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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LABERGÈRE c. FRANCE

(Requête no 16846/02)

ARRÊT

STRASBOURG

26 septembre 2006

DÉFINITIF

26/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Labergère c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 16846/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Yannick Labergère (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 avril 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J.-P. Thibault, avocat à Châteauroux. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 7 décembre 2004, le président de la chambre a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4. Le 5 septembre 2006, le président de la chambre a décidé d'accorder l'assistance judiciaire au requérant.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Châteauroux.

6. Par une ordonnance du 6 juin 2001, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Châteauroux ordonna la mise en accusation et la prise de corps du requérant pour homicide volontaire.

7. Par un arrêt du 9 octobre 2001, la cour d'assises de l'Indre le condamna pour homicide volontaire à dix huit ans de réclusion criminelle et prononça à son encontre l'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de dix ans. Lors de l'instruction et de l'audience de la cour d'assises, le requérant était représenté par Maître Talbot.

8. Le requérant fit l'objet d'un placement d'office au centre psychothérapique de Gireugne du 12 octobre 2001 à 17 heures 45 au 19 octobre 2001 à 15 heures.

9. Il produit une déclaration d'appel, datée du 24 octobre 2001, par laquelle Maître Thibault, agissant pour lui, interjeta appel de l'arrêt de la cour d'assises avec la précision suivante : « Le conseil de l'appelant précise que son mandant n'a pu régulariser l'appel dans le délai légal pour une raison de force majeure, ayant été hospitalisé au centre psychothérapique de Gireugne jusqu'au 19 octobre, à l'isolement et sans possibilité de communiquer et d'exercer lui-même cette voie de recours ».

10. Par un arrêt du 12 décembre 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation statua sur l'appel du requérant :

« Vu les articles 380-9, 380-10 et 380-15 du code de procédure pénale ;

Attendu que l'appel susvisé n'a pas été formé dans les délais prévus par la loi ;

Que par voie de conséquence, l'appel incident du ministère public doit être déclaré irrecevable ;

Par ces motifs,

Dit qu'il n'y a lieu à désignation d'une cour d'assises chargée de statuer en appel ; (...) »

11. Par un courrier du 13 décembre 2001, le procureur général près la cour d'appel de Bourges notifia la décision de la chambre criminelle à l'avocat du requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

Code de procédure pénale

Article 380-1

« Les arrêts de condamnation rendus par la cour d'assises en premier ressort peuvent faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues par le présent chapitre.

Cet appel est porté devant une autre cour d'assises désignée par la chambre criminelle de la Cour de cassation et qui procède au réexamen de l'affaire selon les modalités et dans les conditions prévues par les chapitres II à VII du présent titre. (...) »

Article 380-3

« La cour d'assises statuant en appel sur l'action publique ne peut, sur le seul appel de l'accusé, aggraver le sort de ce dernier. »

Article 380-6

« La cour d'assises statuant en appel sur l'action civile ne peut, sur le seul appel de l'accusé, du civilement responsable ou de la partie civile, aggraver le sort de l'appelant.

La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la première décision. Même lorsqu'il n'a pas été fait appel de la décision sur l'action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut exercer devant la cour d'assises statuant en appel les droits reconnus à la partie civile jusqu'à la clôture des débats ; elle peut également demander l'application des dispositions du présent alinéa, ainsi que de celle de l'article 375. »

Article 380-9

« L'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé de l'arrêt.

Toutefois, le délai ne court qu'à compter de la signification de l'arrêt, quel qu'en soit le mode, pour la partie qui n'était pas présente ou représentée à l'audience où le jugement a été prononcé, mais seulement dans le cas où elle-même ou son représentant n'auraient pas été informés du jour où l'arrêt serait prononcé. »

Article 380-10

« En cas d'appel d'une partie, pendant les délais ci-dessus, les autres parties ont un délai supplémentaire de cinq jours pour interjeter appel. »

Article 380-15

« Si la chambre criminelle de la Cour de cassation constate que l'appel n'a pas été formé dans les délais prévus par la loi ou porte sur un arrêt qui n'est pas susceptible d'appel, elle dit n'y avoir pas lieu à désignation d'une cour d'assises chargée de statuer en appel. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

12. Le requérant se plaint d'une violation de son droit d'accès à un tribunal. Il affirme que, durant le délai légal de dix jours, il était dans l'impossibilité matérielle absolue de régulariser une déclaration d'appel de l'arrêt de condamnation prononcé par la cour d'assises le 9 octobre 2001. Il considère qu'en ne tenant pas compte de cette circonstance particulière, la Cour de cassation l'a privé d'une voie de recours essentielle qui lui aurait permis de bénéficier d'une condamnation plus clémente tenant mieux compte de son état psychique et de l'atténuation de sa responsabilité pénale telle que préconisée par les experts. Il rappelle à cet égard qu'il a été condamné à une peine extrêmement lourde. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

13. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

14. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

15. Le requérant affirme qu'il a été placé dans l'impossibilité d'exercer le recours « en temps utile » et ce en raison « d'un obstacle insurmontable ». Il reconnaît n'avoir été interné que le 12 octobre 2001, soit trois jours après l'arrêt de condamnation et être sorti de l'établissement hospitalier le 19 octobre 2001. Toutefois il estime qu'il ne pouvait pas, pour des raisons matérielles et psychologiques, exercer le recours, en particulier durant les trois jours qui ont précédé son placement d'office en établissement psychiatrique. Il considère, de la même façon, que l'état de choc psychologique et psychiatrique dans lequel il se trouvait, et qui a justifié un tel placement d'office, ne lui permettait en aucune façon d'exprimer un désir éclairé de faire appel tant auprès du personnel soignant que de son psychiatre, ni même de téléphoner à un membre de son entourage. Quant à l'affirmation du médecin selon laquelle le traitement prescrit ne pouvait pas empêcher l'expression de sa volonté, le requérant s'interroge sur les conditions de lucidité dans lesquelles cette volonté aurait pu s'exprimer.

16. Le Gouvernement rappelle que la Cour de cassation a déclaré l'appel du requérant irrecevable car interjeté après l'échéance du délai de dix jours à compter du prononcé de l'arrêt de la cour d'assises imparti par l'article 380-9 du code de procédure pénale à l'accusé. En effet, il affirme que le requérant n'a interjeté appel, par déclaration au greffe du centre pénitentiaire, que le 22 octobre 2001, soit 13 jours après l'arrêt de condamnation, et, que le mémoire d'appel de Me Thibault, son avocat, n'a été déposé que le 24 octobre, soit 15 jours après ledit arrêt.

Le Gouvernement rappelle que le relevé de forclusion de ce délai d'appel est accordé, selon la jurisprudence, dès lors que la partie concernée prouve qu'elle a été dans l'impossibilité d'exercer son recours « en temps utile » en raison « d'un obstacle insurmontable », ce qui n'était pas le cas du requérant, contrairement à ce que celui-ci affirme. Le Gouvernement souligne à ce titre, d'une part, que le requérant n'a fait l'objet d'un placement d'office que le 12 octobre 2001, soit trois jours après le prononcé de l'arrêt, et qu'il aurait par conséquent pu, pendant ces deux jours, déclarer son appel au greffe ou prendre contact avec un avocat pour régulariser l'appel. Il souligne également que le requérant aurait pu effectuer une déclaration au greffe le jour de sa sortie, le 19 octobre.

Le Gouvernement relève, d'autre part, que ni le fonctionnement de l'établissement hospitalier ni son état de santé n'ont empêché le requérant d'exercer son appel dans les formes prescrites au cours de son hospitalisation. Produisant le protocole de fonctionnement de l'unité d'hospitalisation protégée, il souligne en effet que celui-ci prévoit expressément que les appels sont autorisés vers le parquet et les avocats, les numéros étant composés par le personnel. Il précise qu'au cas par cas, à certains horaires et sur avis médical, le patient peut aussi appeler un membre de son entourage et recevoir des appels.

Concernant l'état de santé du requérant, le Gouvernement souligne qu'il a été vu chaque jour par un psychiatre, qu'il aurait commenté la durée de sa peine mais n'aurait jamais exprimé le désir de faire appel. Le Gouvernement produit également un courrier du directeur de l'établissement attestant que, selon le chef de service où était hospitalisé le requérant, le traitement prescrit à ce dernier « ne pouvait pas empêcher l'expression de sa volonté ».

17. La Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne et que son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets d'une pareille interprétation. Cela est particulièrement vrai s'agissant de l'interprétation par les tribunaux de règles procédurales telles que celles fixant les délais à respecter pour le dépôt des documents ou l'introduction des recours (Tejedor García c. Espagne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2796, § 31). La Cour observe également que la réglementation relative aux formalités et délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, de la sécurité juridique. Toutefois, la réglementation en question, ou l'application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible (AEPI S.A c. Grèce, no 48679/99, § 2311.04.2002). Elle rappelle enfin que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation (arrêt García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Zvolský et Zvolská c. République Tchèque, no 46129/99, § 47, 12.11.2002).

18. En l'espèce, la Cour observe que le requérant, condamné par la cour d'assises de l'Indre le 9 octobre 2001 à 18 ans de réclusion criminelle, a été placé d'office en établissement psychiatrique du 12 octobre 2001 à 17 heures 45 au 19 octobre 2001 à 15 heures. La Cour de cassation, constatant qu'il n'avait pas interjeté appel dans le délai légal, ne désigna pas de cour d'assises chargée de statuer en appel.

19. La Cour rappelle que le système d'appel en matière criminelle a été institué en France par une loi du 15 juin 2000 et vient consacrer le droit à un double degré de juridiction en matière pénale garanti par l'article 2 § 1 du Protocole No 7. Cette possibilité traduit la volonté du législateur français de donner « une seconde chance » aux condamnés. Ainsi, la cour d'assises devant laquelle est porté le recours « procède au réexamen de l'affaire » (article 380-1 alinéa 2 du code de procédure pénale). Cette cour d'assises d'appel juge à nouveau l'affaire en fait et en droit. Désormais, alors que le premier arrêt d'assises n'est susceptible que d'un appel, le second ne peut être attaqué que par un pourvoi en cassation.

20. La Cour considère par conséquent que la question qui se pose en l'espèce est de savoir si, compte tenu de l'importance de l'appel et de l'enjeu de celui-ci pour le requérant qui a été condamné à une lourde peine privative de liberté, l'application qui a été faite par la Cour de cassation des règles de droit internes, et notamment des articles 380-1 et suivants du code de procédure pénale, constitue une sanction particulièrement sévère au regard du droit d'accès à un tribunal (Perez De Rada Cavanilles c. Espagne, 1998-VIII).

21. Au vu des éléments produits par le Gouvernement et notamment du protocole de fonctionnement de l'unité d'hospitalisation protégée dans laquelle le requérant fut placé, la Cour admet que les conditions de l'hospitalisation du requérant lui permettaient, en principe, du 12 au 19 octobre 2001, de prendre contact avec un avocat pour interjeter appel de l'arrêt de condamnation. Toutefois, au delà de cette vision théorique, la Cour n'est pas convaincue que le requérant ait eu la lucidité suffisante pour exercer la voie de recours en cause. En effet, si la Cour reconnaît, au vu de l'attestation médicale produite, que le traitement prescrit au requérant au cours de cette hospitalisation « ne pouvait pas empêcher l'expression de sa volonté », elle conserve néanmoins des doutes sur la possibilité même pour le requérant d'avoir une telle volonté, celle-ci supposant l'usage de ses facultés ; or, son état avait justifié son internement.

22. Quant à la possibilité pour le requérant d'interjeter appel entre sa condamnation le 9 octobre et son internement le 12 octobre 2001, ou, au moment de sa sortie le 19 octobre 2001, la Cour exprime les mêmes doutes que précédemment quant à la lucidité du requérant sur sa situation, son placement d'office dans un établissement psychiatrique démontrant que son état mental était sérieux, voire préoccupant. Elle observe également que durant cette période, le requérant a changé d'avocat puisqu'il était représenté par un avocat au cours de son procès et que c'est un autre avocat qui a effectué la déclaration d'appel ; on peut comprendre que son nouveau conseil, agissant dans la hâte eu égard à la brièveté du délai pour introduire et régulariser un appel, n'ait pas pu, surtout compte tenu de l'état du requérant et des difficultés de communication, accomplir toutes les diligences qui eussent été nécessaires.

23. Dans ces conditions, qui ne sont pas ordinaires, la Cour considère, qu'à supposer même que le requérant ait été en mesure d'interjeter appel avant son internement ou le jour de sa sortie, son délai d'appel, dont elle observe qu'il est en soi particulièrement court, aurait été considérablement réduit, passant de dix à trois jours. Or, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, et notamment de l'enjeu pour le requérant et de la nécessaire prise en compte de sa situation médicale, la Cour considère que l'application qui a été faite, en l'espèce, des règles de droit interne, et notamment des articles 380-1 et suivants du code de procédure pénale, par la Cour de cassation constitue une application particulièrement rigoureuse d'une règle procédurale, qui a porté atteinte à son droit d'accès à un tribunal, dans son essence même.

24. La Cour conclut par conséquent que le requérant a été privé du droit d'accès à un tribunal.

25. Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

27. Le requérant n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 septembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Naismith A.B. Baka              Greffier adjoint              Président