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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 17722/02
présentée par Mekiye DEMİRCİ
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 17 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 12 février 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Mekiye Demirci, est une ressortissante turque, née en 1962 et résidant à Diyarbakır. Elle est représentée devant la Cour par Me Mustafa Sezgin Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

Le 22 décembre 2001, dans le cadre d’une enquête menée contre l’organisation illégale le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le commandement de la gendarmerie de Diyarbakır (« la gendarmerie ») émit un avis de recherche à l’encontre de la requérante. Le même jour, la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l’Etat ») ordonna la perquisition du domicile de la requérante. Ainsi, toujours le 22 décembre, les forces de l’ordre firent une descente au domicile de Mme Demirci et effectuèrent une perquisition. Ils ne saisirent aucun objet ou document illégal, toutefois ils arrêtèrent la requérante et la conduisirent à la gendarmerie pour y être interrogé. Un procès-verbal fut dressé par les policiers et, signé par la requérante[1].

Les interrogatoires durèrent jusqu’au 26 décembre 2001, date à la quelle la requérante signa une déposition reconnaissant son appartenance au PKK. Durant ces quatre jours, la requérante aurait été gardée dans une petite cellule sans chauffage, privée de nourriture régulière, empêchée d’aller aux toilettes, insultée verbalement et sans cesse. Par ailleurs, on lui aurait fait écouter de la musique à plein volume.

Le 26 décembre 2001, à la fin de sa garde à vue, la requérante fut examinée par un médecin qui conclut à l’absence de coup et blessure sur son corps.

Le même jour, la requérante fut d’abord traduite devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur ») et contesta sa déposition faite devant les gendarmes, affirmant n’avoir aucun lien avec le PKK. Elle exposa également être illettrée et avoir ainsi signé sa déposition sans en connaître le contenu. Ensuite, elle comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, devant lequel elle réitéra ses dires, ajoutant notamment qu’étant illettrée, elle fut obligée de faire confiance aux gendarmes en ce qu’ils transposaient ses dires sur le procès-verbal de déposition et de le signer tel qu’il avait été rédigé par ces derniers. Le juge ordonna la mise en détention provisoire de la requérante qui, de ce fait, fut transférée à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır.

Toujours le 26 décembre 2001, statuant sur les demandes du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence et du procureur, et se fondant sur l’article 3 c) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l’état d’urgence, le juge assesseur autorisa le renvoi de la requérante à la gendarmerie pour interrogatoire, pour une durée de dix jours. Ainsi, le même jour, la requérante fut remise aux mains des gendarmes.

Le 28 décembre 2001, le représentant de la requérante forma opposition contre cette décision, soutenant notamment qu’une telle mesure était contraire à la Constitution et aux instruments internationaux pertinents en la matière. La demande fut écartée le même jour par la cour de sûreté de l’Etat.

Toujours le 28 décembre 2001, le procureur mit la requérante en accusation pour appartenance à une bande armée, en application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme. A la date de l’introduction de la requête, le procès était encore pendant devant la cour de sûreté de l’Etat.

Le 5 janvier 2002, la requérante fut reconduite à la maison d’arrêt de Diyarbakır. Pendant ces dix jours de détention, elle aurait été gardée dans les mêmes conditions que celles de sa garde à vue initiale.

B. Le droit et la pratique internes

A l’époque des faits, l’article 16 de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence exclusive desdites juridictions, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant ledit juge. En cas de délit collectif, en raison du nombre des accusés et de la difficulté de la réunion des preuves et pour des raisons similaires, le procureur pouvait prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours au terme desquels si l’investigation n’avait pas abouti, celle-ci pouvait être prolongée par le juge, sur demande du procureur, jusqu’à sept jours ou dix jours dans le cas où la personne était arrêtée dans une région soumise à l’état d’urgence.

Par ailleurs, le régime concernant l’état d’urgence en vigueur à l’époque des faits était régi par les deux décrets-lois nos 285 et 430 ; le premier instituait un gouvernorat de la région soumise à l’état d’urgence dans certains départements du Sud-Est. Aux termes de son article 4 alinéas b) et d), l’ensemble des forces de l’ordre ainsi que le commandement de la force de paix de la gendarmerie étaient à la disposition du gouverneur de la région ; quant au second, il renforçait les pouvoirs du gouverneur de région en prévoyant en son article 3 c) que, « sur proposition du gouverneur de la région, à la demande du procureur de la République et par décision du juge, les personnes détenues après condamnation ou en détention provisoire, dans le cadre de l’instruction des délits relatifs à des activités terroristes visant à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, peuvent être amenées des établissements pénitentiaires aux fins d’interrogatoire pour une durée ne dépassant pas, à chaque fois, dix jours. Les personnes concernées peuvent demander un examen médical à leur sortie des établissements en question ainsi qu’à leur retour ».

Enfin, l’article 1 de la loi no 466 « sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou injustement détenues » prévoit que « sera dédommagée par l’Etat toute personne qui, entre autres, a été arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois en vigueur ».

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, la requérante se plaint des conditions de sa détention de quatorze jours dans les locaux de la gendarmerie. Elle soutient notamment qu’une telle longue privation de liberté exécutée dans de telles conditions d’isolement, constitue à elle seule un mauvais traitement au sens de cet article.

La requérante fait également grief de plusieurs atteintes injustifiées à ses droits garantis par l’article 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 de la Convention. Soutenant que la décision du 22 décembre 2001 rendue par la cour de sûreté de l’Etat autorisait uniquement la perquisition de son domicile et n’ordonnait nullement son arrestation, elle allègue avoir était arbitrairement privée de sa liberté, en l’absence de raisons plausibles. Par ailleurs, elle dénonce avoir été informée des raisons de cette mesure et des accusations portées à son encontre que très tard. Elle conteste en outre le caractère irrégulier de sa reconduite et de son maintien dans les locaux de la gendarmerie, suivant son placement en détention provisoire, en application du décret-loi no 430. Déplorant la durée excessive de sa garde à vue de quatorze jours, elle expose avoir été maintenue en isolement, à la merci des gendarmes, entre le 26 décembre 2001 et le 5 janvier suivant. La requérante allègue de plus que le contrôle de la légalité des mesures appliquées ne répondait aucunement aux exigences de l’article 5 § 4. Mme Demirci se plaint enfin de l’absence de voie de réparation en droit interne pour la violation de son droit consacré par l’article 5 § 1 c).

Dans son mémoire complémentaire du 25 juin 2002, la requérante souligne que le décret-loi no 430 ayant fondé la décision du 25 décembre 2001, n’a pas été approuvé par la Grande assemblée nationale suivant sa publication au journal officiel. Or, sans cette approbation qui est prescrite par l’article 121 de la Constitution, le décret-loi en question n’aurait pas acquis force de loi. Ainsi, son replacement en garde à vue ne serait fondé sur aucune disposition légale, ce qui constituerait une violation de l’article 7 de la Convention. Par ailleurs, la requérante soutient que le juge assesseur ayant rendu la décision de replacement ne serait pas indépendant dans la mesure où il aurait suivi, sans plus, la demande du gouverneur. A cet égard, elle allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Enfin, déplorant l’indifférence du procureur face aux déclarations qu’elle a faites à la fin de la garde à vue, elle allègue une violation de l’article 13 de la Convention. Toujours sous l’angle de cet article et en relation avec le grief tiré de l’article 5 § 4, la requérante se plaint de l’ineffectivité du recours formulé devant le procureur afin de contester son replacement dans les locaux de la gendarmerie.

EN DROIT

1. En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité des griefs tirés des articles 3 et 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 de la Convention et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Alléguant une violation des articles 6 et 7, la requérante soutient que le juge assesseur qui a rendu la décision de la replacer dans les locaux de la gendarmerie ne serait pas indépendant et que le décret-loi no 430 ayant fondé cette décision n’avait pas force de loi en l’absence de l’approbation de la Grande assemblée nationale.

La Cour constate que la décision critiquée en l’espèce se résume à une mesure de police. De ce fait, elle ne concerne ni une accusation pénale au sens de l’article 6 ni une peine au sens de l’article 7 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

3. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint de ce que ses déclarations faites à la fin de la garde à vue n’ont pas été prises au sérieux par le procureur ainsi que de ce qu’elle ne disposait pas de recours effectif pour contester la décision de la conduire dans les locaux de la gendarmerie pour interrogatoire.

Quant au premier volet du grief, la Cour note que le jour de sa comparution devant le procureur, la requérante s’est contentée d’affirmer être illettrée et avoir signé sa déposition sans en connaître le contenu. Dans ce contexte, la Cour n’observe aucun élément de nature à susciter une obligation d’investigation de la part du procureur.

Il s’ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

Du reste, vu l’approche adoptée dans l’arrêt Karagöz c. Turquie (no 78027/01, §§ 65-68, CEDH 2005... (extraits)), la Cour estime opportun d’examiner le second volet du grief sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen de la requête en tant qu’elle porte sur les articles 3 et 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Naismith J.- P. Costa
Greffier adjoint Président


[1] Le procès-verbal en question fait référence à la décision de « perquisition et d’arrestation » rendue par la cour de sûreté de l’Etat. Toutefois, la requérante soutient qu’il s’agit uniquement d’une décision de perquisition (voir ci-dessous).