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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 32272/03
présentée par Erkan YAMAN
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 17 octobre 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 8 septembre 2003,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Erkan Yaman, est un ressortissant turc, né en 1985 et résidant à Ankara. Il est représenté devant la Cour par Me Y. İlikli, avocat à Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 13 novembre 2001, le requérant, alors âgé de quinze ans, ainsi que quatre de ses amis furent arrêtés et placés en garde à vue pour vol d’un téléphone mobile avec violence et menace d’une lame de rasoir, à la suite d’une plainte déposée par deux de leurs camarades (ci-après « les plaignants »).
Le même jour, la police procéda à une reconstitution des lieux en présence du requérant et de ses amis. Ils reconnurent les faits et expliquèrent de manière très détaillée les circonstances du vol et de la revente du téléphone mobile.
Toujours à la même date, la police recueillit les dépositions du requérant en présence de son avocat. Il fit usage de son droit de garder le silence.
Le 14 novembre 2001, le requérant fut traduit devant le juge près le tribunal d’instance pénal d’Ankara qui ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le juge, le requérant contesta sa déposition recueillie lors de la reconstitution des lieux dans la mesure où elle aurait été obtenue sous la contrainte. Il indiqua qu’il n’avait pas commis l’infraction qui lui était reprochée.
Le 20 novembre 2001, le procureur de la République d’Ankara, reprochant au requérant d’avoir soustrait des biens appartenant à autrui par la violence, intenta une action pénale à son encontre ainsi qu’à celle des autres coaccusés.
Devant la cour d’assises d’Ankara, le requérant rejeta les accusations à son encontre. Son conseil dénonça le fait qu’au cours de la reconstitution des lieux, la déposition de son client avait été recueillie en son absence. Les coaccusés et les victimes revinrent en partie sur leurs dépositions faites devant la police.
Par un arrêt du 15 juillet 2002, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à quinze ans d’emprisonnement, peine diminuée d’un tiers eu égard à son âge au moment des faits, puis d’un sixième pour circonstances atténuantes. En définitive, il fut condamné à neuf ans, huit mois et vingt jours d’emprisonnement. Afin d’établir la culpabilité de l’intéressé, la cour tint compte de ses déclarations, de celles des coaccusés, des témoins et des plaignants recueillies aux différents stades de la procédure, ainsi que des procès-verbaux d’incident, de reconstitution et d’identification.
Par un arrêt du 30 avril 2003, la Cour de cassation confirma l’arrêt rendu par la première instance, considérant que la procédure dans son ensemble et les motifs de la condamnation y figurant étaient conformes à la loi.
Le 21 juillet 2005, à la suite de la modification législative du code pénal, la peine du requérant fut réduite à un an, dix mois et dix-sept jours, et il fut libéré.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Le code pénal
A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code pénal étaient rédigées comme suit :
Article 55
« Quiconque a quinze ans révolus et pas encore dix-huit ans révolus au moment où il commet une infraction sera puni selon les règles suivantes :
1. vingt ans de réclusion criminelle au moins seront substitués à la peine de mort ;
2. quinze à vingt ans de réclusion criminelle seront substitués à la réclusion criminelle à perpétuité ;
3. les autres peines seront réduites d’un tiers au plus (...) ;
(...)
Les peines privatives de liberté infligées aux mineurs qui n’ont pas dix-huit ans révolus au moment où ils commencent à exécuter leur peine sont exécutées dans les prisons destinées à cet effet ou dans les sections spéciales des prisons pour adultes. A dix-huit ans révolus, ils sont transférés dans des prisons pour adultes si la peine à laquelle ils ont été condamnés est supérieure à trois ans et celle qui reste à purger supérieure à deux ans. Néanmoins, parmi eux, ceux qui s’en montrent dignes, compte tenu de leur conduite durant la période écoulée, sont maintenus dans des prisons spéciales ou des sections spéciales dans des prisons pour adultes. »
Article 495 § 1
« Quiconque, en usant de violence contre (...) un tiers présent sur les lieux du délit ou en le menaçant de dangers graves et imminents pour lui-même ou pour ses biens, l’oblige à livrer une chose mobilière ou à tolérer qu’il s’en empare, sera puni de dix à vingt ans d’emprisonnement. »
Article 497 § 2
« Si l’acte a été commis (...) par plusieurs personnes (...), la peine sera de vingt ans d’emprisonnement au moins. »
Le nouveau code pénal a été adopté le 26 septembre 2004 et est entré en vigueur le 1er juin 2005. Son article 31 dispose :
« 1. Les mineurs qui n’ont pas douze ans révolus à la date de l’infraction ne sont pas pénalement responsables. (...)
(...)
3. Les mineurs de quinze à dix-huit ans à la date de l’infraction sont condamnés à des peines de quatorze à vingt ans de réclusion criminelle si l’infraction requiert la réclusion criminelle à perpétuité [lourde], neuf à douze ans de réclusion criminelle si l’infraction requiert la réclusion criminelle à perpétuité. Les autres peines sont diminuées de moitié et, dans ce cas de figure, la peine privative de liberté prononcée pour chaque infraction ne peut être supérieure à huit ans. »
2. La loi no 2253 sur les tribunaux pour enfants
A l’époque des faits, les mineurs âgés de quinze à dix-huit ans étaient jugés devant les juridictions pour adultes et soumis aux mêmes règles de procédure que ces derniers. Seules les infractions reprochées aux mineurs âgés de onze à quatorze ans relevaient de la compétence des tribunaux pour enfants.
La loi no 4963 du 30 juillet 2003 a étendu la compétence des tribunaux pour enfants aux mineurs de quinze à dix-huit ans également. En outre, elle a abrogé le dernier paragraphe de l’article 6 de la loi sur les tribunaux pour enfants qui excluait du champ de compétence de ces tribunaux les infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’État.
Aujourd’hui, tous les mineurs sont jugés par des tribunaux pour enfants, peu importe leur âge et le type de l’infraction qui leur est reprochée.
GRIEFS
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la méconnaissance de son droit à un procès équitable.
Il allègue à cet égard que la cour d’assises d’Ankara a fondé son constat de culpabilité seulement sur le procès-verbal de reconstitution des lieux et les premières déclarations des plaignants.
EN DROIT
A. Exception d’irrecevabilité
La Cour rappelle que, lors de l’examen initial de la requête, elle avait jugé opportun d’examiner d’office, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, la proportionnalité de la peine infligée au requérant eu égard à son âge à l’époque des faits incriminés et de poser une question au Gouvernement en ce sens.
Le Gouvernement conteste l’examen d’office de ce point dans la mesure où le requérant n’a pas présenté de grief tiré de l’article 3 de la Convention. A titre subsidiaire, il fait valoir que l’intéressé n’a été soumis à aucun mauvais traitement et que le seul fait de l’avoir condamné à une peine prévue en droit interne ne peut pas être considéré comme contraire à cette disposition.
Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par la qualification opérée par les parties. En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les comparants. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, p. 223, § 44, Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001, et Emrah Emrullah Başaran c. Turquie (déc.), no 57316/00, 12 janvier 2006).
Cela étant, dans les circonstances particulières de l’espèce et eu égard aux éléments en sa possession, la Cour, après avoir pris note que le requérant a vu sa peine diminuée à la suite de la modification du code pénal, n’estime pas nécessaire d’examiner d’office la proportionnalité de la peine infligée à l’intéressé eu égard à son âge à l’époque des faits incriminés. Par conséquent, un examen d’office sur le terrain de l’article 3 ne s’impose pas.
B. Sur le mérite du grief
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la méconnaissance de son droit à un procès équitable.
Il souligne à cet égard que la cour d’assises d’Ankara a fondé son constat de culpabilité sur les seules déclarations des plaignants et dénonce le fait qu’au cours de la reconstitution des lieux, sa déposition avait été recueillie en l’absence d’un avocat.
Le Gouvernement fait observer que le juge national dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation des preuves et qu’il est mieux placé qu’une juridiction internationale pour apprécier les éléments de preuve recueillis par elles. Soulignant que le requérant a été condamné sur le fondement de preuves incontestables et qu’il a été représenté par un avocat à tous les stades de la procédure, le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief.
Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.
La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit le caractère équitable d’une procédure pénale dans son ensemble, y compris l’administration des preuves (voir, entre autres, Ferrantelli et Santangelo c. Italie, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996‑III, p. 949, § 48, et Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 45, CEDH 1999-II).
Il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Par ailleurs, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I).
En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été représenté par un avocat aussi bien devant la cour d’assises que devant la Cour de cassation, et qu’il a été en mesure de contester sa déposition faite lors de sa garde à vue. Sur ce point, il ressort du dossier que si l’intéressé n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de la reconstitution des lieux, il a pu s’entretenir avec celui-ci dans la même journée quelques heures après et a préféré garder le silence.
En tout état de cause, la Cour note surtout que la cour d’assises s’est fondée, pour établir la culpabilité du requérant, sur les déclarations de ce dernier, celles des coaccusés, des témoins et des plaignants recueillies aux différents stades de la procédure, ainsi que les procès-verbaux d’incident, de reconstitution et d’identification. La Cour conclut que le dossier ne contient aucune preuve de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Il y a ainsi lieu de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président