurs du Kurdistan.