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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 56802/00
présentée par Gilbert BAUMET
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 17 octobre 2006 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 13 décembre 1999,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Gilbert Baumet, est un ressortissant français, né en 1943 et résidant à Pont‑Saint‑Esprit dans le département du Gard. Il est représenté devant la Cour par Me Frédéric Thiriez, avocat de la société civile professionnelle d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Lyon‑Caen, Fabiani et Thiriez. Le gouvernement défendeur a été représenté
par son agent, M. R. Abraham, auquel a succédé dans ses fonctions Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est maire de la commune de Pont‑Saint‑Esprit (Gard). Il fut, entre autres fonctions, président du conseil général du département du Gard de 1979 au 31 mars 1994.
Il fut mis en cause, avec d’autres personnes, par la chambre régionale des comptes (ci-après « CRC ») de Languedoc‑Roussillon à l’occasion du contrôle des comptes et de la gestion de trois associations ou « offices départementaux » percevant des subventions du département du Gard : l’office départemental du sport (ODS), le comité d’animation, de réflexion et de formation pour les retraités du Gard (CADREF) et le comité départemental de la culture du Gard (CDC).
Le requérant fut également entendu par le juge d’instruction de Nîmes en tant que témoin dans le cadre d’une information pénale portant sur les mêmes faits et qui avait été ouverte sur réquisitions du ministère public pour abus de confiance, complicité et recel.
1. Les procédures devant les juridictions des comptes
a. La procédure de gestion de fait des associations devant la CRC de Languedoc-Roussillon et la Cour des comptes
i. La procédure relative à l’ODS
Par un jugement du 28 mars 1996, la CRC, composée notamment de MM. Corsetti et Diringer en leur qualité de conseillers rapporteurs, statuant provisoirement, déclara le requérant, conjointement et solidairement avec d’autres mis en cause, comptable de fait des deniers du département du Gard pour des opérations relatives au paiement de salaires, sur des subventions départementales, de deux personnes employées par l’ODS. Elle condamna également le requérant à payer une amende de 4 000 francs français (FRF), soit 609,80 euros (EUR), sur le fondement de l’article L. 231-11 du code des juridictions financières et lui enjoignit de présenter ses éventuelles explications et justifications dans un délai de deux mois, prorogé au 31 octobre 1996.
Le requérant déposa des observations et sollicita, le 19 décembre 1996, le sursis à statuer en raison du recours en cassation formé contre l’arrêt de la Cour des comptes du 14 novembre 1996 rejetant la requête tendant au dessaisissement de la CRC pour cause de suspicion légitime (voir infra c)).
Par un jugement du 20 janvier 1997, la CRC rejeta la demande de sursis et déclara le requérant définitivement comptable de fait, fixant la ligne de compte à 853 524,31 FRF, soit 130 118,94 EUR, en recettes comme en dépenses, soit un solde nul. Statuant provisoirement, elle renvoya à l’audience publique l’examen des amendes définitives.
Sur l’argument du requérant, qui soulevait la nullité de l’instruction menée par la CRC au motif qu’elle s’était fondée, pour le déclarer comptable de fait, sur des pièces extraites d’un dossier d’instruction pénale en cours, la juridiction répondit que cet argument manquait en fait concernant le jugement du 28 mars 1998 relatif à l’association ODS.
Le requérant interjeta appel devant la Cour des comptes.
Le 7 mai 1997, la Cour des comptes ordonna le sursis à exécution du jugement attaqué, puis, par un arrêt du 16 octobre 1997, elle confirma la responsabilité du requérant dans la gestion de fait de l’association et révoqua le sursis à exécution. Sur l’argument du requérant mettant en cause l’absence de réponse de la CRC à ses conclusions relative à la partialité de la juridiction en raison de pressions exercées en 1987 par le co‑rapporteur M. Corsetti (susmentionné) afin d’obtenir la conclusion de marchés publics pour son fils avec le département du Gard, la Cour des comptes considéra que cet argument ayant déjà fondé un recours en suspicion légitime sur lequel la Cour des comptes avait statué par un arrêt du 14 novembre 1996, la CRC n’avait pas à en reprendre la discussion.
Le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (voir infra b)).
Par un jugement définitif du 16 octobre 1998, la CRC condamna le requérant à 4 000 FRF d’amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public. L’appel du requérant contre ce jugement fut rejeté par la Cour des comptes le 28 octobre 1999. Le 10 février 2000, constatant le paiement de l’amende, la CRC donna quitus au requérant.
ii. La procédure relative au CADREF
Par un jugement du 29 mars 1996, la CRC, notamment composée des conseillers rapporteurs MM. Corsetti et Diringer, déclara, à titre provisoire, le requérant et le président du CADREF conjointement et solidairement comptables de fait pour les rémunérations de salariés payés par le CADREF et pour des sommes versées à des habitants de Pont‑Saint‑Esprit sans aucun rapport avec l’objet de l’association. En ce qui concernait l’un des salariés susvisés, M.P., la CRC se fonda sur les éléments de preuve suivants :
« Attendu qu’il ressort des déclarations concordantes versées au dossier judiciaire et émanant tant de l’intéressé lui-même (procès-verbal d’audition du 7/7/1994) que de M. [J.C.], président délégué de l’Association (procès-verbal de déposition du 12/6/1995), de M. [J.M.], directeur général des offices départementaux (procès-verbal d’audition du 13/07/1994), de Mme [M.B.], directrice de l’Association (procès-verbal
d’audition du 21/09/1994) que M. M.P. n’a jamais effectué de mission pour le compte de l’Association, mais a travaillé pour le compte du président (...) du Conseil général du Gard (...) »
La CRC enjoignit aux comptables de fait de produire un compte unique des opérations effectuées et une délibération exécutoire prise par le Conseil Général statuant sur l’utilité publique des dépenses. Elle sursit à statuer sur l’application de l’amende prévue par l’article L. 231-11 précité.
Par un jugement du 20 janvier 1997, la CRC rejeta la demande de sursis à statuer présentée par le requérant et le déclara définitivement comptable de fait. Statuant provisoirement, elle renouvela les injonctions et le sursis à statuer sur l’amende.
Quant à l’argument du requérant, qui soulevait la nullité de l’instruction devant la CRC dans la mesure où elle s’était fondée, pour le déclarer comptable de fait, sur des pièces extraites d’un dossier d’instruction pénale en cours et qu’aucun texte particulier ne prévoyait d’exception au principe du secret de l’instruction au bénéfice des juridictions financières, la juridiction répondit en ces termes :
« (...) attendu que la Chambre s’est fondée, d’une part, sur un rapport rédigé par le procureur général près la cour d’appel de Nîmes aux fins de la levée de l’immunité parlementaire de M. Baumet, daté du 14 novembre 1994, publié par les services de l’Assemblée nationale (...), d’autre part, sur des pièces de l’enquête et de l’instruction pénales transmises par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nîmes le 8 novembre 1995 dans l’exercice des missions que la loi lui attribue ; que les pièces ainsi communiquées l’ont été avec l’accord du juge d’instruction qui en connaissait la destination ; que l’article L. 241-1 du code des juridictions financières dispose que la « chambre régionale des comptes est habilitée à se faire communiquer tout document, de quelque nature que ce soit, relatif à la gestion (...) des organismes soumis à son contrôle » ; qu’en application de l’article 24 du décret 95-945 du 23 août 1995, le procureur de la République a la faculté de communiquer au ministère public près la Chambre des informations sur des opérations présumées constitutives de gestion de fait ; que dès lors que le moyen tiré de la nullité de l’instruction ne saurait être retenu ;
Attendu que les conseils de M. Baumet soutiennent que les droits de la défense de leur client auraient été méconnus, puisque, témoin assisté, il n’a pu avoir copie des pièces du dossier d’instruction pénale, dont seule la « teneur » a pu lui être communiquée par ses avocats, conformément à la jurisprudence criminelle prévalant alors ; qu’ainsi, les avocats se sont refusés à faire usage du droit de communication ouvert aux comptables de fait par l’article 59 du décret du 23 août 1995 (...) au motif que la délivrance de copies de pièces de l’instruction détenues par la Chambre aurait exposé M. Baumet à des sanctions pénales ;
Mais attendu qu’il était loisible à M. Baumet, comme à ses défenseurs, d’exercer leur droit d’accès aux pièces sur lesquelles sont fondées les dispositions du jugement provisoire, dans les conditions prévues à l’article 59 du décret du 23 août 1995 précité ; que le fait qu’ils aient renoncé à cette communication n’est pas de nature à vicier la procédure contradictoire (...) »
Le requérant interjeta appel.
Le 7 mai 1997, la Cour des comptes ordonna le sursis à exécution du jugement attaqué. Par un arrêt du 16 octobre 1997, elle rejeta le recours et révoqua le sursis à exécution. Sur l’argument du requérant mettant en cause l’absence de réponse de la CRC à ses conclusions relative à la partialité de la juridiction en raison de pressions exercées en 1987 par le co‑rapporteur M. Corsetti (susmentionné) afin d’obtenir la conclusion de marchés publics pour son fils avec le département du Gard, la Cour des comptes répondit dans les même termes que concernant l’association ODS (cf. supra).
Le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (voir infra b)).
Par jugement définitif du 12 octobre 1999, la CRC fixa les lignes de compte et constitua le requérant débiteur à l’égard du département du Gard des sommes de 223 586,13 EUR à titre personnel et 70 765,48 EUR solidairement avec un autre comptable de fait.
Par jugement définitif du 17 février 2000, elle condamna le requérant à 3 048,98 EUR d’amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public.
iii. La procédure relative au CDC
Par un jugement du 29 mars 1996, la CRC, notamment composée des conseillers rapporteurs MM. Corsetti et Diringer, déclara le requérant et d’autres mis en cause provisoirement comptables de fait relativement à des rémunérations et primes versées par le CDC à des salariés en réalité employés par le département du Gard ou pour des tâches étrangères aux activités de l’association. A cet égard, la juridiction se fonda, pour quatre de ces salariés, sur une déposition de L.P., en date du 13 juin 1995, devant le tribunal de grande instance de Nîmes et sur une déclaration de J.M. à la police judiciaire le 18 août 1994.
La CRC fixa, par ailleurs, la ligne de compte correspondant aux salaires versés à deux des salariés. Pour les autres, elle enjoignit aux comptables de fait de produire un compte de gestion et sursit à statuer sur l’application de l’amende.
La CRC rendit deux jugements le 20 janvier 1997. Dans un premier jugement (« première affaire »), elle rejeta la demande de sursis à statuer présentée par le requérant et le déclara définitivement comptable de fait pour les deux premiers salariés, fixant la ligne de compte à 2 452 280,92 FRF, soit 373 847,82 EUR, en recettes comme en dépenses, soit un solde nul. Statuant provisoirement, elle condamna le requérant à une amende de 8 000 FRF, soit 1 219,59 EUR.
Dans un deuxième jugement (« deuxième affaire »), elle le déclara définitivement comptable de fait à l’égard de l’emploi des autres salariés, enjoignit aux comptables de fait de produire un compte unique de gestion et sursit à statuer sur l’application de l’amende. Elle réitéra également la même motivation que celle citée plus haut relativement à l’association CADREF pour rejeter l’argument du requérant portant sur la nullité de l’instruction devant la CRC dans la mesure où elle s’était fondée, pour le déclarer comptable de fait, sur des pièces extraites d’un dossier d’instruction pénale en cours et qu’aucun texte particulier ne prévoyait d’exception au principe du secret de l’instruction au bénéfice des juridictions financières.
Le requérant interjeta appel des deux jugements.
Le 7 mai 1997, la Cour des comptes ordonna le sursis à exécution des jugements attaqués. Par deux arrêts du 16 octobre 1997, statuant définitivement, elle confirma ces jugements quant à la qualité de comptable de fait du requérant et révoqua le sursis à exécution. Sur l’argument du requérant mettant en cause l’absence de réponse de la CRC à ses conclusions relative à la partialité de la juridiction en raison de pressions exercées en 1987 par le co‑rapporteur M. Corsetti (susmentionné) afin d’obtenir la conclusion de marchés publics pour son fils avec le département du Gard, la Cour des comptes répondit dans les même termes que concernant l’association ODS (cf. supra).
Le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (voir infra b)).
Dans la première affaire, par un jugement définitif du 16 octobre 1998, la CRC condamna le requérant à 8 000 FRF d’amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public. L’appel du requérant contre ce jugement fut rejeté par la Cour des comptes le 28 octobre 1999. Le 10 février 2000, constatant le paiement de l’amende, la CRC donna quitus au requérant.
Dans la deuxième affaire, par un jugement définitif du 12 octobre 1999, la CRC fixa les lignes de compte et constitua le requérant débiteur personnellement ou solidairement avec d’autres comptables de fait à l’égard du département du Gard de la somme de 2 896 445,97 FRF, soit 441 560,34 EUR.
Par un jugement définitif du 17 février 2000, elle condamna le requérant à 3 048,98 EUR d’amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public.
b. L’examen des pourvois par le Conseil d’Etat
Par un arrêt du 14 juin 1999, le Conseil d’Etat joignit les quatre recours en annulation des arrêts de la Cour des comptes en date du 16 octobre 1997 et les rejeta dans les termes suivants :
« Considérant qu’il ressort de l’examen des arrêts attaqués que, contrairement à ce que soutient [le requérant], la Cour des comptes a examiné, pour l’écarter, le moyen tiré du défaut de réponse de la chambre régionale des comptes de Languedoc‑Roussillon aux conclusions relatives à l’abandon des poursuites qui aurait dû résulter de la participation de M. Corsetti à l’instruction des affaires ; qu’il suit de là que [le requérant] n’est pas fondé à soutenir que la Cour des comptes aurait dénaturé ses conclusions et que les arrêts attaqués seraient entachés d’omission de réponse à un moyen ;
Considérant que les arrêts attaqués n’ont pas statué en matière pénale ni tranché de contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil ; que, dès lors, les stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’étaient pas applicables ; qu’ainsi le moyen tiré de la méconnaissance desdites stipulations est inopérant ;
Considérant que la procédure devant la Cour des comptes présente un caractère contradictoire ; qu’aux termes de l’article 73 de la section 5 du décret du 23 août 1995 relative à la mise en état de l’appel : « Si de nouvelles pièces sont versées au dossier, le requérant et les autres parties ont un délai de quinze jours pour en prendre connaissance et présenter éventuellement leurs observations au greffe de la chambre régionale des comptes » ; qu’aux termes de l’article 74 du même décret : « Le dossier du recours est transmis au procureur général près la Cour des comptes par le ministère public près la chambre régionale des comptes qui joint, le cas échéant, à ce dossier une note sur les moyens de droit et les circonstances de fait invoqués dans la décision attaquée et lors de la mise en état de l’appel. Les comptes concernés par le jugement attaqué peuvent être joints au dossier du recours, en tout ou partie, à l’initiative du ministère public près la chambre ou sur la demande du procureur général près la Cour des comptes » ;
Considérant que si les dispositions de l’article 74 du décret précité prévoient que la note sur les moyens de droit et les circonstances de fait transmise au procureur général près la Cour des comptes par le ministère public près la CRC n’a pas à être communiquée à l’appelant, elles n’ont pas eu pour objet et ne pouvaient avoir légalement pour effet de prévoir qu’une note qui contiendrait des éléments de droit et de fait nouveaux n’ait pas à être communiquée ; qu’en l’espèce, la note en date du 28 mai 1997 ne contenait aucun élément nouveau ; que, dès lors, la circonstance qu’elle n’a pas été communiquée [au requérant] n’a pas entaché d’irrégularité la procédure suivie devant la Cour des comptes ;
Considérant qu’il résulte, en revanche, des termes de l’article 73 du décret précité du 23 août 1995 que le versement au dossier de pièces nouvelles doit être notifié à l’appelant afin qu’il puisse en prendre connaissance ; qu’il ressort des pièces du dossier, et qu’il n’est pas contesté, que des pièces nouvelles ont été transmises à la Cour des comptes ; que [le requérant] devait en principe être mis à même d’en prendre connaissance ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que la Cour des comptes ne s’est pas fondée, pour rendre les arrêts attaqués, sur ces pièces ; que, dans ces conditions, la Cour des comptes, en s’abstenant de donner communication au requérant des documents précités afin de lui permettre de présenter, le cas échéant, ses observations, n’a pas méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le procureur de la République a transmis à la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon des pièces couvertes par le secret de l’instruction pénale prévu à l’article 11 du code de procédure pénale ; que [le requérant] soutient que cette transmission constitue une violation du secret de l’instruction qui aurait entaché d’irrégularité la procédure suivie devant le juge des comptes ; que la Cour des comptes a écarté ce moyen en considérant que le procureur de la République pouvait transmettre à la chambre régionale des comptes des pièces puisées dans une information judiciaire sans méconnaître le secret de l’instruction ; que si [le requérant] soutient qu’une telle motivation est entachée d’erreur de droit, il ne pouvait, en tout état de cause, utilement invoquer à l’encontre de la procédure suivie devant la chambre régionale des comptes une prétendue violation du secret de l’instruction pénale ; qu’ainsi, le moyen soulevé devant la Cour des comptes était inopérant ; qu’il convient de l’écarter pour ce motif qui doit être substitué au motif retenu par la Cour des comptes ».
c. Issue de la procédure de débet
Par une décision du 7 juin 2004, le secrétaire d’Etat au budget et à la réforme budgétaire accorda au requérant une remise gracieuse du débet prononcé à son encontre sous réserve du versement de la somme de 196 881,05 EUR. Le total des sommes dues par le requérant selon un commandement de payer du Trésor public en date du 23 juillet 2004, comprenant le débet resté à sa charge, les amendes dues ainsi que les frais d’acte s’éleva à 209 256,80 EUR.
d. La requête en suspicion légitime de la CRC
A l’issue des jugements provisoires rendus par la CRC, le requérant déposa devant la Cour des comptes une requête en suspicion légitime tendant au dessaisissement de la CRC de Languedoc-Roussillon au profit d’une CRC d’une autre région au motif que M. Corsetti, l’un des deux rapporteurs qui avaient instruit l’affaire, aurait, lors d’un contrôle exercé en 1987 par la CRC sur la gestion du département du Gard, demandé son intervention en vue de la conclusion de marchés de communication au profit de l’entreprise de son fils. Le requérant n’ayant pas donné suite à cette démarche, M. Corsetti aurait sollicité en 1988 l’intervention d’une personne très proche du requérant. Selon ce dernier, M. Corsetti n’avait en conséquence pas pu exercer sa mission de manière impartiale et loyale en raison des pressions qu’il avait tenté d’exercer des années auparavant.
Le 14 novembre 1996, la Cour des comptes rejeta la requête dans les termes suivants :
« Attendu que la requête est fondée sur ce que M. Corsetti, l’un des deux rapporteurs qui ont instruit les affaires dont le renvoi est demandé, aurait précédemment sollicité le requérant, ce qui le rendrait inapte au jugement de ces affaires ;
Attendu que les jugements dont l’annulation est demandée sont antérieurs à la présentation de la requête en suspicion légitime ; qu’ils ne peuvent donc être affectés rétroactivement par cette requête ;
Attendu que M. Corsetti, sur sa demande présentée le 22 décembre 1995, a été admis à la retraite le 3 juillet 1996 et que, depuis lors, il n’a plus qualité pour participer aux procédures suivies à l’égard du requérant ; qu’ainsi, la demande de dessaisissement fondée sur cette participation est sans cause ».
Par un arrêt du 21 octobre 1998, le Conseil d’Etat estima que l’intervention des jugements définitifs du 20 janvier 1997 rendait sans objet le pourvoi en cassation formé le 17 décembre 1996 par le requérant et qu’il n’y avait en conséquence pas lieu de statuer sur ce recours.
2. La plainte avec constitution de partie civile du requérant
Le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile contre X auprès du doyen des juges d’instruction de Montpellier pour violation du secret de l’instruction et du secret professionnel et recel de violation desdits secrets. Il soutenait que les trois jugements de la CRC des 28 et 29 mars 1996 avaient été rendus sur la base de pièces de la procédure pénale en cours d’instruction au tribunal de Nîmes. Selon le requérant, le secret de l’instruction édicté par l’article 11 du code de procédure pénale couvre toutes les pièces de l’instruction tant que celle-ci se poursuit sauf exception expressément prévue par la loi. Or, aucune disposition, même l’article 33 du décret du 23 août 1995, n’étend le pouvoir de communication des CRC aux procédures pénales en cours. Il apparaîtrait ainsi qu’une ou des personnes concourant à l’instruction s’étai(en)t volontairement abstraites des règles du secret professionnel et de celles du secret de l’instruction.
Par une ordonnance du 27 mars 1997, le juge d’instruction refusa d’informer selon l’argumentation suivante :
« Attendu que l’article 11 du code de procédure pénale, qui a pour objet de préserver la présomption d’innocence des personnes mises en cause, ou susceptibles de l’être, à l’égard des tiers, ne peut être opposé au Ministère Public pour l’exercice des missions que la loi lui a confiées ;
Attendu que dans le cadre de ces missions, le Ministère Public peut puiser dans une information judiciaire tous les éléments qui lui sont nécessaires ; qu’ainsi, il a la possibilité d’apprécier l’opportunité de communiquer à un juge les éléments d’une procédure judiciaire de nature à l’éclairer ;
Attendu qu’il entre incontestablement dans les missions du Ministère Public le soin de veiller à la cessation ou à la répression de toute irrégularité qui a pu être commise ;
Attendu au surplus que le destinataire de cette communication était un magistrat appartenant à une juridiction, la chambre régionale des comptes, et que les pièces communiquées ont abouti à des décisions juridictionnelles au terme d’une procédure protégée par le secret édicté par l’article L. 241-5 du code des juridictions financières ;
Attendu dans ces conditions que les faits dénoncés ne sont pas susceptibles de recevoir la qualification pénale proposée ;
Attendu qu’ils ne sont pas non plus susceptibles de recevoir aucune autre qualification pénale (...) »
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Les textes
a. Contrôle juridictionnel des comptes des comptables publics des collectivités territoriales et de leurs établissements
A cet égard, la Cour renvoie au droit interne pertinent décrit dans l’affaire Martinie c. France ([GC], no 58675/00, §§ 14-19, 12 avril 2006).
b. Décret no 95-945 du 23 août 1995 relatif aux chambres régionales des comptes
Article 33
« La chambre régionale des comptes se fait communiquer, par l’intermédiaire du ministère public, les rapports des services d’inspection et corps de contrôle. »
Article 55
« Les comptables publics peuvent avoir communication des pièces sur lesquelles sont fondées les dispositions provisoires des jugements dans le délai mentionné à l’article 47 du présent décret.
Les demandes en communication de pièces doivent être formulées par écrit auprès du président de la chambre régionale des comptes qui informe le comptable des conditions dans lesquelles cette communication aura lieu. »
Article 59
« Afin d’être en mesure de produire, dans le délai qui leur est imparti par la chambre régionale des comptes, toutes explications ou justifications utiles, les personnes déclarées provisoirement comptables de fait peuvent avoir communication des pièces sur lesquelles sont fondées les dispositions des jugements, dans les conditions fixées à l’article 55 du présent décret. Les copies desdites pièces sont délivrées aux frais du demandeur.
Les explications ou justifications présentées, dans le délai imparti par la chambre, par l’une des parties sont notifiées par le greffe à chacune des autres parties qui peuvent produire un mémoire en réplique dans le délai fixé par le président de la chambre.
Les mémoires en réplique enregistrés au greffe de la chambre sont notifiés, dans les formes prévues à l’alinéa précédent, à chacune des parties qui peuvent produire un mémoire en duplique dans le délai fixé par le président de la chambre. »
Article 73
« Si de nouvelles pièces sont versées au dossier, le requérant et les autres parties ont un délai de quinze jours pour en prendre connaissance et présenter éventuellement leurs observations au greffe de la chambre régionale des comptes. »
Article 74
« Le dossier du recours est transmis au procureur général près la Cour des comptes par le ministère public près la chambre régionale des comptes qui joint, le cas échéant, à ce dossier une note sur les moyens de droit et les circonstances de fait invoqués dans la décision attaquée et lors de la mise en état de l’appel. Les comptes concernés par le jugement attaqué peuvent être joints au dossier du recours, en tout ou en partie, à l’initiative du ministère public près la chambre ou sur demande du procureur général près la Cour des comptes. »
c. Code des juridictions financières
Article L. 241-2-1 inséré dans le code par la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations
« Le procureur de la République peut transmettre au commissaire du Gouvernement d’une chambre régionale des comptes, d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des irrégularités dans les comptes ou dans la gestion des collectivités ou organismes relevant de la compétence de cette chambre. »
Article L. 241-5
« La chambre régionale des comptes prend toutes dispositions pour garantir le secret de ses investigations. »
Article L. 241-13 issu de la loi no 2001-1248 du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes
« Les jugements, avis, propositions, rapports d’instruction et observations de la chambre régionale des comptes sont délibérés et adoptés collégialement selon une procédure contradictoire.
Lorsque la chambre régionale des comptes statue en matière de gestion de fait et d’amende, elle délibère hors la présence du rapporteur. Le jugement est rendu en audience publique. »
d. Code de procédure pénale
Article 11
« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. »
Article 114-1 issu de la loi no 96-1235 du 30 décembre 1996
« Sous réserve des dispositions du sixième alinéa de l’article 114, le fait, pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d’une procédure d’instruction a été remise en application de cet article, de la diffuser auprès d’un tiers est puni de 25 000 francs [3 750 euros à partir du 1er janvier 2002] d’amende. »
2. La jurisprudence
a. Cour de cassation
Avant que la loi du 30 décembre 1996 (citée ci-dessus) n’introduise l’article 114-1 au code de procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de cassation jugeait de manière constante que seul l’avocat pouvait se faire remettre, « pour son usage exclusif », des copies du dossier d’instruction, à l’exclusion de son client qui ne pouvait en connaître que la teneur, par son intermédiaire et sous sa responsabilité (Ass. Plén. 30 juin 1995, deux arrêts, Dalloz 1985, p. 417 ; Cass. crim, 26 juin 1995, Bull. crim. no 235).
b. Conseil d’Etat
Quant à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à la procédure devant les juridictions financières, le Conseil d’Etat l’a énoncé dans les termes suivants (voir CE, arrêt du 30 décembre 2003, Beausoleil et Mme Richard, RFDA 2004, p. 365 ; arrêt du 27 juillet 2005, M. Patrick X., mentionné aux tables du Recueil Lebon ; arrêt du 20 avril 2005, publié au même Recueil ; GP 9-11/10/2005, Pan. p. 15) :
« le juge des comptes, lorsqu’il prononce la gestion de fait puis fixe la ligne de compte de cette gestion de fait et met le comptable en débet, tranche, à chaque étape de cette procédure, des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (...) ; qu’il doit être regardé comme décidant du bien-fondé d’accusations pénales au sens de ce même article lorsqu’il inflige à un comptable de fait l’amende prévue par l’article L. 131-11 du code des juridictions financières ; que les stipulations de cet article sont, par suite, applicables à ces procédures (...) »
Selon la jurisprudence du Conseil d’État (arrêt du 3 avril 1998, Mme Barthélémy, Recueil Lebon, p. 129), le respect du principe du contradictoire de la procédure de contrôle des comptes implique que le comptable soit mis à même de prendre connaissance des pièces versées au dossier afin de présenter, le cas échéant, ses observations, dès lors que ces pièces constituent un élément nouveau dans la procédure, sur lequel la Cour des comptes s’est fondée pour rendre son arrêt. En l’espèce, le Conseil d’État a considéré qu’en s’abstenant de donner communication à la requérante des éléments nouveaux versés au dossier, la cour des comptes n’avait pas méconnu le principe du contradictoire de la procédure dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier qu’elle ne s’était pas fondée, pour rendre les arrêts attaqués, sur ces pièces mais seulement sur les griefs énoncés dans les arrêts provisoires que Mme Barthélémy avait été mise à même de discuter.
Dans un arrêt du 6 avril 2001 (SA Razel Frères et M. le Leuch, publié au Recueil Lebon), le Conseil d’Etat a été saisi d’un grief portant sur la participation au jugement de la CRC du rapporteur ayant procédé aux investigations relatives à la gestion des comptes visés par les poursuites devant la juridiction financière. Le Conseil d’Etat a jugé à cet égard que, compte tenu des larges pouvoirs d’investigation dont dispose le rapporteur pour procéder à la vérification de la gestion des organismes et collectivités soumis au contrôle des CRC (notamment en vertu des articles 29 à 32 du décret du 23 août 1995 relatif aux CRC), la participation au délibéré de la formation de jugement chargée de se prononcer sur une déclaration de gestion de fait du rapporteur auquel a été confiée cette vérification entache d’irrégularité la composition de cette formation au regard du principe d’impartialité. De plus, dans un arrêt du 17 octobre 2003 (Dugoin, AJDA 2003, chron. p. 2 031 ; publié au Recueil), le Conseil d’Etat a jugé qu’il en était ainsi y compris lorsque le rapporteur ayant opéré la vérification des comptes n’avait participé qu’au jugement provisoire de la CRC.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, dont il revendique l’applicabilité à la procédure en cause, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant la Cour des comptes dans la mesure où il n’a pas eu communication de trois pièces qui figuraient dans le dossier d’appel, en violation des principes du contradictoire et de l’égalité des armes. Les pièces en question sont une « note du commissaire du Gouvernement [près la CRC] sur les moyens de droit et les circonstances de fait invoqués par les appelants » datée du 28 mai 1997 et accompagnée de quatre pièces (dont l’ordonnance de refus d’informer rendue le 27 mars 1997 par le juge d’instruction de Montpellier sur la plainte déposée par le requérant pour violation du secret professionnel), une lettre du 10 juin 1997 du même commissaire du Gouvernement adressée à Mme le procureur général près la Cour des comptes avec, en annexe, un courrier du procureur de la République du tribunal de grande instance de Nîmes faisant état des « poursuites pénales touchant à la gestion du département du Gard », ainsi qu’un tableau intitulé « suivi des procédures d’appel » adressé le 4 juin 1997 par le président de la CRC à M. Descheemaeker, conseiller‑maître, rapporteur des affaires devant la Cour des comptes et comportant la mention finale suivante : « Pour notre prochain entretien. Amicalement à toi. ».
Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement en date du 12 août 2004, le requérant invoque également une atteinte à l’article 13 de la Convention en raison des mêmes faits.
2. Sur le fondement de l’article 6 § 1 précité, il se plaint du caractère inéquitable de la procédure devant la CRC. Il dénonce la violation du secret de l’instruction dans la mesure où la CRC a statué en se référant à des témoignages qui avaient été recueillis dans le cadre d’une instruction pénale en cours au tribunal de grande instance de Nîmes. Il fait valoir que si l’article 11 du code de procédure pénale prévoit qu’il peut être dérogé au principe du secret de l’instruction lorsqu’un texte particulier le prévoit, aucun texte n’existait en ce sens au profit de la CRC au moment des faits.
3. Enfin, sur le même fondement, il dénonce en substance la partialité de la CRC en raison de la présence de M. Corsetti, en sa qualité de co‑rapporteur, dans la formation de jugement de la juridiction statuant à titre provisoire (décisions des 28 et 29 mars 1996) alors que ce dernier l’aurait sollicité huit ans auparavant pour obtenir la conclusion de marchés publics avec le département du Gard, au profit de l’entreprise de son fils, sollicitations auxquelles le requérant n’avait pas donné de suite. En conséquence, citant l’article 13 précité, le requérant se plaint du fait que, dans son arrêt du 21 octobre 1998, le Conseil d’Etat ait prononcé un non‑lieu à statuer sur sa requête en suspicion légitime, le privant ainsi de la possibilité de voir cette juridiction statuer sur la régularité de la participation de M. Corsetti aux jugements susmentionnés.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d’une atteinte aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes devant la Cour des comptes en raison de l’absence de communication de trois pièces de la procédure figurant dans le dossier d’appel. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement en date du 12 août 2004, le requérant invoque également l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Le Gouvernement relève qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour (Richard-Dubarry c. France (déc.), no 53929/00, CEDH 2003‑XI (extraits)), la procédure suivie en matière de gestion de fait devant les juridictions financières entre dans le champ d’application de l’article 6 § 1 précité, ce qu’il n’entend pas contester.
Il rappelle ensuite que le requérant avait la possibilité de prendre connaissance à tout moment du dossier d’appel, qui contenait les pièces dont il se plaint de ne pas avoir eu communication.
Concernant la note du commissaire du Gouvernement de la CRC du 28 mai 1997 adressée au procureur général près la Cour des comptes, le Gouvernement rappelle que l’article R. 243-11 du code des juridictions financières applicable au moment des faits en prévoyait l’élaboration à l’occasion de la transmission du dossier d’appel. Son objet était de résumer l’argumentation des appelants afin de faciliter le traitement de l’affaire dans la perspective de la rédaction du « réquisitoire d’appel » accompagnant le dossier transmis à la Cour des comptes. Cette note a depuis été supprimée dans le code des juridictions financières. En l’espèce, le ministère public n’était pas une partie à l’instance puisque la procédure de gestion de fait n’avait pas été déclarée à son initiative et qu’il n’était pas appelant.
Rappelant ensuite l’objet de la lettre du 10 juin 1997 et du tableau récapitulatif de suivi des procédures d’appel pendantes devant la Cour des comptes, le Gouvernement considère que le requérant ne tire aucune conséquence explicite du contenu des trois documents en cause sur la déclaration de gestion de fait, seul point sur lequel la Cour des comptes avait à statuer en l’espèce. Or, à ce stade de la procédure, la Cour des comptes avait à se prononcer sur la réalité d’opérations exécutées par ou sous l’autorité du requérant. De ce fait, les informations relatives aux agissements frauduleux du comptable de fait n’avaient pas vocation à être prises en considération avant le stade du prononcé éventuel d’une amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public. Selon le Gouvernement, cela justifie également la motivation de l’arrêt du Conseil d’Etat, qui a considéré que si des pièces nouvelles adressées à la Cour des comptes n’avaient pas été communiquées au requérant, cette circonstance n’avait pu entacher d’irrégularité la procédure dès lors que la Cour ne s’était pas fondée sur celles-ci pour motiver sa décision.
En conclusion, le Gouvernement considère que le requérant a bénéficié d’un jugement équitable devant la Cour des comptes.
Le requérant prend acte de la reconnaissance par le Gouvernement de l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à la procédure et relève que la décision Richard-Dubarry précitée a été par la suite confirmée par la Cour (Martinie c. France (déc.), no 58675/00, CEDH 2004‑II (extraits)) et a entraîné un revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat (arrêt du 30 décembre 2003, précité, cf. supra le droit et la pratique internes pertinents).
Il considère que pour exercer effectivement son droit à prendre connaissance des trois pièces du dossier d’appel en question, encore fallait‑il qu’il ait été avisé que de nouvelles pièces avaient été produites. Le requérant cite en ce sens la jurisprudence du Conseil d’État (arrêt du 3 avril 1998, Mme Barthélémy, précité), selon laquelle le caractère contradictoire de la procédure impose à la Cour des comptes de mettre le justiciable à même de prendre connaissance des pièces nouvelles, ce qui ressort également de l’article 73 du décret du 23 août 1995 relatif aux CRC.
Rappelant la jurisprudence de la Cour relative au principe du contradictoire (Lobo Machado c. Portugal et Vermeulen c. Belgique, arrêts du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I ; J.J. c. Pays‑Bas, arrêt du 27 mars 1998, Recueil 1998‑II ; Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002‑VII), le requérant estime qu’elle ne subordonne nullement le constat d’une méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention, en cas de défaut de communication d’une pièce du dossier, à la condition que le juge ait fondé sa décision sur cette pièce. La Cour s’attache seulement à déterminer si la pièce en question était destinée à influencer cette décision, peu important son effet réel sur celle-ci, seules les parties au litige étant habilitées à juger si un document appelle des commentaires et la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice se fondant notamment sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier (Nideröst‑Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997‑I, p. 108, §§ 26-29).
Or, selon le requérant, tant la note du commissaire du Gouvernement près la CRC du 28 mai 1997, contenant en annexe l’ordonnance de refus d’informer rendue le 27 mars 1997 par le juge d’instruction de Montpellier sur sa plainte pour violation du secret professionnel, que la lettre du 10 juin 1997, adressées toutes deux au procureur général près la Cour des comptes, avaient pour objet d’influencer la juridiction d’appel, constituant un véritable plaidoyer en faveur de la solution de la CRC. Pour les mêmes raisons, le requérant estime que le principe de l’égalité des armes a été violé du fait de l’absence de communication de ces deux pièces, puisqu’il a été placé dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire alors qu’il lui appartenait seul d’apprécier si ces nouveaux éléments méritaient réaction (à cet égard, le requérant cite notamment la jurisprudence de la Cour dans les affaires Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274 ; Bulut c. Autriche, arrêt du 22 février 1996, Recueil 1996‑II ; Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998‑II).
Quant à la troisième pièce, si elle ne contient pas, au contraire des deux autres, une appréciation explicite sur le bien‑fondé de l’appel, le requérant estime que, du point de vue des apparences, la mention « Pour notre prochain entretien. Amicalement à toi. » qui l’accompagne entache l’image d’indépendance du juge d’appel par rapport au juge de première instance. En tout état de cause, sa communication s’imposait pour lui permettre de s’assurer de l’exactitude des renseignements qu’elle contenait quant aux procédures en cours devant les juridictions financières.
La Cour relève que le grief tiré par le requérant de l’article 13 de la Convention est tardif pour n’avoir été soulevé devant la Cour que le 12 août 2004. En tout état de cause, elle rappelle qu’il n’existe aucun intérêt juridique à examiner le grief tiré de l’article 13 lorsque, comme en l’espèce, le requérant se plaint également sous l’angle de l’article 6 § 1, dont les exigences sont plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). Dès lors, la Cour examinera le grief du requérant sous l’angle de l’article 6 § 1 précité.
La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
2. Sur le fondement de l’article 6 § 1 précité, le requérant se plaint du caractère inéquitable de la procédure en ce que la CRC a statué au vu de pièces obtenues, selon lui, en violation du secret de l’instruction.
Le Gouvernement considère que le requérant n’établit pas en quoi la connaissance par la CRC des témoignages en cause aurait pu avoir une influence sur la solution du litige relatif à la déclaration de gestion de fait, une telle déclaration étant exclusive de toute appréciation des intentions et motivations des justiciables. Dès lors, non seulement le juge des comptes n’était pas compétent pour connaître d’une discussion sur des pièces d’une procédure pénale, mais il n’aurait pu en tirer aucune conséquence positive ou négative. A cet égard, le Gouvernement rappelle que les seuls éléments pertinents en l’espèce étaient l’existence de flux financiers et la quotité des sommes irrégulièrement maniées, ce qui résultait des preuves, notamment comptables, du dossier et permettait d’établir la responsabilité pouvant être imputée au requérant.
Par ailleurs, le Gouvernement relève que s’il est vrai que les échanges de pièces et d’informations entre les parquets des juridictions judiciaires et financières ont été consacrés par la loi du 12 avril 2000, il s’agissait d’une pratique ancienne, reposant sur le principe selon lequel les ministères publics respectifs sont tous deux chargés de veiller au respect de la loi et sur le fait que les magistrats du parquet et du siège des deux ordres de juridiction sont astreints au respect du secret professionnel et au secret de l’instruction. Le Gouvernement rappelle ainsi que le juge judiciaire avait, antérieurement à la loi précitée, eu l’occasion de juger que l’article 11 du code de procédure pénale, qui a pour objet de préserver la présomption d’innocence des personnes mises en cause ou susceptibles de l’être à l’égard des tiers, ne peut être opposé au ministère public pour l’exercice des missions que la loi lui a confiées. Ce dernier peut donc puiser dans une instruction judiciaire tous les éléments d’information qui lui sont nécessaires.
Le requérant rappelle que si l’appréciation des preuves relève du juge interne, le droit à un procès équitable exige que les éléments de preuve aient été produits devant l’accusé, en audience publique, en vue d’un débat contradictoire (Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A no 191‑A, p. 16, § 36 ; Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 21, § 47). Or, en l’espèce, aucun débat n’eut lieu sur les procès-verbaux des auditions de témoins réalisées par le juge d’instruction et qui ont été transmis au commissaire du Gouvernement près la CRC par le procureur de la République de Nîmes, en violation, selon le requérant, du secret de l’instruction.
Le requérant soutient que le secret de l’instruction faisait obstacle à ce qu’il puisse obtenir, devant la juridiction financière, la communication de ces procès-verbaux et soit en mesure de les discuter à l’issue des arrêts rendus à titre provisoire par la CRC, ce qui a porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure.
De plus, le requérant réfute les arguments du Gouvernement relatifs à l’applicabilité en l’espèce du principe jurisprudentiel selon lequel le procureur de la République peut puiser dans une instruction judiciaire tous les éléments d’information qui lui sont indispensables dans l’exercice de ses missions, car ce principe est limité aux communications effectuées à l’intérieur de l’ordre judiciaire et ne saurait s’étendre aux relations entre les parquets des juridictions judiciaires et financières. Selon le requérant, le fait que le législateur ait pris la peine d’insérer cette possibilité de communication de pièces et informations dans la loi du 12 avril 2000 (nouvel article L. 241-2-1 du code des juridictions financières) démontre que la pratique ancienne dont fait état le Gouvernement ne reposait sur aucune base légale.
Enfin, le requérant conteste le fait que les témoignages en cause n’aient eu aucune influence sur la solution retenue par la CRC, puisque la juridiction s’est expressément fondée sur ceux-ci pour rendre ses jugements.
La Cour estime d’emblée qu’il ne lui appartient pas de se prononcer en soi sur la réalité d’une violation du secret de l’instruction en l’espèce. En tout état de cause, elle relève qu’une telle appréciation a fait l’objet d’une procédure pénale distincte de la procédure financière qu’elle est amenée à examiner, et qui s’est terminée par une ordonnance de refus d’informer du juge d’instruction en date du 27 mars 1997, non contestée par le requérant et rendue plus de six mois avant qu’il n’introduise la présente requête.
Selon la Cour, son rôle consiste à analyser la conformité de la procédure financière qui lui est soumise avec les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.
Dans ce cadre, la Cour relève, à l’instar de la CRC dans son arrêt définitif du 20 janvier 1997, que le grief du requérant manque en fait en ce qui concerne la procédure relative à la première association, l’ODS, dans la mesure où la CRC ne s’est fondée sur aucun élément tiré de l’instruction pénale dans son jugement du 28 mars 1996.
Quant aux procédures relatives aux deux autres associations, la Cour constate que la CRC statuant provisoirement s’est effectivement fondée en partie sur les éléments recueillis à l’occasion de l’instruction pénale et transmis par le procureur de la République de Nîmes pour retenir l’existence d’une gestion de fait à l’encontre du requérant. A cet égard, le requérant alléguait devant la juridiction financière que l’atteinte à ses droits de la défense consistait dans l’impossibilité pour ses conseils de lui communiquer des copies des procès‑verbaux issus de l’instruction pénale et ce malgré le droit à communication des pièces de la procédure financière prévu par l’article 59 du décret du 23 août 1995, dans la mesure où cela l’exposerait à des « sanctions pénales » pour violation du secret de l’instruction.
La Cour n’est pas convaincue par cette argumentation. Elle relève avec la CRC (arrêts du 20 janvier 1997 relatifs à la CADREF et au CDC) que le requérant aurait dû exercer son droit à la communication de ces pièces en s’appuyant sur l’article 59 précité afin de les discuter devant la CRC. En effet, ces pièces faisant dorénavant partie du dossier de la procédure financière en cours à l’encontre du requérant pour gestion de fait, elles entraient dans le débat contradictoire relatif à cette procédure et la seule éventualité de sanctions soulevée par le requérant ne saurait suffire à la Cour pour considérer qu’il y a eu une atteinte à l’équité de la procédure en l’espèce.
Dès lors, la Cour considère que le requérant s’est délibérément privé de la possibilité de disposer des pièces litigieuses et de les discuter.
Enfin, à supposer même qu’en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation à l’époque des faits (cf. supra, le droit et la pratique internes pertinents avant la loi du 30 décembre 1996 insérant l’article 114-1 au code de procédure pénale), il eût été interdit au requérant de disposer personnellement d’une copie des pièces de l’instruction pénale, ce droit à communication était garanti à ses conseils, qui pouvaient lui en transmettre la teneur exacte et assurer en conséquence sa défense à cet égard devant la juridiction financière tout comme devant la juridiction pénale.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. Invoquant l’article 6 § 1 précité, le requérant dénonce en substance la partialité de la CRC du fait de la participation de M. Corsetti aux jugements provisoires devant la CRC. Il considère par ailleurs que les arrêts de la Cour des comptes du 16 octobre 1997 rejetant le moyen tiré de cette partialité ainsi que la décision de non-lieu à statuer du Conseil d’Etat du 21 octobre 1998 concernant la requête en suspicion légitime l’ont privé de son droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.
Le Gouvernement relève qu’à supposer avérés les faits graves imputés par le requérant à M. Corsetti, ceux-ci se sont déroulés de nombreuses années avant que la présente procédure soit engagée.
De plus, il convient, selon le Gouvernement, de s’attacher à la particularité du stade de la procédure de gestion de fait qu’est le jugement de déclaration provisoire de comptable de fait. La finalité de cette étape de la procédure est de désigner les personnes ayant manié des fonds publics en l’absence d’habilitation légale et de définir le périmètre de la gestion de fait. Or, l’implication du requérant en tant que président de la collectivité mise en cause ne pouvait ressortir que d’éléments objectifs et le requérant ne prétend d’ailleurs pas que la CRC se serait livrée à une dénaturation des faits tels qu’elles les a recueillis. Il en résulte que la vindicte supposée de l’un des magistrats de la CRC – le requérant n’apportant aucun élément probant en ce sens – ne pouvait avoir aucune incidence sur la solution du litige.
Par ailleurs, le Gouvernement souligne qu’au stade du jugement définitif, cette solution naît de l’étude du dossier par le second rapporteur, le contre‑rapporteur, le ministère public, ainsi que l’ensemble des magistrats ayant participé au délibéré, et qu’elle a été confirmée en l’espèce par les juridictions d’appel et de cassation. Le Gouvernement estime donc que l’allégation du requérant est dépourvue de tout fondement, compte tenu au surplus que M. Corsetti avait pris sa retraite depuis plusieurs mois au jour du délibéré de la CRC statuant à titre définitif. Cet élément, ajouté au fait que la requête en suspicion légitime était tardive comme postérieure aux jugements attaqués, explique que cette requête ait été rejetée.
Le requérant estime tout d’abord que l’impartialité subjective de M. Corsetti peut légitimement être mise en doute car les tentatives de ce dernier afin d’obtenir des marchés pour son fils étaient contemporaines du contrôle de la gestion du département alors présidé par le requérant en 1987 et directement à l’origine du contrôle subséquent des trois associations en cause dans la présente procédure. Or, ces deux contrôles avaient été confiés à M. Corsetti.
Le requérant estime ensuite l’argumentation du Gouvernement inopérante, dès lors qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour, comme de la jurisprudence interne, la partialité d’un des membres de la formation de jugement entache l’impartialité du tribunal dans son ensemble sans qu’il soit besoin de rechercher si l’intéressé a, ou non, exercé une influence sur le sens de la décision adoptée.
Concernant la tardiveté de la requête en suspicion légitime, soulevée par le Gouvernement, le requérant allègue, d’une part, qu’elle ne pouvait pas être introduite avant les jugements provisoires des 28 et 29 mars 1996 ouvrant les procédures juridictionnelles de gestion de fait à son encontre et,
d’autre part, que le départ à la retraite de l’intéressé ne portait pas à conséquence puisque c’est l’impartialité de l’ensemble de la juridiction qui était mise en cause.
Enfin, dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement en date du 12 août 2004, citant la jurisprudence du Conseil d’État français (arrêts du 6 avril 2001, SA Razel Frères et M. le Leuch et du 17 octobre 2003, Dugoin, cf. supra, le droit et la pratique internes pertinents), le requérant relève que la juridiction administrative a reconnu la contrariété au principe d’impartialité objective de la participation du rapporteur d’une CRC au jugement des comptes dont il a eu à connaître à l’occasion d’une vérification de gestion. Or, cette jurisprudence est applicable au cumul de fonctions de M. Corsetti en l’espèce entre les qualités de rapporteur dans le contrôle de la gestion des associations en cause et de conseiller de la CRC ayant participé aux délibérés des jugements provisoires de déclaration de gestion de fait.
Selon le requérant, un tel cumul de fonctions est également contraire aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle le principe d’impartialité interdit que participe au délibéré un magistrat qui, dans le cadre de ses fonctions, a, en amont du jugement, eu à porter une appréciation sur les données de l’affaire l’ayant conduit à préjuger de la décision finale (cf. notamment, Piersack c. Belgique, arrêt du 1er octobre 1982, série A no 53, pp. 14-15, § 30 ; Morel c. France, no 34130/96, CEDH 2000‑VI).
La Cour rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’impartialité́ s’apprécie soit selon une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur ou quel était son intérêt dans une affaire particulière, soit selon une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, par exemple, Piersack c. Belgique, arrêt précité ; Grieves c. Royaume‑Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003-XIII ; Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005‑... ). Quant à la seconde démarche, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, elle conduit à se demander si, indépendamment de l’attitude personnelle de tel ou tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l’impartialité de la juridiction elle-même. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance (Castillo Algar c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3116, § 45 ; Morel c. France, arrêt précité, § 42). Dans ce contexte, l’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Ferrantelli et Santangelo c. Italie, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996-III, pp. 951-952, § 58 ; Wettstein c. Suisse, no 33958/96, CEDH 2000-XII).
En l’espèce, la Cour constate que le requérant n’a produit aucun élément de nature à démontrer que les membres de la CRC, y compris M. Corsetti, auraient manifesté un parti pris ou un préjugé personnel à son égard. Dès lors, la simple allégation selon laquelle M. Corsetti serait intervenu auprès du requérant plusieurs années auparavant afin de solliciter son appui pour l’obtention de marchés par l’entreprise de son fils, allégation dont la véracité n’a d’ailleurs pas été démontrée par le requérant, ne saurait suffire pour entacher la procédure suivie devant la CRC d’un défaut d’impartialité à son égard.
Reste donc à savoir si les doutes exprimés par le requérant au regard de l’impartialité de la CRC peuvent passer pour objectivement justifiés en ce que M. Corsetti a cumulé les fonctions de contrôle des opérations de compte des associations à propos desquelles le requérant a été mis en cause et celle de rapporteur près la CRC statuant à titre provisoire sur ces comptes.
A cet égard, la Cour relève avec intérêt la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à cette question et par laquelle cette juridiction a jugé que dans l’hypothèse d’un tel cumul de fonctions, la CRC ne pouvait être considérée comme un tribunal impartial (arrêts précités du Conseil d’Etat des 6 avril 2001 et 17 octobre 2003). La Cour relève également qu’en vertu de l’article L. 241-13 du code des juridictions financières issu de la loi du 21 décembre 2001, la CRC délibère dorénavant hors la présence du rapporteur.
Cependant, en l’espèce, la Cour relève que le grief tiré du cumul de fonctions de M. Corsetti n’a été soulevé par le requérant devant les juridictions internes ni dans le cadre de la procédure de renvoi pour suspicion légitime (ayant donné lieu aux arrêts de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat des 14 novembre 1996 et 21 octobre 1998), ni dans le cadre de la procédure de gestion de fait (ayant donné lieu aux arrêts de ces mêmes juridictions en date des 16 octobre 1997 et 14 juin 1999), le requérant s’étant borné dans le cadre de ces deux procédures à exprimer des doutes sur l’impartialité de M. Corsetti ou de la juridiction financière en raison des pressions qu’il aurait exercées sur lui en faveur de l’entreprise de son fils. Dès lors, il apparaît que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes s’agissant de ce grief.
A titre surabondant, la Cour constate que le grief exprimé par le requérant lors de l’introduction de sa requête le 13 décembre 1999 ne concernait pas non plus ce cumul de fonctions, mais uniquement le fait que M. Corsetti n’aurait pas présenté les garanties d’impartialité nécessaires en raison des pressions qu’il avait tenté d’exercer en 1987 sur le requérant. Ainsi, la Cour relève que le requérant n’a soulevé le grief tiré du cumul de fonctions et n’a évoqué la jurisprudence susmentionnée du Conseil d’Etat que dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, en date du 12 août 2004. Dès lors, à supposer même que l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 juin 1999 soit la décision interne définitive pertinente sur cette question, un tel grief a été présenté par le requérant devant la Cour au-delà du délai de six mois.
Enfin, en ce que le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire examiner le grief tiré du défaut d’impartialité de la CRC dans la mesure où le Conseil d’Etat a prononcé, le 21 octobre 1998, un non‑lieu à statuer sur sa demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, la Cour relève que le requérant a introduit sa requête devant la Cour au-delà du délai de six mois à compter de cet arrêt.
Il s’ensuit que le grief doit, en toutes ses branches, être rejeté pour non‑épuisement des voies de recours internes et comme étant tardif, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’iniquité de la procédure devant la Cour des comptes ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Naismith A.B. Baka
Greffier adjoint Président