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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 2725/04
présentée par Hans Eberhard BARS
contre l’Allemagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 16 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. P. Lorenzen, président,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. J. Borrego Borrego,
M. Villiger, juges,
A. Zimmermann, juge ad hoc,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 janvier 2004,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Hans Eberhard Bars, est un ressortissant allemand, né en 1935 et résidant à Garlitz. Il est représenté devant la Cour par Me Stefan von Raumer, avocat à Berlin. Le gouvernement défendeur était représenté par M. Klaus Stoltenberg, Ministerialdirigent, puis par Mme Almut Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin au ministère fédéral de la Justice.

A. Les circonstances de l’espèce

1. Genèse de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Les parents du requérant étaient propriétaires d’un bien sis à Garlitz.

Le 18 juin 1945, le père du requérant fut arrêté par la police militaire de la force d’occupation soviétique, puis transféré au camp de détenus de Mühlberg où il décéda le 26 janvier 1947.

Le 25 octobre 1946, contre l’avis de la commission du district (Kreiskommission) et du comité local antifasciste (antifaschistischer Ortsausschuss) qui avaient tous les deux souligné l’intégrité du père du requérant malgré sa fonction de chef local (Ortsgruppenleiter) dans le parti national-socialiste, la commission provinciale aux affaires de séquestration et de saisie (Provinzkommission für Angelegenheiten der Sequestrierung und Beschlagnahme) de l’administration provinciale de Mark Brandenbourg expropria le père du requérant.

Le 19 septembre 1947, la mère du requérant s’opposa à l’expropriation en précisant qu’elle était propriétaire de la moitié du bien confisqué. Le conseil municipal de Garlitz appuya cette demande. Le conseil de district (Kreisrat) de Westhavelland transmit l’opposition de la mère au gouvernement du Land pour un examen complémentaire.

Le 24 octobre 1947, le gouvernement du Land informa le conseil de district que le bien en question avait déjà été exproprié lors de la réunion de la commission provinciale du 25 octobre 1946 en application de la directive (Befehl) de l’Administration militaire soviétique en Allemagne / AMSA (Sowjetische Militäradminstration Deutschland / SMAD) no 124. Il demanda à la commission du district de présenter un inventaire du bien et de détailler davantage les motifs de l’expropriation.

Le 1er décembre 1947, le conseil de district de Westhavelland demanda au gouvernement du Land de procéder à la répartition définitive du bien Bars au motif que le père du requérant avait été chef local du parti national-socialiste et membre de la SS.

Le 17 février 1948, en dépit des démarches de la mère du requérant qui était appuyées par le conseil municipal de Garnitz, l’autorité administrative du district (Landrat) ordonna à la mère du requérant de quitter les lieux avec ses enfants et de s’établir dans la commune de Wassersuppe. Elle réitéra son ordonnance le 11 mai 1948 en référence à l’expropriation de 1946 et leur impartit un délai d’une semaine.

La mère du requérant donna suite à cet ordre.

2. Procédure tendant à la réhabilitation du père du requérant

Le 11 août 1995, le procureur général de la Fédération de Russie à Moscou réhabilita le père du requérant. L’attestation est ainsi libellée :

« (...) Propriétaire d’un bien privé, l’intéressé a été arrêté, le 18 juin 1945, en tant que membre du parti nazi, par un groupe opérationnel de la police politique soviétique. Il décéda le 26 janvier 1947 dans le camp. Aucune procédure pénale ne fut ouverte à son encontre ; il n’a été accusé d’aucun délit pénal. En vertu des articles 3 et 5 de la loi russe du 18 octobre 1991 sur la réhabilitation des victimes de répression politique, M. Bars a été réhabilité (...) »

Le 11 août 1995, le requérant introduisit une demande tendant à la réhabilitation administrative de sa mère. Le 18 octobre 1996, le ministère de l’Intérieur du Land de Brandebourg attesta que le requérant avait introduit cette demande et qu’elle n’était pas manifestement mal fondée. Le 27 août 1997, il la rejeta au motif qu’il n’était pas compétent pour examiner son bien-fondé. Il appartenait aux autorités administratives pour la réglementation des questions patrimoniales non résolues (Ämter für die Regelung offener Vermögensfragen) d’en connaître. Le ministère précisa que l’attestation qu’il avait émise ne s’était basée que sur un examen sommaire et n’était pas de nature à anticiper les conclusions dans sa décision finale.

Le 26 mai 1999, le requérant fit une demande tendant à la réhabilitation administrative cette fois-ci de son père que le ministère rejeta le 7 juillet 1999 aux mêmes motifs que la demande précédente.

Le 19 septembre 1997 et le 5 août 1999 respectivement, le requérant saisit le tribunal administratif de Potsdam qui, par deux jugements du 17 mai 2000, rejeta les recours du requérant contre les deux décisions entreprises.

Il estima notamment que la loi sur la réhabilitation administrative (Verwaltungsrechtliches Rehabilitierungsgesetz – voir droit et pratique internes pertinents ci-dessous) n’était pas applicable car il s’agissait d’une expropriation effectuée en vertu des pouvoirs des autorités d’occupation (Enteignung auf besatzungshoheitlicher Grundlage), c’est-à-dire d’une mesure qui, d’après la jurisprudence de la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht), ne trouvait pas son origine dans une décision de la force d’occupation, comme c’était le cas pour une expropriation effectuée en vertu des lois d’occupation (Enteignung auf besatzungsrechtlicher Grundlage), mais qui émanait d’un souhait ou qui correspondait à la volonté générale ou explicite de celle-ci. En effet, l’article 1 § 1, deuxième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative excluait toute réhabilitation dès lors que la mesure litigieuse tombait dans le champ d’application de la loi sur le patrimoine. L’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative, lui, prévoyait expressément que cette clause d’exclusion s’appliquait aussi aux situations réglées par l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine (Vermögensgesetz - voir droit et pratique internes pertinents ci-dessous). Le tribunal administratif considéra en outre que les conditions pour une réhabilitation selon la loi sur la réhabilitation administrative n’étaient pas réunies. En effet, cette loi ne trouvait à s’appliquer que si la mesure s’analysait en une ingérence propre (eigenständig) et particulièrement contraire à l’Etat de droit (grob rechtsstaatswidrig) dans la sphère personnelle de la victime. Il fallait que la mesure ne visât pas en soi l’expropriation, mais qu’elle eût pour but la persécution politique de l’intéressé. Or en l’espèce le but principal de la mesure litigieuse visait le bien des parents du requérant.

Le tribunal administratif n’admit pas les pourvois en cassation (Revision). Le requérant contesta cette décision et demanda l’admission du pourvoi en cassation.

Le 30 mars 2001, la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) accueillit la demande du requérant et admit les pourvois en cassation contre les jugements du tribunal administratif. Elle considéra que les affaires revêtaient une importance fondamentale (grundsätzliche Bedeutung) et pouvaient contribuer à éclairer si et, le cas échéant, dans quelles conditions les victimes de mesures prises en application de la directive AMSA no 124 pouvaient prétendre à une réhabilitation aux termes de la loi sur la réhabilitation administrative, étant donné que les autorités russes avaient constaté au préalable que le père du requérant avait été poursuivi à tort comme un nazi militant ou comme un criminel de guerre.

Par deux arrêts du 21 février 2002, la Cour administrative fédérale rejeta les pourvois du requérant.

Dans ses motifs, elle rappela que, d’après l’article 1 § 1, deuxième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative (Verwaltungsrechtliches Rehabilitierungsgesetz), cette loi ne s’appliquait pas à des mesures tombant dans le champ d’application de la loi sur le patrimoine (Vermögensgesetz). La demande de réhabilitation du requérant qui visait l’annulation d’une mesure d’expropriation n’était pas pour autant régie automatiquement par cette dernière loi du seul fait qu’elle concernait une expropriation d’un bien. La cour fédérale rappela sa jurisprudence selon laquelle l’applicabilité de l’une ou l’autre loi dépendait de l’intention de la mesure litigieuse ayant entraîné la perte du bien. Une demande en vertu de la loi sur le patrimoine ne pouvait aboutir que s’il s’était agi d’une mesure ayant visé expressément la confiscation du bien sollicité. En revanche, les mesures d’injustice que visait la loi sur la réhabilitation administrative et qui pouvaient également avoir entraîné la perte d’un bien, avaient d’autres objectifs et étaient marquées par une atteinte à la sphère personnelle de la victime particulièrement grave et illégale. En l’occurrence, il s’agissait bien d’une telle mesure d’injustice. La demande du requérant portait sur la décision de la commission provinciale de la Mark Brandebourg du 25 octobre 1946, prise en vertu de la directive AMSA no 124 qui ordonnait la confiscation des biens des chefs d’administration, des cadres et des partisans influents du parti national-socialiste. Le père du requérant faisait partie de ces personnes en raison de sa fonction de chef local du parti national-socialiste. L’expropriation s’analysait donc en une sanction pour une attitude politique et n’avait pas pour premier but d’enrichir le patrimoine du Trésor public. La loi sur la réhabilitation administrative trouvait donc à s’appliquer en l’espèce.

La Cour administrative fédérale considéra par la suite que l’article 1 § 1, troisième phrase, de cette loi empêchait néanmoins d’accueillir la demande du requérant. Ses considérations se lisent ainsi :

« 2. Par le renvoi à l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine, l’applicabilité de la loi sur la réhabilitation administrative est exclue dès lors qu’il s’agit d’expropriations opérées en vertu des lois d’occupation ou des pouvoirs des autorités d’occupation (lettre a). Cela concerne aussi les mesures d’expropriation que vise l’article 1 § 1, première phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative. L’article 1 § 1, troisième phrase, de cette loi ne se limite pas à rappeler que les cas de figure énoncés à l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine font aussi partie des mesures au sens de l’article 1 § 1, deuxième phrase, qui, elles, ne tombent pas dans le champ d’application de la loi sur la réhabilitation administrative. Un tel renvoi n’était pas nécessaire. Cet article précise plutôt que les expropriations effectuées en vertu des lois d’occupation ou des pouvoirs des autorités d’occupation, à l’exception des cas mentionnées
ci-dessous (sous 2.2), ne peuvent en aucun cas être annulées ; à cet égard, peu importe par laquelle des deux lois elles seraient régies si la clause n’existait pas (...).

2.1. Cette interprétation se trouve confirmée par les travaux préparatoires de la loi sur la réhabilitation administrative. Ainsi, à propos de l’article 1 § 1, troisième phrase, le gouvernement a exposé ceci :

‘[Par cette disposition] deux groupes d’expropriation sont exclues du champ d’application de la loi sur le patrimoine et de la loi sur la réhabilitation administrative : les expropriations sans indemnisation dans l’industrie au bénéfice des Länder de la zone d’occupation soviétique et celles opérées dans le cadre de la soi-disant réforme agraire démocratique. Ce choix était dû à l’attitude décisive de l’Union soviétique d’après laquelle les expropriations survenues sous son occupation ne relevaient pas, au regard du droit international public, de l’appréciation des deux Etats allemands et ne devaient pas être touchées (unangetastet). Cela devait être respecté aussi dans le cadre de la loi sur la réhabilitation administrative.’

La loi part donc de l’idée que les deux types d’expropriation doivent être considérés comme une persécution injuste et doivent dès lors être susceptibles d’une réhabilitation aux termes de la nouvelle loi si la clause d’exclusion n’était pas insérée. Le législateur s’est décidé à accorder une compensation pour toute atteinte illégale à la propriété sous l’occupation selon la loi sur les compensations, et ce indépendamment du caractère persécuteur des mesures en question. Au vu de ces considérations, aucune conclusion différente ne peut être tirée en l’espèce.

2.2 Le requérant ne peut pas se prévaloir de l’article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine auquel renvoient l’article 1 § 8 lettre a de cette loi combiné avec l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative. Certes, cette clause permet aussi la restitution des biens qui ont été confisqués en vertu des lois d’occupation ou des autres pouvoirs des autorités d’occupation, mais elle exige que la décision d’expropriation ait été annulée en vertu d’autres dispositions. Or une autre disposition ne peut pas être trouvée dans la loi sur la réhabilitation administrative, précisément en raison de la clause d’exclusion. Si en l’espèce l’annulation [de la mesure d’expropriation] n’est pas possible, le renvoi par l’article 1 § 1, troisième phrase, ne peut se référer qu’à la clause d’exclusion illimitée, c’est-à-dire à l’article 1 § 8 lettre a, première phrase, de la loi sur le patrimoine. Dès lors, la réhabilitation en vertu de la loi sur la réhabilitation administrative des types d’expropriation comme en l’espèce est expressément exclue aux termes des dispositions de cette loi. Il s’ensuit que le requérant ne peut demander l’annulation de la décision d’expropriation du bien de son père. »

2.3 L’attestation de réhabilitation du 11 août 1995 du procureur général de la Fédération de Russie ne peut rien changer à ce constat. L’article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine concerne, en principe, aussi des attestations de réhabilitation russes, mais seulement celles qui annulent le fondement juridique des expropriations ordonnées par la force d’occupation russe elle-même. L’attestation présentée par le requérant ne répond pas à ces critères.

2.3.1 Cela résulte de l’absence de connexité entre la réhabilitation qui n’a trait qu’à l’arrestation, à l’internement et à la mort du père du requérant et la décision d’expropriation litigieuse. Celle-ci n’a été ni ordonnée par une autorité soviétique ni s’analyse comme la conséquence automatique de mesures de persécution soviétiques antérieures. Comme déjà exposé ci-dessus, la directive AMSA no 124 prévoit cette sanction pour l’occupation de certaines fonctions au sein du parti national-socialiste. L’expropriation aurait dès lors pu ou dû avoir lieu même si le père du requérant n’avait pas dû subir le sort de son internement. Aucun pont ne mène du constat de l’attestation de réhabilitation russe, à savoir que l’intéressé n’été accusé d’aucun délit pénal et n’a été l’objet d’aucune procédure pénale, à la décision d’expropriation de la commission provinciale du 25 octobre 1946.

2.3.2 La chambre ne s’estime pas en droit de considérer que de telles attestations sont de nature à enlever a posteriori la contribution soviétique à l’injustice, ce qui aurait pour conséquence que les expropriations ne s’analyseraient qu’en une mesure juridique purement allemande, ouvrirant ainsi la voie à une réhabilitation en vertu de la loi sur la réhabilitation administrative. La 7ème chambre de la Cour administrative fédérale, dans son arrêt du 25 février 1999, n’a en effet pas exclu d’emblée une telle approche, mais s’est demandée si ce n’était pas au législateur de régler cette question d’une manière explicite. La présente chambre à laquelle sont attribuées les affaires concernant la réhabilitation administrative, répond à cette question par l’affirmative.

L’interprétation restrictive téléologique (teleologische Reduktion) de la clause d’exclusion de l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative qu’a évoquée la 7ème chambre dépasserait les limites de l’interprétation prétorienne. La clause d’exclusion ne trouve pas son origine uniquement dans la condition posée par l’Union soviétique [pendant les négociations sur la réunification allemande] de ne pas mettre en question les mesures d’expropriations survenues entre 1945 et 1949. Elle est aussi la conséquence des revendications du gouvernement de la RDA de garder le statu quo à ce propos. Si la RDA a en même temps insisté pour que les personnes victimes de persécution politique soient réhabilitées et bénéficient d’une indemnisation, il ne fait toutefois aucun doute qu’elle voulait en exclure, pour les raisons indiquées ci-dessus, les personnes concernées par les expropriations de grande envergure telles la réforme agraire et industrielle y compris celles exécutées en application de la directive AMSA no142. Si le côté russe a pris ses distances par rapport à l’injustice causée par cette directive [en réhabilitant les personnes victimes], cela ne peut dès lors influer que partiellement sur le but que vise l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative. Cela rend impossible une interprétation restrictive téléologique et il incombe au législateur de modifier la loi actuelle. »

Le 4 juillet 2003, la deuxième chambre (Kammer) de la première section (Senat) de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), composée de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel du requérant. Dans sa décision comportant neuf pages elle considéra qu’il ne revêtait pas d’importance constitutionnelle fondamentale car elle avait déjà connu des questions soulevées.

Elle releva d’emblée que le requérant n’avait pas suffisamment tenu compte de ce que, d’après sa jurisprudence, la Loi fondamentale (Grundgesetz) ne conférait pas de droit à l’indemnisation des pertes patrimoniales imputables à une puissance étatique étrangère et de ce que le refus des autorités allemandes de réhabiliter une personne concernée par une mesures d’expropriation ne constituait pas un jugement de dépréciation (Unwerturteil) portant atteinte à la dignité humaine. Cette partie du recours constitutionnel était dès lors irrecevable pour défaut de motivation.

Elle nota ensuite que l’interprétation que la Cour administrative fédérale avait donnée à la clause d’exclusion consacrée par l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative, après avoir examiné son libellé et son objectif, n’était pas entaché d’arbitraire. L’intention principale du législateur, en insérant cette phrase dans l’article 1 § 1, avait été d’éviter que l’exclusion du droit à restitution prévue à l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine pouvait être contournée en passant par la loi sur la réhabilitation administrative.

La Cour constitutionnelle fédérale examina dans un deuxième temps le prétendu traitement discriminatoire que le requérant avait allégué. Sur ce point, elle compara la situation du requérant avec celle de deux autres groupes de personnes comparables : il y avait, d’une part, les héritiers de personnes qui avaient été condamnées pénalement par un tribunal militaire soviétique à des peines d’emprisonnement et dont la propriété avait été confisquée par la même occasion sous forme d’une peine accessoire (Nebenstrafe). Les héritiers de ces personnes pouvaient demander la restitution de leurs biens dans la mesure où elles présentaient une attestation de réhabilitation délivrée par les autorités russes et où la réhabilitation portait aussi sur la confiscation du bien en question. Le requérant, en revanche, ne bénéficiait pas d’un tel droit car la réhabilitation ne concernait que l’arrestation et l’internement de son père et non l’expropriation du bien de celui-ci arrêtée en application de la directive AMSA no 124. Il y avait, d’autre part, les héritiers des personnes qui avaient été condamnées en raison de leur engagement nazi par des tribunaux allemands conformément à la directive AMSA no 201 du 16 août 1947 et dont les biens avaient été confisqués par la même occasion. Ces personnes pouvaient prétendre à une réhabilitation en vertu de la loi sur la réhabilitation pénale (Strafrechtliches Rehabilitierungsgesetz) et demander la restitution des biens en question si la réhabilitation portait aussi là-dessus. Or le requérant ne pouvait se prévaloir d’une telle réhabilitation car le bien de son père avait été confisqué sans qu’il y eût une condamnation pénale ; sa réhabilitation administrative se heurtait à la clause d’exclusion de l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative.

La Cour constitutionnelle fédérale estima que le traitement différent appliqué au requérant était justifié parce qu’il existait des raisons objectives à cet égard. Ainsi, le traitement différent par rapport aux héritiers des personnes du premier groupe mentionné se justifiait par la position que l’Union soviétique avait adoptée lors des négociations sur la réunification allemande à propos des expropriations opérées dans la zone d’occupation soviétique. Il fallait en outre avoir égard à la position de la RDA à ce sujet. La position soviétique était marquée par deux conditions : premièrement, l’Allemagne réunifiée devait reconnaître la légalité, la validité et la légitimité des mesures d’expropriations entre 1945 et 1949 et, deuxièmement, ces mesures n’étaient susceptibles d’aucune révision. Cela devait empêcher les autorités allemandes de qualifier a posteriori ces expropriations d’injustes. Le point de vue du législateur et des juridictions allemandes, à savoir que la réhabilitation formelle des personnes concernées par les autorités allemandes ayant pour conséquence la restitution des biens, pouvait être considérée comme une réprobation de ces actes dès lors que ni les autorités soviétiques ni celles de la Fédération de Russie n’avaient procédé à une réhabilitation à cet égard, n’était pas critiquable au regard du droit constitutionnel. En l’espèce, la réhabilitation russe du père du requérant n’incluait pas la confiscation de son bien. Comme l’avait constaté la Cour administrative fédérale, il n’y avait pas de lien de causalité entre l’arrestation et l’expropriation. Cette dernière était due à la fonction que le père du requérant avait occupée au sein du parti nazi et aurait pu intervenir sans l’arrestation et l’internement de celui-ci. La contribution de l’Union soviétique à l’expropriation était donc qu’elle tolérait l’application par les autorités allemandes de la directive AMSA no 124. L’annulation de cette contribution par voie de réhabilitation administrative pouvait être perçue comme l’expression d’une réprobation que l’article 1 § 1, troisième phrase, voulait exclure en raison de la position de l’Union soviétique lors des négociations sur la réunification allemande.

Le traitement par rapport aux héritiers des personnes du deuxième groupe était également justifié. Les tribunaux allemands instaurés en vertu de la directive AMSA no 201 appliquaient certes le droit de la force d’occupation soviétique et agissaient sous le contrôle de celle-ci. En cela, la situation de ces héritiers était comparable à celle du requérant. Cependant, une condamnation pénale portait atteint d’une manière beaucoup plus intense et plus grave à la sphère de liberté d’une personne qu’une mesure sous forme d’une décision administrative. En témoignait entre autres la variété de sanctions possibles dont disposaient les juridictions pénales allant des peines d’emprisonnement et d’autres interventions dans la liberté de la victime jusqu’à la peine capitale y compris des peines patrimoniales (Vermögensstrafen). En règle générale, une personne qui avait subi une sanction pénale nécessitait davantage une réhabilitation que celle n’ayant subi qu’une expropriation qui visait en premier lieu son patrimoine. Ne prêtait dès lors pas à la critique au regard du droit constitutionnel le fait que les autorités allemandes avaient considéré que la condamnation pénale d’une personne constituait une ingérence si grave, à la différence des expropriations administratives par les autorités allemandes, qu’elle justifiait la restitution des biens confisqués à l’occasion dans le cadre d’une procédure de réhabilitation.

La Cour constitutionnelle fédérale estima enfin que l’interprétation de l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative et son application au cas d’espèce ne se heurtait pas aux principes de l’Etat de droit et de l’Etat social (Rechts- und Sozialstaatsprinzip), prévus à l’article 20 §§ 1 et 3 de la Loi fondamentale. Sur ce point, elle rappela que les héritiers des victimes d’expropriations opérées en vertu des lois d’occupation ou des pouvoirs des autorités d’occupation n’étaient pas déchus de tout droit à une compensation pour l’injustice subie mais qu’ils bénéficiaient d’une indemnisation conformément à la loi sur les compensations étatiques pour les expropriations effectuées / loi sur les compensations (Gesetz über staatliche Ausgleichsleistungen für Enteignungen auf besatzungsrechtlicher oder besatzungshoheitlicher Grundlage) dont elle avait constaté la conformité à la Loi fondamentale dans son arrêt du 22 novembre 2000.

3. Procédure tendant à la restitution

Le 20 janvier 1998, l’Office pour la réglementation des questions patrimoniales non résolues rejeta la demande du requérant, introduite le 15 septembre 1990, tendant à la restitution du bien en question. Il s’agissait en l’espèce d’une mesure prise en vertu des pouvoirs des autorités d’occupation. La réhabilitation du procureur général de Moscou ne pouvait être considérée comme annulant une décision administrative contraire à l’État de droit (rechtsstaatswidrig) aux termes de l’article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine. Sur ce point, l’Office releva que d’après l’attestation présentée, aucune procédure pénale n’avait été déclenchée à l’égard du père et aucune infraction pénale ne lui avait été reprochée. Par conséquent, l’administration interpréta la demande comme visant à obtenir une indemnisation en vertu de la loi sur les compensations.

Le requérant saisit le tribunal administratif d’un recours contre la décision, qu’il retira ultérieurement parce que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour administrative fédérale, il n’avait que peu de chances d’aboutir.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents sont reproduits dans la décision Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, CEDH 2005V, §§ 38-60).

GRIEFS

1. Le requérant se plaint du refus des autorités allemandes de réhabiliter ses parents en vertu de la loi sur la réhabilitation administrative malgré la persécution dont ceux-ci ont été victimes, et, en conséquence, de lui restituer le bien de ses parents. Il dénonce en particulier l’interprétation erronée que la Cour administrative fédérale a donnée à l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi sur la réhabilitation administrative ayant pour conséquence l’exclusion de tout droit du requérant à restitution, alors qu’elle a reconnu que le père du requérant avait été persécuté en raison de ses idées politiques. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1.

2. Le requérant se plaint aussi de la conclusion de la Cour constitutionnelle fédérale, à savoir que le requérant ne pouvait prétendre à une réhabilitation car l’injustice dont surtout son père avait été victime n’était pas comparable à celle des personnes qui avaient été l’objet de poursuites pénales, ce qui ouvrait la voie à la réhabilitation pénale et, en principe, à la restitution du bien confisqué. Il considère cette approche arbitraire et artificielle car l’expropriation de ses parents s’inscrivait dans le cadre d’une persécution pour les idées politiques de son père même en l’absence d’une procédure pénale. Il rappelle que son représentant a déjà présenté en partie ces arguments dans les affaires von Maltzan et autres précitées. La manière dont la Grande Chambre, dans les paragraphes 97 et 98 de la décision, a interprété la décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juillet 2003 prêterait à critique. Celle-ci n’avait pas opposé les actes de persécution politique rendus sous forme d’une décision pénale aux actes de persécution politique ordonnés sous forme d’une décision administrative. Tout au contraire, elle aurait distingué les actes de persécution politique pénaux particulièrement contraires à l’état de droit qui portaient atteinte de manière grave à la sphère de liberté de la personne concernée, des actes d’expropriation administratifs qui n’avaient pas porté atteinte aux droits de la personne. Le critère décisif devrait être l’intensité de l’ingérence dans les droits de la personne et non la forme sous laquelle celle-ci a été ordonnée. Le requérant demande à la Cour de revenir sur sa position à ce propos. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 de la Convention.


3. Le requérant allègue aussi qu’il n’a pas eu à sa disposition un recours efficace pour dénoncer les violations de la Convention. A la suite de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale il ne peut prétendre qu’à une indemnisation largement inférieure à la valeur réelle des biens dont son père avait été illégalement exproprié, et ce dans un délai pouvant aller jusqu’à vingt ans. Le requérant soutient en outre que la procédure devant les juridictions allemandes n’a pas été équitable. Au bout de plusieurs années de procédure, il a été débouté de ses demandes et n’a reçu que des décisions judiciaires contradictoires. Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

EN DROIT

1. Le requérant soutient que le refus des autorités allemandes de prononcer la réhabilitation administrative de ses parents et de restituer par la suite le bien de ceux-ci constitue une ingérence dans son droit au respect de la propriété. Il invoque l’article 1er du Protocole no 1 ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours interne dans la mesure où la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré le recours constitutionnel du requérant partiellement irrecevable pour défaut de motivation suffisante. En ce qui concerne le bien-fondé des griefs soulevés, le Gouvernement rejette les arguments du requérant et renvoie pour l’essentiel à ses observations faites devant la Grande Chambre dans les affaires von Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, § 74, CEDH 2005V). En particulier, la loi sur la réhabilitation administrative ne s’applique pas aux expropriations effectuées entre 1945 et 1949 même si – vu d’aujourd’hui – celles-ci s’analysent en une persécution politique. La décision de principe du législateur allemand de ne pas mettre en question les mesures d’expropriation soviétiques ne devait pas être contournée par le biais de la loi sur la réhabilitation administrative. La réhabilitation du père du requérant par les autorités russes ne concerne que l’arrestation et la détention de celui-ci et ne s’étend pas à l’expropriation du bien des parents du requérant.

Le requérant ne s’est pas prononcé au sujet de l’exception préliminaire du Gouvernement. Quant au bien-fondé des griefs, il concède qu’au vu de la jurisprudence de la Cour fédérale administrative, un droit à la restitution du bien de ses parents ne peut être fondé sur la loi sur la réhabilitation administrative. Il soutient cependant, comme son représentant devant la Cour l’a déjà fait dans les affaires von Maltzan et autres au nom de trois des 71 requérants, qu’il disposait d’une espérance légitime d’obtenir la réhabilitation de son père assortie d’une restitution du bien avant que celle-ci n’ait été anéantie par l’adoption de la loi sur la réhabilitation administrative. Cette espérance était fondée notamment sur la jurisprudence de la Cour fédérale de justice et les principes de compensation énoncés dans le Traité sur l’unification allemande (dont notamment les articles 17 et 19) combiné avec l’article 3 de la Loi fondamentale et revêtait un caractère exigible (einklagbar) dans la mesure où elle pouvait être invoquée devant la Cour constitutionnelle fédérale dans le cadre d’un recours constitutionnel dirigé contre l’inaction du législateur. Le requérant précise à ce propos que le législateur aurait dû prévoir une nouvelle loi de réhabilitation après que les tribunaux allemands eurent constaté que la loi sur la réhabilitation administrative ne permettait pas la restitution des biens dans des cas comme celui du requérant.

La Cour relève qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la question de savoir si le requérant a suffisamment exposé ses doléances devant la Cour constitutionnelle fédérale car la requête doit de toute façon être rejetée pour les raisons suivantes.

La Cour rappelle les principes qu’elle a établis dans sa jurisprudence relativement à l’article 1 du Protocole no 1 et qu’elle a énoncés dans l’affaire Kopecký c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004IX) :

a) La privation d’un droit de propriété ou d’un autre droit réel constitue en principe un acte instantané et ne crée pas une situation continue de « privation d’un droit » (Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, avec les références qui s’y trouvent citées).

b) L’article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens (Van der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, p. 23, § 48, et Slivenko et autres c. Lettonie (déc.), no 48321/99, 23 janvier 2002, § 121, CEDH 2002-II).

c) Un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens existants » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété. Par contre, l’espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et il en va de même d’une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la condition (voir Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne précité, §§ 82 et 83, CEDH 2001-VIII, et Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII).

d) L’article 1 du Protocole no 1 ne peut être interprété comme faisant peser sur les États contractants une obligation générale de restituer les biens leur ayant été transférés avant qu’ils ne ratifient la Convention. De même, l’article 1 du Protocole no 1 n’impose aux États contractants aucune restriction à leur liberté de déterminer le champ d’application des législations qu’ils peuvent adopter en matière de restitution de biens et de choisir les conditions auxquelles ils acceptent de restituer des droits de propriété aux personnes dépossédées (voir Jantner c. Slovaquie, no 39050/97, § 34, 4 mars 2003).

En particulier, les États contractants disposent d’une ample latitude relativement à l’opportunité d’exclure certaines catégories d’anciens propriétaires de pareil droit à restitution. Là où des catégories de propriétaires sont ainsi exclues, une demande de restitution émanant d’une personne relevant de l’une de ces catégories est inapte à fournir la base d’une « espérance légitime » appelant la protection de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, Gratzinger et Gratzingerova, précité, §§ 70-74).

En revanche, lorsqu’un État contractant, après avoir ratifié la Convention, y compris le Protocole no 1, adopte une législation prévoyant la restitution totale ou partielle de biens confisqués en vertu d’un régime antérieur, pareille législation peut être considérée comme engendrant un nouveau droit de propriété protégé par l’article 1 du Protocole no 1 dans le chef des personnes satisfaisant aux conditions de restitution. Le même principe peut s’appliquer à l’égard des dispositifs de restitution ou d’indemnisation établis en vertu d’une législation adoptée avant la ratification de la Convention si pareille législation demeure en vigueur après la ratification du Protocole no 1 (voir Broniowski c. Pologne [GC], 31443/96, § 125, CEDH 2004-V).

Dans sa décision von Maltzan et autres précitée, la Grande Chambre s’est penchée sur la question de savoir si les héritiers des personnes dont les biens avaient été expropriés par la force d’occupation soviétique pouvaient prétendre à un droit de restitution de ces biens. Ce faisant, elle s’est aussi prononcée sur la question de savoir si trois des 71 requérants pouvaient se prévaloir d’un droit à la restitution en vertu des lois que le législateur allemand avait adoptées en matière de réhabilitation, à savoir la loi relative à la réhabilitation pénale du 29 octobre 1992 et la loi relative à la réhabilitation administrative du 23 juin 1994. Ses conclusions à ce propos se lisent ainsi :

« 96. Les requérants considèrent que ces expropriations étaient en réalité des actes de persécution politique à caractère pénal, et qu’ils disposaient de droits à une réhabilitation pénale assortie de la restitution de leurs biens en vertu du point 9 de la Déclaration commune combiné avec l’article 17 du Traité d’unification (paragraphes 38-39 ci-dessus). Ils affirment surtout que, d’après l’article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine (paragraphe 42 ci-dessus), ils disposaient pour le moins de droits à une réhabilitation administrative assortie de la restitution de leurs biens, dont ils avaient été privés par la clause d’exclusion insérée à l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi relative à la réhabilitation administrative (paragraphe 59 ci-dessus).

97. Sur le premier point, la Cour rappelle que si la Déclaration commune ainsi que le Traité d’unification ont énoncé les principes fondamentaux, ceux-ci ont par la suite été mis en application par le législateur dans les différentes lois qui déterminent les droits concrets dont disposent les requérants. Or en adoptant deux lois différentes en matière de réhabilitation, le législateur a voulu opérer une distinction entre les personnes victimes de décisions administratives et celles victimes de condamnations pénales, plus graves par nature. Dans son quatrième arrêt de principe du 4 juillet 2003 sur la réforme agraire (paragraphes 33-37 ci-dessus), la Cour constitutionnelle fédérale a considéré que la condamnation pénale d’une personne constituait une ingérence si grave, à la différence des expropriations administratives, qu’elle justifiait la restitution des biens confisqués dans le cadre d’une procédure de réhabilitation. Or en l’occurrence les expropriations qui se sont déroulées entre 1945 et 1949 reposaient exclusivement sur des décisions administratives.

98. Dès lors, les prétentions des requérants échappent clairement aux dispositions de la loi sur la réhabilitation pénale, et la Cour ne relève aucun arbitraire ou iniquité dans la distinction opérée par les autorités allemandes entre les personnes victimes de décisions administratives et celles victimes de condamnations pénales.

99. Sur le deuxième point, la Cour rappelle que la Déclaration commune indique que « les expropriations effectuées en vertu des autorités d’occupation [entre 1945 et 1949] ne seront plus remises en cause ». L’article 41 du Traité d’unification, quant à lui, prévoit que « la République fédérale d’Allemagne ne promulguera pas de dispositions légales contraires au point 1 de la Déclaration commune susmentionnée » (paragraphe 39 ci-dessus).

Par ailleurs, la Cour relève qu’il résulte de l’article 1 § 1, troisième phrase, de la loi relative à la réhabilitation administrative, combiné avec l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine, que la loi relative à la réhabilitation administrative n’autorise pas la restitution des biens confisqués entre 1945 et 1949.

100. Dans leurs arrêts de principe des 21 février 2002 et 4 juillet 2003, la Cour administrative fédérale et la Cour constitutionnelle fédérale ont confirmé cette exclusion de tout droit à restitution, malgré le libellé de l’article 1 § 7 de la loi sur le patrimoine. La Cour constitutionnelle fédérale a notamment rappelé que l’intention principale du législateur, en insérant la troisième phrase dans l’article 1 § 1 de la loi sur la réhabilitation administrative, avait été d’éviter que l’exclusion du droit à restitution prévue à l’article 1 § 8 de la loi sur le patrimoine (et qui découle de l’exclusion figurant au point 1 de la Déclaration commune) pût être contournée par la loi sur la réhabilitation administrative. Elle a ajouté que, pour les expropriations intervenues pendant cette période, les requérants avaient droit à une réparation au titre des compensations prévues dans la loi sur les indemnisations et compensations.

101. Or la Cour rappelle que l’État dispose d’une ample marge d’appréciation dans l’adoption de telles lois et dans l’interprétation de celles-ci par les juridictions nationales (paragraphe 77 ci-dessus).

102. Dès lors, on ne saurait affirmer que les requérants disposaient d’une espérance légitime de pouvoir bénéficier d’une réhabilitation administrative assortie d’une restitution de leurs biens. »

Après avoir rappelé le contexte unique qu’a constitué la réunification allemande et l’immense tâche à laquelle le législateur allemand était confronté pour régler toutes les questions s’étant nécessairement posées lors du passage d’un régime communiste à un régime démocratique d’économie de marché, la Grande Chambre conclut en ces termes :

« 111. Or, comme la Cour l’a dit plus haut (paragraphe 77), dès lors qu’un Etat choisit de réparer les conséquences de certains actes incompatibles avec les principes caractérisant un régime démocratique, mais dont il n’est pas responsable, il dispose d’une ample marge d’appréciation dans la mise en œuvre de cette politique.

112. En contestant la constitutionnalité de ces lois adoptées après la réunification allemande, les requérants espéraient obtenir soit la restitution de leurs biens, soit des compensations ou indemnisations en relation avec la valeur réelle de leurs biens. Toutefois, la croyance que les lois en vigueur seraient changées en leur faveur ne peut pas être considérée comme une forme d’espérance légitime au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

Comme la Cour l’a énoncé à de multiples reprises, il y a une différence entre un simple espoir, aussi compréhensible soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se fonder sur une disposition légale ou avoir une base jurisprudentielle solide en droit interne (voir notamment Gratzinger et Gratzingerova précité, § 73, et Kopecký précité, § 52). En l’espèce, ni la Déclaration commune ni le premier arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale sur la réforme agraire n’ont conféré aux requérants des droits qui iraient au-delà de ceux conférés par les lois litigieuses.

113. La Cour en déduit que les requérants n’ont pas montré qu’ils étaient titulaires de créances suffisamment établies pour être exigibles, et qu’ils ne peuvent donc pas se prévaloir de « biens » tels qu’envisagés par l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, ni les lois litigieuses ni les arrêts ou décisions de la Cour constitutionnelle fédérale s’y rapportant n’ont pu constituer une ingérence dans la jouissance de leurs biens, et les faits invoqués échappent au champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1. »

La chambre pour sa part ne voit aucune raison de s’écarter du raisonnement de la Grande Chambre, d’autant que les arrêts de principe de la Cour fédérale administrative et de la Cour constitutionnelle fédérale en matière de réhabilitation administrative, rendus dans le cas du requérant de la présente requête, ont été l’objet de la décision von Maltzan et autres (voir les paragraphes 33-37, 97 et 100).

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

2. Le requérant se plaint aussi d’un traitement discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention qui est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Le requérant dénonce notamment l’approche arbitraire de la Cour constitutionnelle fédérale dans sa décision du 4 juillet 2003 et l’interprétation que la Grande chambre en a faite.

Le Gouvernement soutient que l’expropriation des parents du requérant ne peut être comparée à celles ordonnées comme sous forme d’une peine supplémentaire à l’issue d’une condamnation pénale. Il renvoie en outre à ses observations faites devant la Grande Chambre dans les affaires von Maltzan et autres.

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention ou de ses Protocoles : il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » que ces clauses garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins de ces clauses (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein précité, § 91, et Gratzinger et Gratzingerova précité, § 76).

Eu égard à la constatation de l’inapplicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 et au vu des conclusions de la Grande Chambre dans les affaires von Maltzan et autres précitées, la Cour conclut que l’article 14 de la Convention ne saurait être pris en compte en l’espèce. Par ailleurs, à supposer même l’applicabilité de l’article 14 de la Convention en l’espèce, la Cour ne relève aucun arbitraire ou iniquité dans la distinction opérée par les autorités allemandes entre les personnes victimes de décisions administratives et celles victimes de condamnations pénales (voir von Maltzan et autres précitées, § 98).

Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1, combiné avec l’article 14, sont également incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3, et doivent être rejetés en application de l’article 35 § 4.

3. En ce qui concerne les autres griefs, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président