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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 26814/02
présentée par SOCIÉTÉ DIFFUSION PÉDAGOGIQUE CALÉDONIENNE
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 12 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
J.-P. Costa,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 11 juillet 2002,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, la « Société Diffusion Pédagogique Calédonienne », est une société de droit français dont le siège social est à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Elle est représentée devant la Cour par Me Dominique Foussard, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat.

Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 2 février 1999, La requérante déposa une plainte avec constitution de partie civile du chef d’escroquerie à l’encontre de l’un de ses anciens agents commerciaux, Yannicke K., auquel elle reprochait de lui avoir présenté, aux fins de remboursement, une facture d’une agence de location de voiture qu’elle considérait comme étant un faux. Une information judiciaire fut ouverte le 21 avril 1999.

Le 2 février 2001, le juge d’instruction en charge du dossier près le tribunal de grande instance de Nouméa rendit une ordonnance de non-lieu, le caractère fictif de la facture en cause n’ayant point été établie.

L’ordonnance fut notifiée à la partie civile et à son conseil par lettre recommandée avec accusé de réception le 2 février 2001, et réceptionnée le 7 février 2001.

La requérante interjeta appel de cette décision le 13 février 2001 par déclaration au greffe du tribunal de première instance.

Par un arrêt du 26 avril 2001, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nouméa déclara irrecevable l’appel, pour les motifs suivants :

« Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 186 du code de procédure pénale que l’appel doit être interjeté dans les 10 jours qui suivent la notification de la décision.

Attendu que l’ordonnance frappée d’appel a été notifiée à la partie civile le 2 février 2001 ; que le délai court à compter de l’envoi de la lettre recommandée portant ladite décision à la connaissance des parties et [non] à compter de sa réception.

Qu’il s’ensuit que l’appel interjeté le 13 février 2001 est irrecevable. »

La requérante, représentée par un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, forma un pourvoi en cassation. Dans le cadre de son mémoire ampliatif, elle exposait, sur le fondement de l’article 6 de la Convention, qu’en considérant que le point de départ du délai de recours était la date d’expédition de la décision attaquée et non la date à laquelle l’intéressé en avait eu connaissance, la cour d’appel l’avait privé de son droit au juge. Elle faisait également valoir que les dispositions de l’article 186 précité étaient équivoques et que, les juges du fond avaient violé le principe de sécurité juridique dans la mesure où ils avaient appliqué ces dispositions alors qu’elles n’étaient pas suffisamment claires et précises.

Par une décision du 13 février 2002, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara non admis le recours formé par la requérante, au motif qu’il n’existait « aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ». Elle fit ainsi application de l’article L. 131-6 du code de l’organisation judiciaire qui institue une procédure spécifique d’examen des pourvois en cassation.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Aux termes de l’article 186, quatrième alinéa, du code de procédure pénale :

« L’appel des parties ainsi que la requête prévue par le cinquième alinéa de l’article 99 doivent être formés dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 502 et 503, dans les dix jours qui suivent la notification ou la signification de la décision. »

Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la notification qui constitue le point de départ du délai de 10 jours fixé par l’article 186 est réalisée par l’expédition de la lettre recommandée. En outre, ce texte a été considéré comme ne portant pas atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où le délai précité est prorogé lorsqu’un obstacle insurmontable a mis la partie concernée dans l’impossibilité d’exercer son recours en temps utile (Cass. Crim. Société Maiffret Saduc, arrêt du 22 mai 2001, inédit).

Le droit et la pratique internes pertinents sont également décrits dans les arrêts Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil des arrêts et décisions, 1998II), Voisine c. France du 8 février 2000 (no 27362/95), Meftah et autres c. France du 26 juillet 2002 ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII, §§ 47-52), Slimane-Kaïd c. France (no 2) du 27 novembre 2003 (no 48943/99), Stepinska c. France du 15 juin 2004 (no 1814/02) et Sale c. France du 21 mars 2006 (no 39765/04).

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante dénonce l’iniquité de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle expose que ni elle ni son conseil ne reçurent communication, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document aurait été communiqué à l’avocat général.

2. Sur le même fondement de la Convention, la requérante se plaint, d’une part, d’une méconnaissance du droit d’accès à un tribunal et du principe de sécurité juridique, reprenant ses moyens de cassation y relatifs et, d’autre part, de l’absence de motivation de la décision de la Cour de cassation du 13 février 2002.

EN DROIT

1. La requérante dénonce l’iniquité de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle expose que ni elle ni son conseil ne reçurent communication, avant l’audience, du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document aurait été communiqué à l’avocat général. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le Gouvernement déclare « s’en remet[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief ».

La Cour relève d’emblée que le grief s’inscrit dans le cadre de la procédure préalable d’admission des pourvois en cassation, telle qu’instaurée par l’article L. 131-6 du code de l’organisation judiciaire. Au regard des spécificités de cette procédure, la Cour vient de juger, récemment, qu’un grief du même type que celui soulevé par la requérante n’emportait pas violation de l’article 6 § 1 (voir l’arrêt Sale c. France précité, § 17 et suivants, du 21 mars 2006).

Partant, elle conclut à l’irrecevabilité, pour défaut manifeste de fondement, de cette partie de la requête, qui doit donc être rejetée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.

2. Sur le même fondement de la Convention, la requérante se plaint, d’une part, d’une méconnaissance du droit d’accès à un tribunal et du principe de sécurité juridique, reprenant ses moyens de cassation y relatifs et, d’autre part, de l’absence de motivation de la décision de la Cour de cassation du 13 février 2002.

a) En ce qui concerne la première branche du grief, la Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect (voir, notamment, Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, p. 18, § 36), n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II, Mortier c. France, no 42195/98, § 33, 31 juillet 2001, et Berger c. France, no 48221/99, § 30, CEDH 2002-X). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 78-79, § 59, Bellet c. France, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 333B, p. 41, § 31, et Guérin c. France, arrêt du 29 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, § 37 ; Berger, précité).

La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours. La Cour estime par ailleurs que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, les règles en question, ou l’application qui en est faite, ne devraient pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998VIII, §§ 4445, et Tricard, précité, § 29).

En l’espèce, la Cour relève que, l’ordonnance litigieuse ayant été notifiée le 2 février 2001, la requérante disposait en théorie de dix jours à partir de cette date pour former appel (article 186 alinéa 4 du code de procédure pénale), soit jusqu’au 12 février 2001 inclus. La requérante, assistée d’un avocat, fait valoir qu’elle n’a reçue l’ordonnance que le 7 février 2001 et que le délai s’en est trouvé ainsi très raccourci. Cependant, force est d’observer qu’elle disposait encore de cinq jours ouvrables pour interjeter appel de façon effective. Par ailleurs, d’après une jurisprudence constante de la Cour de cassation, il y a lieu de souligner que ce délai peut être prorogé « lorsqu’un obstacle insurmontable a mis la partie concernée dans l’impossibilité d’exercer son recours en temps utile », en fonction des circonstances particulières de chaque espèce. Dans la présente affaire, la Cour constate que la requérante ne formula aucune demande de prorogation du délai en se prévalant de cette possibilité. Dans ces conditions, la Cour estime que le délai ainsi fixé n’a pas en l’espèce restreint de manière excessive le droit d’accès au juge de la requérante, laquelle ne saurait dès lors se plaindre d’une atteinte disproportionnée à son droit à un tribunal.

Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit donc être rejetée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.

b) S’agissant de la branche du grief tiré de l’absence de motivation de la décision de la Cour de cassation, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 6 de la Convention n’exige pas que soit motivée en détail une décision par laquelle une juridiction de recours, se fondant sur une disposition légale spécifique, écarte un recours comme dépourvu de chance de succès (voir notamment Société anonyme Immeuble Groupe Kosser c. France (déc.), no 38748/97, 9 mars 1999).

En l’espèce, la Cour, se référant à sa jurisprudence (voir Burg et autres c. France, no 34763/02, 28 janvier 2003), note que la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation était fondée sur l’absence de moyens de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article L. 131-6 du code de l’organisation judiciaire, tel que modifié par la loi nº 2001-539 du 25 juin 2001. Dans ces conditions, elle ne décèle aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie du grief est également manifestement mal fondée et doit donc être rejetée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président