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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
10.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 15737/02
présentée par Ahmet ÖNGÜN
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant le 10 octobre 2006 en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
R. Türmen,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 3 décembre 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Ahmet Öngün, est un ressortissant turc né en 1976. Il est représenté devant la Cour par Me Suat Çetinkaya, avocat à Izmir.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 18 mars 1999, recherché dans le cadre d'une enquête concernant les actes de violence survenus après l'arrestation et le transfert d'Abdullah Öcalan vers la Turquie, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux de la section antiterrorisme d'Izmir. Dans sa déposition recueillie par la police, il reconnut sa participation aux trois incendies criminels survenus à Izmir.

Le 22 mars 1999, le requérant fut d'abord entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Izmir (« le procureur » - « la cour de sûreté ») puis traduit devant un juge assesseur de cette juridiction. Devant le procureur et le juge, le requérant accepta derechef les accusations et affirma avoir planifié et réalisé les actes reprochés avec deux autres personnes, M.K. et F.D., afin de réagir contre la captivité d'Abdullah Öcalan. Il affirma également qu'ils se donnèrent le nom de « les tigres de vengeance d'APO ».

Le 5 avril 1999, le procureur inculpa le requérant, M.K. et F.D, du chef d'incendie criminel ainsi que d'appartenance à une organisation armée illégale, infractions prévues aux articles 516 et 168 du code pénal. Pour ce faire, il se fonda sur l'article 2 § 2 de loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme lequel prévoyait que toute personne agissant au nom d'une organisation terroriste, sans égard à son appartenance à celle-ci, serait considérée et punie comme membre d'une telle organisation.

Le 7 avril 1999, les débats furent ouverts devant la cour de sûreté. Cette première audience fut réservée à des questions procédurales. Par ailleurs, la cour de sûreté reconduisit la détention provisoire des prévenus.

La seconde audience – qui est la dernière tenue avec la participation du juge militaire – eut lieu le 11 mai 1999, en la présence des prévenus, dont le requérant, lequel nia catégoriquement les accusations et rétracta sa déposition faite devant la police, affirmant l'avoir signée sous la torture. Il nia également ses déclarations devant le procureur et le juge assesseur, soutenant avoir été encore sous l'effet de l'intimidation policière lors de ses comparutions devant ces derniers.

Lors de cette audience, les juges donnèrent lecture des pièces du dossier, auditionnèrent les plaignants et reconduisirent la détention provisoire des prévenus. Aucune autre décision déterminante ne fut prise ce jour là.

Le 18 juin 1999, le législateur turc modifia l'article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires des collèges des cours de sûreté de l'Etat. En conséquence, le juge militaire qui participait au procès du requérant fut remplacé par un magistrat civil.

Le 11 novembre 1999, le nouveau collège ainsi remanié déclara le requérant coupable des chefs d'accusation et le condamna aux peines suivantes : a) trois ans et neuf mois d'emprisonnement lourd pour assistance à une organisation illégale, b) un an et huit mois d'emprisonnement pour incendie d'une voiture, c) deux ans et onze mois d'emprisonnement lourd pour incendie d'un magasin d) onze mois et vingt jours d'emprisonnement lourd pour tentative d'incendie d'un dépôt. La cour de sûreté se fonda notamment sur les aveux du requérant recueillis lors de l'instruction préliminaire, tant par la police que le procureur et le juge.

Le 17 août 2000, sur pourvoi du requérant, la Cour de cassation confirma le jugement rendu par la cour de sûreté en ce qu'il le déclarait coupable des incendies criminels et le condamnait à des peines d'emprisonnement de ce chef. Toutefois, considérant que dans la réalisation de ces actes, l'intéressé avait agi au nom d'une organisation terroriste, la haute cour jugea que celui-ci devait être réputé appartenir à une telle organisation et qu'il devait dès lors être condamné pour ce motif. Aussi infirma-t-elle le jugement en sa partie pertinente.

Appelée à réexaminer l'affaire, la cour de sûreté, composée de trois juges civils, se conforma à l'arrêt de cassation et par un jugement du 9 novembre 2000, elle condamna le requérant à douze ans et six mois d'emprisonnement, en application de l'article 168 § 2 du code pénal réprimant l'appartenance à une organisation illégale.

Par un arrêt du 20 juin 2001, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué dans le chef du requérant.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Avant la loi no 4390 du 22 juin 1999, l'article 5 de la loi no 2845 prévoyait que l'un des trois juges siégeant au sein des cours de sûreté de l'Etat devait être un juge militaire (pour la législation à l'époque, voir l'arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, §§ 26-29). Depuis la loi no 4390 précitée, aucun magistrat militaire ne siégeait dans les juridictions en question, lesquelles furent finalement abolies par la loi no 5190 du 16 juin 2004.

GRIEFS

Le requérant se plaint d'abord de ce que sa cause n'a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial du fait de la participation d'un magistrat militaire à une partie de son procès.

En outre, il dénonce les circonstances pénibles dans lesquelles ses transfèrements ont eu lieu entre la maison d'arrêt de Nazilli et la cour de sûreté de l'Etat d'Izmir. De ce fait, il n'aurait pas pu se défendre de façon adéquate ni pouvoir s'entretenir à son aise avec son avocat.

A ces égards, le requérant allègue une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention.

Enfin, le requérant déplore avoir été présumé membre d'une organisation illégale du fait de l'application à son encontre de l'article 2 de la loi sur la lutte contre le terrorisme et dénonce avoir été condamné de ce chef en sus du délit d'incendie criminel. Soutenant ainsi avoir été condamné deux fois pour les mêmes faits, il allègue une violation de l'article 7 combiné avec l'article 6 de la Convention.

EN DROIT

1. Le requérant, invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, se plaint d'une violation de son droit à un procès équitable du fait de la participation d'un magistrat militaire à une partie de son procès déroulé devant la cour de sureté de l'Etat d'Izmir.

En l'état actuel du dossier devant elle, la Cour n'estime pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief, tel qu'exposé par le requérant, et juge nécessaire de le porter à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l'article 54 § 2 b) de son Règlement.

2. Le requérant se plaint également d'une violation de ses droits de la défense au sens de l'article 6 § 3 b) de la Convention.

Nonobstant la circonstance que ce grief ne semble jamais avoir été porté à la connaissance des autorités nationales compétentes, la Cour observe que le requérant n'étaye pas en quoi ses transfèrements entre la maison d'arrêt de Nazilli et la cour de sûreté d'Izmir auraient réellement entravé la préparation de sa défense, d'autant moins que l'intéressé n'allègue nullement avoir été empêché de le faire selon l'usage, en dehors de ces transfèrements, par le moyen d'entretiens et de communications écrites.

Or rien dans le dossier n'indique que les autorités aient limité, d'une manière ou d'une autre, le nombre, la durée et les conditions matérielles des entretiens du requérant avec son avocat ni qu'elles aient, par exemple, restreint l'accès à son dossier (comparer, Öcalan c. Turquie, [GC], no 46221/99, CEDH 2005-..., §§ 134 à 149, et les références qui y sont faites). Certes le fait que Me Çetinkaya exerçait à Izmir a pu poser certains problèmes. Il s'agit là toutefois d'un libre choix fait entre le requérant et son mandataire, et dont le Gouvernement ne saurait être tenu pour responsable.

Ainsi, à supposer même qu'aucun problème ne se pose sur le terrain de l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour conclut que ce grief doit être rejeté comme étant dénué de fondement en application de l'article 35 §§ 3 et 4.

3. Invoquant une violation de l'article 7 combiné avec l'article 6, le requérant soutient essentiellement qu'il a été puni deux fois pour la même infraction parce qu'il a subi un double emprisonnement, l'un pour incendies criminels, l'autre pour appartenance à une organisation illégale.

Telles que formulées, les allégations du requérant relèvent du principe de non bis in idem, qui est consacré par le seul article 4 du Protocole no 7, instrument non ratifié par la Turquie. Toutefois, la Cour estime ne pas devoir examiner plus avant le problème d'incompatibilité ratione personae car elle considère que, même à supposer que le grief en question relève des articles 6 et 7 de la Convention, cette partie de la requête ne saurait être retenue, pour les motifs qui suivent.

De fait, la Cour estime qu'en l'espèce une même juridiction pénale a jugé la même personne pour les mêmes faits délictueux, à savoir des incendies criminels à caractère terroriste. Autrement dit, comme dans l'affaire Oliveira (Oliveira c. Suisse, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil 1998V), un fait pénal unique se décompose ici en deux infractions distinctes : un délit pénal général et un délit terroriste. On peut admettre qu'il s'agit là aussi, comme dans l'affaire précitée, d'un concours idéal de qualifications, et ce , précédent devrait être transposé a fortiori (car, dans Oliveira, il y avait eu condamnation par deux juridictions : la Cour l'avait regretté, au nom de la bonne administration de la justice, mais avait cependant conclu à la non-violation) (voir mutatis mutandis Göktan c. France, no 33402/96, § 50, CEDH 2002V, et Gauthier c. France (déc.), no 61178/00, 24 juin 2003).

Vu ses conclusions dans les affaires précitées, et considérant par un raisonnement a fortiori qu'elle serait la même s'agissant des allégations de violation des articles 6 et 7 de la Convention, la Cour conclut que ce grief doit être rejeté comme dénué de fondement en application de l'article 35 §§ 3 et 4.

Par ces motifs, la Cour,

Ajourne, à la majorité, l'examen des griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention ;

Déclare, à l'unanimité, la requête irrecevable pour le surplus.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président