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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MIRAUX c. FRANCE

(Requête no 73529/01)

ARRÊT

STRASBOURG

26 septembre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Miraux c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 73529/01) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. JeanPierre Miraux (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 mars 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me O. Ferretti, avocat à Caen. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 4 janvier 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1947 et est actuellement incarcéré au centre de détention de Caen.

5. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

6. Le 28 février 1996, le requérant fut mis en examen par un juge d'instruction du Havre, des chefs de viol et agressions sexuelles commis sur deux mineurs de 15 ans.

7. Par ordonnance du 18 février 1997, le juge d'instruction requalifia les faits de viol en délit d'agression sexuelle sur mineur de quinze ans et renvoya le requérant devant le tribunal correctionnel.

8. Le 15 avril 1997, le tribunal correctionnel du Havre s'estima en présence de faits criminels et, partant, se déclara incompétent.

9. Par arrêt du 21 mai 1997, la Cour de cassation, saisie d'une demande en règlement de juges par le procureur de la République près le tribunal de grande instance du Havre, jugeant l'ordonnance du juge d'instruction non avenue, renvoya l'affaire devant la chambre d'accusation pour y être statué sur la prévention et la compétence.

10. Le 23 octobre 1997, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen renvoya le requérant devant la cour d'assises de la Seine-Maritime pour tentative de viol et agression sexuelle.

11. Les débats se déroulèrent devant la cour d'assises les 26 et 27 octobre 1998.

12. A l'issue des débats, le 27 octobre 1998, le président de la cour d'assises donna lecture des questions auxquelles la cour et le jury auraient à répondre et, notamment, comme résultant des débats, d'une question subsidiaire concernant le point de savoir si l'accusé s'était rendu coupable du crime de viol sur l'une de ses victimes.

13. A l'issue du délibéré, l'audience ayant repris, l'avocat du requérant déposa des conclusions manuscrites principalement rédigées comme suit :

« Attendu que M. Miraux sollicite qu'il lui soit donné acte de ce que :

- Monsieur le Président de la cour d'assises a posé quatre questions subsidiaires sans recueillir les observations des parties portant ainsi atteinte aux droits de la défense ;

- que les questions subsidiaires posées ne ressortent pas de l'arrêt de renvoi du 23 octobre 1997 rendu par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rouen ;

- que les questions subsidiaires ne résultent pas des débats (...) ».

14. La cour rendit un arrêt le jour même, jugeant ce qui suit :

« La cour, statuant hors la présence du jury, déclare la demande de donné acte formée par l'accusé Jean-Pierre Miraux recevable. Donne acte au requérant de ce que quatre questions subsidiaires, comme résultant des débats ont été prononcées après la clôture des débats et la remise du dossier d'instruction, à l'exception de l'arrêt de renvoi, entre les mains du greffier. Donne acte au requérant que la lecture étant faite de l'ensemble des questions, y compris des questions subsidiaires, il n'a pas été recueilli les observations des différentes parties. Constate qu'aucune des parties n'a sollicité la réouverture des débats postérieurement à la lecture des questions principales et subsidiaires. Rejette pour le surplus les conclusions déposées. »

15. Le Président donna ensuite lecture des réponses aux questions et prononça l'arrêt par lequel le requérant fut condamné pour viol et agressions sexuelles aggravés à douze ans de réclusion criminelle, à dix ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille et à l'interdiction d'exercer, pendant cinq ans, une fonction publique.

16. Le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire ampliatif devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, il invoqua notamment l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

17. Par arrêt du 20 octobre 1999, la Cour de cassation rejeta son pourvoi estimant notamment :

« (...) que, d'une part, la question subsidiaire de viol, qualifié tentative par l'arrêt de renvoi, ne crée pas une accusation nouvelle mais s'applique aux mêmes faits autrement qualifiés ;

Que, d'autre part, il appartenait à l'accusé ou à son avocat, s'ils entendaient contester la requalification des faits, d'élever un incident contentieux pour obtenir, par application de l'article 352 du code de procédure pénale, la réouverture des débats ; qu'il ne résulte pas du procès-verbal qu'une quelconque observation ait été formulée à cet égard avant que la cour et le jury ne se retirent pour délibérer (...) »

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Le code de procédure pénale

18. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables au moment des faits, se lisent comme suit :

Article 231

« La cour d'assises a plénitude de juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle par l'arrêt de mise en accusation.

Elle ne peut connaître d'aucune autre accusation. »

Article 348

« Le président donne lecture des questions auxquelles la cour et le jury ont à répondre. Cette lecture n'est pas obligatoire quand les questions sont posées dans les termes de l'arrêt de renvoi ou si l'accusé ou son défenseur y renonce. »

Article 351

« S'il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par l'arrêt de renvoi, le président doit poser une ou plusieurs questions subsidiaires. »

Article 352

« S'il s'élève un incident contentieux au sujet des questions, la cour statue dans les conditions prévues à l'article 316. »

Article 316

« Tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs avocats entendus.

Ces arrêts ne peuvent préjuger du fond.

Ils ne peuvent être attaqués par la voie du recours en cassation qu'en même temps que l'arrêt sur le fond. »

B. Le code pénal

19. Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi énoncées :

Article 121-4

« Est auteur de l'infraction la personne qui :

1o Commet les faits incriminés ;

2o Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit. »

Article 121-5

« La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. »

Article 222-22

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. »

Article 222-23

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 et 3 DE LA CONVENTION

20. Le requérant estime que la requalification juridique des faits par le biais d'une question subsidiaire posée à l'issue des débats devant la cour d'assises, ainsi que l'absence d'avertissement préalable quant aux questions subsidiaires destinées aux jurés et l'impossibilité de présenter ses observations en réponse, ont entraîné une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement soulève une exception tirée du défaut d'épuisement des voies de recours internes. Il estime en effet qu'il existait un recours relatif à la violation incriminée, disponible et adéquat : l'article 352 du code de procédure pénale, qui permettait au requérant d'obtenir la réouverture des débats s'il estimait qu'une question subsidiaire ne résultant pas des débats avait été posée et qu'elle risquait de porter atteinte à son droit de se défendre. Le Gouvernement précise que ce recours pouvait intervenir alors même que le délibéré était en cours. Il considère que le requérant, représenté devant la cour d'assises, n'a donc pas fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes. Il insiste notamment sur le fait que le requérant s'est contenté de déposer des conclusions demandant à ce qu'il soit donné acte que quatre questions subsidiaires ne ressortant pas de l'arrêt de renvoi ni des débats avaient été posées sans recueillir les observations des parties, mais qu'il n'a, à aucun moment, sollicité la réouverture de ces débats.

22. Le requérant considère quant à lui avoir épuisé les voies de recours internes. Il estime en effet que la possibilité offerte par l'article 352 du code de procédure pénale d'élever un incident contentieux pour que la cour d'assises procède à la réouverture des débats après la lecture des questions subsidiaires ne constitue pas un recours efficace, dans la mesure où il ne permet aucunement de remettre en cause un arrêt de condamnation. Il affirme également que la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que le droit pour le président de la cour d'assises de poser des questions subsidiaires était conforme à la Convention, de sorte qu'à supposer qu'il ait exercé ce recours, les questions subsidiaires posées auraient été validées. Il estime enfin que ce recours nécessite une réactivité immédiate, incompatible avec l'exercice d'une défense sereine et efficace.

23. De l'avis de la Cour, les arguments soulevés par le Gouvernement dans le cadre de son exception d'irrecevabilité se confondent en réalité avec le fond de l'affaire, dès lors que la possibilité d'obtenir la réouverture des débats, offerte par l'article 352 du code de procédure pénale, a pour vocation non pas de redresser une violation éventuellement commise mais de la prévenir. Partant, il convient de joindre l'exception du Gouvernement tirée du défaut d'épuisement des voies de recours internes au fond, la Cour étant appelée à examiner le déroulement des débats devant la cour d'assises, en particulier s'agissant de la possibilité, pour le requérant et son conseil, de faire valoir de manière concrète et efficace leurs arguments et moyens de défense au regard de la requalification induite par la question litigieuse.

24. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

25. Le Gouvernement rappelle que la possibilité de requalification n'est pas, en soi, contraire à la Convention. Devant la cour d'assises, cette possibilité est d'ailleurs spécifiquement organisée par l'article 351 du code de procédure pénale qui prévoit la possibilité pour le président de la cour d'assises de poser une question subsidiaire relative à une nouvelle qualification juridique lorsqu'il résulte des débats que les faits incriminés peuvent recevoir une qualification légale autre que celle initialement proposée.

26. Le Gouvernement estime par ailleurs que la présente affaire se distingue de l'affaire Pélissier et Sassi c. France ([GC], no 25444/94, CEDH 1999II) dans laquelle les requérants ne s'étaient à aucun moment vu offrir l'occasion d'organiser leur défense d'une manière concrète et effective sur la nouvelle qualification. Selon le Gouvernement, en effet, le requérant ne pouvait ignorer la base juridique de l'accusation ni les faits qui lui étaient reprochés. En effet, la requalification juridique opérée par la cour d'assises n'a modifié ni le fondement juridique de la qualification pénale (à savoir l'article 222-23 du code pénal), ni sa base factuelle, mais a constitué une évaluation différente du degré de réalisation de ce crime (la peine encourue étant d'ailleurs identique quelle que soit la qualification retenue).

27. Le Gouvernement note également que la qualification de « viol » avait été évoquée au cours de la procédure. Le terme fut d'ailleurs employé dès le réquisitoire introductif et la mise en examen du 28 février 1996. Cette qualification a par ailleurs été maintenue tout au long de l'instruction et n'a fait l'objet d'une disqualification correctionnelle que tardivement, avant que ne soient finalement retenues les qualifications « d'agressions sexuelles et tentative de viol » dans l'acte de renvoi devant la cour d'assises.

28. Le Gouvernement insiste sur la présence d'un avocat aux côtés du requérant. Il estime qu'il ne pouvait dès lors ignorer la possibilité de requalification de la « tentative de viol » en « viol » et qu'il aurait dû présenter des arguments en ce sens. A titre surabondant, il observe que la réfutation d'une tentative de viol comporte forcément la réfutation du viol lui-même.

29. Le requérant soutient quant à lui que la question subsidiaire posée a eu pour effet d'adjoindre des faits distincts à ceux décrits dans l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises. La circonstance que cette question fut posée juste avant la clôture des débats constitue selon lui la violation de son droit d'être informé dans le plus court délai de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. De plus, il n'aurait pas bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense.

30. Quant à la connaissance qu'il aurait eue de la possibilité d'une requalification, le fait que la qualification de viol ait été évoquée au cours de la procédure préalable ne suffit aucunement pour assurer le respect des droits de la défense. Le refus de la chambre d'accusation de le renvoyer devant la cour d'assises pour répondre de l'infraction de viol ne pouvant laisser présager qu'il serait finalement condamné pour une telle infraction, il n'a présenté aucun argument de défense relatif à cette qualification pénale.

31. La Cour rappelle que l'équité d'une procédure s'apprécie au regard de l'ensemble de celle-ci. Les dispositions du paragraphe 3 de l'article 6 montrent la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l'« accusation » à l'intéressé. L'acte d'accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle. L'article 6 § 3 a) reconnaît à l'accusé le droit d'être informé non seulement de la cause de l'accusation, c'est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l'accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits et ce d'une manière détaillée (Pélissier et Sassi, précité, § 51).

32. La portée de cette disposition doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure. Les dispositions de l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l'accusé doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. Enfin, il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l'article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi, précité, §§ 52-54).

33. En l'espèce, la Cour observe que si la question litigieuse fut posée à l'issue des débats devant la cour d'assises et avant que le jury ne se retire pour délibérer, la requalification ne s'est concrétisée que par la réponse apportée à cette question lors du délibéré. Ainsi, l'usage de l'article 352 du code de procédure pénale ne pouvait-il jouer qu'un rôle préventif, aucune voie de recours n'étant ouverte au requérant pour présenter ses arguments de défense une fois la requalification opérée.

34. En outre, la Cour ne saurait souscrire à l'argument du Gouvernement selon lequel il appartenait au requérant d'élever un incident de procédure en demandant la réouverture des débats en vertu de l'article 352 du code de procédure pénale. La Cour estime au contraire qu'il incombait à la juridiction interne, faisant usage de son droit incontesté de requalifier les faits, de donner la possibilité au requérant d'exercer ses droits de défense de manière concrète et effective, notamment en temps utile, en procédant par exemple au renvoi de l'affaire pour rouvrir les débats ou en sollicitant les observations du requérant (voir l'affaire Pélissier et Sassi, précitée, § 62). Enfin, rien ne permet d'affirmer, sans spéculer, que la cour d'assises aurait donné une réponse à l'incident contentieux qui fut de nature à suspendre et à rouvrir les débats.

35. Par ailleurs, l'acte de renvoi devant la cour d'assises de la SeineMaritime ne visait que les qualifications de « tentative de viol » et d'« agression sexuelle » et ce n'est qu'à l'issue des débats que la question subsidiaire, par le biais de laquelle la requalification litigieuse est intervenue, fut posée. La qualification de viol ayant été envisagée dans un précédent acte de renvoi en date du 18 février 1997, déclaré non avenu par la Cour de cassation le 21 mai 1997, puis ayant été expressément écartée par l'acte de renvoi devant la cour d'assises du 23 octobre 1997, le requérant pouvait raisonnablement estimer ne plus avoir à se défendre de l'accusation de « viol » et concentrer sa défense sur la qualification de « tentative de viol » finalement retenue. La Cour considère, au vu de ces éléments, de la « nécessité de mettre un soin extrême à notifier l'accusation à l'intéressé » et du rôle déterminant joué par l'acte d'accusation dans les poursuites pénales (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168), qu'il n'est pas établi que le requérant aurait eu connaissance de la possibilité d'une condamnation pour viol (voir, mutatis mutandis, l'affaire Pélissier et Sassi, précitée, § 56).

36. Certes, la Cour observe que la base juridique du « viol » et de la « tentative de viol » est la même, à savoir l'article 222-23 du code pénal, et que, plus généralement, selon le droit pénal français, la personne qui tente de commettre un crime est considérée comme l'auteur du crime, à l'égal de celle qui commet celui-ci (voir l'article 121-4 du code pénal, paragraphe 18 ci-dessus). Il est toutefois possible d'observer que ces deux infractions, en l'espèce un viol et une tentative de viol, diffèrent de façon significative par leur degré de réalisation. En effet, à la différence de l'infraction consommée, qui suppose la concrétisation matérielle d'une intention criminelle par un certain résultat, la tentative se caractérise par un commencement d'exécution, c'est-à-dire la réalisation partielle d'une infraction, constituée par des actes tendant directement à la consommation de celle-ci et accomplis avec cette intention, ainsi que l'absence de désistement volontaire de son auteur. Ainsi, le « viol » nécessite-t-il l'accomplissement d'un résultat spécifique, à savoir une pénétration sexuelle, alors que cet élément n'est pas nécessaire pour que soit retenue l'infraction de « tentative de viol » à l'encontre du requérant. Dès lors, on peut soutenir qu'il existe une différence de degré de gravité entre ces deux infractions, laquelle exerce sans aucun doute une influence sur l'appréciation des faits et la détermination de la peine par le jury, et ce d'autant plus que les jurés sont, de façon générale, particulièrement sensibles au sort des victimes, notamment lorsque celles-ci ont subi des infractions de caractère sexuel, domaine dans lequel, subjectivement et en dépit du traumatisme psychologique que la victime subit en tout état de cause, la tentative est moins « préjudiciable » que le crime consommé. Or, si l'auteur d'une tentative encourt une peine maximale identique à celle pouvant être infligée à l'auteur de l'infraction commise, il ne saurait être exclu qu'une cour d'assises tienne compte, lors de la détermination du quantum de la peine, de la différence existant entre tentative et infraction consommée quant à leur gravité « réelle » et au résultat dommageable. Il peut donc être valablement soutenu que le changement de qualification opéré devant la cour d'assises était susceptible d'entraîner une aggravation de la peine infligée au requérant, sans que celui-ci ait eu l'occasion de préparer et de présenter ses moyens de défense relatifs à la nouvelle qualification et à ses conséquences, y compris, le cas échéant, au regard de la peine susceptible d'être prononcée concrètement. La Cour note d'ailleurs qu'alors que le plafond légal de la peine applicable est de quinze ans de réclusion criminelle, le requérant a été condamné à douze ans de réclusion criminelle, soit une durée proche dudit plafond.

37. Eu égard à tous ces éléments, la Cour estime qu'une atteinte a été portée au droit du requérant à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui, ainsi qu'à son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

38. Partant, il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article, qui prescrit une procédure équitable.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

40. Le requérant estime pouvoir raisonnablement évaluer à cinq années la différence de la peine d'emprisonnement prononcée à son encontre pour « viol », par rapport à celle qui lui aurait infligée pour « tentative de viol ». Il évalue à 54 640,20 euros (EUR) la perte de revenus occasionnée par l'allongement de la peine d'emprisonnement prononcée, à 25 000 EUR le manque à gagner sur ses cotisations de retraite, à 50 000 EUR son préjudice moral et à 400 000 EUR celui lié à l'enfermement et la perte de liberté, à 4 000 EUR la perte de chance de bénéficier d'aménagements de peine en raison de la peine de sûreté prononcée à son encontre et à 5 000 EUR l'augmentation des indemnités accordées aux parties civiles, soit une somme totale de 538 640,20 EUR.

41. Le Gouvernement estime que ces demandes sont manifestement excessives et qu'elles reposent sur des calculs hypothétiques et spéculatifs de différence de peines selon la qualification juridique envisagée. Concernant les demandes au titre de l'augmentation des indemnités accordées aux parties civiles, le Gouvernement indique que le requérant ne s'est pas acquitté de ses obligations vis-à-vis de ces dernières et que, partant, il ne peut réclamer de dédommagement pour des frais qu'il n'a pas engagés et qu'il ne semble pas vouloir engager dans l'avenir. Concernant le dommage moral, le Gouvernement considère qu'il résulte essentiellement du comportement illicite du requérant et rappelle que ce dernier et ses avocats portent la responsabilité de la nouvelle qualification des faits retenue par la cour d'assises, en raison du caractère excessivement tardif de leur demande d'incident. Ainsi, le Gouvernement estime que si la Cour devait constater une violation de la Convention, ce seul constat constituerait une satisfaction équitable pour le requérant.

42. La Cour estime d'abord que lorsqu'un particulier, comme en l'espèce, a été condamné à l'issue d'une procédure entachée de manquements aux exigences de l'article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l'intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 126, CEDH 2006-... ; voir aussi, mutatis mutandis, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV). La Cour relève ensuite que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans le fait que le requérant n'a pu jouir des garanties de l'article 6. Elle ne saurait certes spéculer sur ce qu'eût été l'issue du procès dans le cas contraire, mais n'estime pas déraisonnable de penser que l'intéressé a subi une perte de chances (Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 17, § 38 ; Pélissier et Sassi, précité, p. 336, § 80). A quoi s'ajoute un préjudice moral auquel le constat de violation de la Convention figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle alloue au requérant 6 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus.

B. Frais et dépens

43. Le requérant demande également 1 000 EUR pour les frais complémentaires exposés devant la Cour de cassation afin de défendre ses droits.

44. Le Gouvernement estime que le requérant ne justifie pas des frais supplémentaires qu'il dit avoir engagés pour son pourvoi en cassation. Il rappelle également que des frais exposés devant les juridictions nationales seules les dépenses engagées en vue de prévenir ou faire corriger la violation de la Convention peuvent donner lieu à indemnisation. Dans ces conditions, le Gouvernement considère qu'il convient d'allouer 1 000 EUR au titre des frais et dépens exposés par le requérant pour faire reconnaître la violation des droits prévus à la Convention, devant la Cour de cassation et devant la Cour.

45. Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement non seulement de ses frais et dépens devant les organes de la Convention, mais aussi de ceux qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. En l'espèce, la Cour constate que le requérant ne fournit aucune facture à l'appui de ses prétentions. Cependant, le requérant ayant expressément soulevé son grief devant la Cour de cassation, il a nécessairement engagé des frais pour assurer la défense de ses intérêts sur ce point devant les juridictions internes. En conséquence, la Cour estime raisonnable de lui accorder 1 000 EUR à ce titre.

C. Intérêts moratoires

46. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par 6 voix contre 1, qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention ;

3. Dit, par 6 voix contre 1,

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour les dommages matériel et moral, ainsi que 1 000 EUR (mille euros) pour les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 septembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Naismith A.B. Baka
Greffier adjoint Président


Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions suivantes :

opinion concordante de M. le juge Cabral Barreto ;

opinion dissidente de Mme la juge Mularoni.

A.B.B.
S.H.N.


OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE CABRAL BARRETO

Je suis pleinement d'accord sur tous les points du dispositif de l'arrêt, mais j'hésite en ce qui concerne la somme allouée au titre du préjudice moral.

Je me demande, dans la mesure où la Cour a évoqué la nécessité de réouverture de la procédure, si le seul constat de violation ne suffirait pas à réparer le dommage moral.


OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE MULARONI

Je ne saurais souscrire au constat de violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Je relève qu'à la différence de l'affaire Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, CEDH 1999-II), dans le cadre de laquelle les requérants n'avaient eu connaissance du changement de la qualification qu'au moment du prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, en l'espèce le problème de la requalification est apparu en raison d'une question subsidiaire posée par le président de la cour d'assises à l'issue des débats, avant que le jury ne se retire pour délibérer. En conséquence, le requérant disposait de la faculté, offerte par l'article 352 du code de procédure pénale, de soulever un incident en demandant la réouverture des débats. Il aurait donc pu présenter ses observations quant aux questions subsidiaires posées à la cour d'assises. Partant, le requérant, au demeurant représenté par un avocat, a lui-même omis d'utiliser les moyens à sa disposition pour présenter des arguments de défense complémentaires sur la question litigieuse (voir, mutatis mutandis, Democles c. France, no 20982/92, décision de la Commission du 24 octobre 1995).

Il me semble important de souligner qu'en droit pénal français le viol et la tentative de viol sont deux infractions qui reposent sur la même base juridique, à savoir l'article 222-23 du code pénal. Par ailleurs, la personne qui tente de commettre un crime est considérée comme l'auteur du crime. Au surplus, le crime consiste dans l'accomplissement intentionnel d'un acte, tandis que la tentative de crime se définit comme le commencement d'exécution de ce même acte, suivie de sa suspension ou de son échec en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Enfin, le viol et la tentative de viol sont punissables de la même peine (voir § 19 de l'arrêt). Dans ces circonstances, à défaut d'une demande de réouverture des débats, le président de la cour d'assises peut légitimement avoir considéré que le requérant, qui, j'insiste sur ce point, était représenté par un avocat, n'avait pas d'objection à la requalification de la tentative de viol en viol.

J'estime donc que le requérant a disposé des moyens nécessaires pour exercer, de manière concrète et effective, les droits de la défense et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

Je tiens à ajouter deux observations complémentaires :

1. d'une façon générale, j'estime que lorsque les tribunaux nationaux – notamment les Cours de cassation – ont considéré qu'un requérant n'a pas utilisé une procédure offerte par le droit interne, notre Cour devrait se montrer très prudente et ne remettre en question un tel constat que s'il apparaît évident que les tribunaux nationaux ont commis une erreur manifeste ou qu'une application extrêmement rigoureuse de la loi, dans des circonstances où l'on ne saurait reprocher au requérant un manque de diligence, a causé un préjudice disproportionné à celui-ci. En l'espèce, j'ai


des difficultés à trouver convaincantes les raisons avancées par l'avocat du requérant, pour lequel « ce recours [prévu par l'article 352 du code de procédure pénale] nécessite une réactivité immédiate, incompatible avec l'exercice d'une défense sereine et efficace » (voir § 22 de l'arrêt). Je considère bien au contraire que l'assistance d'un avocat implique la présomption, par les tribunaux nationaux, de la connaissance et de la maîtrise de la procédure par le représentant d'un accusé ;

2. quant à l'application de l'article 41 de la Convention (point 3 du dispositif de l'arrêt), eu égard aux circonstances de l'espèce, je considère qu'un constat de violation aurait constitué une satisfaction équitable suffisante et ce, d'autant plus que notre Section, pour la première fois, dit qu'un nouveau procès ou une réouverture de la procédure représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir § 42 de l'arrêt) tout en allouant, dans le même temps, une somme non négligeable au titre de la satisfaction équitable.