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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE COUR c. FRANCE
(Requête no 44404/02)
ARRÊT
STRASBOURG
3 octobre 2006
DÉFINITIF
03/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Cour c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 septembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44404/02) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Martine Cour (« la requérante »), a saisi la Cour le 10 décembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me Jacques Vuitton, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 12 septembre 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1953 et réside à Montbéliard.
5. En 1975, le mari de la requérante, Monsieur Cour, créa un service de vente de voitures, sous l’enseigne « La centrale des collaborateurs », qui se développa en trois agences sises à Maison-Laffite, Bordeaux et Montbéliard.
6. Les 18 novembre 1986 et 9 octobre 1987, le Crédit Commercial de France (le « CCF ») consentit deux prêts à Monsieur Cour, l’un de 100 000 FRF remboursable sur 5 ans au taux de 11,5 % et l’autre de 200 000 FRF remboursable en 5 ans au taux de 12,5 %, pour lesquels la requérante, salariée de l’entreprise de son mari, se porta caution solidaire et indivisible.
7. Au cours du premier semestre de l’année 1989, la santé du mari de la requérante se dégrada gravement : suite à des soins dentaires dispensés le 14 février 1989, au cours desquels il avala un tire-nerf du fait d’une mauvaise manipulation du chirurgien-dentiste, il subit deux interventions chirurgicales portant sur une appendicectomie et une opération à cœur ouvert, l’obligeant à cesser toute activité professionnelle pendant huit mois. En septembre 1989, la requérante fut licenciée. Elle déclare que son mari est « en train d’obtenir l’indemnisation » du préjudice de nature personnelle qu’il a subi.
8. Le 13 juin 1990, l’immeuble dans lequel se trouvait le siège social de l’agence de Montbéliard s’effondra à la suite de travaux menés sur un chantier voisin, entraînant la destruction complète des outils de l’entreprise.
9. Le 30 juin 1990, aux fins d’assurer un soutien financier, le CCF mit à disposition une ligne de crédit d’un montant de 400 000 FRF pour une durée de 4 mois, censée être remboursé par l’indemnisation du sinistre. Le 8 octobre 1990, la banque accorda également un prêt de 200 000 FRF, garanti par le cautionnement de la requérante et par le nantissement du fonds de commerce. En décembre 1990, le CCF, constatant que la situation de l’entreprise ne s’améliorait point, gela le fonctionnement du compte courant du mari de la requérante.
10. Le 9 août 1991, ce dernier fut mis en liquidation judiciaire.
11. En avril 1991, la requérante et son époux vendirent leur habitation personnelle en versant la totalité du solde du prix, d’un montant de 100 000 FRF, au CCF pour tenter de le désintéresser.
12. Le 1er décembre 1992, le CCF assigna la requérante, en sa qualité de caution, devant le tribunal de grande instance de Montbéliard.
13. Le 29 mars 1993, la requérante versa une somme de 32 742 FRF au CCF, correspondant aux échéances impayées du prêt consenti.
14. Par un jugement du 28 octobre 1993, le tribunal condamna la requérante au paiement de 174 672,28 FRF avec les intérêts aux taux de 12, 5 % à compter du 16 septembre 1991 au titre du prêt de 200 000 FRF consenti, et, avant dire droit sur le surplus de la requête du CCF, enjoignit celui-ci à s’expliquer notamment sur sa demande portant sur une somme de 28 344 FRF au titre du prêt de 100 000 FRF. Par un jugement du 23 février 1995, la requérante fut condamnée à payer 8 526 FRF avec les intérêts au titre du prêt de 100 000 FRF.
15. La requérante, bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale, interjeta appel de ces deux décisions en novembre 1993 et mai 1995, reprochant notamment à la banque d’agir contre les débiteurs sans attendre l’issue de la procédure collective, et contestant la validité de son engagement pour le prêt de 200 000 FRF octroyé le 8 octobre 1990. Elle indique qu’à compter de 1994, son époux et elle-même furent réduits à solliciter le revenu minimum d’insertion (le « RMI »), qui s’élevait à cette époque à 2 300 FRF (351 EUR environ).
16. Le 7 mars 1997, le CCF adressa à la requérante un commandement de payer les sommes indiquées dans le jugement du 28 octobre 1993 ; arrêtées au 27 février 1997, ces sommes s’élevaient à environ 286 000 FRF.
17. Par une décision du 2 février 1998, le tribunal d’instance de Montbéliard, sur requête du CCF, autorisa la saisie des rémunérations de travail de la requérante qui avait retrouvé une activité salariée dans le cadre d’un contrat emploi solidarité.
18. Par un arrêt du 27 mars 1998, la cour d’appel de Besançon confirma les jugements entrepris en toutes leurs dispositions.
19. Début avril 1998, la requérante formula une demande d’aide juridictionnelle auprès du bureau compétent près la Cour de cassation. Par une décision du 10 décembre 1998, sa demande fut rejetée au motif que, bien que ses ressources, à hauteur de 541 euros, avaient été reconnues insuffisantes, aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé contre l’arrêt du 27 mars 1998.
20. Le 23 février 1999, la requérante, représentée par un avocat aux Conseils, déclara former un pourvoi en cassation.
21. Le 30 avril 1999, le CCF forma une requête tendant au retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation.
22. Le 27 octobre 1999 se tint une audience au cours de laquelle la requérante, qui n’avait pas déposé de mémoire en défense, fut entendue en ses observations orales. Elle affirme qu’au cours de celle-ci, elle fit valoir, pour s’opposer au retrait de son pourvoi, que ses revenus et son patrimoine étaient extrêmement faibles.
23. Par une ordonnance du 17 novembre 1999, le magistrat délégué par le premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle du pourvoi en application de l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile. Elle se lit comme suit :
« Nous, (...), conseiller délégué par le Premier Président de la Cour de cassation,
(...) ;
Avons rendu l’ordonnance ci-après, après avoir entendu les Conseils des parties en leurs observations et recueilli l’avis [de l’]avocat général ; (...) ;
Attendu qu’en l’espèce, [la requérante] ne justifie d’aucune diligence propre à faire conclure à sa volonté de déférer à la décision des juges du fond et n’invoque aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d’exécution ;
Qu’en cet état, elle ne saurait suivre sur l’instance en cassation ouverte par sa déclaration de pourvoi ; (...). »
24. Le 9 mars 2000, la requérante déposa une requête tendant à la réinscription au rôle de son pourvoi. Elle soutenait, tout d’abord, qu’elle se trouvait dans une situation d’extrême précarité, faisant valoir qu’elle s’était retrouvée au chômage dès septembre 1989 suite au prononcée de la liquidation judiciaire de la société de son mari, qu’elle n’avait perçu que de faibles indemnités de chômage de 1989 à 1992 puis le RMI avec son mari de 1994 à 1997, qu’elle n’était plus imposable depuis 1990 (elle produisait des avis de non-imposition de 1990 à 1991 et de 1994 à 1998) et, bien qu’ayant retrouvé une activité salariée en 1997, celle-ci ne lui procurait que de très faibles revenus mensuels compris entre 2 100 FRF et 5 304 FRF (soit respectivement 320 EUR et 809 EUR environ). Quant à sa volonté d’exécuter l’arrêt attaqué, elle soulignait que seuls les retards apportés aux procédures d’indemnisation des préjudices personnels et immobiliers subis par son mari avaient empêché le règlement total des causes de l’arrêt et que, malgré l’absence de ressources, elle avait exécuté partiellement la condamnation en versant, en avril 1991, 100 000 FRF correspondant à la totalité du prix perçu de la vente de leur appartement ainsi que 32 742 FRF le 29 mars 1993. Par ailleurs, elle indiquait qu’elle exécutait, depuis début 1998, des versements réguliers oscillant entre 345 FRF et 976 FRF en vertu d’un acte de saisie des rémunérations de travail du 2 février 1998. La requérante concluait ainsi qu’au vu des pièces versées aux débats, l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives, en précisant que son mari s’était engagé à allouer au remboursement de la dette du CCF l’intégralité des indemnités qu’il doit percevoir du fait de la responsabilité du médecin évaluée à 273 000 FRF (soit environ 41 616 EUR).
25. Le 31 mai 2000, le conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation rejeta en l’état la requête, pour les motifs suivants :
« Attendu que pour demander la réinscription au rôle de son pourvoi, [la requérante] fait valoir qu’elle exécute par versements réguliers la condamnation depuis 1998, que l’exécution de l’arrêt serait de nature à entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives d’autant plus que son mari s’est engagé à effectuer un remboursement au [CCF] avec l’intégralité de sommes à percevoir de fait d’une responsabilité médicale, déjà évaluée à 273 000 Frs ;
Mais attendu que nonobstant les pièces versées, lesquelles sont pour la plupart antérieures à l’ordonnance de retrait du rôle du 17 novembre 1999, aucune autre exécution n’est intervenue que celle correspondant aux saisies-arrêt sur salaires pratiquées tous les mois ; qu’en cet état, il n’y a pas lieu à réinscription actuellement, faute de nouvelle exécution significative ; (...) »
26. Le 21 novembre 2001, la requérante, reprenant l’ensemble des arguments précédemment formulés, présenta une nouvelle requête en réinscription. Elle précisa que ses revenus mensuels s’élevaient à 4 200 FRF, moins la saisie sur salaire, et qu’elle n’était pas imposable pour l’année 2000.
27. Le 20 février 2002, le premier président de la Cour de cassation la rejeta, au motif « qu’aucun élément n’[était] intervenu depuis [la] dernière ordonnance du 31 mai 2000 ».
28. Par une ordonnance du 19 juin 2002, le premier président de la Cour de cassation, saisi par le CCF, constata la péremption de l’instance ouverte sur la déclaration de pourvoi formulée par le requérante, en relevant ce qui suit :
« Attendu que l’ordonnance de retrait du rôle a été notifiée le 26 novembre 1999 (...) ;
Que cette notification a fait courir le délai de péremption ;
Qu’il n’est pas justifié que, dans le délai de 2 ans à compter de cette notification, [la requérante] ait accompli un acte manifestant sans équivoque sa volonté d’exécuter l’arrêt attaqué ; (...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
29. Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’affaire Carabasse c. France (no 59765/00, §§ 27-36, arrêt du 18 janvier 2005).
30. Les dispositions pertinentes du nouveau code de procédure civile, en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes :
Article 386
« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ».
Article 1009-1
« Hors les matières où le pourvoi empêche l’exécution de la décision attaquée, le premier président ou son délégué décide, à la demande du défendeur et après avoir recueilli l’avis du procureur général et les observations des parties, le retrait du rôle d’une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu’il ne lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande du défendeur doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 982 et 991. La décision de retrait du rôle n’emporte pas suspension des délais impartis au demandeur au pourvoi par les articles 978 et 989. »
Article 1009-2
« Le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant le retrait du rôle. Il est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. »
Article 1009-3
« Le premier président ou son délégué autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée.
Les délais impartis au défendeur par les articles 982 et 991 courent à compter de la notification de la réinscription de l’affaire au rôle. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
31. La requérante soutient que le retrait du rôle de son pourvoi en cassation en application de l’article 1009-1 du nouveau code de procédure civile constitue, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
32. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse pour les raisons exposées ci-après.
A. Sur la recevabilité
33. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
34. En premier lieu, le Gouvernement, après avoir rappelé la jurisprudence pertinente de la Cour en la matière, ne conteste pas, tout d’abord, la précarité de la situation matérielle de la requérante, laquelle situation est attestée par les pièces qu’elle joint à sa requête (la décision du tribunal d’instance de Montbéliard du 2 février 1998 relative à la saisie des rémunération du travail de la requérante, des avis de non imposition à partir de 1990, une attestation de l’assurance chômage déclarant que la requérante était inscrite à l’agence nationale pour l’emploi du 16 novembre 1989 au 8 décembre 2000, les bulletins de paie de 1998 et 1999 faisant apparaître une saisie arrêt d’un montant de 345,83 euros chaque mois). Cependant, le Gouvernement estime qu’il ne ressort pas du dossier que la requérante ait transmis ces pièces au Premier Président de la Cour de cassation lors de l’examen de la requête de retrait du rôle. Il considère dès lors que la requérante avait la possibilité de présenter sa situation et constate qu’elle ne l’a pas utilisée, alors même qu’elle était représentée par un avocat aux Conseils. Il constate donc une carence de la part de la requérante et de son conseil dans l’administration de la preuve de son exacte situation patrimoniale lors de l’instance qui a abouti à l’ordonnance du 17 novembre 1999. En outre, devant une telle carence, la motivation de l’ordonnance de retrait ne saurait être mise en cause.
35. En second lieu, le Gouvernement estime que la requérante n’a pas démontré une volonté non équivoque de déférer à l’exécution de la décision attaquée. Il souligne que l’élément apprécié suite à l’adoption d’une ordonnance de retrait du rôle pour étudier la réinscription du pourvoi au rôle se limite, conformément à l’article 1009-2, à « la production d’un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter », et ne prend plus en considération les conséquences manifestement excessives que l’exécution pourrait avoir pour le demandeur au pourvoi. Il relève ensuite que la requérante n’a produit qu’un élément à l’appui de sa demande, à savoir le prélèvement sur salaire mis en œuvre depuis 1998. Or, ce prélèvement ne résulte pas d’une décision spontanée de la requérante mais d’une décision de justice, laquelle, déjà en vigueur avant le prononcé de l’ordonnance de retrait du rôle, ne peut constituer un élément nouveau d’appréciation de la volonté de la requérante d’exécuter la décision attaquée. Dès lors, les magistrats chargés d’examiner les demandes de réinscription au rôle ont correctement motivés leurs ordonnances de rejet. Le Gouvernement insiste sur le fait que la sécurité juridique et l’autorité de la chose jugée en sauraient être remis en cause par l’évolution, très fluctuante et imprévisible, de la situation matérielle des demandeurs au pourvoi, ce qui explique que les articles 1009-2 et 1009-3 excluent toute nouvelle possibilité pour le demandeur au pourvoi de présenter les conséquences excessives que l’exécution aurait pour lui au vu de sa situation patrimoniale.
36. La requérante, tout d’abord, soutient que l’existence de conséquences manifestement excessives peut non seulement permettre de refuser le retrait du rôle, mais également justifier le rétablissement du rôle, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement. Elle produit, à l’appui de ses prétentions, une ordonnance du Premier Président de la Cour de cassation du 23 mai 2001, qui se lit comme suit :
« Attendu que sur requête du 24 septembre 1999 de la Caisse régionale d’assurance maladie du Centre Est, l’instance a été retirée du rôle, faute d’exécution de l’arrêt ; qu’à cette procédure, les défenderesses qui avaient sollicité l’aide juridictionnelle eu égard à leur faibles ressources, ne se sont pas, en l’état, opposées à cette mesure, tout en réservant de demander le rétablissement de l’affaire en cas d’obtention de l’aide juridictionnelle ; (...) ;
Attendu que (...) les consorts M. nous demandent le rétablissement du pourvoi au rôle motifs pris de ce que Mme M. a obtenu, le 11 janvier 2001, le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, n’ayant pratiquement aucune ressource ; (...) ;
Attendu que Mme M., (...) justifie non seulement avoir obtenu l’aide juridictionnelle totale, à la suite de la demande qu’elle avait antérieurement formée (...) mais aussi de ressources particulièrement faibles, au regard desquelles l’exécution des causes de l’arrêt entraînerait pour elle des conséquences manifestement excessives ; (...) ;
Attendu que l’examen des mérites du pourvoi ne pouvant faire l’objet d’une appréciation distincte, il y a lieu d’en ordonner le rétablissement au rôle pour une bonne administration de la justice et sauf à porter atteinte au principe de l’égalité des parties au procès ; (...) »
Dès lors, en l’état de la situation très précaire de la requérante, le Premier Président ne pouvait ni retirer le pourvoi, ni refuser sa réinscription.
37. La requérante, ensuite, constate qu’elle a versé aux débats devant le Premier Président tous les éléments nécessaires pour démontrer sa situation, tant dans le cadre de l’instance relative au retrait du rôle que de celle relative au rétablissement au rôle du pourvoi, en produisant de nombreuses pièces ; elle renvoie aux requêtes en réinscription et aux bordereaux des pièces communiquées. Ont ainsi été versés aux débats, pour démontrer que l’exécution aurait des conséquences excessives et que l’exécution partielle de l’arrêt manifestait une intention réelle d’exécuter, une attestation de l’assurance chômage, un contrat emploi-solidarité démontrant qu’elle bénéficiait du revenu minimum d’insertion, l’état des faibles revenus des époux Cour, des avis de non-imposition, et un état du patrimoine de la requérante (requête en rétablissement du 9 mars 2000). Cette dernière relève en outre, d’une part, que sa situation patrimoniale avait été constatée par le bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation qui, dans décision du 10 décembre 1998, a retenu un revenu mensuel de 541 euros et, d’autre part, que le Gouvernement admet parfaitement sa faiblesse financière au vu des éléments sur lesquels repose la présente requête. Au surplus, elle précise que cette situation ne s’est pas améliorée puisqu’elle est aujourd’hui à nouveau demandeuse d’emploi. Dès lors, la requérante estime que l’argumentation du Gouvernement manque en fait.
38. La requérante, s’agissant de la manifestation d’exécuter l’arrêt attaqué, fait en outre valoir que des paiements partiels ont été effectués spontanément pour réduire la dette da la banque, et qu’elle fit l’objet d’une saisie sur salaire. Ainsi, cette saisie, d’une part, constitue une exécution de l’arrêt frappé de pourvoi et, d’autre part, réduit encore les possibilités de la requérante de payer spontanément les sommes réclamées puisqu’il ne lui reste plus, par application des articles L. 145-1 et R. 145-1 et suivants du code du travail, que la part alimentaire incompressible du revenu, le minimum vital. Dès lors, en l’état de cette saisie, il ne pouvait lui être imposé d’effectuer des paiements en plus de la saisie, ce qui lui était impossible.
39. Enfin, la requérante estime que le fait d’opposer la péremption de deux ans, en l’état d’une telle disproportion entre les capacités de paiement et la dette à acquitter pour accéder au juge de cassation, en l’absence de modulation par le juge de ce délai, constitue un obstacle injustifié à l’accès au juge.
40. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné, à plusieurs reprises, la question de savoir si une mesure de retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation française ou de refus de réinscription prononcée en application des articles 1009-1 et suivants du nouveau code de procédure civile était susceptible de restreindre l’accès à un tribunal ouvert à un individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (voir, entre autres, l’arrêt de principe Annoni di Gussola et autres c. France, nos 31819/96 et 33293/96, § 53, CEDH 2000‑XI et, dernièrement, Carabasse c. France, no 59765/00, 18 janvier 2005).
Après avoir rappelé les buts poursuivis par l’obligation d’exécution d’une décision de justice visée à l’article 1009-1 précité (Annoni di Gussola et autres c. France précité, § 50), la Cour a apprécié si les mesures de retrait s’analysaient en une entrave proportionnée au droit d’accès à la Haute juridiction. Elle a retenu, pour ce faire, les situations matérielles respectives des requérants, le montant des condamnations et l’effectivité de leur examen par le Premier Président dans son appréciation des possibilités d’exécution de l’arrêt frappé de pourvoi. Dans l’arrêt Annoni di Gussola et autres c. France, la Cour releva qu’aucun début d’exécution des condamnations au paiement de montants s’élevant à près de 100 000 FRF et 150 000 FRF (soit environ 15 000 et 22 727 EUR) n’était envisageable de la part des intéressés, vu la faiblesse de leurs revenus, et en déduisit que les conséquences du retrait du pourvoi du rôle de la Cour de cassation étaient « manifestement excessives» (§§ 55-58). Par la suite, d’autres éléments ont été retenus par la Cour dans son appréciation du caractère proportionné de l’entrave au droit d’accès à la Cour de cassation, qu’il s’agisse du fait que les ordonnances de retrait du pourvoi et de refus de le réinscrire n’étaient pas suffisamment motivées et ne permettaient pas de s’assurer que le requérant avait bénéficié d’un examen effectif et concret de sa situation (voir Mortier c. France, no 42195/98, §§ 36-37, 31 juillet 2001), de l’âge particulièrement avancé du requérant (Carabasse c. France précité, § 59), ou de la carence de celui-ci à fournir au premier président les éléments lui permettant d’apprécier si le retrait du pourvoi était manifestement excessif et sans rapport de proportionnalité (voir Durreche c. France (déc.), no 59521/00, 7 septembre 2004).
41. En l’espèce, la Cour relève que la mesure de retrait du rôle a été prise aux motifs que la requérante ne justifiait « d’aucune diligence propre à faire conclure à sa volonté de déférer à la décision des juges du fond et n’invoquait aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d’exécution » (voir paragraphe 23 ci-dessus). Elle constate que les parties ne s’accordent pas sur les conclusions à tirer d’une telle motivation. Le Gouvernement, pour sa part, fait valoir que la requérante n’a pas fourni au premier président les éléments nécessaires pour apprécier la réalité de sa situation matérielle et les conséquences excessives que l’exécution de l’arrêt attaqué aurait entraîné. Il ajoute que, conformément à la lettre des articles 1009-1 et suivants du nouveau code de procédure civile, l’instance ayant abouti à l’ordonnance de retrait était l’unique moment où la requérante pouvait démontrer l’existence de telles conséquences en cas d’exécution, et en déduit qu’elle a manqué de diligence. La requérante, quant à elle, soutient, d’une part, qu’elle a démontré oralement la faiblesse de ses revenus lors du débat contradictoire qui eut lieu le 27 octobre 1999 et, d’autre part, qu’elle a par la suite renforcé son argumentation dans le cadre des deux requêtes en réinscription en produisant de nombreuses pièces.
42. La Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement (voir paragraphe 35 ci-dessus) selon lequel il était impossible pour la requérante, une fois l’ordonnance de retrait adopté, de démontrer au premier président de la Cour de cassation ou à son délégué la situation matérielle dans laquelle elle se trouvait et les conséquences excessives que l’exécution de l’arrêt querellé entraînait. Elle ne peut suivre en effet le Gouvernement lorsqu’il fait valoir que le premier président de la Cour de cassation, une fois l’ordonnance entreprise, écarte de son analyse toute considération relatives aux conséquences manifestement excessives que l’exécution pourrait avoir pour le demandeur au pourvoi, pour se limiter uniquement à l’appréciation de la volonté du demandeur de déférer à l’exécution. Elle relève à cet égard que le Gouvernement, qui se borne à renvoyer au texte des articles 1009-1 du code précité, ne produit aucune décision interne allant dans le sens de ses prétentions, contrairement à la requérante (voir paragraphe 36 ci-dessus). Certes, il est vrai que le dossier ne contient pas de mémoire en défense au retrait du pourvoi dans lequel la situation matérielle de la requérante serait clairement exposée. Cependant, la Cour note, d’une part, que celle-ci bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale devant la cour d’appel de Besançon et, d’autre part, que le montant de ses ressources – à hauteur de 541 EUR par mois – avait été reconnu insuffisant par le bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation dans sa décision du 10 décembre 1998, ce qui laisse à penser que la Cour de cassation avait déjà en sa possession, à cette époque, des éléments concrets et non controuvés pour apprécier la réalité de la situation matérielle de la requérante (voir sur ce point Annoni di Gussola et autres c. France précité, § 57). En tout état de cause, la Cour rappelle que dans ce type d’affaire, il lui appartient de rechercher si le plaignant se trouvait dans une situation telle qu’elle excluait l’exécution de la condamnation financière mise à sa charge, et souligne que cet examen ne se limite pas au moment de la demande de retrait du pourvoi mais s’étend également à toute l’instance lorsque, comme en l’espèce, des demandes en réinscription du pourvoi qui auraient pu aboutir à son rétablissement ont été formulées en cours d’instance (voir sur ce point Pages c. France, no 50343/99, § 31, 25 septembre 2003).
43. Or, en l’espèce, la Cour ne peut que constater, au vu des pièces fournies au premier président de la Cour de cassation dans le cadre des requêtes en réinscription (voir paragraphes 24 et 26 ci-dessus), que la requérante, qui avait à charge son époux et ne percevait en moyenne qu’un faible salaire mensuel, se trouvait tout au long de la procédure en cause dans l’impossibilité totale de payer l’intégralité du montant de la condamnation infligée. Elle relève en outre que le Gouvernement lui-même reconnaît la précarité de la situation financière et matérielle de la requérante eu égard aux pièces jointes dans son formulaire de requête, qui sont en fait les mêmes que celles mentionnées précédemment. En outre, bien que ladite condamnation, qui s’élevait à hauteur de 286 000 FRF (soit 43 598 EUR) hors intérêts de retard, ne soit pas substantielle, il y a lieu de relever la nette disproportion existante entre la situation matérielle de la requérante et la somme due au titre de la décision frappée de pourvoi.
44. S’agissant de la volonté de la requérante d’exécuter l’arrêt attaqué, la Cour estime, avec le Gouvernement, que le versement du solde du prix de vente de l’habitation personnelle du couple en avril 1991, et de la somme de 32 742 FRF, le 29 mars 1993, correspondant aux échéances impayées du prêt bancaire consenti, ne peuvent être considérés comme des actes d’exécution de l’arrêt de la cour d’appel du 27 mars 1998, pour la simple raison qu’ils ont été effectués antérieurement à cette date. Toutefois, ces actes ne sauraient être dénués de toute pertinence, dans la mesure où ils démontrent une réelle volonté de désintéresser la banque poursuivante. Pareillement, la saisie sur salaire opérée dès le mois de février 1998 ne résulte pas, certes, d’une décision spontanée de la requérante mais d’une décision de justice prise avant le prononcé de l’ordonnance de retrait du rôle. Cependant, il y a lieu de relever, vu la difficile situation financière de la requérante qui excluait l’exécution de la condamnation, que ses capacités de paiement ne lui permettaient pas d’effectuer des paiements supplémentaires en sus de ceux réalisés mensuellement en exécution de ladite saisie.
45. Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la Cour considère que la décision de radiation du pourvoi de la requérante du rôle de la Cour de cassation a constitué une mesure disproportionnée au regard des buts visés, et que l’accès effectif de l’intéressée à la haute juridiction s’en est trouvé entravé.
Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
47. La requérante estime qu’elle a été privée de la remise en cause « évidente » de l’arrêt de la cour d’appel de Besançon, et réclame une indemnité correspondant à l’ensemble des sommes qu’elle a été condamnée à verser, assorties des intérêts, soit 39 467,16 EUR au 1er janvier 2006. Elle estime également qu’elle a subi un important préjudice moral, sans toutefois le chiffrer.
48. Le Gouvernement considère que la requérante ne justifie pas du caractère certain du préjudice matériel pour perte de chance qu’elle allègue, et en déduit que sa demande est sans lien avec le grief soulevé.
49. La Cour rappelle que les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable sont destinées à réparer le seul préjudice subi en raison de la violation de la Convention. Comme elle l’a déjà affirmé, elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue des procès si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu (Annoni di Gussola et autres, précité, § 62). Elle relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que la requérante n’a pas pu jouir devant la Cour de cassation des garanties de l’article 6. Elle ne saurait certes spéculer sur l’hypothétique issue de la procédure dans le cas contraire, mais estime que la requérante a subi un tort moral certain du fait de l’absence d’accès à la haute juridiction. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue la somme de 10 000 EUR.
B. Frais et dépens
50. La requérante demande également un somme globale de 4 000 EUR au titre des frais et dépens encourus devant les juridictions internes et pour ceux encourus devant la Cour. Elle ne produit que deux notes d’honoraires, l’une datée du 22 janvier 1999 d’un montant de 10 854 FRF (soit 1 654,60 EUR) pour le dépôt du pourvoi et l’établissement du mémoire ampliatif, et l’autre datée du 18 juin 1999 d’un montant de 7 839 FRF (soit 1 195 EUR) pour la procédure de retrait du rôle.
51. Le Gouvernement propose d’allouer à la requérante une somme de 1 500 EUR pour les frais engagées devant la Cour. Il ne se prononce pas sur le reste.
52. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir notamment Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). En l’espèce, la violation retenue concernant le défaut d’accès à la Cour de cassation en raison du retrait du pourvoi du rôle, la Cour estime que la requérante est en droit de solliciter le remboursement des seuls frais relatifs à l’instance ayant abouti au retrait du rôle et au rejet des requêtes en réinscription. Elle constate toutefois que la requérante ne produit qu’une seule note d’honoraire pertinente, à savoir celle datée du 18 juin 1999. Cependant, elle prend acte de la proposition du Gouvernement et estime qu’il y a lieu d’allouer à la requérante la somme de 1 500 EUR, au titre des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour.
C. Intérêts moratoires
53. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka Greffière Président