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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
21.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SÖYLEMEZ c. TURQUIE

(Requête no 46661/99)

ARRÊT

STRASBOURG

21 septembre 2006

DÉFINITIF

21/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Söylemez c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 août 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46661/99) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet État, MM. Mehmet Faysal Söylemez, Mehmet Sena Söylemez et Mustafa Söylemez (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 décembre 1998 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me A.R. Dizdar, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 16 avril 2002, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tiré des articles 3, 6, et 13 de la Convention.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

5. Le 28 avril 2005, se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1964, 1961 et 1966, et résident à Muş.

A. La version des faits commune aux trois requérants

7. Le procès-verbal d’arrestation établi le 11 juin 1996 à 14 heures par la police mentionna qu’à la suite de faits ayant eu lieu à Istanbul, Eskişehir et Ankara, une enquête a été diligentée à l’encontre des requérants accusés des chefs d’assassinat par armes à feu, de blessures et de séquestration. Ils étaient recherchés par la direction de la sûreté d’Istanbul. Les requérants Mehmet Faysal Söylemez (ci-après « Faysal »), Mehmet Sena Söylemez (ci-après « Sena ») ainsi que deux autres personnes (Fevzi Şahin et Can Köksal, ce dernier étant un gendarme rattaché au commandement de la gendarmerie de Siirt) se trouvant tous à bord du même véhicule furent arrêtés à la sortie de l’autoroute de Pozantı (Adana) pour une fouille et une vérification de leurs pièces d’identités par six policiers de la direction de la sûreté d’Istanbul. Le requérant Sena, muni d’une fausse pièce d’identité au nom de Samih Tosunoğlu, et Fevzi Şahin descendirent du véhicule et tirèrent chacun sur un policier. Puis, les deux autres passagers sortirent également du véhicule et un affrontement armé eut lieu entre ces derniers et les policiers. Au cours de l’affrontement, deux policiers ainsi que Sena et Fevzi Şahin furent blessés. Les passagers du véhicule furent arrêtés en possession, entre autres, d’armes, de balles et de fausses pièces d’identité. Les personnes blessées furent transportées à l’hôpital public d’Adana, les autres conduites à la direction de la sûreté d’Adana, section de la lutte contre le terrorisme.

8. Le procès-verbal de perquisition du 11 juin 1996 indiqua qu’au cours de son interrogatoire Faysal avait déclaré que des armes se trouvaient dans un appartement situé à Eryaman (Ankara). Les policiers de la direction de la sûreté d’Adana en informèrent leurs collègues de la direction de la sûreté d’Ankara, section de la lutte contre le terrorisme, pour qu’ils procèdent à une perquisition. Au cours de la perquisition effectuée le même jour à 14 heures, les policiers découvrirent dans l’appartement inoccupé diverses armes à feu, des chargeurs et des explosifs ainsi qu’un permis de conduire établi au nom de Sena, huit pièces d’identité de « l’Académie et des collèges de police » et une ancienne pièce d’identité établi au nom de Mustafa Söylemez (ci-après « Mustafa »). Ils y découvrirent en outre une pièce d’identité de l’Ordre des médecins de Turquie, une carte bancaire au nom de Sena et une carte bancaire au nom de Mehmet Söylemez.

9. Le 12 juin 1996, la direction de la sûreté d’Adana informa le procureur de la République de Pozantı que les personnes arrêtées, à savoir Faysal, Sena, Fevzi Şahin et Can Köksal, devaient être remises à la direction de la sûreté d’Istanbul, section de la lutte contre le terrorisme, et que l’enquête devait être menée par le parquet d’Istanbul dans la mesure où les faits reprochés relevaient de sa compétence.

10. Le 12 juin 1996, Mustafa fut arrêté à Ankara.

11. Le 13 juin 1996, sur demande de la direction de la sûreté d’Istanbul, le procureur de la République prolongea la garde à vue des requérants jusqu’au 24 juin 1996.

12. Le procès-verbal manuscrit de perquisition établi le 13 juin 1996 à 13 h 30 par sept policiers de la direction de la sûreté d’Istanbul et signé par Faysal mentionna qu’une perquisition avait eu lieu dans un appartement situé à Maltepe (Istanbul). Au cours de la perquisition ont été saisis un fusil à pompe, une tenue militaire, un bloc-notes et des documents concernant Ömer Çetinsaya.

13. Le procès-verbal de perquisition dactylographié du même jour établi à la même heure par quatre policiers de la direction de la sûreté d’Istanbul –ceux qui avaient participé à la perquisition précédente – et signé par Faysal mentionna en outre la saisie d’un cahier de souvenir appartenant à « Faysal Söylemez », d’un livret bancaire et d’un passeport appartenant à Yusuf Söylemez, d’un agenda téléphonique, de feuilles vierges signées par Ömer Çetinsaya, de documents relatifs à la société « Alaturka », d’un titre de transfert d’actions signé par devant notaire entre Ömer Çetinsaya et Ümit Atay le 12 février 1996 ainsi que du croquis d’une maison située à Kadıköy.

14. Le procès-verbal de reconstitution des faits et de saisie établi le 13 juin 1996 par trois policiers et signé par Mustafa précise que celui-ci avait déclaré s’être rendu à bord d’un véhicule Mercedes à Ankara dans un appartement situé dans le quartier de Eryaman en vue de transférer un dépôt d’armes et de munitions qui lui appartenait ainsi qu’à ses frères. Il avait abandonné son véhicule près de la mosquée Cebeci. Il avait rencontré une personne du nom de Nazif Yavuz avec lequel il s’était rendu dans l’appartement où se trouvaient les armes. A leur arrivée, il s’était rendu compte que la police se trouvait dans l’appartement et avait pris la fuite. Il avait été arrêté à la suite d’un affrontement armé. Mustafa avait ouvert les portes du véhicule et la police avait saisi, entre autres, trois fusils kalachnikov, dix chargeurs ainsi que cents balles pour fusil kalachnikov, une grenade, une carte d’identité établie au nom d’un certain A.A., ainsi qu’au nom de Mustafa et de Faysal, un permis de port d’arme établi au nom de Faysal délivré par la présidence de l’état-major des forces armées, un livret de banque appartenant à Sena et un autre à Faysal, une plaque d’immatriculation, une carte bancaire au nom de Faysal, deux pantalons de survêtements, deux jeans, trois chemises pour homme, trois bermudas pour homme, des pyjamas, etc.

15. Le procès-verbal de perquisition établi le 14 juin 1996 à 11 heures par les policiers de la direction de la sûreté et signé par Faysal mentionna qu’ils avaient perquisitionné un appartement se trouvant à Ümitköy, utilisé par Faysal et ses complices. Ils y avaient saisi notamment des armes à feu, un lance-roquettes ainsi que des munitions pour lance-roquettes.

16. Le 24 juin 1996, la direction de la sécurité d’Istanbul informa le procureur de la République de l’arrestation de Faysal, Sena, Fevsi Şahin et Can Köksal pour association de malfaiteurs, meurtre, séquestration, extorsion de fonds sous forme de chèques et d’effets de commerces, transfert de fond de commerce et de terrain.

17. Le rapport médical du 26 juin 1996 établi à 11 heures par l’institut médico-légal d’Istanbul fit état de ce que Mustafa ne présentait aucune trace de coups sur son corps. Le médecin légiste mentionna que Sena avait sous l’épaule droite une ecchymose au-dessus de laquelle se trouvait une entrée de douille de balle, ainsi qu’une plaie atypique près de l’intérieur du muscle de la poitrine droite où se trouvait une sortie de balle d’un centimètre. Le médecin indiqua qu’il avait pris note du rapport médical du 11 juin 1996 établi par l’hôpital de Balcı au nom de Samih Tosunoğlu, lequel correspondait aux blessures constatées sur le corps de Sena.

18. Le 26 juin 1996, Sena fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Dans sa déposition, il déclara qu’il avait été blessé au cours de l’affrontement armé qui avait eu lieu à Pozantı (Adana), qu’il avait reçu des soins à l’hôpital d’Adana et qu’il avait été « enlevé » de cet hôpital pour être interrogé par les policiers qui lui avaient bandé les yeux. Bien que n’ayant pas fait de déposition, il dit que les policiers en avaient établi une, qu’il n’avait pas pu la lire. Il déclara que les policiers lui avaient tenu la main pour le contraindre à signer cette déposition. Il contesta la déclaration faite lors de la garde à vue. Il déclara en outre qu’il était poursuivi devant la troisième cour d’assises d’Ankara pour le meurtre de trois personnes qui avait eu lieu le 2 avril 1994 et qu’il voulait se cacher près d’Antalya. Il ajouta qu’il n’avait pas tiré sur les policiers et contesta les faits qui lui étaient reprochés.

19. Le même jour le procureur de la République demanda au juge près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul d’ordonner la mise en détention provisoire de Mustafa et Sena.

20. Le 26 juin 1996, le juge près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul entendit Mustafa et Sena. Le premier contesta les accusations portées à son encontre et déclara qu’il n’était pas impliqué dans les meurtres de Çetinsaya et de Pişkinbaş. Il confirma sa déposition faite devant le procureur de la République et celle faite le 17 juin 1996 à la direction de la sûreté d’Ankara car les policiers l’avaient contraint à la signer alors qu’il avait les yeux bandés et que lecture n’en avait pas été faite. Sena déclara qu’il avait été arrêté à Pozantı et qu’au cours de l’affrontement armé, il avait été blessé par balle au bras droit, à l’épaule droite et à la poitrine. Il contesta sa déposition faite le 23 juin 1996 lors de sa garde à vue dans la mesure où les policiers lui avaient tenu la main pour le contraindre à la signer. Le juge ordonna la mise en détention provisoire de Mustafa et Sena.

21. Le 22 novembre 1996, le procureur de la République d’Istanbul demanda au procureur de la République d’Ankara un complément d’information concernant les faits reprochés aux requérants, qui s’étaient déroulés à Ankara.

B. La version des faits présentée par Mehmet Faysal Söylemez

22. Le 11 juin 1996, le requérant fut arrêté à Pozantı (Adana) par les policiers de la direction de la sûreté d’Istanbul.

23. Le rapport médical provisoire du 12 juin 1996 établi à 15 h 30 indiqua que le requérant ne présentait pas de trace de coups ou de violence sur son corps.

24. Le 13 juin 1996, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul prolongea la garde à vue de Sena et Faysal jusqu’au 24 juin 1996.

25. Le 13 juin 1996, les policiers firent une perquisition en présence du requérant dans un appartement situé à Maltepe (Istanbul).

26. Le 14 juin 1996, les policiers firent une perquisition en présence du requérant dans un appartement situé à Ankara.

27. Le 23 juin 1996, le requérant fut entendu par la police et reconnut les faits qui lui étaient reprochés.

28. Lors de la garde à vue le requérant ne fut pas assisté par un avocat.

29. Le rapport médical du 25 juin 1996 établi à 14 h 10 indiqua que le requérant ne présentait pas de trace de coups ni de violence sur son corps.

30. Le 26 juin 1996, le requérant fut entendu par le juge qui ordonna sa mise en détention provisoire. Il contesta les faits qui lui étaient reprochés et déclara ne pas avoir tué Hakan Çetinsaya et Halil Pişkinbaş. Il approuva sa déposition faite devant le parquet. Le juge lut les dépositions du requérant faites devant la police. L’intéressé les contesta en faisant valoir qu’il les avait signées en ayant les yeux bandés et qu’il avait été torturé. Le juge lut le rapport médical du 25 juin 1996 indiquant l’absence de trace de coups ou de violence. Le requérant déclara qu’il n’avait rien à dire. Il précisa qu’il avait été placé en garde à vue pendant seize jours et que les traces de torture avaient dû disparaître un certain temps après.

31. Le rapport médical établi le 27 juin 1996 par le médecin de la prison indiqua que le requérant Faysal présentait deux anciennes ecchymoses, l’une de 1 x 1 cm sur le bras gauche, l’autre de 2 x 1 cm sur le côté droit de la poitrine (le reste du rapport est illisible).

32. Dans sa déposition du 18 octobre 1996, le requérant déclara au procureur de la République qu’il avait été arrêté le 11 juin 1996 à Pozantı, puis emmené à la direction de la sûreté d’Adana où il avait été entendu par des fonctionnaires de police venus d’Istanbul. Il mentionna qu’il avait été torturé lors de sa garde à vue. Il déclara avoir été insulté et battu avec la planche qui servait pour la pendaison palestinienne, avoir reçu des électrochocs au pénis et aux orteils, avoir été arrosé avec de l’eau et placé dans des blocs de glace puis à nouveau arrosé avec de l’eau chaude pour éviter l’hypothermie. Il précisa en outre que, parfois, il avait été piqué avec une seringue. Puis, il fut emmené à l’hôpital public d’Adana où cinq policiers s’étaient entretenus avec le médecin avant le début de la consultation. Il mentionna qu’en la présence des policiers, le médecin ne l’avait pas examiné mais qu’il lui avait demandé s’il avait quelque chose. Il dit qu’en présence des policiers, il n’avait rien déclaré. Par la suite, ses yeux furent bandés et il fut emmené à Istanbul où il avait également été torturé de la même manière que décrite plus haut. Il déclara avoir signé certains documents. Ensuite, il fut emmené à Ankara où son frère Mustafa était également détenu. Là, son frère et lui furent torturés et signèrent des documents. Il déclara que les policiers qui l’avaient torturé à Istanbul s’appelaient « le chef de la sûreté Refik », « le commissaire divisionnaire Şentürk » et « le commissaire Derya ».

33. D’après cette déposition, le 27 juin 1996, le requérant fut examiné par le médecin de la maison d’arrêt de Bayrampaşa et bien qu’il ait reçu une convocation pour une visite médicale, il n’avait pu se rendre à l’institut de médecine médico-légale.

34. Le rapport médical établi le 18 octobre 1996 vers 16 h 30 par la direction de la maison d’arrêt de type E d’Ümraniye fit état de ce que le requérant présentait sur la région du pectoral droit une hyperpigmentation de 1 x 1 cm probablement due à une ancienne ecchymose et ressentait de temps à autre des endolorissements aux deux bras et sur le revers des deux mains (le reste du rapport est illisible).

35. Le rapport médical du 5 novembre 1996, établi par l’institut médico-légal d’Üsküdar et relatif à l’examen de dermatologie, indiqua la présence notamment d’une hyperpigmentation liée à une ancienne ecchymose de 1 x 1 cm située sur la région du pectoral droit ainsi que des engourdissements des deux bras et des deux mains. Le médecin demanda que le requérant fût examiné dans un centre de neurologie.

36. Le 26 mars 1997, le requérant rédigea un document manuscrit de 23 pages dans lequel il contesta les faits qui lui étaient reprochés, protesta de son innocence et soutint qu’il avait été soumis à la torture lors de sa garde à vue.

C. La version des faits présentée par Mehmet Sena Söylemez (arrêté sous le nom de Samih Tosunoğlu)

37. Le rapport médical établi le 11 juin 1996 à 2 h 45 par le médecin de l’hôpital de Balcalı fit état de ce que le requérant présentait deux entrées et sorties de balles, l’une sur la région parasternale droite et latéralement à l’épaule, l’autre sur le côté droit du dos ; il était par ailleurs très sensible aux palpations sur le radius discal. Le médecin mentionna en outre que la vie du requérant n’était pas en danger.

38. Le procès-verbal du 11 juin 1996 établi par la police mentionna que les policiers Murat Uzun et Ziayyettin Ferman ainsi que les prévenus Fevzi Şahin et Semih Tosunoğlu – blessés au cours de l’affrontement – avaient été transportés au service des urgences de l’hôpital de Balcalı.

39. Le procès-verbal du 11 juin 1996 établi par la police fit état de ce que Faysal avait identifié la personne arrêtée avec lui sous le nom de Samih Tosunoğlu comme étant son frère.

40. Le procès-verbal du 12 juin 1996 établi à 11 h 30 par les policiers de la direction de la sûreté d’Adana mentionna que le requérant avait refusé de signer ce procès-verbal, de faire une déposition et qu’il avait protesté de son innocence.

41. Le procès-verbal d’interrogatoire du 23 juin 1996 établi à 23 h 45 mentionna que le requérant avait indiqué qu’en avril 1994 un affrontement armé avait eu lieu dans un bar, dont il était le gérant avec son frère Faysal. Il déclara qu’un procès était en cours devant la cour d’assises d’Ankara, et reconnut qu’étant recherché par la police, il avait établi un permis de conduire au nom de Samih Tosunoğlu.

42. Le rapport médical du 26 juin 1996 établi par l’institut médico-légal d’Istanbul indiqua que le requérant avait le bras droit dans le plâtre et présentait, au-dessus du plâtre et sous l’épaule droite, une ecchymose avec entrée d’une balle, ainsi qu’une plaie atypique d’un centimètre correspondant à la sortie d’une balle à l’intérieur du muscle de la poitrine droite. L’examen du rapport médical du 11 juin établi par la faculté de médecine de Çukurova à un faux nom correspondait à l’examen du requérant. Ce rapport fit état de ce que l’intéressé avait un état de santé moyen et était lucide ; il présentait une entrée et une sortie de balle dans la région droite du parasternal et latéralement aux épaules ; sur la partie extérieure et volaire de l’avant-bras droit, une entrée et une sortie de balle, une sensibilité sur le radius distal détecté par palpation. Le médecin demanda une radio de l’avant-bras droit pour déterminer s’il y avait une fracture comme le soutenait le requérant.

43. Le 26 juin 1996, le requérant fut entendu par le juge près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Il contesta les faits qui lui étaient reprochés et protesta de son innocence. Il contesta sa déposition du 23 juin 1996 car les policiers, en guidant sa main, l’avaient contraint à signer certains documents. Le juge lut le rapport médical du 26 juin 1996 et le requérant déclara qu’il n’avait rien à dire à ce sujet. Le juge ordonna sa mise en détention provisoire.

44. Dans son mémoire du 23 novembre 1996 envoyé à la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, alors qu’il était détenu à la prison d’Ümraniye, le requérant protesta de son innocence en déclarant qu’il n’y avait aucune preuve matérielle à sa charge et qu’il s’agissait là d’un complot, et demanda sa mise en liberté provisoire.

45. Le rapport d’expertise graphologique établi le 13 juin 1997 par la société « Rota » indiqua que la signature apposée au bas de la déposition établie le 23 juin 1996 n’était pas celle de Sena.

46. Le rapport d’expertise graphologique du 22 novembre 1999 mentionna que la signature apposée au bas de la déposition du 23 juin 1996 appartenait à Can Köksal et non à Sena.

47. Le rapport d’expertise graphologique établi le 2 octobre 1998 par la société « Rota » confirma le résultat de son rapport du 13 juin 1997.

D. La version des faits présentée par Mustafa Söylemez

48. Le 7 juin 1994, la cour d’assises d’Ankara délivra un mandat d’arrêt par contumace à l’encontre de Mustafa.

49. Le 12 juin 1996, celui-ci fut arrêté et présenté au juge pour que ce mandat lui fût notifié.

50. Le 14 juin 1996, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Ankara prorogea la garde à vue du requérant jusqu’au 26 juin 1996.

51. Le 17 juin 1996, le requérant fut entendu par la police.

52. Le 18 juin 1996 à 22 h 30, Mustafa fut examiné par l’institut médico-légal d’Ankara. Le rapport médical indiqua que l’intéressé ne présentait pas de trace de coups ni de violence sur son corps.

53. Le 18 juin 1996, il fut entendu par le juge près la cour de sûreté de l’État d’Ankara. Il déclara entre autres que lui et son frère Sena avaient tenté de tuer Ahmet Çetinsaya. Un certain Bilgen devait lui couper la route du bord de mer et Faysal devait se rendre sur les lieux avec un véhicule de marque Tempra. Au moment où ils devaient agir, un véhicule de police s’était approché d’eux et ils avaient renoncé à agir. Ils avaient décidé ensuite de tuer le frère d’Ahmet Çetinsaya. Le 20 avril 1996, ils se rendirent avec Sena et un autre complice devant le domicile de Nuh Çetinsaya. Ils tirèrent sur la personne qu’ils avaient vue mais s’étaient ensuite rendu compte qu’ils avaient tués le fils de Nuh Çetinsaya, Hakan Çetinsaya, ainsi qu’un certain H.B. Par la suite, ils avaient également planifié de tuer Sedat Bucak. Ils avaient acheté un appartement en face de son bureau. Celui-ci avait déménagé son bureau de sorte qu’ils avaient renoncé à leur action. Après l’arrestation de ses frères Faysal et Sena, il s’était rendu à Ankara dans l’appartement loué par Faysal pour y récupérer les armes qui s’y trouvaient. Il s’était rendu à l’appartement avec N.Y., à bord du véhicule de ce dernier. La porte de l’appartement étant ouverte, ils s’étaient enfuis mais ils furent arrêtés par la police.

54. Le 19 juin 1996, le requérant fut transféré à la direction de la sûreté d’Istanbul contrairement à l’avis du procureur de la République d’Ankara, et présenté au procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul le 26 juin 1996.

55. Le rapport médical du 26 juin 1996 établi à 11 heures par l’institut médico-légal d’Istanbul indiqua que le requérant ne présentait aucune trace de coups ni de blessure sur son corps.

56. Le 26 juin 1996, il fut entendu par le juge près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Il contesta les faits qui lui étaient reprochés et notamment le meurtre de Hakan Çetinsaya et Halil Pişkinbaş. Il protesta de son innocence. Il contesta sa déposition du 17 juin 1996 prise par la police lors de sa garde à vue à Ankara en faisant valoir qu’il l’avait signée en ayant les yeux bandés et sans l’avoir lue, sous la pression et la menace. Il contesta sa déposition du 19 juin 1996 faite devant le parquet d’Ankara en soutenant qu’il avait déposé dans les locaux de la direction de la sûreté d’Ankara, alors que la police, qui attendait dans le couloir, le menaçait à travers la porte entrouverte. Il n’avait rien dit au procureur car il devait rester encore huit jours en garde à vue. Le juge lut le rapport médical du 26 juin 1996 et le requérant déclara qu’il n’avait rien à dire à ce sujet. Le juge ordonna sa mise en détention provisoire.

57. Le rapport médical du 18 octobre 1996 établi à 16 h 50 et destiné au directeur de la prison d’Üsküdar mentionna que Mustafa présentait une légère difficulté de rotation du bras gauche vers l’extérieur et qu’en particulier, il avait une perte de force des muscles du bras gauche en flexion et en extension. Le rapport indiqua que l’examen neurologique avait montré que le requérant ressentait de temps à autre un endolorissement des parties dorsales des bras et des mains.

58. Le 18 octobre 1996, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Dans sa déposition, il déclara qu’il avait été placé en garde à vue le 12 juin 1996 dans les locaux de la direction de la sûreté d’Ankara, section de la lutte contre le terrorisme. Il mentionna qu’il avait été torturé pendant sept jours et avait les yeux constamment bandés. Le troisième ou le quatrième jour, son frère Faysal avait été emmené et placé dans une cellule alors que lui-même avait été placé dans la cellule contiguë équipée d’une glace sans tain par laquelle il avait été contraint à regarder les séances de tortures auxquelles son frère était soumis. Il déclara que ce dernier avait été frappé aux plantes des pieds – à la manière dite « falaka » – puis suspendu au plafond les bras ouverts et que, dans cette position, il avait reçu des électrochocs. Il précisa qu’il avait en outre subi la pendaison inversée et qu’au cours de ces séances, son frère avait été insulté. Il indiqua que lui-même avait subi de tels traitements durant six jours et qu’ils avaient tous deux été contraints de signer les procès-verbaux de déposition en ayant les yeux bandés. Il déclara en outre qu’il souhaitait porter plainte contre les policiers responsables de sa garde à vue.

59. Le 6 novembre 1996, le procureur de la République d’Üsküdar se déclara incompétent ratione loci pour enquêter sur la plainte déposée par Mustafa et Faysal à l’encontre des policiers des directions de la sûreté d’Istanbul, d’Ankara et d’Adana responsables de leur garde à vue.

60. Le rapport établi en novembre 1996 par le médecin de l’institut de médecine légale d’Üsküdar fit état de ce que Mustafa avait indiqué qu’il ressentait des douleurs dues à des écrasements sur les deux scapulaires, des difficultés et une insuffisance de force au niveau de l’avant bras gauche ainsi que des endolorissements sur l’ensemble des deux bras. Le médecin demanda que le requérant fût examiné dans un centre de neurologie.

61. Dans une lettre du 11 décembre 1996, le requérant fit état des mauvais traitements qu’il avait subis lors de sa garde à vue. Il précisa qu’il avait été frappé et insulté, avait subi des électrochocs et avait été soumis à la « falaka » (torture consistant à frapper la plante des pieds d’un individu).

62. Le 2 mai 1997, le requérant contesta l’ordonnance d’incompétence ratione loci rendue par le parquet d’Üsküdar devant la cour d’assises d’Ankara par l’intermédiaire de la cour d’assises d’Istanbul.

E. La procédure devant la deuxième cour d’assises de Kadıköy

63. Au moment de son arrestation, Sena fut arrêté en possession d’une pièce d’identité établie au nom de Semih Tosunoğlu.

64. Le 23 juin 1996, Sena fut entendu par les policiers.

65. Le 26 juin 1996, il fut entendu par le procureur de la République d’Istanbul. Dans sa déposition, il contesta les accusations portées à son encontre et protesta de son innocence.

66. Par un acte d’accusation présenté le 10 avril 1996, le procureur de la République inculpa Ahmet Söylemez et Faysal pour enlèvement et possession illégale d’armes à feu pour des faits commis entre le 10 et le 12 février 1996.

67. A l’audience du 22 avril 1996, la cour d’assises de Kadıköy ordonna le maintien du mandat d’arrêt par contumace délivré à l’encontre de Faysal.

68. Le rapport d’expertise des armes du 12 juin 1996, demandé par la direction de la sûreté d’Adana, indiqua que les douilles de balles retrouvées sur les lieux du décès de Hakan Çetinkaya et de Halit Pişkin ne provenaient pas des armes examinées.

69. Le rapport d’expertise des armes du 14 juin 1996, demandé par la direction de la sûreté d’Ankara, indiqua entre autres la nature et l’origine des armes, explosifs et douilles de balles retrouvés et saisis par la police. Il y fut établi que cinq douilles de balles provenaient de l’arme de marque Browning appartenant à Mustafa et que sept des armes à feu expertisées avaient été utilisées dans des exécutions extrajudiciaires à Ankara.

70. Le rapport d’expertise des armes à feu saisies à Maltepe (Istanbul) fut établi le 17 juin 1996 (rapport illisible).

71. Le rapport d’expertise des armes du 22 juin 1996 indiqua que les douilles de balles retrouvées sur les lieux du décès de Hakan Çetinkaya et de Halit Pişkin provenaient de l’arme de Can Köksal.

72. Le 9 juillet 1997, Mustafa et Faysal contestèrent les rapports d’expertise des armes saisies.

73. Par un acte d’accusation présenté le 7 octobre 1996, sur le fondement des articles 31, 33, 40 et 450 §§ 4, 5 et 10 du code pénal ainsi que de la loi no 6136 relative au port d’armes, le procureur de la République inculpa Sena, Mustafa et Faysal pour meurtre, possession illégale d’armes à feu, port de fausses pièces d’identité et plaque d’immatriculation pour des faits commis le 20 avril 1996. Le parquet précisa que Sena avait été placé en garde à vue du 11 au 26 juin 1996 et qu’il était poursuivi devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul pour association de malfaiteurs et meurtre, ainsi que devant le tribunal correctionnel de Kadıköy pour meurtre avec armes à feu. Il précisa également que Mustafa avait été placé en garde à vue du 12 au 26 juin 1996 et qu’il était poursuivi devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul pour association de malfaiteurs et meurtre, ainsi que devant le tribunal correctionnel de Kadıköy pour meurtre avec armes à feu. Il ajouta ensuite que Faysal avait été placé en garde à vue du 11 au 25 juin 1996 et qu’il était poursuivi devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul pour association de malfaiteurs et meurtre, ainsi que devant le tribunal correctionnel de Kadıköy pour meurtre avec armes à feu.

74. Le rapport d’expertise des armes du 4 novembre 1997, ordonnée par le parquet de Kadıköy, indiqua entre autres que trois douilles de balles retrouvées sur le corps de Hakan Çetinsaya étaient identiques à celles tirées des armes à feu saisies. Dix-sept douilles de balles de calibre 9 mm n’avaient pas été tirées de ces armes.

75. Les 7 et 17 novembre 1997, notamment sur le fondement de l’article 448 du code pénal, le parquet déposa ses réquisitions sur le fond de l’affaire contre les requérants.

76. Le 3 décembre 1997, en réponse aux réquisitions du parquet des 7 et 17 novembre 1997 notamment fondé sur l’article 448 du code pénal, les requérants déposèrent un mémoire en défense. Faysal présenta son mémoire en défense et répondit également aux observations du parquet en date du 7 novembre 1997. Il contesta ses dépositions obtenues lors de la garde à vue, le fait de ne pas avoir été assisté par un avocat lors de cette période. Sena contesta également sa déposition obtenue lors de la garde à vue et attira l’attention de la cour sur le rapport d’expertise graphologique. Quant à Mustafa, il contesta également sa déposition obtenue lors de la garde à vue. Les trois requérants contestèrent les dépositions des témoins et soutinrent qu’ils étaient victimes d’un complot. Ils mirent en doute la manière dont les procès-verbaux de reconstitution avaient été établis ; ils approuvèrent les dépositions des témoins à décharge et contestèrent celles des autres témoins.

77. Par un arrêt du 17 décembre 1997, la cour d’assises de Kadıköy condamna Mustafa et Sena à trente ans de réclusion, et Faysal à vingt ans. Elle acquitta Faysal concernant le port de fausses plaques d’immatriculation. Dans ses motifs, elle indiqua que Hakan Çetinsaya et Halit Pişkinbaş avait été tués le 20 avril 1996 vers 21 heures par armes à feu. Les armes utilisées par les accusés et jetées par eux dans un ruisseau n’avaient pas été retrouvées. Les témoins à charge et à décharge entendus au cours de la procédure n’étaient pas des témoins visuels directs des faits litigieux.

Dans leurs mémoires en défense, Sena, Mustafa et Faysal avaient contesté avoir tué Halit Pişkinbaş et Hakan Çetinsaya. Il ressort de leurs dépositions faites lors de la garde à vue, devant le parquet et le juge, ainsi que des informations transmises par la direction de la sûreté d’Istanbul, que Faysal et Sena avaient été arrêtés avec un autre accusé à la suite d’un affrontement armé avec la police à Pozantı ; des armes et des explosifs avaient été saisis. D’après leurs dépositions, l’un des membres de la famille des accusés avait été tué par la famille Bucak ; les accusés avaient décidé de tuer Ahmet Çetinkaya mais, ayant échoué, ils avaient décidé de tuer Nuh Çetinsaya. Ainsi, le 20 avril 1996, devant le domicile stambouliote de ce dernier, ils avaient tué son fils, Hakan Çetinsaya, ainsi que Halit Pişkinbaş. Ils étaient tous dans le même véhicule : Mehmet en était le conducteur et Sena et Mustafa avaient tiré sur les victimes, puis ils s’étaient enfuis à Ankara de sorte que les accusés avait commis l’infraction de meurtre.

Même si l’acte d’accusation avait été établi sur le fondement de l’article 450 §§ 4, 5 et 10 du code pénal pour le meurtre reproché à Mustafa et à Sena, dans les faits de l’espèce il n’y avait pas de préméditation, aucun motif commun conformément à l’article 450 § 5, ni homicide par vendetta. Les meurtres en question constituaient un homicide volontaire ; les deux accusés étaient les auteurs principaux du meurtre de Hakan Çetinsaya. La cour d’assises condamna Mustafa et Sena sur le fondement de l’article 448 du code pénal.

78. Par un arrêt du 2 juillet 1998, notifié le 28 juillet 1998, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué.

F. La procédure devant la cinquième cour d’assises d’Istanbul pour mauvais traitements à l’encontre des policiers incriminés

79. Le 9 décembre 1996, Faysal déposa une plainte pour mauvais traitements devant le procureur de la République d’Istanbul à l’encontre des policiers responsables de leur garde à vue.

80. Par un acte d’accusation présenté le 10 juillet 1997, en application de l’article 243 du code pénal, le procureur de la République intenta une action pénale pour mauvais traitements à l’encontre des policiers en cause.

81. Par un arrêt du 26 janvier 1998, la cour d’assises d’Istanbul précisa que le rapport médical du 27 juin 1996 établi au sujet de Faysal confirmait les allégations et les lésions décrites par ce dernier dans sa plainte. La cour indiqua qu’en dehors des policiers incriminés, d’autres policiers avaient interrogé le requérant lors de sa garde à vue, de sorte qu’il n’était pas possible de déterminer les responsables des lésions indiquées dans le rapport médical. Elle acquitta les policiers incriminés au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves « convaincantes et déterminantes ».

82. Le 24 juin 1999, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué.

G. La procédure devant la neuvième cour d’assises d’Ankara

83. Le rapport d’expertise du 18 juin 1996 mentionna que les armes et objets explosifs saisis lors des perquisitions effectuées les 11 et 13 juin 1996 avaient été détruits.

84. Par un acte d’accusation présenté le 22 août 1994, le procureur de la République inculpa les requérants pour meurtre – commis le 1er avril 1994 à 1 heure – et possession illégale d’armes à feu.

85. Par un acte d’accusation présenté le 27 décembre 1996, le procureur de la République intenta une autre action pénale à l’encontre des requérants pour des faits qui avaient eu lieu en 1994, en janvier 1995, les 12 et 13 juin 1996 et le 14 août 1996, entre autres, pour menace sur personnes, utilisation d’armes à feu à l’encontre de fonctionnaires de police en service, possession de bombes, bombes incendiaires ou d’objets meurtriers, possession de fausses pièces d’identités et tentative de vol aggravé.

86. Par un arrêt du 28 décembre 1998, la cour d’assises d’Ankara condamna Mustafa à une peine de réclusion de dix-huit ans et quatre mois. Elle condamna Sena et Faysal à une peine de réclusion de dix-huit ans et à une amende de 1 470 000 livres turques chacun. Elle acquitta les requérants pour le surplus.

87. Par un arrêt du 2 juillet 1999, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Le code pénal en vigueur à l’époque des faits de la cause

88. Les articles pertinents du code pénal en vigueur à l’époque des faits se lisaient ainsi :

Article 243

« Le président et les membres d’un tribunal ou d’un organisme officiel ou tout autre fonctionnaire qui, pour faire avouer des délits, torturent ou commettent des sévices, se rendent coupables d’actes inhumains ou violent la dignité humaine, seront punis de cinq ans de réclusion au plus et de l’interdiction à perpétuité ou à temps d’exercer des fonctions publiques.

La peine encourue selon l’article 452, au cas où l’acte entraîne la mort, ou selon l’article 456 dans les autres cas, sera augmentée d’un tiers à la moitié. »

Article 448

« Quiconque tue intentionnellement une personne sera puni de vingt-quatre à trente ans de réclusion. »

Article 450

« La peine de mort sera appliquée si le délit d’homicide a été commis :

(...)

4. avec préméditation ;

5. sur plus d’une personne ;

(...)

10. par vendetta. »

89. Il ressort des principes jurisprudentiels du droit pénal turc que l’interrogatoire d’un suspect est un moyen de défense devant profiter à ce dernier, et non une mesure destinée à obtenir des preuves à charge. Si les déclarations qui en sont issues peuvent entrer en ligne de compte dans l’appréciation par le juge de la réalité factuelle d’une affaire, elles doivent néanmoins être faites de plein gré, étant entendu que toute déclaration extorquée par le recours à des pressions ou à la force n’a aucune valeur probante. Aux termes de l’article 247 du code de procédure pénale, tel qu’interprété par la Cour de cassation, pour qu’un procès-verbal d’interrogatoire contenant des aveux faits à la police ou au parquet puisse constituer une preuve à charge, il est impératif que les aveux en question soient réitérés devant le juge. Sinon, la lecture lors de l’audience de pareils procès-verbaux à titre de preuve est prohibée, et l’on ne saurait donc y puiser un motif apte à fonder une condamnation. Même un aveu réitéré à l’audience ne saurait passer, à lui seul, pour un élément de preuve déterminant : il faut qu’il soit étayé par des éléments de preuve complémentaires (voir Hulki Güneş c. Turquie, no 28490/95, § 62, CEDH 2003VII).

B. Le « rapport de Susurluk »

90. Les requérants ont fait parvenir à la Cour une partie de la copie du « rapport de Susurluk[1] » les concernant, établi à la demande du premier ministre par M. Kutlu Savaş, vice-président du Comité d’inspection près le cabinet du premier ministre. Après sa communication en janvier 1998, le premier ministre l’a porté à la connaissance du public, à l’exception de onze pages du corps du document ainsi que de certaines de ses annexes (voir Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, §§ 25-28, CEDH 2000III).

91. D’après son préambule, ledit document n’est ni le fruit d’une instruction judiciaire ni un rapport d’enquête. Préparé dans un but d’information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l’existence d’une relation tripartite d’intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines.

92. Le rapport fait l’analyse d’un enchaînement d’incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d’un groupe de repentis censés servir l’État, pour conclure à l’existence d’un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Les passages du rapport relatent certains aspects touchant aux activités de type « mafieuse » menées par les frères Söylemez. Le rapport cite les différentes procédures pénales engagées contre eux ainsi que les faits qui leur sont reprochés.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

93. Les requérants allèguent qu’ils ont subi des mauvais traitements lors de leur garde à vue. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Mehmet Sena Söylemez et Mustafa Söylemez

94. Mehmet Sena Söylemez allègue qu’il a été placé en garde à vue en dépit de sa blessure sans avoir pu recevoir de soins. Il soutient avoir été transporté à Istanbul en ayant les yeux bandés et les mains menottées, et avoir ainsi subi des douleurs physiques et morales. Quant à Mustafa Söylemez, il allègue qu’il a subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue et que la durée de celle-ci avait pour but d’obtenir des aveux par des moyens illégaux.

95. Le Gouvernement rappelle que Mehmet Sena a été arrêté à la suite d’un affrontement avec la police et a été blessé par balle. Lors de son arrestation, il était en possession d’armes à feu. Le rapport médical du 11 juin 1996 indique les blessures consécutives à l’affrontement avec les policiers qui voulaient l’arrêter. Après le premier examen médical, des soins ont été prodigués au blessé. Le rapport médical du 26 juin 1996 indique une absence de traces de coups ou de violence. Le requérant n’étaye pas ses allégations par des éléments de preuve, tels un rapport médical ou la déposition de témoins. Dans sa déposition du 26 juin 1996 devant le juge, bien qu’il ait été interrogé au sujet du rapport médical, le requérant a déclaré qu’il n’avait rien à dire à ce sujet et n’a pas contesté le contenu du rapport.

96. En ce qui concerne Mustafa Söylemez, le Gouvernement rappelle qu’après son arrestation, le 18 juin 1996, celui-ci a été examiné par l’institut médico-légal d’Ankara et aucune trace de coups ou blessure n’a été constatée sur son corps. Le rapport médical du 26 juin 1996 a confirmé le précédent rapport médical. Dans sa déposition du 26 juin 1996, bien qu’il ait été interrogé à ce sujet, l’intéressé a précisé qu’il n’avait pas de commentaires à faire sur le rapport médical et n’en a pas contesté le contenu.

97. La Cour constate que le rapport médical daté du 11 juin 1996 présenté par Sena Söylemez fait état de lésions, telles des entrées de balles consécutives à l’échange de coups de feu qui a eu lieu entre lui et les policiers qui voulaient procéder à son arrestation à Pozantı.

98. De l’autre côté, Mustafa Söylemez ne présente pas de rapport médical prouvant qu’il aurait subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour note qu’il présente un rapport médical daté du 18 octobre 1996 faisant état de séquelles sur son corps alors qu’il se trouvait placé en détention provisoire. Eu égard à la formulation des griefs du requérant, la Cour ne saurait spéculer sur le bien-fondé de ce rapport médical.

99. Eu égard à ces considérations, la Cour estime que les éléments de preuve soumis à son appréciation ne lui permettent pas d’établir que ces requérants ont subi des mauvais traitements de la part des policiers lors de leur garde à vue. En outre, elle considère qu’il n’a pas été démontré que la force employée lors de l’arrestation des requérants a été excessive ou disproportionnée. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Mehmet Faysal Söylemez

100. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que ni Mehmet Faysal Söylemez ni ses représentants n’ont présenté un tel grief devant le procureur de la République.

101. La Cour constate que le requérant a formulé devant les juridictions nationales ses griefs tirés de l’article 3 (paragraphe 30 ci-dessus). Partant, l’exception doit être rejetée en ce qui le concerne.

102. La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’ils ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B. Sur le bien-fondé

103. Le Gouvernement conteste le bien-fondé des allégations du requérant. Il explique que les rapports médicaux des 12 et 25 juin 1996 indiquent une absence de trace de coups ou blessures sur le corps de l’intéressé. Dans sa déposition du 25 juin 1996, celui-ci a soutenu qu’il avait été torturé mais, à une question qui lui avait été posée, il a répondu qu’il n’avait pas de commentaire à faire sur le rapport médical du 25 juin 1996, en précisant que les traces de torture avaient dû disparaître lors de la garde à vue. Dans sa déposition du 26 juin 1996 devant le juge, il a indiqué qu’il avait avoué sous la pression. Aucun des rapports médicaux n’est de nature à étayer les allégations de torture du requérant.

104. La Cour rappelle que lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000VII). Il appartient donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines de ces blessures et de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales (voir, parmi d’autres, Selmouni, précité, § 87, Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001, Altay c. Turquie, no 22279/93, § 50, 22 mai 2001, et Hulki Güneş c. Turquie, no 28490/95, § 72, CEDH 2003VII).

105. La Cour relève que le rapport médical établi le 27 juin 1996 précise que le requérant présentait sur le bras gauche et sur le côté droit de la poitrine une ancienne ecchymose. Force est de constater que ces traces ne peuvent remonter à une période antérieure à son arrestation. Ensuite, le Gouvernement n’a pas donné d’explication sur la cause des lésions constatées chez le requérant, placé en garde à vue pendant seize jours.

106. La Cour constate que le parquet a intenté une action pénale contre les policiers responsable de la garde à vue du requérant pour torture, sur le fondement de l’article 243 du code pénal. La cour d’assises a acquitté les policiers pour absence de preuves « convaincantes et déterminantes » (paragraphe 81 ci-dessus). Rappelant l’obligation pour les autorités de rendre compte des individus placés sous leur contrôle, la Cour souligne que l’acquittement des policiers au pénal ne dégage pas l’État défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention (voir Berktay, précité, § 168). En effet, la cour d’assises n’a pas tiré de conclusion quant aux lésions indiquées dans le rapport médical du 27 juin 1996. Dans son arrêt, elle a précisé que d’autres policiers avaient participé à l’interrogatoire du requérant lors de la garde à vue. Il lui appartenait d’ordonner un complément d’information par exemple pour identifier ces éventuels autres policiers. Le procès pénal engagé contre les policiers n’a pas permis d’établir l’origine des séquelles établies par le rapport médical (voir, mutatis mutandis, Gültekin et autres c. Turquie, no 52941/99, § 39, 31 mai 2005).

107. Au vu de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation et de l’absence d’une explication plausible de la part du Gouvernement, la Cour estime en l’espèce que les séquelles constatées sur le corps de Mehmet Faysal Söylemez révèlent des sévices qui s’analysent en un traitement inhumain.

108. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

109. Les requérants allèguent la méconnaissance de leur droit à un recours effectif tel que prévu par l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

110. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Mehmet Sena et Mustafa Söylemez

111. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés consacrés par la Convention. Toutefois, cette disposition ne s’applique qu’aux griefs défendables au regard de la Convention.

112. La Cour rappelle que, sur le fondement des preuves produites, elle a conclu que les griefs présentés par les requérants ne révèlent aucune apparence de violation. Ils ne sont dès lors pas « défendables » aux fins de l’article 13 (en sens contraire, voir, parmi d’autres, Boyle et Rice, précité, § 52, Kaya c. Turquie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998I, pp. 330331, § 107, et Yaşa c. Turquie, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil 1998VI, p. 2442, § 113). Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Mehmet Faysal Söylemez

113. La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B. Sur le bien-fondé

114. La Cour a jugé l’État défendeur responsable au regard de l’article 3 des traitements subis par Mehmet Faysal Söylemez lors de sa garde à vue (paragraphe 108 ci-dessus). Les griefs énoncés par l’intéressé à cet égard sont dès lors « défendables » aux fins de l’article 13 (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, p. 23, §§ 52 et 65, et Büyükdağ c. Turquie, no 28340/95, § 65, 21 décembre 2000).

115. En l’espèce, eu égard à l’ensemble des éléments de preuves médicales produites devant elle, la Cour constate qu’une enquête pénale a été diligentée contre les policiers responsables de la garde à vue du requérant sur le fondement de l’article 243 du code pénal pour torture. L’action pénale engagée contre les policiers incriminés devant la cour d’assises s’est conclue par leur acquittement sans apporter d’explication quant à l’origine des lésions présentes sur le corps du requérant. La cour d’assises n’a pas non plus identifié les policiers responsables des blessures infligées au requérant (paragraphe 81 ci-dessus).

116. A la lumière de ces considérations, l’enquête menée en l’espèce au sujet des allégations du requérant tirées de l’article 3 ne saurait être qualifiée d’approfondie et d’effective au sens de l’article 13.

117. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

A. Sur la recevabilité

118. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé

1. Grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3

a) Mehmet Faysal Söylemez

119. Le requérant allègue qu’il a été condamné sur le fondement de dépositions obtenues sous la torture lors de la garde à vue. Il prétend qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de sa garde à vue. Il fait valoir qu’il n’a pas pu faire interroger les témoins à charge et que les rapports d’expertise n’ont pas été pris en considération. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...) ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

120. Selon le Gouvernement, pour condamner le requérant les juridictions nationales se sont fondées sur les procès-verbaux, les rapports balistiques ainsi que d’autres éléments de preuve contenus dans le dossier comme la déposition des autres accusés, des témoins et les procès-verbaux de saisie. Il rejette la thèse selon laquelle ces juridictions auraient pris en considération les dépositions obtenues sous la contrainte lors de la garde à vue comme éléments de preuve à charge. Le parquet, une fois informé d’une telle allégation, a ouvert une enquête pénale pour en déterminer le bien-fondé.

121. La Cour rappelle qu’elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46, et, comme exemple dans un contexte différent, Teixeira de Castro c. Portugal, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998IV, p. 1462, § 34). Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, par principe, sur la recevabilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale, ou encore sur la culpabilité du requérant. Il y a lieu d’examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été obtenus, fut équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’« illégalité » en question et, dans les cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000V). Lorsque l’unique preuve contre un accusé est obtenue dans des conditions où l’intéressé ne peut pas bénéficier d’un avis juridique indépendant et lorsque l’accusé nie ensuite la valeur de cette preuve, la garantie d’équité du procès figurant à l’article 6 § 1 de la Convention exige une procédure permettant d’examiner si la preuve est valable et s’il convient d’en tenir compte dans le procès (G. c. Royaume-Uni, no 9370/81, décision de la Commission du 13 octobre 1983).

122. En l’occurrence, la Cour relève qu’il ne s’agit pas d’une preuve « illégale » recueillie au sens classique de la jurisprudence de la Cour tel qu’il ressort de l’affaire Schenk précitée. Elle ne partage pas les arguments du Gouvernement en ce sens d’ailleurs. En effet, dans la présente affaire, il s’agit en partie de preuves à charge obtenue, comme il a été constaté ci-dessus (voir paragraphe 108 ci-dessus), dans des conditions contraire à l’article 3 de la Convention. Dans le système de la Convention, il est reconnu depuis longtemps que le droit énoncé à l’article 3 de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. C’est un droit absolu qui ne souffre aucune dérogation en aucune circonstance (voir Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, §§ 59 et 60, CEDH 2001XI). Aussi, toute déposition obtenue en violation de l’article 3 de la Convention ne doit être invoquée comme un élément de preuve contre le requérant, si ce n’est contre la personne accusée de traitement contraire à l’article 3 pour établir ou prouver l’existence d’une telle preuve. Une déclaration faite en méconnaissance de l’article 3 est intrinsèquement dépourvue de fiabilité. De plus, l’utilisation d’une preuve obtenue en violation de l’article 3 constitue souvent la raison pour laquelle les actes de mauvais traitements sont initialement utilisés. La prise en compte d’une telle preuve pour établir la culpabilité d’une personne est incompatible avec les garanties de l’article 6 de la Convention (voir, dans le même sens, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 99-100, 11 juillet 2006).

123. A cet égard, la Cour rappelle avoir conclu que les conditions dans lesquelles s’est déroulée la garde à vue du requérant ont emporté violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 108 ci-dessus). Comme l’a noté la Cour dans son arrêt Jalloh c. Allemagne (précité, § 104), « l’utilisation dans le cadre d’une procédure pénale d’éléments de preuve recueillis au mépris de l’article 3 soulève de graves questions quant à l’équité de cette procédure ». Il convient à cet égard d’observer que la législation turque ne semble attacher aux aveux obtenus pendant les interrogatoires mais contestés devant le juge aucune conséquence déterminante pour les perspectives de la défense (paragraphe 88 et 89 ci-dessus ; Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 111, CEDH 2000VIII). Bien qu’il ne lui incombe pas d’examiner in abstracto la question de l’admissibilité des preuves en droit pénal, la Cour juge regrettable qu’en l’espèce la cour d’assises de Kadıköy ne se soit pas prononcée au préalable sur cette question avant de procéder à l’examen au fond de l’affaire (voir Hulki Güneş, précité, § 91). D’autant que la cour d’assises de Kadıköy a prononcé la condamnation du requérant alors que l’action pénale engagée contre les policiers pour mauvais traitement était pendante devant la cour d’assises d’Istanbul. Cette dernière a acquitté les policiers le 26 janvier 1998 soit un mois avant la condamnation du requérant par la cour d’assises de Kadıköy. Il est clair qu’une telle lacune n’a pas mis les juridictions nationales en mesure de sanctionner des méthodes illicites employées pour l’obtention de preuves à charge. De plus, il n’est pas contesté que, lorsque le requérant a signé ses aveux, il n’était pas assisté par un avocat et avait été interrogé par la police sans avoir pu prendre contact avec un tiers (voir, dans le même sens, Örs et autres c. Turquie, no 46213/99, § 61, 20 juin 2006).

124. La Cour constate que, lors de la procédure menée devant la cour d’assises de Kadıköy, la déposition du requérant extorquée sous la contrainte lors de la garde à vue était un élément parmi d’autres qui a servi de base à sa condamnation (paragraphe 77 ci-dessus). La cour d’assises n’a pas examiné la recevabilité de ce moyen de preuve. La déposition du requérant n’a en conséquence pas été examinée sur le point de savoir si elle devait être exclue ou non du dossier. Aucun supplément d’instruction non plus n’a été ordonné pour déterminer la réalité des faits et l’identité des auteurs des mauvais traitements allégués (a contrario, Ferrantelli et Santangelo c. Italie, arrêt du 7 août 1996, Recueil 1996III, §§ 49-50 ; comparer Örs précité, § 61).

125. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention.

b) Mehmet Sena Söylemez et Mustafa Söylemez

126. Les requérants allèguent que leur cause n’a pas été entendue équitablement devant la cour d’assises de Kadıköy dans la mesure où ils n’ont pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de leur garde à vue et qu’ils ont été condamnés sur la base de preuves obtenues sous la torture. Ils n’ont pas pu faire interroger les témoins à charge. Le résultat des examens balistiques des armes et des signatures apposées au bas des dépositions n’a pas été apprécié par la cour d’assises. L’acte d’accusation a qualifié les faits retenus à leur encontre d’homicide prémédité alors que la cour d’assises les a qualifiés d’homicide volontaire. Ils allèguent enfin que, devant la cour d’assises, leurs représentants n’ont pas pu terminer leurs plaidoiries. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

127. Le Gouvernement conteste les allégations des requérants. L’acte d’accusation préparé par le parquet et présenté devant la cour d’assises de Kadıköy était fondé sur l’article 450 §§ 4, 5 et 10 de l’ancien code pénal et concerne le meurtre avec préméditation. Dans son arrêt, la cour a condamné les requérants sur le fondement de l’article 448 de l’ancien code pénal pour homicide, qualification qui est en faveur du requérant. En application de la loi no 4616 relative à la libération conditionnelle, au sursis des procès et des peines pour les infractions commises avant le 23 avril 1999, la peine d’emprisonnement des requérants a été suspendue.

128. La Cour rappelle que l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider « du bien-fondé de [l’]accusation », mais il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Les exigences de l’article 6, et notamment de son paragraphe 3, peuvent elles aussi jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès (voir, par exemple, Imbrioscia c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, p. 13, § 36).

Le droit énoncé au paragraphe 3 c) de l’article 6 constitue un élément, parmi d’autres, de la notion de procès équitable en matière pénale, contenue au paragraphe 1. La Cour souligne que les modalités de l’application de l’article 6 §§ 1 et 3 c) durant l’instruction dépendent des particularités de la procédure et des circonstances de la cause. Pour s’assurer que le résultat voulu par l’article 6 – le droit à un procès équitable – a été atteint, il s’agit de savoir dans chaque cas, si à la lumière de l’ensemble de la procédure, la restriction a privé l’accusé d’un procès équitable (voir, mutatis mutandis, John Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 8 février 1996, Recueil 1996I, pp. 54-55, §§ 63-64, et Magee c. RoyaumeUni, no 28135/95, §§ 4445, CEDH 2000VI).

129. Eu égard aux principes qu’elle vient de rappeler, la Cour examinera l’ensemble de la procédure devant les juridictions nationales pour déterminer si cette restriction des droits de la défense des requérants a porté atteinte à son droit à l’équité de la procédure telle que consacrée par l’article 6 §§ 1 et 3.

i. Sur la préparation de la défense ainsi que l’interrogation des témoins

130. En l’occurrence, la Cour note d’abord qu’il n’a pas été établi, à la lumière des éléments de preuve soumis à son appréciation, que les requérants ont subi des mauvais traitements de la part des policiers lors de leur garde à vue (paragraphe 112 ci-dessus). Elle relève ensuite que, devant la cour d’assises de Kadıköy et la Cour de cassation, les requérants représentés par leur avocat, ont contesté leurs dépositions obtenues lors de leur garde à vue et les éléments de preuves réunis (paragraphes 71 et 75 ci-dessus). Ainsi, elle relève que les requérants ont eu l’occasion de discuter du bien-fondé des dépositions et des preuves obtenues lors de l’enquête préliminaire, des différents rapports d’expert ainsi que des dépositions des témoins (voir Sarıkaya c. Turquie, no 36115/97, § 67, 22 avril 2004, et Mamaç et autres c. Turquie, nos 29486/95, 29487/95 et 29853/96, § 49, 20 avril 2004). Ils ont eu la possibilité de se faire représenter par un homme de loi qui les a aidé à préparer leur défense. Par ailleurs, ils ont déposé leur mémoire en défense devant la cour d’assises et ont eu l’occasion de répondre aux réquisitions du parquet. A cet égard, la Cour relève qu’ils n’expliquent pas de quelle manière ils n’ont pas pu terminer leurs plaidoiries et n’étayent nullement leur argumentation en ce sens. Elle en conclut que la notion d’équité – nonobstant le fait que le requérant n’a pu consulter un avocat dès les premières heures de sa garde à vue – consacrée par l’article 6 n’a pas été atteinte dans sa substance. Elle conclut ainsi que les droits de la défense n’ont pas subi une atteinte irréparable incompatible avec les droits que l’article 6 reconnaît à l’accusé.

131. Dans ces conditions, un examen global de la procédure amène la Cour à estimer que les requérants ne se sont pas vus refuser un procès équitable et qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 b) et d) de l’article 6 de la Convention.

ii. Sur la qualification des accusations

132. La Cour rappelle que l’équité de la procédure doit s’apprécier à la lumière de la procédure considérée dans son ensemble (voir Miailhe c. France (no 2), arrêt du 26 septembre 1996, Recueil 1996IV, p. 1338, § 43, et Imbrioscia, précité, § 38). Le paragraphe 3 a) de l’article 6 montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’« accusation » à la personne poursuivie. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, l’inculpé est officiellement avisé par écrit de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre lui (Kamasinski c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 168, pp. 36-37, § 79). L’article 6 § 3 a) reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’« accusation », c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999II).

133. La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Deweer c. Belgique, arrêt du 27 février 1980, série A no 35, pp. 30-31, § 56, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 15, § 32, Goddi c. Italie, arrêt du 9 avril 1984, série A no 76, p. 11, § 28, et Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 14, § 26). La Cour considère qu’en matière pénale une notification précise et complète à l’accusé des charges pesant contre lui – et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre – est une condition essentielle de l’équité de la procédure (Pélissier et Sassi, précité, § 52).

134. Enfin, quant au grief tiré de l’article 6 § 3 b) de la Convention, la Cour estime qu’il existe un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et que le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (ibidem, § 54).

135. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation présenté par le parquet le 7 octobre 1996 se fondait notamment sur l’article 450 §§ 4, 5 et 10 de l’ancien code pénal (paragraphe 73 ci-dessus). La cour d’assises de Kadıköy, après avoir rappelé que même si l’acte d’accusation avait été établi sur le fondement de l’article 450 §§ 4, 5 et 10 du code pénal pour le meurtre reproché à Mustafa et Sena, dans les faits de l’espèce il n’y avait pas de préméditation, aucun motif commun conformément à l’article 450 § 5, ni homicide par vendetta ; le meurtre des deux personnes concernées constituait un homicide volontaire. Partant, la cour d’assises a condamné Mustafa et Sena sur le fondement de l’article 448 du code pénal (paragraphe 77 ci-dessus). Par ailleurs, au cours de la procédure de jugement menée devant la cour d’assises, le parquet a déposé ses réquisitions sur le fondement de l’article 448 du code pénal. Les requérants ont eu l’occasion d’y répondre (paragraphe 76 ci-dessus).

136. La Cour considère dès lors que les requérants ont eu l’occasion de présenter leur défense à l’égard de l’infraction requalifiée devant la cour d’assises. Se livrant à une appréciation de l’équité de la procédure appréhendée dans son ensemble – et eu égard à la nature de l’examen de la cause effectué par la cour d’assises –, la Cour estime que les droits des requérants à être informé dans le détail de la nature et de la cause de l’accusation dirigée contre eux et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense n’ont pas été méconnus (Dallos c. Hongrie, no 29082/95, §§ 50-51, CEDH 2001II).

137. Il en résulte qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 combiné avec le paragraphe 3 a) de l’article 6 de la Convention.

2. Grief tiré de l’article 6 § 2

138. Les requérants se plaignent que les juges des cours d’assises de Kadıköy et d’Ankara se sont prononcés sous la pression des médias et des milieux politiques. Ils invoquent l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

139. Le Gouvernement fait valoir que les tribunaux nationaux n’ont pas été soumis à la pression des médias ou de l’autorité politique. D’ailleurs l’article 138 de la Constitution prône l’indépendance du corps judiciaire.

140. En ce qui concerne la campagne de presse médiatique, tant dans la presse écrite que dans les médias audiovisuels, et à supposer que les requérants aient épuisé les voies de recours internes sur ce point, la Cour rappelle que l’on s’accorde en général à penser que les tribunaux ne sauraient fonctionner dans le vide : bien qu’ils aient seuls compétence pour se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence quant à une accusation en matière pénale, il n’en résulte point qu’auparavant ou en même temps, les questions dont ils connaissent ne puissent donner lieu à discussion, que ce soit dans des revues spécialisées, dans la grande presse ou le public en général (voir, mutatis mutandis, Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, p. 40, § 65).

141. A supposer même que les requérants aient épuisé les voies de recours internes, la Cour observe que leurs procès trouvaient leur source dans des événements qui faisaient l’objet d’une controverse intense dans la société et l’opinion publique turques. Eu égard au climat social qui régnait à cette époque et, en particulier, à l’enquête parlementaire ordonnée à la suite de l’accident de « Susurluk », les requérants devaient s’attendre à ce que leurs procès n’aient pas lieu dans la sérénité souhaitée par eux. De l’avis de la Cour, les requérants n’ont pas démontré qu’il y avait eu contre eux une campagne médiatique d’une virulence telle qu’elle aurait influencé ou aurait été susceptible d’influencer la formation de l’opinion des juges et l’issue des délibérés des cours d’assises. Les requérants n’ont pas non plus démontré en quoi tels partis politiques ou tels hommes politiques auraient émis des commentaires de nature à influencer la formation de l’opinion de ces mêmes juges.

142. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

143. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

144. Les requérants réclament conjointement la somme de 1 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’ils auraient subi.

145. Le Gouvernement conteste ces prétentions dans la mesure où les requérants n’ont soumis aucun justificatif. Cette somme n’a aucune base sérieuse et est irréaliste. Il n’y a aucun lien de causalité entre la demande des intéressés et la violation alléguée.

146. S’agissant du dommage subi au titre de l’article 3 par Mehmet Faysal Söylemez, la Cour estime que ce dernier a subi un préjudice moral que le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne saurait suffire à réparer. Statuant en équité, la Cour lui accorde à ce titre 8 000 EUR.

Pour le reste, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué par le requérant, et rejette cette demande.

B. Frais et dépens

147. Les requérants demandent 500 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et ceux encourus devant la Cour.

148. Le Gouvernement conteste ces prétentions dans la mesure où les requérants n’ont soumis aucun justificatif.

149. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, mais estime raisonnable la somme de 3 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à Mehmet Faysal Söylemez.

C. Intérêts moratoires

150. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le grief de Mehmet Sena Söylemez au titre des articles 3 et 13 de la Convention et les griefs de l’ensemble des requérants au titre de l’article 6, et irrecevable le restant de la requête ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention quant à Mehmet Faysal Söylemez ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention quant à Mehmet Faysal Söylemez ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention quant à Mehmet Faysal Söylemez et qu’il n’y a pas lieu d’examiner le surplus des griefs tirés de cette disposition ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention quant à Mehmet Sena Söylemez et Mustafa Söylemez ;

6. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention quant aux trois requérants ;

7. Dit

a) que lÉtat défendeur doit verser à Mehmet Faysal Söylemez, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du paiement :

i. 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

ii. 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 septembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président


1. « Susurluk » est la scène où a eu lieu, en novembre 1996, un accident impliquant un véhicule dans lequel se trouvaient un parlementaire, l’ancien directeur adjoint de la sûreté d’Istanbul, un extrémiste de droite notoire et un trafiquant de drogue recherché par Interpol ainsi que l’amie de celui-ci ; les trois derniers y ont trouvé la mort. La réunion de ces personnes avait dérangé l’opinion publique au point de nécessiter l’ouverture de plus de seize enquêtes judiciaires à différents niveaux et d’une enquête parlementaire.