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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
3.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE COURTY ET AUTRE c. FRANCE

(Requête no 15114/02)

ARRÊT

STRASBOURG

3 octobre 2006

DÉFINITIF

03/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Courty et autre c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15114/02) dirigée contre la République française et dont quatre ressortissants de cet Etat, dont M. Roland Courty (le premier requérant) ainsi que l’Association Liberté Information Santé (la deuxième requérante), ont saisi la Cour le 25 mars 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 25 août 2005, la deuxième section a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention des premier et deuxième requérants du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat ainsi que le grief de la seconde requérante tiré de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-prise en compte de la note en délibéré par le Conseil d’Etat. Elle a, à cette date, déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le premier requérant, M. Roland Courty, est un ressortissant français, né en 1950, résidant à Buros. La deuxième requérante, l’Association Liberté Information Santé, est une association dont le siège est situé à Riom et dont le premier requérant, qui la représente, est membre.

5. Une ordonnance no 2000-548 du président de la République du 15 juin 2000 modifia le code de la santé publique.

Roland Courty et l’Association Liberté Information Santé (ci-après dénommée la « seconde requérante »), contestèrent la légalité de l’ordonnance devant le Conseil d’Etat.

Une audience eut lieu le 29 octobre 2001.

6. A la fin de cette audience, le commissaire du gouvernement se retira avec les autres membres de la juridiction dans la salle du délibéré.

7. Le 30 octobre 2001, la seconde requérante adressa au greffe une note en délibéré exprimant son point de vue sur la teneur des conclusions du commissaire du gouvernement et insistant pour que la juridiction prenne en compte une analyse juridique réalisée par le directeur du département des codes Dalloz.

8. Le Conseil d’Etat rendit un arrêt le 26 novembre 2001, par lequel il annula en partie l’article L. 3116-1 du code de la santé publique et rejeta les recours pour le surplus. Conformément à la pratique, seule la « minute » de l’arrêt, version expurgée des visas, fut envoyée aux requérants.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. La seconde requérante se plaint de la non-prise en compte de la note en délibéré présentée par elle et parvenue au greffe le lendemain de l’audience. Elle fait valoir que celle-ci n’a pas été visée dans l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, contrairement à la pratique. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

10. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il explique que, conformément à la pratique, seule la minute fut envoyée à la seconde requérante et qu’elle pouvait, sur simple demande, obtenir une copie de la minute, que le Gouvernement produit. Il y est fait mention de la note en délibéré en question.

11. La seconde requérante fait valoir que les articles R. 751-1 à 751-12 du code de justice administrative qui traitent de la notification d’une décision n’autorisent nullement la notification partielle et qu’elle ne pouvait par conséquent pas se douter qu’elle avait reçu une copie incomplète de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat. Elle estime que la juridiction qui estime opportun d’expurger contra legem la note en délibéré des termes de la décision rendue démontre un désintérêt total pour ce type de notes.

12. La Cour relève que la minute, copie intégrale de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, vise la note en délibéré déposée par la seconde requérante ce qui atteste qu’elle a été prise en compte par cette juridiction. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13. Se prévalant toujours de l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat.

14. Le Gouvernement conteste cette thèse.

1. Sur la recevabilité

15. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

16. Le Gouvernement souligne que, dans l’arrêt Kress (Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 77 et suiv., CEDH 2001VI), la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 1 du fait de la « participation » du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement. Il soutient que cet arrêt ne met en cause que la présence active du commissaire du gouvernement, sa « présence passive » restant possible ; à cet égard, il souligne en particulier que le commissaire du gouvernement, qui est membre du Conseil d’Etat, n’a pas le rôle d’un « ministère public » mais celui d’un « jurisconsulte » qui exprime son opinion personnelle devant la formation de jugement avant le délibéré.

Le Gouvernement indique également qu’en exécution de l’arrêt Kress, le Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a pris, le 23 novembre 2001, une instruction aux termes de laquelle le commissaire du gouvernement peut assister au délibéré mais ne peut intervenir dans celui-ci en prenant la parole, la seconde de ces instructions le qualifiant ainsi de « témoin muet ».

17. Les requérants estiment quant à eux qu’il n’existe aucun motif justifiant de réformer la jurisprudence Kress.

18. La Cour rappelle que le grief tiré de la « participation » ou, indifféremment, de la « présence » du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat a déjà été examiné par elle dans l’arrêt Kress (précité, §§ 77 et suiv.), ainsi que dans l’arrêt Martinie (Martinie c. France [GC], no 58675/00, §§ 53-55) à l’occasion duquel elle a précisé ce qui suit (§§ 53-54) :

« (...) La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif (point 2) de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la « participation » du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme (paragraphes 80 et 87), tantôt de celui de « présence » (titre 4 et paragraphes 82, 84 et 85), ou encore des termes « assistance » ou « assiste » ou « assister au délibéré » (paragraphes 77, 79, 81, 85 et 86). La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive ». Les paragraphes 84 et 85 par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du Gouvernement selon lequel la « présence » du commissaire du gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette « assistance » purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du gouvernement ne puisse pas, par sa « présence », exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français.

Tel est au demeurant le sens que l’on doit donner à cet arrêt au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci ayant condamné non seulement la participation, avec voix consultative, de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation belge (arrêts Borgers et Vermeulen précités) mais aussi la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour suprême portugaise, quand bien même il n’y disposait d’aucune voix consultative ou autre (arrêt Lobo Machado précité) et la seule présence de l’avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation française (arrêt Slimane-Kaïd (no 2) précité) ; cette jurisprudence se fonde pour beaucoup sur la théorie des apparences et sur le fait que, comme le commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives françaises, les avocats généraux et procureur général en question expriment publiquement leur point de vue sur l’affaire avant le délibéré.

(...) En l’espèce, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence Kress. (...) »

19. La Cour considère que la présente affaire ne présente pas d’éléments susceptibles de la distinguer des espèces Kress et Martinie.

20. Partant, elle ne voit aucune raison de s’écarter de la jurisprudence précitée et conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Les requérants réclament 13 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi (3 000 EUR pour le premier requérant et 10 000 EUR pour la seconde requérante).

23. Le Gouvernement estime que ces sommes sont manifestement excessives et qu’un constat de violation vaudrait réparation du préjudice moral subi.

24. La Cour estime que le dommage matériel et moral du requérant lié au grief tiré de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat se trouve suffisamment réparé par le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention auquel elle parvient (voir, par exemple, Martinie, précité, § 59).

B. Frais et dépens

25. Les requérants, qui produisent des factures, demandent également 1 589,34 EUR pour les frais et dépens encourus se décomposant en, s’agissant du premier requérant, 500 EUR pour le transport et l’hébergement de Pau à Strasbourg et, s’agissant de la seconde requérante, 750 EUR de consultation juridique en vue du recours devant la Cour et 339,94 EUR pour le transport et l’hébergement du premier requérant de Pau à Paris pour l’audience du 29 octobre 2001 devant le Conseil d’Etat.

26. Le Gouvernement estime que la somme de 500 EUR est raisonnable en ce qui concerne le premier requérant. Il estime en revanche que les requérants n’établissent pas la réalité des frais exposés pour la consultation juridique, la qualité de professionnel du droit de la personne consultée n’étant pas établie. En conséquence, il propose donc le versement de 339,94 EUR à la seconde requérante.

27. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour le premier requérant et la somme de 339,94 EUR pour la seconde requérante et accorde ces sommes respectivement aux requérants.

C. Intérêts moratoires

28. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 (présence du commissaire du gouvernement au délibéré) et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à ce titre ;

3. Dit que le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage subi par les requérants ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, au premier requérant la somme de 500 EUR (cinq cents euros) et à la seconde requérante la somme de 339,94 EUR (trois cent trente-neuf euros et quatre-vingt-quatorze centimes) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé I. Cabral Barreto
Greffière Président