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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 25389/05
présentée par Asebeha GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN]
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 10 octobre 2006 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočiené,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juillet 2005,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en date du 15 juillet 2005 en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Vu les observations de l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, que le Président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Ressortissant érythréen né en 1979, le requérant est actuellement hébergé à Paris par une organisation non gouvernementale. Il indique que, tel qu’orthographié dans certains documents internes – « Gaberamadhien » – son nom correspond à la transcription phonétique qu’en a fait la police de l’air et des frontières françaises ; il précise que les déclarations et documents érythréens établis dans l’alphabet latin retiennent eux l’orthographe « Gebremedhin » ; il ajoute qu’à l’instar de nombreux journalistes érythréens, il usait d’un « pseudonyme de travail », « Yayneabeba » (« fleur de l’œil »).
Le requérant est représenté devant la cour par Me Jean-Eric Malabre, avocat à Limoges. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
3. En 1998, comme de nombreuses autres personnes, le requérant et sa famille furent déplacés d’Ethiopie en Erythrée. Il y travailla comme reporter-photographe, principalement pour le journal indépendant Keste Debena, dont le rédacteur en chef était Milkias Mihretab. Le requérant indique que ce dernier est connu comme un défenseur de la presse libre en Erythrée et que le rapport d’Amnesty International de 2002 expose son cas, soulignant en particulier les arrestations et détentions arbitraires qu’il a subies dans ce pays à raison de ses activités journalistiques. Le requérant ajoute que, le 27 juin 2002, la section britannique d’Amnesty International a attribué à M. Milkias Mihretab son « prix spécial pour la pratique du journalisme des droits de la personne sous la menace ».
Le requérant et M. Milkias Mihretab furent arrêtés en 2000 en raison semble-t-il de leur activité journalistique, et incarcérés dans la prison de Zara durant 8 et 6 mois respectivement.
Le requérant indique à cet égard qu’il est cité – sous le prénom « Yebio », diminutif de son pseudonyme « Yayneabeba » – sur un site Internet consacré à la réforme en Erythrée (www.awate.com), comme étant l’un des six journalistes arrêtés le 14 octobre 2000 en même temps que Milkias Mihretab.
4. Contrairement à M. Milkias Mihretab qui a fui au Soudan en septembre 2001, le requérant resta en Erythrée, à Asmara, pour s’occuper de sa mère, veuve, ainsi que de ses quatre frères et sœurs. Quelques temps après le départ de M. Milkias Mihretab – à une date qu’il ne précise pas – la police l’interrogea sur ce dernier ; elle fouilla son domicile et y trouva des photos qu’elle jugea compromettantes. Il fut arrêté et subit des mauvais traitements dont il garderait des traces : des brûlures de cigarettes et des séquelles au dos dues à la position dans laquelle il fut maintenu durant une vingtaine de jours, ventre au sol et pieds et poings liés au-dessus du dos. Il fut ensuite emprisonné durant 6 mois puis, malade, transféré dans un hôpital dont il s’enfuit en payant des gardes, avec l’assistance de proches de sa grand-mère maternelle qui y travaillaient. Il se cacha alors chez cette dernière, à Areza, où un médecin lui prodigua des soins. Une fois remis sur pieds, il fuit au Soudan où vivait un oncle. Il décida de quitter ce pays au moment où un érythréen y fut tué par balle, la communauté érythréenne au Soudan estimant que cet acte était le fait d’agents du gouvernement érythréen à la poursuite d’opposants.
5. Il se rendit en Afrique du Sud puis, via le Kenya, avec l’aide d’un « passeur », arriva – sans papiers d’identité – le 29 juin 2005 à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle à Roissy. Le Gouvernement soutient que la date de l’arrivée du requérant dans cet aéroport n’est pas connue.
6. Le 1er juillet 2005, le requérant demanda à être autorisé à entrer en France au titre de l’asile ; il fut interrogé à 11 heures par un officier de police judiciaire assisté d’un interprète anglophone ; le procès verbal se borne à indiquer que « l’intéressé(e) n’apporte aucune preuve à l’appui de ses déclarations ». Le maintien de l’intéressé en zone d’attente fut décidé par l’autorité administrative ces jour et heure là, pour une durée de 48 heures ; il sera prolongé par la suite (paragraphe 13 ci-dessous).
7. Le requérant expose qu’il fut entendu une première fois le 3 juillet 2005 par un agent de l’Office français des Réfugiés et Apatrides (« OFPRA »), lequel aurait rendu un avis favorable à son admission sur le territoire au titre de l’asile. Le Gouvernement soutient quant à lui qu’aucun avis n’a été pris le 3 juillet : le compte-rendu de cet entretien et la proposition d’avis préparés par cet agent n’auraient pas été jugés satisfaisants par le supérieur hiérarchique chargé de les valider, ce qui expliquerait que le requérant ait été entendu une seconde fois, par ledit supérieur (assisté d’un interprète), le 5 juillet 2005 ; c’est ce dernier qui aurait formulé l’avis de non admission ainsi libellé :
« Déclarations recueillies en amharique avec l’aide d’interprète d’ISM
Motifs de la demande ? Mes parents sont d’origine érythréenne, nous avions la nationalité éthiopienne et vivions à Addis Abeba, en 1998, les autorités éthiopiennes ont dit qu’on n’était pas des éthiopiens, nous avons été expulsés d’Ethiopie vers l’Erythrée, je devais passer mon baccalauréat cette année là, en Erythrée, je n’ai pas pu le faire, j’ai commencé à travailler dans un garage pendant 6 mois, après j’ai fait mon service national, pendant mon service j’ai fait la connaissance d’un type qui était journaliste, après mon service, j’ai travaillé avec cet ami journaliste en tant que caméraman et photographe, nous partions en reportage, mon ami a eu des démêlés avec les autorités et a voulu quitter le pays, dès mon retour, les autorités m’ont interrogé sur mon ami et m’ont emprisonné, pendant ma détention, les policiers ont fouillé ma maison et ont trouvé deux photos qu’ils considéraient comme compromettantes, à partir de là, ils m’ont torturé avec des cigarettes, je suis resté en prison pendant 6 mois jusqu’à ce que je tombe malade, j’ai attrapé la tuberculose, ils m’ont emmené à l’hôpital, par chance, à l’hôpital où des proches de ma grand-mère maternelle travaillaient, ils ont soudoyé les gardes, ont apporté des vêtements, et m’ont aidé à m’évader, je suis allé chez ma grand-mère à Areza, j’y suis resté 4 mois pour me faire soigner, après j’ai quitté le pays clandestinement pour aller au Soudan, à Khartoum, j’y ai travaillé tout de suite comme garagiste, mais il y avait des agents érythréens et un érythréen qui travaillait pas loin a été tué, j’ai eu peur et suis allé à Port Soudan où je travaillais comme porteur sur les quais, je suis resté en tout environ deux ans (8 mois à Khartoum, un an à Port Soudan et deux mois de nouveau à Khartoum) au Soudan, mon oncle a vendu sa voiture pour me payer le voyage, je suis allé en Afrique du sud avant de venir en France, c’est mon oncle qui avait trouvé le réseau de passeur, je ne sais pas comment ils se sont organisés.
Comment se nomme votre ami et dans quelles circonstances avez-vous fait sa connaissance ? Il s’appelle Milkias Mehretab, il est un ami de la famille, il connaissait mes parents à Addis Abeba, quand nous sommes revenus à Asmara, j’ai fait mon service pendant 18 mois et après j’étais réserviste et travaillais dans un garage militaire mais je ne portais plus d’uniforme, c’est à ce moment là que mon ami s’est débrouillé, en se portant garant, pour que j’aille travailler avec lui.
Pouvez-vous citer des exemples d’événements que vous avez couverts ? Nous avons couvert les grèves estudiantines à Asmara en 2002 (sans plus de détails).
Quel était le sujet des deux photos « compromettantes » trouvées à votre domicile ? Je ne sais pas, je ne me souviens plus.
Pour quel journal votre ami, Milkias Mehretab, travaillait-il ? Keste Debena (Arc en Ciel). Quelle était sa fonction ? Rédacteur en chef.
Connaissez-vous la nature des démêlés de votre ami avec les autorités ? Il y a deux raisons essentiellement, d’une part ce que mon ami était en faveur d’une constitution et d’autre part, il y a eu 13 ministres qui ont été emprisonnés et mon ami avait publié leurs biographies, ils ont été emprisonnés juste après la grève des étudiants en 2002.
A quelle date votre ami a-t-il quitté le pays ? C’était en avril 2002, quand tous les journalistes ont été arrêtés.
Y a-t-il d’autres journalistes d’arrêtés ? Tous les journalistes érythréens sont en prison. Connaissez-vous d’autres journalistes de Keste Debena ayant fait l’objet d’arrestations ? ... (Ne répond pas). D’autres photographes ? ... (Ne répond pas).
Pouvez-vous apporter des précisions concernant votre arrestation (date, circonstances, lieu de détention) ? J’ai été arrêté en octobre ou novembre 2002, ils m’ont emmené à la prison de Maytamanay où je suis resté 6 mois.
N’avez-vous pas été arrêté « dès votre retour » à Asmara ? Non, j’ai continué à travailler pendant 6 mois à droite et à gauche.
Quid de votre famille ? Mon père est décédé de maladie avant l’expulsion de la famille, ma mère et mes deux frères et deux sœurs vivent à Asmara, mes frères et sœurs font des études.
Quelles sont vos craintes en cas de retour ? Quand j’ai été arrêté, ils voulaient surtout savoir par quel réseau mon ami avait quitté le pays et je pense qu’ils sont toujours à la recherche de cette information.
S’agit-il de votre véritable identité ? Oui, je n’en ai pas d’autre, je n’en ai jamais eu.
Avez-vous quelque chose à ajouter ? Non.
Avis motivé
De nationalité érythréenne, M. Gaberamadhien Asebeha déclare avoir travaillé, en tant que photographe, avec un ami de la famille, journaliste de profession. En avril 2002, alors qu’ils étaient en reportage à la frontière soudanaise, ledit journaliste aurait profité de l’occasion pour quitter l’Erythrée. De retour à Asmara, l’intéressé aurait continué à travailler, 6 mois durant, avant d’être interpellé par les autorités de son pays. Il aurait été placé en détention pendant 6 mois et régulièrement interrogé sur les conditions de départ de son ami et collègue journaliste. Ayant contracté une pathologie grave, il aurait été transféré dans un établissement hospitalier d’où il aurait réussi à s’évader, avec l’aide de membres de sa famille employés dans ce même établissement, et aurait séjourné, 4 mois durant, chez sa grand-mère avant de quitter l’Erythrée pour le Soudan où il aurait vécu et travaillé pendant environ deux ans.
Considérant, toutefois, que les déclarations de l’intéressé comportent de nombreuses inexactitudes et de mentions erronées ne permettant pas de conclure à la réalité de ses affirmations ; qu’en effet, si l’épisode de l’arrestation de plusieurs journalistes à Asmara est un événement très connu et largement médiatisé, les déclarations de l’intéressé ne correspondent nullement au déroulement de cette affaire ; que les journalistes érythréens ont fait l’objet d’arrestation en septembre 2001 et non en avril 2002 ; que l’intéressé ignore tout des motifs ayant entraîné la fermeture des journaux et l’arrestation des journalistes ; que le rédacteur en chef du journal Keste Debena a également quitté l’Erythrée en septembre 2001 (qu’il semble dès lors impossible qu’il ait couvert des grèves estudiantines en 2002) ; que les circonstances de son départ, en compagnie d’un autre reporter de ce même journal, ne concordent pas non plus avec les dires de l’intéressé ; qu’il paraît pour le moins surprenant qu’exception faite du nom du rédacteur en chef du journal Keste Debena, l’intéressé ne soit en mesure de nommer aucun autre journal, frappé d’interdiction, ou aucun autre journaliste ou photographe, appréhendé par le gouvernement érythréen à l’époque ; de même qu’il est singulièrement étonnant que l’intéressé ne puisse citer, de façon extrêmement sommaire et imprécise, qu’un seul événement qu’il aurait couvert en tant que photographe ; que ces méconnaissances sont de nature de douter fortement de la réalité de ses activités professionnelles ; que ces événements ayant été largement médiatisés à l’époque, il semble étrange que l’identité de l’intéressé ne figure nulle part, ni parmi les collaborateurs du journal Keste Debena, ni parmi les personnes arrêtées ; que l’ensemble de ces éléments incite à penser que l’intéressé tente de s’approprier un vécu qui n’est pas le sien ;
L’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides estime que la demande d’accès au territoire français présentée au titre de l’asile par M. Gaberamadhien Asebeha peut être considéré comme manifestement infondée, et est conduit à formuler un
AVIS DE NON ADMISSION ».
8. Le 6 juillet 2005, le Ministère de l’Intérieur jugea la demande d’accès au territoire français formulée au titre de l’asile par le requérant « manifestement infondée » et, en conséquence, la rejeta, et décida de réacheminer celui-ci « vers le territoire de l’Erythrée ou, le cas échant, vers tout pays où il sera légalement admissible » (le requérant précise que 93 % des demandes d’admission présentées à l’aéroport sont ainsi rejetées). Cette décision est rédigée comme il suit :
« (...)
Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment ses articles L.221-1, L.213-4 ;
Vu le décret no 82-442 du 27 mai 1982 modifié pris pour l’application de l’article 5 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée en ce qui concerne l’admission sur le territoire français, et notamment son article 12 ;
Vu la demande d’entrée en France au titre de l’asile présentée à l’aéroport de Roissy le 01/07/2005 par X... se disant M. GABERAMADHIEN ASEBAHA ou ASEBEHA, né le 15/03/1979, se disant de nationalité érythréenne ;
Vu le procès-verbal établi par les services de la police aux frontières le 01/07/2005 ;
L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides consulté le 05/07/2005 ;
Considérant que X... se disant M. GABERAMADHIEN ASEBAHA ou ASEBEHA de nationalité érythréenne déclare que pendant son service national, il aurait fait la connaissance d’un journaliste, rédacteur en chef du journal Keste Debena (Arc en ciel), pour lequel il aurait travaillé après son service en tant que cameraman et photographe ; que ce dernier aurait eu des démêlés avec les autorités, parce qu’il était en faveur de la constitution et pour avoir publié les biographies de treize ministres emprisonnés après les grèves des étudiants en 2002 ; que son ami journaliste aurait quitté le pays en avril 2002 après qu’ils aient fait un reportage à la frontière soudanaise ; que lui-même serait revenu à Asmara où il aurait continué à travailler ; qu’au bout de six mois, en octobre ou novembre 2002, les autorités l’auraient interrogé sur les conditions de départ de son ami et collègue journaliste ; que les policiers auraient trouvé à son domicile deux photos compromettantes ; qu’il aurait subi des sévices ; qu’il aurait été emprisonné pendant six mois puis serait tombé malade et aurait été hospitalisé dans l’hôpital où exerçaient des proches de sa grand-mère ; qu’il se serait évadé en soudoyant les gardes ; qu’il serait parti à Areza, où il serait resté quatre mois avant de se rendre au Soudan où il aurait vécu et travaillé pendant deux ans ;
Considérant toutefois que les déclarations de l’intéressé comportent de nombreuses incohérences de nature à discréditer ses affirmations : en effet son récit ne concorde pas avec le déroulement de l’affaire qu’il évoque, à savoir l’épisode de l’arrestation de plusieurs journalistes à Asmara, événement très connu et largement médiatisé ; qu’ainsi les journalistes érythréens ont fait l’objet d’arrestation en septembre 2001 et non en avril 2002 ; qu’en outre il ignore tout des motifs ayant entraîné la fermeture des journaux et l’arrestation des journalistes ; que de plus, le rédacteur en chef du journal Keste Debena a quitté l’Erythrée en septembre 2001 et n’a pu donc couvrir des grèves estudiantines en 2002 comme il l’affirme ; que les circonstances du départ de celui-ci en compagnie d’un autre reporter de ce même journal ne concordent pas non plus avec ses dires ; que par ailleurs, ses activités professionnelles ne sauraient être établies : en effet, il est très surprenant qu’il ne puisse nommer aucun autre journal, frappé d’interdiction, ou aucun autre journaliste ou photographe, appréhendé par le gouvernement érythréen de l’époque ; de même il est très étonnant qu’il ne puisse citer que, de manière sommaire et imprécise, un seul événement qu’il aurait couvert en tant que photographe ; qu’enfin, son identité ne figure nulle part, ni parmi les collaborateurs du journal Keste Debena ni parmi les personnes arrêtées, alors que ces événements ont été largement médiatisées à l’époque ; que l’ensemble de ces éléments est de nature à jeter le discrédit sur la sincérité et le bien-fondé de sa demande ;
Qu’en conséquence la demande d’accès au territoire français formulée au titre de l’asile par X... se disant M. GABERAMADHIEN ASEBAHA ou ASEBEHA doit être regardée comme manifestement infondée ;
Considérant qu’il y a lieu en application de l’article L.213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de prescrire son réacheminement vers le territoire de l’Erythrée ou, le cas échéant, vers tout pays où il sera légalement admissible (...) ».
9. Le 7 juillet 2005, le requérant saisit en référé le tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une demande tendant à ce qu’il soit fait injonction au Ministre de l’Intérieur de l’admettre sur le territoire en vue de la présentation d’une demande d’asile. Il exposait que ce refus d’entrée portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile – lequel a le caractère d’une liberté fondamentale et a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, ce qui implique un droit au séjour provisoire sur le territoire – ainsi qu’au droit à la vie et à celui de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention ; il soutenait à cet égard, notamment, que le ministère avait non seulement méconnu la portée de sa compétence en examinant sur le fond sa demande d’asile, mais aussi commis une erreur d’appréciation en jugeant cette demande manifestement infondée, soulignant en particulier qu’en tant que cameraman et photographe et travaillant pour un journaliste, il avait subi des persécutions dans son pays d’origine où il avait été emprisonné à deux reprises et soumis à de mauvais traitements, et s’était réfugié au Soudan mais avait fui ce pays où sa vie était menacée.
Le requérant produisit devant le juge des référés l’attestation suivante, établie le même jour par l’Organisation non gouvernementale Reporters sans frontières :
« (...) Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur le cas de Gaberamadhien Asebaha, journaliste de nationalité érythréenne.
Grâce au travail de nos correspondants permanents, nous sommes en mesure de confirmer les activités de journaliste photographe de M. Gaberamadhien. Nous avons contacté le journaliste érythréen, aujourd’hui exilé aux Etats-Unis, Mihretab Yohannes Milkias, qui nous a confirmé sa collaboration avec M. Gaberamadhien. M. Mihretab nous a confirmé qu’ils avaient été détenus au même moment dans la prison de Zara, l’une des plus dures du pays dans des conditions très pénibles.
Consciente des délais requis pour instruire ce dossier et effectuer les vérifications nécessaires, je tiens néanmoins à souligner que Reporters sans frontières soutient la demande d’asile politique de M. Gaberamadhien. Nous aimerions pouvoir le rencontrer afin de mieux étudier son dossier et apporter toutes les preuves nécessaires pour cette demande. Nous vous serions extrêmement reconnaissants de bien vouloir l’admettre sur notre territoire (...) ».
Il produisit également deux messages électroniques de M. Mihretab Milkias rédigés en anglais, également datés du 7 juillet 2005, et adressés à Reporters sans frontières (M. Mihretab Milkias adressa un troisième message électronique au conseil du requérant, similaire au précédents, le 11 juillet 2005), dans lesquels ce dernier confirme qu’il connaît Asebeha Gebremedhin depuis longtemps et (au vu d’une photographie) déclare le reconnaître en la personne du requérant, qu’il s’agit d’un journaliste et d’un activiste dissident (dissident activist), qu’il a travaillé comme photographe freelance pour le journal Keste Deban, et qu’ils ont été incarcérés ensemble plusieurs mois dans la prison de Zara. M. Mihretab Milkias expose en outre que le requérant a beaucoup souffert et enduré de nombreuses épreuves en raison de son activisme en faveur de changements démocratiques et de sa collaboration avec la presse indépendante et que, vu la situation actuelle en Erythrée et le fait que le requérant, ancien détenu à la prison de Zara, est connu des autorités, il y serait sans aucun doute arrêté, que sa vie serait en danger, et qu’il risquerait pour le moins d’être torturé et de « disparaître » comme de très nombreux journalistes, dissidents et autres activistes.
10. Le 8 juillet 2005, sans audience ni débats, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejeta la demande du requérant par une ordonnance ainsi libellée :
« (...)
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; qu’aux termes de l’article L. 522-1 du même code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et l’heure de l’audience publique (...) » ; qu’enfin, aux termes de l’article L.522-3 dudit code : « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-I » ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’étranger qui arrive en France par la voie (...) aérienne et qui, soit n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l’asile, peut être maintenu dans une zone d’attente située dans (...) un aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s’il est demandeur d’asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée (...) » ; qu’aux termes de l’article 12 du décret du 27 mai 1982 modifié : « Lorsque l’étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d’asile, la décision de refus d’entrée en France ne peut être prise que par le ministre de l’intérieur, après consultation de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. GABERAMADHIEN ASEBEHA, de nationalité érythréenne, est arrivé en France par la voie aérienne et a présenté une demande d’entrée en France le 1er juillet 2005 au titre de l’asile ; qu’en application des dispositions précitées de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’intéressé a été maintenu en zone d’attente en vue de l’examen de sa demande d’asile ; qu’après consultation, le 5 juillet 2005, de l’office français de protection des réfugiés et apatrides, le ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire a, par la décision contestée en date du 6 juillet 2005, refusé à M. GABERAMADHIEN ASEBEHA l’autorisation d’entrée en France en estimant que sa demande d’asile était manifestement infondée ;
Considérant, il est vrai, que le droit d’asile et son corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié et, par suite, de demeurer en France le temps nécessaire à l’examen de la demande d’asile constituent pour les étrangers une liberté fondamentale pour la sauvegarde de laquelle le juge des référés peut, en cas d’urgence, ordonner, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, toutes mesures nécessaires lorsque, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, l’administration y a porté une atteinte grave et manifestement illégale : que, toutefois, une telle atteinte ne saurait résulter de la seule circonstance qu’en application de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le ministre de l’intérieur a lui-même statué, en l’espèce par la décision du 6 juillet 2005, sur la demande d’asile, l’office français de protection des réfugiés et apatrides ne pouvant être saisi, en vertu des articles L. 711-1 du même code, que d’une demande d’admission au statut de réfugié émanant d’étrangers admis à pénétrer sur le territoire ; qu’en outre, il ne ressort d’aucune des pièces versées au dossier que le refus d’entrée sur le territoire – en raison du caractère manifestement infondé de sa demande d’asile – qui a été opposé à M. GABERAMADHIEN ASEBEHA soit entaché d’illégalité manifeste ; qu’en particulier, le requérant n’apporte à l’appui de sa requête aucune précision suffisante ou circonstanciée concernant son identité, la profession de cameraman et de photographe qu’il aurait exercée dans son pays d’origine, les faits de persécution qu’il allègue et leurs motifs ainsi que les risques qu’il courrait effectivement dans le cas d’un retour dans son pays d’origine ou au Soudan où il a séjourné en dernier lieu, ni aucun commencement de preuve ou élément de nature à démontrer la réalité de ces risques ou à infirmer l’appréciation portée par le ministre de l’intérieur sur sa demande d’asile ; que les seuls documents produits par l’intéressé, notamment le témoignage – très peu circonstancié – d’un journaliste réfugié aux Etats-Unis d’Amérique et une lettre émanent de « Reporters sans frontières », ne suffisent à établir qu’il courrait personnellement des risques en cas de retour dans son pays ou au Soudan ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la décision du 6 juillet 2005 du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire refusant d’admettre M. GABERAMADHIEN ASEBEHA sur le territoire au titre de l’asile ne saurait être regardée comme ayant porté à son droit de solliciter le statut de réfugié une atteinte grave et manifestement illégale justifiant le prononcé de mesures sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : que, dès lors et en application des dispositions précitées de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, la requête de l’intéressé, qui est manifestement mal fondée, ne peut qu’être rejetée (...) ».
11. Le 7 juillet 2005, le requérant fut conduit à l’ambassade d’Erythrée par la police. Les autorités auraient remis son récit de demandeur d’asile – lequel précisait les circonstances de sa fuite et le nom des personnes l’ayant aidé – à l’ambassadrice d’Erythrée, laquelle l’aurait violemment pris à parti en érythréen et aurait refusé de le reconnaître comme un national de ce pays et de délivrer un laissez-passer.
12. Par une décision du 20 juillet 2005, « vu [notamment] la demande de suspension du réacheminement jusqu’au 30 août 2005 accordée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en application de l’article 39 de son règlement intérieur », le Ministère de l’Intérieur autorisa le requérant à pénétrer sur le territoire français. Simultanément, un sauf-conduit valable huit jours – visant également la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour – lui fut délivré en vue de se présenter auprès d’une Préfecture pour y formuler une demande de titre de séjour et une demande d’asile. Assisté par l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (l’« ANAFE », une organisation non gouvernementale regroupant vingt associations et syndicats) et Reporters sans frontières, il obtint de la préfecture de Paris, le 26 juillet 2005, une autorisation de séjour provisoire valable un mois, en vue de déposer une demande d’asile devant l’OFPRA (ce qu’il fit).
13. Comme indiqué précédemment, le maintien de l’intéressé en zone d’attente avait été décidé par l’autorité administrative le 1er juillet 2005 à 11 heures, pour une durée de quarante-huit heures (paragraphe 6 ci-dessus), renouvelée le 3 juillet pour quarante-huit heures supplémentaires.
Le 5 juillet 2005, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny – devant lequel avait comparu le requérant, assisté d’un conseil et d’un interprète – avait autorisé la prolongation du maintien en rétention pour une période de huit jours, par une ordonnance ainsi motivée :
« Attendu que la demande d’asile politique de l’intéressé est en cours d’instruction ; qu’il y a lieu de le maintenir en zone d’attente. »
Le 13 juillet 2005, le même juge – devant lequel le requérant avait comparu une nouvelle fois, pareillement assisté – avait autorisé le maintien en zone d’attente pour une durée de huit jour par une ordonnance motivée comme suit :
« Attendu que la demande d’asile a été rejetée le 6 juillet 2005 ; que l’intéressé est démuni de passeport ; qu’il a été présenté à l’ambassade d’Erythrée le 7 juillet 2005 ; que l’administration est dans l’attente de la délivrance d’un laissez-passer ; que le maintien en zone d’attente est nécessaire. »
14. Saisi par le requérant – le 18 juillet 2005 – d’une demande d’annulation de l’ordonnance du 8 juillet 2005, le Conseil d’Etat, par une décision du 11 août 2005, conclut au non lieu à statuer en ces termes :
« (...)
Considérant (...) que M. Gaberamadhien Asebeha avait (...) saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme ; que cette Cour, par une décision du 15 juillet 2005, a indiqué au gouvernement français, en application de l’article 39 de son règlement intérieur, « qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas renvoyer le requérant vers l’Erythrée jusqu’au 30 août 2005, minuit » ; que, faisant suite à cette demande, le ministre, par une décision du 20 juillet 2005, postérieure à l’introduction du pourvoi, a autorisé l’intéressé à pénétrer sur le territoire français, lui permettant par là même de présenter une demande d’asile, ce qu’il a d’ailleurs pu faire après avoir reçu le 26 juillet 2005 une autorisation provisoire de séjour ; que la mesure ainsi prise a le même effet que celle qui faisait l’objet de la demande d’injonction présentée au juge des référés et qui ne pouvait avoir qu’un caractère provisoire ; que, dans ces conditions, les conclusions de la requête de M. Gaberamadhien Asebeha dirigées contre l’ordonnance par laquelle cette demande a été rejetée sont devenues sans objet ;
(...) ».
15. Par une décision du 7 novembre 2005, notifiée le 9 novembre 2005, l’OFPRA reconnut au requérant la qualité de réfugié ; l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés fait désormais obstacle à toute mesure d’expulsion vers son pays d’origine. Le Gouvernement produit une note de l’adjoint au chef de la division des affaires juridiques et internationales de l’OFPRA certifiant ceci ; il précise que « par la même, l’Office estimait, compte tenu, entre autres, des conditions inhumaines de l’incarcération déjà subie dans le pays d’origine, qu’un retour en Erythrée l’exposerait à des persécutions au sens de ladite Convention ».
16. Le requérant indique que, durant son séjour dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy, les autorités ont omis de le soumettre à un examen médical susceptible d’établir si ses cicatrices et séquelles sont des conséquences de mauvais traitements. Il a cependant eu la possibilité de rencontrer à plusieurs reprises (les 6, 7, 11 et 12 juillet 2005) une salariée de l’ANAFE dans les locaux dont dispose cette Organisation non gouvernementale dans la zone d’attente de l’aéroport. L’ANAFE a établi, le 15 juillet 2005, une attestation (produite par le requérant) certifiant qu’à l’occasion de ses entretiens avec lui, la salariée susmentionnée a observé qu’il avait des traces de brûlures sur au moins un bras ; l’attestation ajoute que la salariée de l’ANAFE a constaté « un creux dans le bas [du] dos [du requérant, lequel] lui a expliqué que cela était dû à la torture subie au camp de Zara et a mimé la position dans laquelle il avait été contraint de rester au cours de sa détention : ventre au sol et pieds et poings liés au-dessus du dos » ; le requérant produit également une attestation établie le même jour par ladite salariée elle-même. Par ailleurs, guidé semble-t-il par l’ANAFE, le requérant a été examiné le 17 juillet 2005 par le Dr Lam (unité médicale de Roissy du centre hospitalier Robert Ballanger), lequel a délivré un certificat médical précisant que l’état de santé de l’intéressé ne nécessitait pas de soins particuliers mais notant « des cicatrices séquellaires sur le bras gauche, sur les genoux droits et gauche ».
B. Le droit et la pratique pertinents
1. Droit d’asile
17. Le quatrième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 est ainsi rédigé :
« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
Le Conseil d’Etat a jugé que le droit constitutionnel d’asile a le caractère d’une liberté fondamentale et a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, lequel implique que l’étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ; il a en outre précisé que c’est seulement dans le cas où celle-ci est « manifestement infondée » (paragraphe 23 ci-dessous) que le ministre de l’intérieur peut, après avis de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, lui refuser l’accès au territoire (voir, par exemple, Ministère de l’intérieur c. Mbizi Mpassi Gallis, ordonnance du 24 octobre 2005).
18. Aux termes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :
Article L. 711-1
« La qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu’à toute personne sur laquelle le haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu’adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la convention de Genève susmentionnée. »
Article L. 712-1
« Sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l’article L. 711-1 et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes :
a) La peine de mort ;
b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
c) S’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. »
Article L. 713-2
« Les persécutions prises en compte dans l’octroi de la qualité de réfugié et les menaces graves pouvant donner lieu au bénéfice de la protection subsidiaire peuvent être le fait des autorités de l’Etat, de partis ou d’organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie substantielle du territoire de l’Etat, ou d’acteurs non étatiques dans les cas où les autorités définies à l’alinéa suivant refusent ou ne sont pas en mesure d’offrir une protection.
Les autorités susceptibles d’offrir une protection peuvent être les autorités de l’Etat et des organisations internationales et régionales. »
Article L. 713-3
« Peut être rejetée la demande d’asile d’une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine si cette personne n’a aucune raison de craindre d’y être persécutée ou d’y être exposée à une atteinte grave et s’il est raisonnable d’estimer qu’elle peut rester dans cette partie du pays. Il est tenu compte des conditions générales prévalant dans cette partie du territoire, de la situation personnelle du demandeur ainsi que de l’auteur de la persécution au moment où il est statué sur la demande d’asile. »
19. Aux termes de l’article 1 A 2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (ratifiée par la France le 23 juin 1954) et de l’article 1er du Protocole de New York du 31 janvier 1967 (auquel la France a adhéré le 3 février 1971) relatifs au statut des réfugiés, est « réfugié » toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. » L’article 33 de cette même convention est ainsi libellé :
Article 33 - Défense d’expulsion et de refoulement
« 1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. (...) ».
2. La procédure de l’asile à la frontière et le maintien en zone d’attente
a) La procédure de l’asile à la frontière
20. La procédure de l’asile à la frontière a pour objet d’autoriser ou non à pénétrer sur le territoire français les étrangers qui se présentent aux frontières aéroportuaires démunis des documents requis et demandent d’y être admis au titre de l’asile. Elle relève de la compétence du ministère de l’Intérieur, qui prend la décision d’admettre ou non les intéressés après avis de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA » ; décret du 21 juillet 2004 modifiant l’article 12 du décret du 27 mai 1982).
21. L’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise « l’étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l’asile, peut être maintenu dans une zone d’attente (...) pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s’il est demandeur d’asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée ».
Le Gouvernement indique que les critères appliqués pour juger du caractère « manifestement infondé » ou non des demandes d’asile présentées à la frontière s’inspirent de ceux dégagés par les résolutions adoptées à Londres les 30 novembre et 1er décembre 1992 par les ministres chargés de l’immigration des Etats membres de la Communauté européennes, et sont tirés de l’expérience et des pratiques de l’OFPRA. Il s’agirait des critères suivants : « les motifs invoqués se situent en dehors de la problématique de l’asile (motifs économiques, raisons de pure convenance personnelle ...) ; la demande repose sur une fraude délibérée (l’intéressé se prévaut d’une nationalité qui n’est manifestement pas la sienne, fait de fausses déclarations ...) ; les déclarations sont dénuées de toute substance, non personnalisées, non circonstanciées ; l’intéressé se réfère à une situation générale troublée ou d’insécurité, sans rapporter d’éléments personnalisés ; les déclarations sont entachées d’incohérences rédhibitoires, d’invraisemblances ou de contradictions majeures qui ôtent toute crédibilité au récit ». Dans un arrêt d’Assemblée Rogers, du 13 août 2002, le Conseil d’Etat a précisé que ces résolutions sont dépourvues de valeur normative et qu’elles ne peuvent donc être invoquées pour déterminer le caractère « manifestement infondé » d’une demande d’asile.
22. L’étranger qui sollicite l’asile à la frontière peut le faire dès son arrivée ou à tout moment durant son maintien en zone d’attente, auprès de la police aux frontières, laquelle dresse un procès-verbal de demande d’admission au titre de l’asile et transmet le dossier au Ministère de l’Intérieur. Chaque demandeur est entendu par un agent du Bureau de l’asile à la frontière de l’OFPRA (l’objet de l’entretien étant de connaître les motifs de la demande), lequel transmet au Ministère de l’Intérieur un avis écrit sur le caractère manifestement infondé ou non de sa démarche. Le Ministère prend ensuite la décision d’admettre ou non l’intéressé sur le territoire national.
En cas d’admission, la police aux frontières délivre un sauf conduit, qui donne huit jours à son bénéficiaire pour formuler une demande d’asile dans le cadre des procédures d’asile de droit commun.
Une décision de non admission se traduit par le refoulement immédiat de l’intéressé vers son pays d’origine ou le pays d’où il provient.
23. Comme toutes décisions administratives, les décisions de non admission sont susceptibles d’un recours en annulation devant la juridiction administrative, lequel n’est pas suspensif.
Elles peuvent également faire l’objet du « référé suspension » ou du « référé injonction » (ou « référé liberté ») – non suspensifs – prévus par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative :
Article L. 521-1
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »
Article L. 521-2
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
L’article L. 522-1 du même code précise que le juge des référés statue en principe au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale et que, lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique. L’article L. 522-3 prévoit cependant une procédure de « tri » qui autorise le juge des référés à rejeter, par simple ordonnance motivée, sans convoquer les parties ni tenir d’audience contradictoire, une requête qui ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il « apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ».
L’appel est possible devant le conseil d’Etat dans les quinze jours suivant la notification ; il se prononce dans un délai de quarante-huit heures.
Le Conseil d’Etat a précisé que la notion de « liberté fondamentale » au sens de l’article L. 521-2 du code de la justice administrative « englobe, s’agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d’entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d’asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l’obtention est déterminante pour l’exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers » (ordonnance du juge des référés du 12 janvier 2001, Hyacinthe ; voir aussi l’ordonnance du 24 octobre 2005, Mbizi Mpassi Gallis).
En application des principes du droit administratif français, l’exercice d’un référé comme de tout recours juridictionnel ne suspend pas l’exécution d’une décision administrative. Le Gouvernement expose cependant que, « de manière très générale, lorsque l’autorité administrative a connaissance qu’un référé a été demandé au juge administratif, elle suspend l’exécution de la mesure de refus d’asile jusqu’à ce que le juge se soit prononcé ».
b) Le maintien en zone d’attente
24. La décision initiale de maintien en zone d’attente est prise par l’autorité administrative sous forme écrite et motivée, pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures. Le placement peut être renouvelé une fois dans les mêmes conditions et pour une même durée (article L. 221-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Le juge des libertés et de la détention intervient une première fois au bout de quatre jours, pour décider d’une prolongation d’un maximum de huit jours supplémentaires et une deuxième fois au terme de cette période, en vue d’une prolongation exceptionnelle d’encore huit jours maximum (articles L. 222-1 et L. 222-2).
La durée maximale du maintien en zone d’attente est donc en principe de vingt jours ; cependant, exceptionnellement, si une demande d’asile est formulée entre le seizième et le vingtième jour du maintien, celui-ci peut être prolongé de quatre jours par le juge des libertés et de la détention, à compter de la demande (article L. 222-2).
Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnances, après audition de l’intéressé, en présence de son conseil s’il en a un, ou celui-ci dûment averti ; il peut accorder la prolongation ou la refuser en remettant l’étranger en liberté ou en le plaçant sous le régime de l’assignation à résidence. Il statue librement sur la demande de prolongation formulée par l’administration et peut écarter les motifs avancés par elle pour justifier cette demande et la rejeter en conséquence (la Cour de cassation a précisé que le maintien en zone d’attente « n’est qu’une faculté pour le juge » ; Cass. Civ. 2ème, 8 juillet 2004). En principe, il statue publiquement (article L. 222-4). Ses ordonnances sont susceptibles d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué, lequel doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine (article L. 222-6).
25. L’étranger maintenu en zone d’attente est informé, dans les meilleurs délais, qu’il peut demander l’assistance d’un interprète et d’un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France. Ces informations lui sont communiquées dans une langue qu’il comprend (article L. 221-3).
L’étranger peut demander au juge qu’il lui soit désigné un conseil d’office (article L. 222-4), dont l’Etat prend en charge les honoraires en sus des indemnités des interprètes désignés pour assister l’étranger au cours de la procédure juridictionnelle de maintien en zone d’attente (article L. 222-7).
Le procureur de la République ainsi que, à l’issue des quatre premiers jours, le juge des libertés et de la détention peuvent se rendre sur place pour vérifier les conditions du maintien en zone d’attente ; le procureur de la République visite les zones d’attente chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an. La délégation française du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiées (HCR) et des associations humanitaires ont accès à la zone d’attente, dans les conditions fixées par le décret no 95-507 du 2 mai 1995 modifié ; elles peuvent en particulier s’entretenir confidentiellement avec les demandeurs d’asiles qui y sont retenus (articles L. 221-1 et suivants du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile). Le Gouvernement précise qu’en application d’une convention signée entre l’Etat et l’association ANAFE, cette dernière peut y être présente 24 heures sur 24 et y assurer l’assistance juridique des étrangers, et que la Croix rouge y assure une assistance humanitaire (également en application d’une convention).
3. Dépôt et instruction de la demande, et voies de recours
26. L’OFPRA, un établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière et administrative, placé auprès du ministre des affaires étrangères (article L. 721-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), est l’autorité compétente pour reconnaître la qualité de réfugié et accorder la protection subsidiaire (articles L. 713-1 et L. 721-2).
Le demandeur doit se rendre dans une préfecture pour y obtenir une autorisation provisoire de séjour (« APS ») – valable un mois – et remplir le formulaire de demande d’asile. A la réception du dossier, l’OFPRA adresse au demandeur une « lettre d’enregistrement » qui lui permet notamment de bénéficier d’un récépissé constatant le dépôt d’une demande d’asile, valable 3 mois et renouvelable jusqu’à la décision de l’OFPRA et, le cas échéant, de la commission des recours des réfugiés.
L’OFPRA se prononce au terme d’une instruction unique au cours de laquelle le demandeur d’asile est mis en mesure de présenter les éléments à l’appui de sa demande et, en principe, après avoir entendu celui-ci (articles L. 723-2 et L. 723-3).
27. Les décisions de rejet prises par l’OFPRA en application – notamment – des articles L. 711-1 et L. 712-1 sont susceptibles de recours dans un délai d’un mois devant la commission des recours des réfugiés (article L. 731-2), une juridiction administrative placée sous l’autorité d’un président, membre du Conseil d’Etat, désigné par le vice-président du Conseil d’Etat (article L. 731-2) ; les intéressés peuvent présenter leurs explications à la commission des recours et s’y faire assister d’un conseil et d’un interprète (article L. 733-1).
En principe, ce recours est suspensif et l’autorisation provisoire de séjour est renouvelée jusqu’à l’intervention de la décision de la commission (article 9 de la loi du 25 juillet 1952). A cet égard, l’article L. 742-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise ce qui suit :
« L’étranger admis à séjourner en France bénéficie du droit de s’y maintenir jusqu’à la notification de la décision de l’OFPRA ou, si un recours a été formé, jusqu’à la notification de la décision de la commission des recours. Il dispose d’un délai d’un mois à compter de la notification du refus de renouvellement ou du retrait de son autorisation de séjour pour quitter volontairement le territoire français. »
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a posé le principe du droit pour l’étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié de demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande, sous réserve des demandes abusives ou dilatoires (CE, ass. 13 décembre 1991, M.N.).
28. Les décisions de la commission des recours des réfugiés sont susceptibles – dans un délai de deux mois – de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Ce pourvoi n’a cependant pas de caractère suspensif (CE, 6 mars 1991, M.D.).
29. L’étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusée et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre, doit quitter le territoire français, sous peine de faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (article L. 742-7 du code). L’étranger qui fait alors l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, lorsque l’arrêté est notifié par voie administrative, ou dans les sept jours, lorsqu’il est notifié par voie postale, demander l’annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif ; le président ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine (article L. 512-2 du code). L’arrêté ne peut être exécuté avant l’expiration de ces mêmes délais ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu’il ait statué (article L. 512-3). Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d’appel dans un délai d’un mois devant le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué par lui ; cet appel n’est pas suspensif (article L. 512-5 du code).
30. Aux termes de l’article L. 742-6 du code, en cas de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d’octroi de la protection subsidiaire, l’autorité administrative abroge l’arrêté de reconduite à la frontière qui a, le cas échéant, été pris. Elle délivre sans délai au réfugié la carte de résident prévue au 8º de l’article L. 314-11 (valable 10 ans et renouvelable de plein droit) et au bénéficiaire de la protection subsidiaire, la carte de séjour temporaire prévue à l’article L. 313-13 (valable un an, renouvelable).
GRIEFS
31. Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant soutient qu’il serait exposé à un réel risque pour sa vie ou à celui de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants s’il devait être renvoyé en Erythrée.
Invoquant l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant dénonce l’absence en droit interne d’un recours suspensif contre les décisions de refus d’admission sur le territoire et de réacheminement, que l’étranger concerné soit ou non demandeur d’asile et quels que soient les risques allégués et encourus.
Invoquant l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été privé de liberté illégalement au regard du droit interne, et sans contrôle juridictionnel effectif.
Il s’estime en outre victime d’une violation des articles 13 et 5 de la Convention combinés, résultant de « l’absence de recours effectif, efficace, et à bref délai ».
Sur le fondement de l’article 5 de la Convention, le requérant soutient qu’il serait exposé à une violation de son droit à la liberté et à la sûreté s’il devait être renvoyé en Erythrée.
EN DROIT
A. Sur l’application de l’article 29 § 3 de la Convention
32. La Cour estime qu’il convient en l’espèce d’examiner séparément la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire. Elle décide en conséquence de mettre fin à l’application de 29 § 3 de la Convention.
B. Sur la recevabilité de la requête
1. Quant à l’allégation de violation des articles 2 et 3 de la Convention, pris isolément
33. Le requérant soutient qu’il serait exposé à un réel risque pour sa vie ou à celui de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants s’il devait être renvoyé en Erythrée. Il invoque les articles 2 et 3 de la Convention, lesquels sont, respectivement, libellés comme il suit :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...). »
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Il précise qu’en tant que reporter-photographe associé à la presse libre, il appartient à une catégorie de la population particulièrement exposée à de tels risques en Erythrée ; il se réfère à cet égard à la situation des droits de l’Homme en général et de la liberté de la presse en particulier dans ce pays, et soutient avoir, du fait de son activité journalistique, été emprisonné à plusieurs reprises et soumis à des mauvais traitements. Le requérant souligne que, durant les vingt-deux jours de sa rétention à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, il s’est trouvé expressément menacé d’un renvoi vers l’Erythrée, du fait de la décision administrative exécutoire de non admission sur le territoire – fondée sur le caractère prétendument « manifestement infondé » de sa demande d’asile, au sens de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – et de réacheminement dont il a fait l’objet, dont il ne doit l’inexécution qu’à un concours de circonstances (provenance inconnue et absence de documents de voyages) puis à la mesure provisoire indiquée par la Cour au Gouvernement en vertu de l’article 39 de son règlement.
34. Le Gouvernement soutient qu’en accordant le statut de réfugié au requérant par la décision de l’OFPRA du 7 novembre 2005, il a reconnu que son éloignement vers l’Erythrée aurait risqué d’entraîner pour lui un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 ; il précise que le statut de réfugié prémunit l’intéressé d’un renvoi en Erythrée et lui permet de séjourner en France. Le Gouvernement en déduit que le requérant a perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et que cette partie de la requête est en conséquence irrecevable.
35. Le requérant réplique que l’octroi par l’OFPRA du statut de réfugié ne vaut ni reconnaissance ni réparation de la violation alléguée de la Convention. Il réaffirme qu’il n’a dû son salut qu’à un concours de circonstances ainsi qu’à la mobilisation du milieu associatif et d’avocats, et in fine au prononcé rapide par la Cour d’une mesure provisoire demandant au Gouvernement de ne pas le renvoyer en Erythrée. Jusqu’à l’intervention de cette « mesure salvatrice », les autorités et juridictions françaises auraient quant à elles tout mis en œuvre pour précipiter son éloignement au mépris des droits garantis par la Convention.
36. La Cour rappelle que ne peut pas se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, celui qui, au plan national, a obtenu un redressement adéquat des violations alléguées de la Convention (voir, par exemple, mutatis mutandis, les arrêts Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A, no 51, § 66, Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 36, et Guisset c. France, no 33933/96, § 66, CEDH 2000-XI, et la décision Kaftailova c. Lettonie, no 59643/00, du 21 octobre 2004). Cette règle vaut même si l’intéressé obtient satisfaction alors que la procédure est déjà engagée devant la Cour ; ainsi le veut le caractère subsidiaire du système des garanties de la Convention (voir en particulier la décision Mikheyeva c. Lettonie du 12 septembre 2002, no 50029/99).
Pour qu’une décision ou une mesure favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A no 238, § 34, Amuur précité, même références, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000-IV et Guisset précité, § 66, ainsi que les décisions Achour c. France du 10 novembre 2004, no 67335/01, CEDH 2004-... et Kaftailova précitée). La Cour a précisé à cet égard que, lorsque l’intéressé se plaint d’une mesure d’expulsion prise à son encontre ou de son statut irrégulier sur le territoire national, les mesures adéquates minimales à cet effet sont, premièrement, l’annulation de la mesure d’éloignement et deuxièmement, la délivrance ou la reconnaissance d’un titre de séjour (voir notamment les décisions Pančenko c. Lettonie, no 40772/98, du 28 octobre 1999, Bogdanovski c. Italie, no 72177/01, du 9 juillet 2002, et Mikheyeva et Kaftailova précitées). S’agissant d’une décision de procéder à l’éloignement d’un étranger vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il encourrait un risque pour sa vie ou d’être soumis à la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la Cour estime que ces conditions sont en principe remplies lorsque l’Etat défendeur établit que cette décision ne sera et ne pourra être exécutée et que l’intéressé est autorisé à rester sur son territoire.
En l’espèce, la Cour constate que, par une décision du 7 novembre 2005, l’OFPRA a reconnu au requérant la qualité de réfugié et, par là-même, le fait qu’il risquerait d’être persécuté en Erythrée s’il devait y être renvoyé ; comme le précise le Gouvernement, l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés fait désormais obstacle à toute mesure d’expulsion vers son pays d’origine. Elle relève ensuite qu’aux termes de l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en cas de reconnaissance de la qualité de réfugié, l’administration délivre sans délai à l’intéressé une carte de résident valable 10 ans et renouvelable de plein droit. Elle note que, si le Gouvernement ne fournit pas de précisions quant au titre de séjour délivré au requérant, ce dernier ne prétend pas qu’il n’a pas bénéficié effectivement des dispositions de cet article. Elle en déduit qu’il est suffisamment établi que le requérant ne risque plus d’être renvoyé en Erythrée et que la possibilité de rester sur le territoire français lui est garantie. En conséquence, il ne peut plus se prétendre victime de la violation alléguée de la Convention exposée au paragraphe 33 ci-dessus.
Cette partie de la requête doit donc être rejetée en application des articles 34 et 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Quant à l’allégation de violation des articles 2 et 3 de la Convention, combinés avec l’article 13
37. Le requérant dénonce l’absence en droit interne d’un recours suspensif contre les décisions de refus d’admission sur le territoire et de réacheminement, que l’étranger concerné soit ou non demandeur d’asile et quels que soient les risques allégués et encourus. Il invoque les articles 2 et 3 précités, combinés avec l’article 13 de la Convention, lequel est rédigé comme il suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
a) Les arguments des parties
i) Le requérant
38. Le requérant expose qu’en droit, seul le caractère « manifestement infondé » d’une demande d’asile à la frontière peut justifier un refus d’admission sur le territoire et un réacheminement ; or, en l’absence d’un contrôle judiciaire effectif, l’administration ferait une application abusive de cette notion ce qu’illustrerait son propre cas. Il produit un document intitulé « bilan chiffré de l’asile à la frontière, année 2004 », émanant du ministère de l’Intérieur français, dont il ressort que 92,3 % des demandes d’asile à la frontière ont été déclarées manifestement infondées en 2004 (96,2 % en 2003 ; néanmoins, in concreto, presque un demandeur sur deux – 48 %, soit 1 247 personnes – a été admis sur le territoire en 2004, en raison du refus d’embarquement de certains, de l’expiration du délai légal de maintien en zone d’attente ou de l’absence de vol de retour programmable, de l’absence de destination de renvoi, ou d’ordonnances du juge des libertés favorables aux demandeurs). Quant à l’augmentation des avis positifs de l’OFPRA en 2005 dont se prévaut le Gouvernement – relative, puisque près de 88 % des demandes auraient néanmoins été rejetées comme étant « manifestement infondées » – elle serait due à un changement de la base de calcul du taux de reconnaissance et à l’arrivée cette année là à l’aéroport de Roissy d’un grand nombre de Tchétchènes et d’opposants cubains.
La règle serait le renvoi forcé et systématique dans les heures suivant le rejet de la demande comme « manifestement infondée » ; la durée moyenne du séjour en zone d’attente serait ainsi de 1,82 jours, et 89 % des demandes d’asile à la frontière seraient instruites dans les quatre jours. Il considère que c’est « l’architecture même du système de protection juridictionnelle des demandeurs d’asile à la frontière qui est dépourvue d’efficacité et ne permet pas de garantir les droits fondamentaux ».
39. Quant aux recours pouvant être exercés contre une décision de refus d’admission, le requérant souligne tout d’abord que la procédure de référé devant le président du tribunal administratif (articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de la justice administrative) – dont il a vainement usé – n’est pas effective puisqu’elle est dénuée d’effet suspensif et est soumise à des conditions très strictes et strictement interprétées (l’intéressé doit caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale). En outre, les magistrats de permanence du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (les premiers concernés par ce type de requêtes puisque les demandes d’asile à la frontière sont quasi exclusivement déposées à l’aéroport de Roissy) useraient de manière assez systématique du rejet des requêtes au « tri » pour « irrecevabilité manifeste » – ce dont témoignerait le sort fait à sa demande en référé – le juge statuant alors sans audience publique ni contradictoire, sur la seule foi des pièces produites par l’intéressé (généralement non traduites) et des décisions défavorables et stéréotypées prises par l’administration.
Certes, en 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a donné une suite favorable à 17 des 39 dossiers dont il a été saisi (soit 43,6 % des cas) ; il suffirait cependant de lire ces chiffres à l’aune des 2 548 demandes d’asile enregistrées en zone d’attente cette même année pour réaliser qu’ils témoignent plus de l’éviction de l’accès aux droits des demandeurs d’asile maintenus en zone d’attente que de l’efficacité de la procédure. De fait, il arriverait fréquemment que les intéressés soient réacheminés avant qu’un juge administratif ne les ait même convoqués à l’audience.
Il serait illusoire de penser qu’un étranger retenu en zone d’attente, qui ne parle pas nécessairement le français, sur le point d’être renvoyé en application d’une décision exécutoire et exécutable à tout moment, a le loisir de saisir le juge administratif d’une telle requête, par lettre recommandée ou dépôt au greffe, en quatre exemplaires, et conduire une procédure aussi technique ; ayant bénéficié de l’intervention bénévole d’organisations non gouvernementales et d’un avocat, le requérant serait une exception à cet égard. A supposer même qu’un tel recours puisse être jugé en principe effectif au sens de l’article 13, il y aurait lieu de juger qu’il ne le fut pas en l’espèce, la demande du requérant ayant été rejetée immédiatement et sommairement, sans examen approfondi, instruction, audience, contradictoire, production et examen de pièces.
Le seul recours possible contre la décision du juge des référés est un pourvoi en cassation – non suspensif – devant le Conseil d’Etat ; or le pourvoi ne peut être fondé que sur des moyens de forme ou de pur droit – ce qui exclut la mise en cause de l’appréciation souveraine des faits par le juge du fond – et suppose l’intervention obligatoire d’un avocat aux Conseils alors que l’obtention de l’aide juridictionnelle est quasiment impossible s’agissant de demandeurs d’asile : elle est soumise à une condition de résidence régulière et habituelle sur le territoire français, suppose le dépôt d’un formulaire de demande ad hoc, rempli en français et assorti de justificatifs de revenus, et la décision n’intervient qu’au bout de plusieurs mois. Ayant bénéficié de l’assistance bénévole d’un tel avocat grâce à l’intervention de son conseil de première instance et de l’ANAFE, le requérant serait là aussi une exception. De toutes façons, en l’espèce, le Conseil d’Etat ne s’est prononcé que le 11 août 2005, soit plus d’un mois après sa saisine, ceci pour rendre une ordonnance de non-lieu.
40. Le même constat s’imposerait s’agissant du recours en excès de pouvoir ou en annulation devant le juge administratif contre la décision de refus d’admission et de réacheminement : un tel recours ne serait jugé que plusieurs années après son introduction et le juge se contenterait vraisemblablement, conformément à la jurisprudence, de considérer qu’il n’y a plus lieu à statuer, le requérant ayant finalement été admis sur le territoire grâce à la mesure provisoire indiquée par la Cour au Gouvernement en vertu de l’article 39 de son règlement. Tout aussi vain serait un recours indemnitaire devant le juge administratif : un jugement n’interviendrait qu’après plusieurs années, et une éventuelle « condamnation pécuniaire posthume » serait dénuée de toute effectivité pour un requérant déjà renvoyé dans son pays d’origine.
41. Le requérant réaffirme sa conviction qu’il ne doit son salut qu’aux circonstances, en particulier le refus de l’ambassadrice d’Erythrée – à laquelle les autorités françaises ont présenté son récit de demandeur d’asile, l’exposant ainsi d’avantage encore à des mesures de rétorsion en cas de renvoi dans ce pays – de délivrer un laissez-passer, et la mise en œuvre de l’article 39 du règlement de la Cour.
ii) Le Gouvernement
42. Selon le Gouvernement, cette partie de la requête est manifestement mal fondée.
43. Il soutient tout d’abord que les procédures de « référé suspension » (article L. 521-1 du code de la justice administrative) et de « référé injonction » ou « référé liberté » (article 521-2 du même code) offrent la possibilité de faire surseoir à l’exécution d’une mesure risquant d’entraîner une violation des articles 3 et 13 de la Convention. Il souligne que le requérant a exercé un tel recours contre la décision de non admission prise contre lui et que, saisi le 7 juillet 2005, le juge des référés a statué dès le lendemain. Il estime que le requérant a ainsi bénéficié d’un examen de sa cause, présentant les garanties de sérieux et d’indépendance exigées par la jurisprudence de la Cour, le juge des référés ayant fondé sa décision sur des éléments objectifs souverainement appréciés.
44. Par ailleurs, le Gouvernement indique que la proportion d’avis positifs émis par l’OFPRA à la frontière était de 22,2 % en 2005, soit près du triple du taux d’admission dans le cadre de la procédure d’éligibilité au bénéfice de l’asile la même année (8,2 %). Selon lui, cet écart démontre qu’à la frontière, le doute profite au demandeur. Il ajoute qu’il n’a pas connaissance de cas où le renvoi d’un étranger aurait conduit a posteriori à ce qu’il subisse des traitements contraires à l’article 3 de la Convention ou à l’article 33 de la convention de Genève.
Répondant aux observations de l’ANAFE (ci-dessous), il ajoute notamment que la procédure d’examen des demandes d’asile à la frontière a été substantiellement réformée par la loi no 2003-1176 du 10 décembre 2003, de sorte qu’il faut rapprocher le taux de 9,3 % d’admission des demandeurs d’asile à la frontière en 2004 et celui précédemment cité de 22,2 % en 2005. Quant à la durée d’examen des demandes d’asile à la frontière, elle s’expliquerait par les délais légaux du maintien en zone d’attente. Il souligne en outre que l’ANAFE n’a trouvé que six cas d’avis négatifs exprimés à la frontière contredits par la suite par une admission au statut de réfugié entre 1999 et 2005. Selon lui, il est en tout état de cause difficile de faire un parallèle entre la procédure de demande d’asile à la frontière et celle sur le territoire français, dès lors qu’il s’agit de statuer sur des dossiers différents. Il indique qu’il ne dispose pas de statistiques précises sur ce point, mais précise qu’en 2005, l’OFPRA a rendu 2 278 avis dans le cadre de la procédure de demande d’asile à la frontière.
b) Les observations de l’ANAFE, tierce intervenante
45. Les observations de L’ANAFE – organisation non gouvernementale dont l’objet est de fournir une aide juridique et humanitaire aux étrangers en difficulté aux frontières françaises – portent sur la situation des demandeurs d’asile à la frontière. L’ANAFE souligne en premier lieu qu’elle a eu connaissance de plusieurs cas d’étrangers ayant eu de sérieuses difficultés à faire enregistrer leur demande d’admission en France au titre de l’asile (16 en 2006) : certains peuvent rester plusieurs jours en « zone internationale », sans nourriture et dormant sur les sièges, avant que la police de l’air et des frontières n’accepte de prendre en compte leur demande et leur donne accès à la « zone d’attente ».
L’ANAFE signale en outre les difficultés de communication que rencontrent les demandeurs à la frontière dans le cadre de la procédure d’admission, dues à la médiocrité et à l’inadaptation de l’interprétation fournie.
L’ANAFE commente ensuite les chiffres relatifs à la demande d’asile à la frontière publiés par l’OFPRA : par rapport aux années précédentes, le nombre de demandes d’asile à la frontière a baissé de 57 % en 2004 et de 9,4 % en 2005 ; 7,7 % des demandeurs ont été admis sur le territoire en 2004, 22,2 % en 2005. Selon elle, cette baisse du nombre de demandeurs d’asile à la frontière est le résultat des moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour empêcher les étrangers de venir en France (en violation de la convention de Genève lorsqu’il s’agit de réfugiés). Parmi ces moyens, elle cite le développement du visa de transit aéroportuaire (auquel sont soumis aujourd’hui les ressortissants d’une trentaine pays), les lourdes sanctions infligées aux transporteurs et les contrôles aux portes des aéronefs (il ne serait pas rare que les personnes ainsi contrôlées soient refoulées avant même qu’elles n’aient pu enregistrer une demande d’asile).
L’ANAFE ajoute qu’en 2005, selon les données transmises par le Ministère de l’Intérieur, 89 % des demandes d’asile à la frontière ont été instruites en moins de quatre jours après leur enregistrement, l’instruction consistant en l’audition et la formulation d’un avis par un agent de l’OFPRA, puis une décision du ministère de l’Intérieur (qui suit généralement cet avis). Elle souligne que les demandeurs d’asile sont souvent dépourvus de documents susceptibles d’étayer leur dossier et que cette rapidité laisse peu de possibilités de rassembler les pièces nécessaires. Elle dénonce surtout le fait que, dans le cadre de la détermination du caractère « manifestement infondé » ou non des demandes, l’administration procède à un examen au fond de celles-ci, alors qu’il ne devrait s’agir que de vérifier sommairement si les motifs évoqués par les demandeurs correspondent à un besoin de protection, dans le but d’écarter les personnes qui désirent venir en France pour un autre motif (travail, regroupement familial etc.) en s’affranchissant de la procédure de délivrance de visas. Ce faisant, elle les prive des garanties de la procédure de demande d’asile après admission sur le territoire (décision de l’OFPRA – qui dispose des moyens adéquats pour effectuer les recherches et investigations nécessaires – prise à la suite d’un examen complet de la demande, et susceptible de faire l’objet d’un recours suspensif). Les cas de demandeurs d’asile dont la demande a été jugée « manifestement infondée » à la frontière et qui ont pu pénétrer sur le territoire par un autre biais et se voir reconnaître ensuite la qualité de réfugié ne seraient pas rares. A l’appui de cette assertion, l’ANAFE détaille le cas de six personnes qui se sont trouvées dans cette situation en 2004 ou 2005 (certains d’entre elles ayant entre-temps été sanctionnées pénalement pour avoir refusé d’obtempérer à leur éloignement) et produit une attestation du secrétaire général de la Cimade – une Organisation non Gouvernementale œcuménique d’entraide présente dans les centres de rétention administrative – datée du 19 avril 2006.
46. Par ailleurs, l’ANAFE produit un « rapport sur la procédure d’admission sur le territoire au titre de l’asile » établi par ses soins, daté du 25 novembre 2003 et intitulé « la roulette russe de l’asile à la frontière – zone d’attente : qui détourne la procédure ? », dans lequel elle fait part de ses « préoccupations » quant à la procédure de l’asile à la frontière. Elle souligne en particulier qu’une réponse négative de l’administration est « sans appel » dès lors qu’en l’absence de recours suspensif, le demandeur peut être renvoyé vers le pays de provenance sur la base de ce seul refus. Selon elle :
« (...) Ce filtre pratiqué à la frontière pour des milliers de personnes chaque année, hors de tout contrôle efficace des juges administratifs, a toujours privilégié le contrôle des flux migratoires au détriment de la protection des réfugiés. Mais depuis plus d’un an, la machine administrative est devenu folle et des centaines de demandeurs d’asile sont refoulés, parfois dans des charters organisés par le ministère de l’Intérieur, alors qu’ils avaient de sérieuses raisons de craindre des persécutions de la part des autorités de leurs pays d’origine ou même parfois de celui par lequel ils ont transité pendant un certain temps. S’ils ne sont pas renvoyés, d’autres sont condamnés à une peine de prison du seul fait d’avoir refusé d’exécuter une décision dont la légalité et la légitimité sont plus que contestables. Depuis quinze ans, l’ANAFE (...) tente d’apporter assistance à ces naufragés du droit d’asile. Elle n’a pu que constater la dérive des pratiques administratives vers de plus en plus de sévérité, réduisant à une peau de chagrin le droit constitutionnel de demander l’asile (...) ».
Dans ce rapport, l’ANAFE observe une chute importante de l’admission des demandeurs d’asile sur le territoire (de 60 % en 1995, le taux d’admission est passé à 20 % en 2001 et 2002, 18,8 % en novembre 2002, et 3,4 % en mars 2003), qu’elle attribue à un choix délibéré des autorités. Elle déduit de l’analyse d’une série de décisions de refus d’accès au territoire rendues au cours de l’année 2003, que cela est dû à une « dangereuse dérive » de l’administration dans son application de la notion de « manifestement infondée » au sens de l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : les motifs retenus par l’administration seraient « bien loin des limites imposées par l’examen stricto sensu du caractère « manifestement infondé » des demandes et contien[draient] des argumentations de plus en plus inacceptables pour tenter de justifier le rejet des demandes d’asile ». Selon l’ANAFE, il résulte pourtant de la jurisprudence (elle se réfère à cet égard à une décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992 – DC 92 307 – un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 18 décembre 1996 – Rogers, RFDA 1997-2, p. 281 – et une décision du tribunal administratif de Paris du 5 mai 2005 – Avila Martinez c. ministère de l’Intérieur) « que cet examen doit se limiter à une évaluation superficielle visant à écarter uniquement les demandes ne relevant manifestement pas du droit d’asile, laissant ainsi le pouvoir d’appréciation et de vérification de l’OFPRA » ; « la pratique [serait] très éloignée de cette théorie et de la jurisprudence ».
47. L’ANAFE indique que, le 5 mars 2004, elle a signé avec le ministre de l’Intérieur une convention (renouvelée par la suite) qui lui a permis d’assurer, pour une période expérimentale de six mois, une assistance régulière des étrangers non admis sur le territoire français et maintenus en zone d’attente à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Elle produit un document intitulé « la frontière et le droit : la zone d’attente de Roissy sous le regard de l’ANAFE », qui fait le bilan détaillé de cette expérience de terrain. Outre notamment les difficultés exposées ci-dessus, ce document dénonce « une politique qui semble toute orientée vers un objectif sécuritaire et de contrôle des frontières, au détriment du respect des droits de la personne, notamment du droit d’asile, mais aussi du droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants ou encore les droits spécifiques dus au mineurs », ainsi qu’une « pratique de refus quasi-systématique d’admission au titre de l’asile, au mépris de la convention de Genève » ; selon l’ANAFE, « la procédure de l’asile à la frontière s’inscrit dans une logique renforcée de rejet et s’oppose aux personnes en recherche de protection ».
48. Enfin, l’ANAFE produit les conclusions et recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture relatives à la France, du 3 avril 2006 (adoptées le 24 novembre 2005 ; document CAT/C/FRA/CO/3). Sous les titres et sous-titres « sujets de préoccupation et recommandations » et « non refoulement », le Comité se dit « préoccupé par le caractère expéditif de la procédure dite prioritaire, concernant l’examen des demandes [d’asile] déposées dans les centres de rétention administrative ou aux frontières, laquelle ne permet pas une évaluation des risques conforme à l’article 3 de la convention [contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] » (« 1. Aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. (...) »). Le point 7 de ce rapport est ainsi rédigé :
« 7. Tout en notant que, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, la décision de refoulement (« non-admission ») d’une personne peut faire l’objet d’un référé-suspension ou d’un référé-injonction, le Comité est préoccupé par le caractère non suspensif de ces procédures, compte tenu du fait que « la décision prononçant le refus d’entrée peut être exécutée d’office par l’administration » entre l’introduction du recours et la décision du juge relative à la suspension de la mesure d’éloignement. (Article 3)
Le Comité réitère sa recommandation (A/53/44, par. 145) qu’une décision de refoulement (« non-admission ») entraînant une mesure d’éloignement puisse faire l’objet d’un recours suspensif, lequel devrait être effectif dès l’instant où il est déposé. Le Comité recommande également que l’État partie prenne les mesures nécessaires pour s’assurer que les personnes sujettes à une mesure d’éloignement puissent faire usage de toutes les voies de recours existantes, y compris l’accès au Comité contre la torture par le moyen de l’article 22 de la convention. »
c) L’appréciation de la Cour
49. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention ne s’applique qu’en présence d’allégations de violations de la Convention constituant des griefs défendables au sens de sa jurisprudence (voir, par exemple, l’arrêt Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, CEDH 2000‑V, § 67). Tel n’est pas le cas du grief tiré de l’article 2 de la Convention, les éléments figurant au dossier ne permettant pas de considérer que le requérant aurait encouru un risque pour sa vie en cas de réacheminement vers l’Erythrée. Par conséquent, pour autant qu’elle se rapporte aux articles 13 et 2 combinés, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Les mêmes éléments conduisent la Cour a considérer que la thèse développée par le requérant quant à un risque de mauvais traitement en Erythrée avait un degré suffisant de crédibilité pour qu’il soit considéré qu’une question sérieuse se posait sous l’angle de cette disposition ; le fait que l’OFPRA lui a par la suite reconnu la qualité de réfugié tend à le confirmer, ainsi que la note de l’adjoint au chef de la division des affaires juridiques et internationales de l’Office qui précise que « par là-même, l’Office estimait, compte tenu, entre autres, des conditions inhumaines de l’incarcération déjà subie dans le pays d’origine, qu’un retour en Erythrée l’exposerait à des persécutions au sens de la [convention de Genève] » (paragraphe 15 ci-dessus). Cependant, la Cour ayant conclu que le requérant a perdu la qualité de victime s’agissant de la violation alléguée de l’article 3 (paragraphe 36 ci-dessus), une question se pose quant à l’applicabilité de l’article 13 pris en combinaison avec cette disposition, question qu’il y a lieu de joindre au fond.
Ceci étant, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties et de la tierce intervenante, que, pour autant qu’elle se rapporte aux articles 13 et 3 de la Convention combinés, cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu de la déclarer recevable.
3. Quant à l’allégation de violation de l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention
50. Le requérant se plaint d’avoir été privé de liberté illégalement au regard du droit interne, et sans contrôle juridictionnel effectif. Il invoque l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
(...)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. (...). »
a) Les arguments des parties
51. Selon le requérant, au vu des circonstances de sa cause, sa demande d’asile ne pouvait être considérée « manifestement infondée » ; en conséquence, parce qu’ils reposent indûment sur un tel motif, le rejet de sa demande d’admission par l’administration et le rejet de sa requête en référé-liberté par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy seraient injustifiés et son maintien en zone d’attente, conséquence du rejet de sa demande pour un tel motif, serait dépourvu de fondement. Le requérant souligne à cet égard que l’admission au séjour des demandeurs d’asile est, en droit interne, un principe général du droit à portée constitutionnelle ; l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui, par dérogation à ce principe, permet de refuser l’accès au territoire national en raison du caractère « manifestement infondé » d’une demande ne pourrait en conséquence qu’être interprétés strictement, ce qui exclut tout examen au fond tel que celui auquel l’administration s’est livrée en sa cause ; il se réfère à cet égard notamment à une décision du tribunal administratif de Paris du 5 mai 2000, Avila Martinez c. ministère de l’Intérieur, dont il ressortirait qu’une demande n’est « manifestement infondée » que si elle est « manifestement insusceptible de se rattacher aux critères prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ou à d’autres critères justifiant l’octroi de l’asile ».
Ensuite, alors que l’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne prévoit le placement en zone d’attente que « pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s’il est demandeur d’asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée », il fut maintenu en zone d’attente après le rejet de sa demande d’admission par l’administration pour un tel motif (le 6 juillet 2005), et alors qu’il était clair que l’organisation du renvoi ne pouvait matériellement avoir lieu, en l’absence de document de voyage (l’ambassade d’Erythrée ayant, dès le 7 juillet 2005, refusé de le reconnaître et de délivrer un laissez-passer) et sa provenance étant inconnue, et à partir du 15 juillet 2005, du fait de la mesure provisoire indiquée par la Cour au Gouvernement en vertu de l’article 39 de son règlement. En outre, la loi ne permet le maintien en zone d’attente que pour une durée maximale de vingt jours ; or arrivé à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle le 29 juin 2005, il fut retenu jusqu’au 20 juillet 2005, soit durant vingt-deux jours. Il aurait en fait été maintenu en zone internationale les deux premiers jours suivant son arrivée, ce qui l’aurait empêché de déposer une demande d’admission au séjour.
Le requérant ajoute que le contrôle du juge des libertés sur le maintien en zone d’attente est dénué d’effectivité, dès lors que ledit juge est lié par l’appréciation de l’administration sur le caractère manifestement infondé ou non de la demande d’asile, cette question étant du ressort exclusif du juge administratif (il se réfère à cet égard à un arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, du 30 juin 2004, Ministre de l’Intérieur c. Gueye). Par ailleurs, la manière dont s’est déroulée la procédure en sa cause devant le juge de Bobigny serait révélatrice : il était assisté d’un interprète en langue anglaise – langue qu’il comprend et parle à peine – et de l’avocat d’office de permanence au tribunal ce jour là, avec lequel il n’a pu ni s’entretenir ni communiquer ; quant aux décisions du juge, elles se limitent à un document « pré-informatisé » et pré-imprimé, dont les rubriques ne sont pas même complétées, assorties de commentaires manuscrits à peine lisibles et partiellement erronées ; sur ce dernier point, le requérant indique que la décision du 13 juillet 2005 précise que l’autorisation de maintenir le requérant en zone d’attente est renouvelée au motif que l’administration est dans l’attente d’un laissez-passer, alors qu’une semaine auparavant, l’ambassadrice d’Erythrée à laquelle le requérant avait été présenté par les autorités française, avait refusé de délivrer un tel document.
52. Le Gouvernement considère que la législation et la réglementation applicables aux zones d’attente répondent aux exigences de l’article 5 de la Convention et offrent les garanties visées par la Cour dans son arrêt Amuur c. France du 25 juin 1996 (Recueil 1996-III).
En l’espèce, la durée du maintien du requérant en zone d’attente n’aurait pas excédé le maximum légal de vingt jours, et aurait été décidée sous le contrôle de l’autorité judiciaire : la décision initiale a été prise par l’administration le 1er juillet 2005 puis, conformément à la loi, renouvelée le 3 juillet, puis prorogée les 5 et 13 juillet par le juge des libertés du tribunal de grande instance de Bobigny après audition de l’intéressé. Le Gouvernement déduit de ce qui précède que cette partie de la requête est manifestement mal fondée.
b) L’appréciation de la Cour
53. La Cour souligne en premier lieu que le maintien du requérant en zone d’attente s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Amuur précité, §§ 38 et suivants) ; cela n’a au demeurant pas prêté à controverse.
i) Sur l’article 5 § 1 de la Convention
54. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure ; elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, l’arrêt Amuur précité, § 50, et l’arrêt Bozano v. France du 18 décembre 1986, Série A no 111, § 54).
55. L’article 5 § 1 impose ainsi en premier lieu que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne (ibidem).
A cet égard, la Cour constate que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit expressément que « l’étranger qui arrive en France par la voie (...) aérienne et qui, soit n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l’asile, peut être maintenu dans une zone d’attente (...) pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s’il est demandeur d’asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée » (article L. 221-1), ceci pour une durée qui ne peut en principe dépasser vingt jours. En l’espèce, il est clair que le requérant fut maintenu en zone d’attente dans un premier temps dans la perspective d’une décision sur le caractère « manifestement infondé » ou non de sa demande d’accès au territoire au titre de l’asile, puis, à partir du 6 juillet 2005, date de la décision du Ministère de l’Intérieur rejetant cette demande et prescrivant son réacheminement, en vue de son « départ ». La Cour en déduit qu’en principe, la privation de liberté subie par le requérant avait une base légale en droit interne.
56. La thèse développée par le requérant consiste à dire qu’en concluant que sa demande d’asile était « manifestement infondée », l’administration a non seulement commis une erreur d’appréciation des circonstances de sa cause, mais aussi procédé à une évaluation au fond de sa demande dépassant les pouvoirs que lui confèrent la loi. Le requérant en déduit en substance qu’illégal au regard du droit interne, son maintien en zone d’attente était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.
Comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Bozano précité (§ 55), il arrive aux organes d’un Etat contractant de commettre de bonne foi des irrégularités ; dans un tel cas, même la constatation ultérieure du manquement par un juge peut ne pas rejaillir, en droit interne, sur la validité des mesures de mise en œuvre prises dans l’intervalle. Il en va autrement si les autorités avaient, dès le départ, conscience de transgresser la législation en vigueur, en particulier si leur décision initiale se trouvait entachée de détournement de pouvoir (ibidem). En l’espèce cependant, aucun élément ne permet de considérer que l’administration a fait preuve de mauvaise foi dans son examen de la situation de l’intéressé. Par ailleurs, s’il est indéniable que l’étendu du pouvoir d’appréciation de l’administration fait l’objet d’un débat, ce débat n’apparaît pas avoir été tranché par les juridictions internes (le requérant se borne d’ailleurs à se référer à un jugement de première instance) ; l’on ne peut donc d’avantage considérer que l’administration a sciemment outrepassé ses pouvoirs.
57. Les termes « selon les voies légales » concernent aussi la qualité de la loi : ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. Pareille qualité implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté – surtout lorsqu’il s’agit d’un demandeur d’asile – soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout danger d’arbitraire (voir l’arrêt Amuur précité, § 50). Ainsi, dans l’arrêt Amuur précité, la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 1 au motif que les normes juridiques alors applicables au maintien en « zone internationale » d’étrangers demandant l’asile à la frontière ne répondaient pas à cette exigence. La Cour constate cependant que le requérant ne soutient pas que le droit interne applicable en sa cause – lequel a évolué depuis les faits examinés dans l’affaire Amuur (paragraphes 24-25 ci-dessus) – présentait de telles lacunes.
58. Enfin, la Cour note que le requérant se plaint uniquement de son maintien en zone d’attente pour une période postérieure au rejet de sa demande d’admission sur le territoire. Or, comme cela ressort de la décision du 6 juillet 2005 (paragraphe 8 ci-dessus) ainsi que de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 13 juillet 2005 (paragraphe 13 ci-dessus), cette partie de la privation de liberté qu’il a subie visait à permettre son réacheminement, conséquence légale du rejet de sa demande d’accès au territoire au titre de l’asile ; il s’agissait donc d’une « détention (...) d’une personne (...) contre laquelle une procédure d’expulsion (...) est en cours » au sens de l’article 5 § 1 f), c’est-à-dire de l’une des exceptions au droit à la liberté expressément prévues par cet article.
59. Il résulte de ce qui précède que les seules questions qui persistent sur le terrain de l’article 5 § 1 de la Convention sont les suivantes : celle du maintien du requérant en zone d’attente jusqu’au 20 juillet 2005, alors que, selon lui, son renvoi ne pouvait plus matériellement avoir lieu, d’une part parce qu’il n’avait pas de documents de voyage et que sa provenance était inconnue et, d’autre part, à partir du 15 juillet 2005, du fait de la mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39 de son règlement ; celle tirée du maintien allégué du requérant en « zone internationale » entre le 29 juin et le 1er juillet 2005. A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention ; aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu de la déclarer recevable.
Le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention est en revanche manifestement mal fondé pour le surplus et doit en conséquence, dans cette limite, être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
ii) Sur l’article 5 § 4 de la Convention
60. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à avoir accès à un « tribunal » qui examine le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté (voir, par exemple, l’arrêt Brogan et autres c. Royaume‑Uni du 29 novembre 1988, série A no 145-B, § 65). Cette garantie s’applique quels que soient les motifs de la détention et que celle-ci soit régulière ou non au regard du droit interne et de l’article 5 § 1 (voir, par exemple, les arrêts De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, du 18 juin 1971, série A no 12, § 73 et Asenov c. Bulgarie, no 42026/98, du 15 juillet 2005, § 77). La procédure doit avoir un caractère judiciaire et être entourée de garanties suffisantes, adaptées à la nature de la privation de liberté en question (voir, par exemple, l’arrêt Niedbala c. Pologne du 4 juillet 2000, no 27915/95, § 66).
Par ailleurs, si cette disposition veut un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1, l’étendue de l’obligation en découlant n’est pas identique pour chaque sorte de privation de liberté ; cela vaut en particulier pour la portée du contrôle juridictionnel prévu. Ainsi, s’agissant de privations de liberté dans le cadre d’une « procédure d’expulsion » au sens du paragraphe 1 f), le quatrième paragraphe n’exige pas que les tribunaux internes soient habilités à examiner si la décision d’ « expulsion initiale » se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention, dès lors que le premier paragraphe exige seulement qu’une telle procédure soit en cours (voir notamment les arrêts Chahal c. Royaume-Uni, du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 112, et Čonka c. Belgique, du 5 février 2002, no 51564/99, ECHR 2002-I, § 38).
61. Aux termes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (paragraphes 24-25 ci-dessus), l’étranger maintenu en zone d’attente est informé, dans les meilleurs délais et dans une langue qu’il comprend, qu’il peut notamment demander l’assistance d’un interprète et communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix.
La décision initiale de placement en zone d’attente est prise par l’administration, pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures, renouvelable une fois dans les mêmes conditions et pour une même durée. Le placement ne peut être prolongé au-delà de ces quatre jours que par une décision judiciaire : le juge des libertés et de la détention – qui remplit sans nul doute d’un point de vue structurel les conditions d’indépendance et d’impartialité requises pour constituer un « tribunal » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention – intervient automatiquement, une première fois au bout de ces quatre jours, pour décider d’une prolongation d’un maximum de huit jours, et une seconde fois au terme de cette période en vue d’une prolongation exceptionnelle d’encore huit jours maximum. La durée maximale du maintien en zone d’attente est donc en principe de vingt jours (exceptionnellement, si une demande d’asile est formulée entre le seizième et le vingtième jour du maintien, celui-ci peut être prolongé de quatre jours par le juge, à compter de la demande) ; si l’intéressé n’a pas été réacheminé au terme de cette période, il est mis fin à son placement en zone d’attente.
La Cour constate ensuite que le juge des libertés et de la détention statue publiquement après avoir entendu l’intéressé, lequel peut être assisté d’un interprète ainsi que du conseil de son choix et peut demander qu’il lui soit désigné un conseil d’office. Il statue en toute liberté sur la demande de prolongation formulée par l’administration ; il est notamment compétent pour juger de la régularité et de la légalité du maintien en zone d’attente au regard de l’article L. 221-1 précité et s’assurer que la durée de celui-ci n’excède pas le maximum légal et, s’il juge le maintien en zone d’attente illégal, pour ordonner que l’intéressé sois mis en liberté. Enfin, la Cour relève que les ordonnances du juge des libertés et de la détention sont susceptibles d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou de son délégué, lequel doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine.
62. La Cour retient tout particulièrement qu’au-delà de quatre jours, le maintien en zone d’attente doit être décidé par le juge de la détention et de la liberté, ce qui, eu égard aux modalités susdécrites de la procédure, garantit aux demandeurs d’asiles à la frontières un contrôle pleinement juridictionnel automatique et rapide de la légalité de la privation de liberté qu’ils subissent. Le fait que la durée maximale du maintien en zone d’attente est strictement fixée par la loi et la faculté ouverte aux demandeurs d’interjeter appel des ordonnances du juge des libertés et de la détention, assortie de l’assurance légale d’une décision rapide, renforcent cette garantie.
Il est vrai que, comme le souligne le requérant, le cas échéant, le juge des libertés et de la détention est lié par l’appréciation de l’administration quant au caractère « manifestement infondé » de la demande d’asile, lequel constitue le fondement légal du refus d’accès au territoire et donc, indirectement, du maintien de l’intéressé en « zone d’attente ». La Cour constate cependant que l’article L. 521-2 du code de justice administrative donne aux demandeurs la possibilité de saisir le juge administratif des référés du rejet de la demande d’accès au territoire, lequel a la compétence d’apprécier ce motif et, notamment, d’enjoindre l’administration d’admettre le requérant sur le territoire (dans ce sens : Conseil d’Etat, ordonnance du 25 mars 2003), ce qui met fin au placement en « zone d’attente ». Comme le juge des libertés et de la détention, le juge des référés statue alors dans les quarante-huit heures, en principe au terme d’une procédure contradictoire incluant une audience publique à laquelle les parties sont conviées, et l’appel est possible devant le Conseil d’Etat (lequel statue dans les quarante-huit heures).
63. La Cour parvient en conséquence à la conclusion que les demandeurs d’asile à la frontière française bénéficient d’un contrôle de la légalité de leur maintien en zone d’attente répondant en principe aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Vu sous cet angle, le grief que le requérant tire de cette disposition est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
La Cour relève ensuite que le requérant n’a pas interjeté appel des ordonnances rendues en l’espèce par le juge des libertés et de la détention. En conséquence, pour autant qu’il se plaint des modalités particulières de l’examen de sa cause par ledit juge, il n’a pas épuisé les voies de recours internes, de sorte que cette partie de son grief est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 § 1 et 4 de la Convention.
3. Quant aux autres griefs
64. Le requérant dénonce une violation des articles 13 et 5 (précités) combinés, résultant de « l’absence de recours effectif, efficace, et à bref délai ».
La Cour rappelle que l’article 13 fixe des conditions moins strictes que l’article 5 § 4, lequel doit être considéré comme la lex specialis pour les doléances tirées de l’article 5 (voir, par exemple, l’arrêt Brannigan et McBride c. Royaume-Uni du 26 mai 1993, série A no 258-B, § 76). Il n’y a donc pas lieu d’examiner les faits dénoncés par le requérant aussi sous l’angle de l’article 13.
65. Sur le fondement de l’article 5 de la Convention précité, le requérant soutient qu’il serait exposé à une violation de son droit à la liberté et à la sûreté s’il devait être renvoyé en Erythrée, d’autant plus indubitablement que les éléments relatifs à sa demande d’asile ont été remis par les autorités françaises à l’ambassadrice Erythréenne, à laquelle il a été présenté par la police le 7 juillet 2005.
Selon la Cour, cette partie de la requête est en tout état de cause irrecevable pour les motifs exposés au paragraphe 36 ci-dessus.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention ;
Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention, pour autant qu’il se rapporte, premièrement, au maintien allégué du requérant en « zone internationale » entre le 29 juin et le 1er juillet 2005 et, deuxièmement, au maintien du requérant en zone d’attente jusqu’au 20 juillet 2005, alors que, selon lui, son renvoi ne pouvait plus matériellement avoir lieu, d’une part parce qu’il n’avait pas de documents de voyage et que sa provenance était inconnue et, d’autre part, à partir du 15 juillet 2005, du fait de la mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39 de son règlement ;
Déclare le restant de la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président