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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIEME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 33901/04
présentée par Servet PAKSOY
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 17 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 septembre 2004,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Servet Paksoy, est une ressortissante turque, née en 1968 et résidant à İstanbul. Elle est représentée devant la Cour par Me H. Karadağ, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 28 octobre 1998, la requérante fut mise en accusation devant la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul, avec cinq coaccusés, pour appartenance à une organisation terroriste.

Le 13 novembre 1998, elle fut arrêtée par la police d’İstanbul.

Le 15 novembre 1998, elle fut mise en détention provisoire par le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul.

Le 25 décembre 2000, suite à une émeute survenue à la maison d’arrêt, le tribunal de police d’Üsküdar rendit une ordonnance de détention provisoire à l’encontre de la requérante pour chef d’homicide. Une procédure fut entamée à cet égard devant la cour d’assises d’Üsküdar.

Le 13 avril 2001, appréciant les éléments de preuve en sa possession, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul leva sa décision de détention provisoire. La requérante ne fut toutefois pas libérée, à cause de la deuxième décision de détention provisoire rendue par la cour d’assises d’Üsküdar.

Dans l’intervalle, la requérante avait entamé des grèves de la faim de longue durée et avait été hospitalisée plusieurs fois.

Le 29 juin 2001, l’Institut médicolégal examina la requérante et diagnostiquant le syndrome de Wernicke-Korsakoff[1] S-WK »), la déclara inapte à vivre dans les conditions carcérales, et recommanda sa libération pour six mois.

Sur ce rapport, la cour d’assises d’Üsküdar leva le même jour sa décision de détention, en application de l’article 399 du code de procédure pénale (« CPP ») prévoyant la libération provisoire pour cause de santé.

Toujours le 29 juin 2001, relevant qu’il n’y avait pas d’autres décisions de détention ou de condamnation concernant la requérante, le procureur d’İstanbul ordonna sa libération. La requérante fut ainsi libérée de l’unité carcérale de l’hôpital de Bayrampaşa où elle était traitée.

Le 28 novembre 2001, la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul qualifia les délits reprochés à la requérante, d’aide et soutien à une organisation terroriste, et en application de la loi no 4616 (promulguée le 21 décembre 2000 et relative à « la mise en liberté conditionnelle, la suspension de la procédure et de l’exécution des peines quant à certaines infractions commises jusqu’à la date du 23 avril 1999 ») décida de suspendre la procédure entamée à son encontre.

Le 29 mai 2002, la Cour de cassation infirma ce jugement pour erreur dans la qualification juridique du délit.

Le 4 septembre 2002, la cour de sûreté de l’Etat reprit les débats et ordonna, par contumace, la détention provisoire de la requérante (gıyabî tutukluluk kararı).

Le 8 novembre 2002, les médecins de « l’Association des droits de l’Homme de Turquie » (Türkiye İnsan Hakları Vakfı) firent parvenir à sa famille le dossier des consultations et traitements médicaux dispensés à la requérante en juillet 2001.

Le 2 mai 2003, sur la demande de l’avocat de la requérante qui invoqua les problèmes de santé de sa cliente, la cour de sûreté de l’Etat leva sa décision de détention provisoire et délivra un « mandat d’amener aux fins de recueillir sa déposition », selon l’article 223 du CPP (ihzar müzekkeresi). Pour ce faire, elle prit en considération les allégations de l’avocat selon lesquelles la décision de détention provisoire rendait difficile le traitement de la requérante, celle-ci étant sous le risque continu d’une réincarcération. Il se référa aussi à l’engagement de l’avocat et de la sœur de la requérante, présente à l’audience, pour la faire comparaître devant la cour.

Ainsi, à une date non précisée qui se situe entre les audiences du 2 mai et du 4 juillet 2003, la requérante se manifesta et la cour de sûreté de l’Etat recueillit sa déposition.

Par une pétition du 23 juin 2003, l’avocat de la requérante demanda que sa cliente soit réexaminée par l’Institut. A l’audience du 4 juillet 2003 devant la cour de sûreté de l’Etat, il précisa que, bien que la procédure se soit poursuivie sans que sa cliente soit mise en détention provisoire, la cour d’assises d’Üsküdar avait levé son ordonnance de détention, en ce qui concerne la procédure qui se déroulait devant elle, au vu du rapport médical du 29 juin 2001. Il exposa son intention d’éviter ainsi une nouvelle ordonnance de détention provisoire qui pourrait être délivrée par cette dernière instance.

La cour de sûreté de l’Etat ne semble pas avoir répondu à cette demande.

Le 21 janvier 2004, la cour de sûreté de l’Etat condamna la requérante, par contumace, à douze ans et six mois de réclusion, pour appartenance à une organisation terroriste et ordonna sa mise en détention provisoire (gıyabî tutukluluk kararı) jusqu’à la fin de l’examen de la Cour de cassation.

Le 7 juillet 2004, la Cour de cassation infirma le jugement du 21 janvier 2004 en ce qui concerne le coaccusé M.T., au motif que la cour de sûreté de l’Etat devait attendre le jugement concernant la plainte de ce dernier, selon laquelle les policiers responsables de sa garde à vue l’auraient torturé afin de lui extorquer des aveux. La Cour de cassation infirma le jugement quant à la requérante au vu du lien juridique entre elle et les dépositions de M.T.

Dans l’intervalle, par la loi no 5190 du 30 juin 2004, les cours de sûreté de l’Etat furent abolies. La cour d’assises d’İstanbul chargée alors de l’affaire, reprit les débats.

A l’audience du 4 mars 2005, l’avocat de la requérante demanda la levée de l’ordonnance de détention faisant valoir que sa cliente était restée deux ans et demi en détention provisoire. La cour d’assises renouvela son ordonnance lors de cette audience. A une date non précisée, elle la commua, encore une fois, en un « mandat d’amener aux fins de recueillir la déposition » selon l’article 223 du CPP.

La requérante se présenta alors à l’audience du 1er novembre 2005. Ainsi, la cour d’assises recueillit sa déposition.

Actuellement, la procédure pénale se poursuit. Il n’y a pas d’ordonnance de détention provisoire quant à celle-ci.

La procédure pénale entamée devant la cour d’assises d’Üsküdar se poursuit également. Il n’y a pas d’ordonnance de détention à l’encontre de la requérante en ce qui concerne cette procédure non plus. La requérante est en liberté.

B. Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents

S’agissant des dispositions constitutionnelle et législative quant à la grâce présidentielle pour les condamnés atteints d’une maladie irréversible (article 104 de la Constitution), quant aux conditions de sursis à exécution des peines pour cause de santé (articles 399 et 402 du CPP), la composition et le fonctionnement de l’Institut médicolégal, et les travaux du Conseil de l’Europe en matière de services de santé en milieu pénitentiaire, la Cour renvoie à son arrêt Tekin Yıldız c. Turquie (no 22913/04, §§ 42-52, 10 novembre 2005).

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, la requérante affirme que les autorités ont rejeté ses demandes visant à être examinée par l’Institut médicolégal et que du fait de la maladie de Wernicke-Korsakoff dont elle serait toujours atteinte, sa réincarcération éventuelle constituerait une peine et un traitement inhumains et dégradants.

EN DROIT

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

Le Gouvernement estime que la présente requête devait être introduite dans les six mois suivant la date de la libération provisoire de la requérante. Il fait ensuite valoir les conditions favorables des prisons et que les soins médicaux nécessaires sont administrés à tous les détenus. Il avance que si le besoin se manifeste, les intéressés sont transférés à l’hôpital, sinon libérés provisoirement, cela en application de l’article 399 du CPP, comme a été le cas pour la requérante. Il invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour tardiveté, sinon pour défaut manifeste de fondement.

2. La requérante

Selon la requérante, le S-WK est une maladie incurable. Donc, sa réincarcération constituerait dans tous les cas une violation de l’article 3.

B. Appréciation de la Cour

L’article 3 de la Convention se lit comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Principes généraux

Il est vrai que la Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004). La souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (Mouisel c. France, no 67263/01, §§ 37, 38 et 40, CEDH 2002IX, et Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002III).

Outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit également être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, tout prisonnier ayant droit à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI).

Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Matencio, précité, § 78). Le tableau clinique d’un détenu constitue ainsi l’une des situations pour lesquelles la capacité à la détention est aujourd’hui examinée au regard de l’article 3 de la Convention (voir Mouisel, précité, mêmes références, et Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII).

Bref, dans une affaire donnée, la détention d’une personne atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état est durablement incompatible avec la vie carcérale peut poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Tekin Yıldız, précité, § 72).

2. Contexte spécifique

La Cour note que la législation turque en vigueur, en matière d’exécution des peines en cas de maladie grave des détenus, offre aux autorités nationales des moyens d’intervenir. La santé est l’un des éléments pouvant motiver une décision de libération provisoire ou la grâce présidentielle. La Cour confirme que ces procédures constituent à première vue des garanties adéquates pour assurer la protection de l’intégrité physique et du bien-être des prisonniers que les Etats doivent concilier avec les exigences légitimes de la peine privative de liberté (Tekin Yıldız, précité, § 73).

Dans le contexte spécifique de cette affaire, il est pertinent de rappeler que par le passé, la Turquie, face aux mouvements de grèves de la faim déclenchés en 1996 et 2000 pour protester contre l’instauration des prisons de type F prévoyant des unités de vie d’une à trois personnes au lieu de dortoirs, s’était vu confrontée au problème du maintien en détention de personnes souffrant de séquelles physiques et mentales dues à la malnutrition, jugées dans certains cas comme étant celles du S-WK.

Suite à la dégradation de leur état de santé, les détenus grévistes furent renvoyés devant l’Institut médicolégal, autorité compétente pour rendre des expertises judiciaires. L’Institut diagnostiqua le S-WK chez plusieurs détenus et établit des rapports recommandant le sursis à exécution des peines en cause pour motif de santé. Ainsi, les magistrats concernés ordonnèrent la libération provisoire des intéressés pour une durée de six mois, susceptible d’être renouvelée, selon les résultats des contrôles médicaux à prévoir au terme de chaque période.

Nombre de détenus malades avaient été ainsi admis au bénéfice de la libération provisoire, les autorités compétentes ayant sans doute estimé qu’une telle situation ne se justifiait plus en termes de protection de la société (voir par exemple Ahmet Arslan c. Turquie (déc.), no 5114/04, voir également Balyemez c. Turquie, no 32495/03, § 95, 22 décembre 2005).

A différentes dates, l’Institut délivra des rapports concluant que la santé des intéressés s’était améliorée entre-temps et qu’il n’y avait plus lieu de surseoir à l’exécution de leurs peines. Certains requérants ont ainsi vu leur situation changer juste à la fin de la première période de sursis, et d’autres, au bout de deux ou trois ans, selon leur état de santé.

Quoi qu’il en soit, en s’appuyant sur ces derniers rapports, les magistrats concernés délivrèrent des mandats d’amener à l’encontre des requérants. Certains furent ainsi réincarcérés, d’autres prirent la fuite.

Devant la pénurie d’éléments d’appréciation, qui n’a pu être comblée ni par la correspondance abondante avec les requérants, ni par les observations du Gouvernement, la Cour n’a pas été en mesure d’établir les circonstances réelles avant de se prononcer sur le bien-fondé de ces affaires. Face à une centaine de requêtes similaires, et notamment au vu de certains avis consultatifs de l’Ordre des médecins, établissant une contradiction scientifique entre les rapports de l’Institut médicolégal recommandant la suspension de la peine des intéressés et ultérieurement, autorisant leur réincarcération (voir, par exemple, Balyemez c. Turquie (déc.), no 32495/03, 1er avril 2004, et Eren c. Turquie (déc.), no 8062/04, 2 septembre 2004), la Cour avait décidé d’organiser une mission d’enquête, dans l’exercice des fonctions que lui attribue l’annexe insérée le 7 juillet 2003 à son règlement.

Ainsi, afin de se forger une idée sur les conditions matérielles régnant dans les différents types d’établissement carcéraux en Turquie, la délégation de la Cour, accompagnée des représentants des requérants et du Gouvernement, a rendu visite à deux prisons de type F (Tekirdağ et Kocaeli), à deux prisons de type H (Tekirdağ et Istanbul), à une maison d’arrêt de type H (Bayrampaşa-İstanbul) et au service hospitalier de ce dernier établissement. Lors de ces visites, la délégation s’est également entretenue avec le personnel pénitencier, ainsi que les procureurs et les médecins en poste dans ces établissements.

La Cour a également désigné d’office un comité d’experts constitué d’un neurologue, d’un neuropsychiatre et d’un psychiatre, afin d’établir l’état de santé des requérants. Le comité d’experts a aussi accompagné la délégation lors des visites de la maison d’arrêt de Bayrampaşa et son service hospitalier (voir Tekin Yıldız, précité, §§ 35-41).

Sur les cinquante-trois requêtes examinées (pour la liste complète des requêtes, voir Tekin Yıldız, précité, § 4), les résultats de la mission d’enquête ont amené la Cour à un constat de violation et trois constats de violation potentielle de l’article 3. Les autres procédures se sont soldées par des décisions d’irrecevabilité, de radiation du rôle, ou par des arrêts de non-violation, s’agissant des requérants qui n’étaient pas malades, ou qui ne s’étaient pas présentés à l’examen, ou dont l’état de santé ne nécessitait qu’un suivi psychologique dans le milieu carcéral. Les conclusions générales concernant l’ensemble du rapport médical du comité d’experts de la Cour sont citées dans l’arrêt Tekin Yıldız (précité, § 41).

3. Application des principes au cas d’espèce

La Cour rappelle qu’en matière d’administration de la preuve, ni la Convention ni les principes généraux applicables aux juridictions internationales ne lui prescrivent des règles strictes. Ainsi, pour forger sa conviction, il lui est loisible de se fonder sur des données de toute sorte, pour autant qu’elle les juge pertinentes. Par ailleurs, elle apprécie en pleine liberté, non seulement la recevabilité et la pertinence, mais aussi la force probante de chaque élément du dossier (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 79, 80, §§ 209 et 210).

La Cour observe d’emblée qu’il fut mis fin à l’incarcération de la requérante le 29 juin 2001, en application de l’article 399 du CPP pour cause de santé, c’est-à-dire le jour même du rapport médical recommandant sa libération.

Sur ce point, la Cour estime nécessaire, d’abord, de confirmer sa jurisprudence, selon laquelle la libération d’un détenu pour cause de santé n’est pas obligatoire (voir parmi d’autres, Matencio, précité, § 78), et ensuite, de préciser qu’en l’espèce – et malgré l’absence de griefs quant aux soins médicaux dispensés lors de la détention – la question de la compatibilité de la réincarcération avec l’article 3 de la Convention se pose au vu de la libération provisoire accordée auparavant par les autorités, pour que l’intéressée puisse se faire soigner, ou assister, à l’extérieur (voir, par exemple, Kuruçay c. Turquie, no 24040/04, § 49, 10 novembre 2005).

Or, la Cour constate que la requérante ne fut pas réincarcérée depuis sa libération. En conséquence, aucune violation de l’article 3 ne se trouve établie de ce chef.

La Cour examinera donc si le risque de réincarcération à laquelle la requérante était exposée par les deux ordonnances de détention, rendues par la cour de sûreté de l’Etat, a constitué une méconnaissance de cette disposition.

Les ordonnances en question restèrent valides, pour la première période, du 4 septembre 2002 au 2 mai 2003, et pour la deuxième période, du 21 janvier 2004 à une date qui se situe entre le 4 mars 2005 et le 1er novembre 2005. Or, le dossier ne contient aucun rapport médical qui serait proche de ces périodes et qui s’opposerait à la réincarcération. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour n’est donc pas en mesure de dire que l’état de santé de la requérante à ces époques demeurait inchangé à un tel point que sa réincarcération aurait été contraire à l’article 3 (comparer avec Uyan c. Turquie, no 7454/04, §§ 20, et 51-54, 10 novembre 2005, Kuruçay, précité, § 50).

S’agissant du document établi par l’Association des droits de l’Homme, la Cour observe que celui-ci ne donne qu’un exposé des consultations et traitements que la requérante a reçus en juillet 2001. Ainsi, il ne lui permet aucunement, de par sa date et par sa nature, d’adopter une position vis-à-vis d’une réincarcération éventuelle durant ces périodes.

Toujours dans le même contexte, la Cour conclut, pour les motifs qui suivent, que le risque de réincarcération vécu dans les périodes susvisées n’a pas atteint un niveau suffisant de gravité (Mouisel, précité, § 37) pour entrer dans le champ d’application de cette disposition (comparer avec Uyan et Kuruçay, précités, mêmes références).

La Cour rappelle d’emblée ses constatations précédentes : la requérante a tiré profit du droit et de la pratique interne, et a été mise en liberté le même jour où le rapport de l’Institut l’a recommandé. Ensuite, elle n’a plus été réincarcérée. S’agissant des périodes susmentionnées où elle était sous le risque d’une réincarcération, les autorités judiciaires ont ultérieurement commué les ordonnances de détention en des mandats à comparaître en vue de recueillir la déposition de la requérante. Pour ce faire, la cour compétente s’est même référée, s’agissant de la première période, aux griefs concernant l’entrave par cette ordonnance de détention provisoire au traitement médical de la requérante, ainsi qu’à l’engagement de l’avocat et de la sœur de la requérante à assurer la présence de celle-ci à l’audience. Par ailleurs, il faut le rappeler encore une fois, il n’y a aucun rapport, en faveur ou au détriment de la requérante, concernant ces périodes.

Pour la Cour, il s’agit là d’une bonne administration de la justice, dont elle se félicite au vu de la compatibilité du moyen employé, avec les recommandations qu’elle avait formulées sous l’angle de l’article 46 de la Convention, s’agissant de l’ensemble des affaires de grévistes de la faim contre la Turquie (Tekin Yıldız, précité, § 92, 93).

L’examen du cas d’espèce ne s’arrête toutefois pas ici. La Cour doit aussi éclaircir la question de la réincarcération éventuelle de la requérante dans le futur proche, puisqu’il y a actuellement deux procédures pendantes à l’encontre de celle-ci. Néanmoins, en l’état actuel des choses, il n’existe aucune ordonnance de détention provisoire, ni une condamnation concernant la requérante. En conséquence, la Cour estime qu’à ce jour, une telle question ne se pose pas en l’espèce (mutatis mutandis, Ali Musa Aydın c. Turquie (déc.), no 27324/04, 1er décembre 2005), d’autant que l’état de santé actuel de la requérante demeure inconnu.

D’un autre côté, les autorités judiciaires ne peuvent pas être critiquées pour ne pas avoir obtenu un nouveau rapport médical, suite à la demande de la requérante, puisque la question de réincarcération ne s’est pas posée ultérieurement.

Partant, la Cour ne peut intervenir en l’occurrence, ou bien indiquer des mesures que les autorités turques pourraient prendre à l’égard de la requérante (comparer avec Balyemez, précité, § 96).

Bref, ayant examiné tous les aspects de la présente requête, la Cour dit qu’elle ne peut conclure ni à une violation, ni à une violation potentielle de l’article 3 (voir par exemple Uyan, précité). Bien entendu, rien n’empêche la requérante de ressaisir la Cour si un risque d’incarcération contraire à l’article 3 devait se présenter à l’avenir (voir dans ce contexte, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 109-116, CEDH 2001III).

Au vu de ce qui précède, la Cour ne s’attardera pas sur l’exception du Gouvernement tiré de la tardiveté de la requête car en tout état de cause celle-ci doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Elle estime également qu’il y a lieu de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président


[1] Selon la littérature médicale, cette maladie, qu’on retrouve principalement chez les alcooliques chroniques et les mal nourris, consiste en une combinaison du syndrome de Korsakoff, qui provoque la confusion, l’aphonie et l’affabulation, et d’encéphalopathie de Wernicke, qui entraîne une paralysie des yeux, un nystagmus, le coma, voire la mort, si le patient n’est pas dûment traité. Cet état est considéré comme résultant, en principe, d’une carence chronique en thiamine, substance qui participe au métabolisme du glucose, étant entendu qu’en cas de pareille carence toute activité qui nécessite la métabolisation du glucose peut entraîner la maladie de Wernicke-Korsakoff. Le traitement le plus courant consiste à injecter de la thiamine par intraveineuse ou intramusculaire pour ralentir la maladie, puis un traitement à long terme, à base de pastilles orales, pour le rétablissement.