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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE KAYADJIEVA c. BULGARIE

(Requête no 56272/00)

ARRÊT

STRASBOURG

28 septembre 2006

DÉFINITIF

28/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Kayadjieva c. Bulgarie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger,
M. M. Villiger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 56272/00) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Antoineta Dimitrova Kayadjieva (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 janvier 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Mes V. Toshkina-Boeva et S. Stefanova, avocates à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.

3. Le 28 octobre 2004, la première section a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4. Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. La requérante est née en 1964 et réside à Plovdiv.

6. Au courant de l'été 1999, le père de la requérante saisit le procureur de district de Plovdiv pour demander le placement en hôpital psychiatrique de sa fille. Il exposa que celle-ci souffrait de troubles psychiques, avait un comportement violent et avait tenté de se suicider.

7. Par une ordonnance du 31 août 1999, le procureur de district ordonna le placement de la requérante en établissement psychiatrique pour une durée maximum de 30 jours en vue de la réalisation d'une expertise psychiatrique. Cette expertise était destinée à déterminer la nécessité d'un traitement psychiatrique obligatoire en vertu de l'article 36 de la loi sur la santé publique. Selon l'ordonnance, la requérante avait été préalablement convoquée au centre psychiatrique (психодиспансер) de Plovdiv pour se soumettre volontairement à des examens, mais ne s'y serait pas rendue. L'intéressée conteste avoir reçu une telle convocation.

8. Le 1er septembre 1999, la requérante fut conduite par la police au centre psychiatrique de Plovdiv, en exécution de l'ordonnance du procureur. Elle y fut examinée par des médecins psychiatres. La requérante expose qu'à cette occasion elle indiqua aux médecins ne souffrir d'aucune pathologie nécessitant une expertise ; des médicaments lui furent administrés, auxquels elle aurait eu une réaction allergique.

9. La requérante quitta l'hôpital trois jours plus tard. L'intéressée soutient qu'elle a été autorisée à sortir ; les décisions ultérieures du parquet indiquent qu'elle a quitté l'hôpital de son propre chef.

10. Le 8 septembre 1999, l'avocate de la requérante saisit le parquet d'une demande d'annulation de l'ordonnance du 31 août 1999, soutenant que cette décision n'était basée que sur les déclarations du père de l'intéressée, avec lequel elle était en conflit, et qu'elle était prête à se soumettre à une expertise médicale sans qu'il soit nécessaire de l'interner à cet effet.

11. Par une ordonnance du 2 octobre 1999, le procureur de district refusa d'annuler l'ordonnance du 31 août 1999, considérant que l'acte était régulier et conforme à l'article 185 du Code de procédure pénale et aux actes réglementaires pertinents. Le procureur indiqua que l'enquête effectuée avait permis de constater un comportement agressif de la part de la requérante, mettant la sécurité de son entourage et sa propre santé en danger. Le placement se trouvait en outre justifié par le fait que l'intéressée n'avait pas répondu à la première convocation du centre psychiatrique.

12. Vers la fin du mois d'octobre 1999, la requérante fut convoquée au centre psychiatrique et se rendit, accompagnée de son avocate, à un entretien avec un psychiatre.

13. Par une ordonnance du 15 décembre 1999, le procureur de district ordonna une nouvelle fois le placement de la requérante en établissement psychiatrique en vue de la réalisation d'une expertise. Il constata que les médecins l'ayant examiné lors du premier placement avaient diagnostiqué une schizophrénie mais que l'intéressée avait quitté l'hôpital de sa propre initiative ; par la suite, lors de la seconde convocation au centre psychiatrique, elle avait refusé de se soumettre à des examens. Le centre psychiatrique avait informé le procureur que l'expertise demandée ne pouvait être réalisée que si un nouveau placement était ordonné.

14. La requérante fut conduite au centre psychiatrique le 20 décembre 1999 en exécution de l'ordonnance du procureur.

15. Le 27 décembre 1999, son avocate introduisit un recours auprès du parquet régional. Le 7 janvier 2000, le procureur régional fit droit à la demande de l'intéressée de surseoir à l'exécution de la mesure de placement jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours. Cette décision ne fut apparemment pas respectée et la requérante ne quitta l'hôpital que le 17 janvier 2000, après avoir signé une déclaration par laquelle elle s'engageait à se soigner volontairement. La requérante soutient qu'elle a signé cet engagement sous la menace d'être transférée, en cas de refus, au service des cas graves.

16. Par une ordonnance du 13 mars 2000, le procureur de district de Plovdiv refusa d'engager une procédure de traitement obligatoire à l'égard de la requérante, au motif que celle-ci avait accepté de se soigner de manière volontaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur la santé publique de 1973 (Закон за народното здраве)

17. En vertu de l'article 36 alinéas 3 à 6, combiné avec les articles 59 à 62 de cette loi, telle qu'applicable à l'époque des faits, une personne souffrant de troubles mentaux pouvait être soumise à un traitement psychiatrique obligatoire en vertu de la décision d'un tribunal de district.

18. La procédure judiciaire était engagée sur proposition du procureur de district qui était tenu d'effectuer au préalable une enquête, destinée à évaluer la nécessité d'une telle procédure. A cet effet, le procureur invitait en principe la personne concernée à se soumettre à un examen psychiatrique.

19. En cas de refus de l'intéressé, le procureur pouvait ordonner qu'il soit hospitalisé de force dans un établissement psychiatrique pour permettre la réalisation d'une expertise (article 61 de la loi). La durée maximale de ce placement était de trente jours, pouvant être prolongée jusqu'à trois mois dans des cas exceptionnels. La loi ne prévoyait pas l'obligation d'obtenir un avis médical avant d'ordonner une telle mesure.

B. Dispositions pertinentes du Code de procédure pénale de 1974

20. En vertu de l'article 185 du Code de procédure pénale (disposition qui a été abrogée le 30 mai 2003), le procureur était tenu d'entreprendre toutes les mesures nécessaires à empêcher la perpétration d'une infraction pénale dont on pouvait supposer la commission.

21. Les ordonnances rendues par un procureur sont susceptibles d'un recours auprès du procureur de rang supérieur (article 181 du code). Le droit applicable ne prévoyait pas pour les personnes placées dans un établissement psychiatrique dans le cadre d'une enquête du procureur la possibilité d'introduire un recours auprès d'un tribunal.

C. La loi sur la santé de 2004

22. Cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a abrogé la loi sur la santé publique de 1973. En vertu de ses articles 146 à 164, le placement et le traitement obligatoire en établissement psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux s'effectuent sur décision d'un tribunal de district. Désormais seul le tribunal est compétent pour ordonner la réalisation d'une expertise et, si nécessaire, l'internement de l'intéressé pour les besoins de l'expertise, et ce après avoir entendu en audience publique la personne concernée, assistée par un conseil, et un psychiatre.

23. En cas d'urgence, une personne atteinte de troubles mentaux peut être temporairement placée et traité dans un établissement psychiatrique pour une durée maximale de 24 heures sur décision du directeur de l'établissement.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 e) DE LA CONVENTION

24. La requérante se plaint d'avoir été privée de sa liberté de manière irrégulière et arbitraire, en méconnaissance de l'article 5 § 1 e) de la Convention qui dispose :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un aliéné (...) ; »

A. Sur la recevabilité

25. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. La requérante soutient que la législation interne permettant le placement en établissement psychiatrique sur ordre d'un procureur ne revêtait pas la clarté nécessaire, ne fournissait pas de garanties contre les privations de liberté arbitraires et n'était donc pas conforme aux exigences de l'article 5 § 1. Elle expose en particulier qu'à deux reprises sa privation de liberté a été ordonnée sans avis médical préalable, alors qu'aucune urgence ne justifiait un placement immédiat. En outre, la décision du procureur aurait été prise sur la seule base des éléments fournis par son père, sans qu'elle ne soit entendue. Enfin, malgré la décision du procureur régional de suspendre l'exécution de la mesure de placement le 7 janvier 2000, elle n'aurait été remise en liberté que le 17 janvier 2000.

27. Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations.

2. Appréciation de la Cour

28. La Cour constate que la requérante a été placée dans un établissement psychiatrique contre son gré du 1er au 3 septembre 1999, puis du 20 décembre 1999 au 17 janvier 2000, en exécution de deux décisions du procureur de district. De l'avis de la Cour, cette situation s'analyse en une « privation de liberté » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.

29. La Cour rappelle que pour respecter l'article 5 § 1, une privation de liberté doit être « régulière » et effectuée « selon les voies légales ». En la matière, la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 17, § 39 ; Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998V, p. 1961, § 46 ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47, 20 février 2003).

30. En outre, en vertu de la jurisprudence de la Cour, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l'internement ; troisièmement, l'internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d'autres, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000-X ; Hutchison Reid, précité, § 48).

31. La Cour estime que la privation de liberté d'une personne considérée comme aliénée ne peut être jugée conforme à l'article 5 § 1 e) de la Convention que si elle a été décidée avec l'avis d'un médecin expert, à défaut de quoi la protection contre l'arbitraire, inhérente à l'article 5 de la Convention, ne serait pas assurée. A cet égard, la forme et la procédure retenues peuvent dépendre des circonstances et la Cour considère acceptable, dans des cas urgents ou lorsqu'une personne est arrêtée en raison de son comportement violent, qu'un tel avis soit obtenu immédiatement après l'arrestation. Dans tous les autres cas, une consultation préalable est indispensable. A défaut d'autres possibilités, du fait par exemple du refus de l'intéressé de se présenter à un examen, il faut au moins demander l'évaluation d'un médecin expert sur la base du dossier, sinon on ne peut soutenir que l'aliénation de l'intéressé a été établie de manière probante (Varbanov, précité, § 47 ; R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 117, 19 mai 2004).

32. Dans les affaires Varbanov c. Bulgarie et Kepenerov c. Bulgarie, la Cour a constaté une violation de l'article 5 § 1 en ce que le droit bulgare, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits et jusqu'à la réforme intervenue le 1er janvier 2005, ne fournissait pas le niveau de protection requis contre l'arbitraire dans la mesure où il ne prévoyait pas la consultation d'un médecin comme condition préalable à la décision de placement en vue d'un examen psychiatrique obligatoire (Varbanov, précité, §§ 50-53 ; Kepenerov c. Bulgarie, no 39269/98, §§ 35-38, 31 juillet 2003).

33. La Cour ne relève aucune raison de se distinguer de cette conclusion dans le cas de l'espèce, la requérante ayant été détenue du 1er au 3 septembre 1999, puis du 20 décembre 1999 au 17 janvier 2000, en application des dispositions internes qui ont été considérées déficientes au regard de l'article 5 § 1.

34. Par ailleurs, la Cour relève que le premier placement de la requérante, ordonné le 31 août 1999 par le procureur de district pour une durée de 30 jours, a visiblement été décidé sur la seule base des déclarations du père de l'intéressée.

35. Il est vrai que ce placement était ordonné précisément en vue de l'obtention d'un avis médical afin d'apprécier la nécessité d'engager une procédure judiciaire en vue d'un traitement psychiatrique obligatoire et que, dès son arrestation le 1er septembre 1999, la requérante a été conduite dans un centre psychiatrique où elle a été vue par des médecins. Toutefois, rien n'indique qu'on ait demandé aux médecins en question leur avis sur la nécessité d'interner la requérante en vue d'un examen. L'internement avait en effet été déjà décidé par le procureur (voir Varbanov, précité, § 48). Au vu de ces circonstances, à défaut d'une évaluation par un psychiatre et en l'absence de tout caractère urgent, la Cour ne saurait accepter que le point de vue d'un procureur sur la santé mentale de la requérante suffisait à justifier sa détention (ibidem). Il s'ensuit que lors du premier placement, l'aliénation de la requérante n'avait pas été établie de manière probante pour justifier une détention « régulière » au regard de l'article 5 § 1 e).

36. S'agissant du deuxième placement en établissement psychiatrique, ordonné le 15 décembre 1999 également pour une durée de 30 jours, la Cour relève que le procureur a fait référence dans son ordonnance aux éléments fournis par le centre psychiatrique dans lequel la requérante avait été examinée lors du premier placement. Toutefois, si le diagnostic effectué à cette occasion peut être considéré comme une indication suffisante que l'intéressée souffrait d'un trouble mental, il ne permet pas d'établir que le caractère ou l'ampleur de ce trouble étaient tels qu'ils légitimaient un placement obligatoire : la lettre émanant du centre psychiatrique indiquait simplement que le placement de la requérante était nécessaire pour réaliser l'expertise demandée par le procureur et ne contenait pas d'avis sur la nécessité d'un placement eu égard à son état.

37. Dès lors, la Cour n'estime pas établi de manière probante que lors du deuxième placement de la requérante celle-ci souffrait d'un trouble d'une ampleur justifiant son internement.

38. Au vu de ce qui vient d'être exposé, la Cour considère que les deux placements de la requérante n'ont pas constitué la « détention régulière (...) d'un aliéné » au sens de l'article 5 § 1 e) (Varbanov, précité, §§ 45-47 ; R.L. et M.-J.D. c. France, précité, §§ 114-117).

39. Enfin, la Cour constate qu'à compter du 7 janvier 2000, le procureur régional a ordonné le sursis de l'exécution de la mesure de placement mais que cette décision n'a pas été exécutée. Il apparaît dès lors que le maintien en détention de la requérante après cette date et jusqu'au 17 janvier 2000 était irrégulier au regard du droit interne.

40. Au vu de ces considérations, la Cour estime que la détention en l'espèce a été effectuée en méconnaissance de l'article 5 § 1 e) en ce que le droit interne ne présentait pas de garanties suffisantes contre l'arbitraire et qu'il n'avait pas été établi de manière probante que la requérante souffrait d'un trouble psychiatrique d'une ampleur justifiant la détention. En outre, après le 7 janvier 2000, la détention apparaît comme irrégulière au regard du droit interne.

41. Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 e).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

42. La requérante se plaint de ne pas avoir disposé d'un recours effectif pour contrôler la légalité de sa détention. Elle invoque l'article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

43. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

44. La requérante affirme qu'elle ne disposait d'aucun recours juridictionnel contre la décision de placement dans un établissement psychiatrique. L'ordonnance du procureur était certes susceptible d'un recours auprès du procureur supérieur, mais celui-ci ne revêtait pas les qualités inhérentes à un « tribunal », au sens de l'article 5 § 4.

45. Le Gouvernement n'a pas soumis d'observations.

46. La Cour rappelle que l'article 5 § 4 garantit à toute personne privée de sa liberté le droit de faire contrôler par un tribunal la régularité de sa détention sous l'angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention. Pour constituer un « tribunal », une autorité doit être indépendante de l'exécutif et des parties ; elle doit aussi fournir les garanties fondamentales de procédure, adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s'agit (Varbanov, précité, § 58 ; Hutchison Reid, précité, §§ 63-65).

47. Le contrôle juridictionnel voulu par cette disposition peut se trouver incorporé à la décision initiale d'internement si celle-ci est prise par une autorité constituant un « tribunal » au sens de l'article 5 § 4. Si la procédure suivie par l'organe qui ordonne l'internement ne fournit pas ces garanties, le droit interne doit permettre un recours effectif à une seconde autorité présentant toutes les garanties d'une procédure judiciaire (Varbanov, ibid.).

48. Dans la présente espèce, le placement initial de la requérante a été ordonné par un procureur de district auquel il manquait l'indépendance et l'impartialité voulues par l'article 5 § 4, dans la mesure où il pouvait ultérieurement devenir partie à la procédure judiciaire pour chercher à obtenir l'internement de la requérante (paragraphes 17-19 ci-dessus et Varbanov, précité, § 60), et dont le processus de prise de décision n'était assorti d'aucune garantie procédurale. Par ailleurs, aucun recours juridictionnel contre un tel placement n'était prévu en droit interne, la décision du procureur n'étant susceptible d'un recours qu'auprès du procureur supérieur.

49. La Cour en conclut que le nécessaire contrôle de légalité de la détention n'était ni incorporé dans la décision initiale de placement de la requérante, ni assuré par les possibilités d'appel existantes.

50. Il s'ensuit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4.

III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3, 8 ET 13 DE LA CONVENTION

51. La requérante se plaint des traitements médicamenteux qui lui ont été administrés pendant son hospitalisation, qu'elle aurait mal supporté, ainsi que de la contrainte morale exercée sur elle afin qu'elle signe un engagement de se soigner volontairement. Elle invoque à cet égard les articles 3, 8 et 13 de la Convention qui sont libellés comme suit :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

52. Cour relève d'emblée que la requérante n'établit pas avoir formulé devant les autorités internes, par le biais d'une plainte pénale ou disciplinaire ou d'une action civile en dédommagement, les griefs qu'elle soulève aujourd'hui devant la Cour. Même en admettant l'absence de voies de recours à épuiser, la Cour constate que les allégations de l'intéressée ne sont étayées d'aucune précision ou pièce lui permettant de s'assurer, d'une part, que le seuil de gravité nécessaire à l'application de l'article 3 de la Convention a été atteint et, d'autre part, qu'il y a eu une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit de celle-ci au respect de la vie privée et familiale. Par ailleurs, en l'absence de « grief défendable » au titre des dispositions invoquées, l'article 13 de la Convention ne peut trouver application.

53. Partant, ces griefs doivent être rejetés comme manifestement mal fondés, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

55. La requérante réclame 11 000 levs bulgares, soit environ 5 500 euros (EUR), au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi du fait des violations des articles 5, 8 et 13 de la Convention.

56. Le Gouvernement juge ces prétentions excessives et considère que la somme accordée à ce titre ne devrait pas dépasser les montants alloués par a Cour dans des affaires similaires contre la Bulgarie, Varbanov et Kepenerov, soit 2 000 EUR.

57. Compte tenu de tous les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer à la requérante 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

58. La requérante demande également 1 927 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, soit 1 760 EUR au titre d'honoraire d'avocat et 167 EUR de frais de courrier, de déplacement et de traduction. Elle produit un décompte du travail effectué par ses avocates pour un total de 21 heures, ainsi que les justificatifs des frais engagés, et demande que les montants alloués par la Cour soient directement versés à ses avocates.

59. Le Gouvernement juge excessif le taux horaire appliqué concernant les honoraires d'avocat.

60. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 200 EUR tous frais confondus, dont il convient de déduire les montants versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, soit 715 EUR. Elle accorde donc 485 EUR à ce titre.

C. Intérêts moratoires

61. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'articles 5 §§ 1 e) et 4 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 e) de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;

ii. 485 EUR (quatre cent quatre-vingt cinq euros) pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire indiqué par les avocates de la requérante en Bulgarie ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 septembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président