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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
21.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DEDDA ET FRAGASSI c. ITALIE

(Requête no 19403/03)

ARRÊT

STRASBOURG

21 septembre 2006

DÉFINITIF

21/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Dedda et Fragassi c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 août 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19403/03) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État, Mme Maria Dedda et M. Leonardo Fragassi (« les requérants »), ont saisi la Cour le 7 juin 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requérante est décédée le 5 novembre 2004. Par une lettre du 3 juin 2005, M. Pietro Rocco Dedda a informé le Greffe de ce qu’il avait hérité de la requérante et qu’il souhaitait se constituer dans la procédure devant la Cour.

2. Les requérants sont représentés par Me M. A. Rossi, avocat à L’Aquila. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3. Le 22 mars 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants étaient propriétaires d’un terrain constructible sis à Orsara di Puglia et enregistré au cadastre, feuille 44, parcelles 138 et 180.

5. Par deux arrêtés des 2 février et 22 avril 1980, la municipalité d’Orsara di Puglia autorisa l’occupation d’urgence d’une partie du terrain des requérants, à savoir 729 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique, afin de procéder à la construction d’habitations à loyer modéré.

6. Les 23 et 27 septembre 1981, la municipalité procéda à l’occupation matérielle du terrain et entama les travaux de construction.

7. Par un acte d’assignation notifié le 29 avril 1986, les requérants introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité d’Orsara di Puglia devant le tribunal de Foggia. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif que celle-ci s’était prolongée au-delà du délai autorisé et que les travaux de construction s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle du terrain et au paiement d’une indemnité. Ils réclamaient, dans le cas où il n’aurait pas été possible d’obtenir la restitution du terrain litigieux, un dédommagement pour la perte de celui-ci, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la partie restante du terrain.

8. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la municipalité avait procédé à l’occupation non seulement des 729 mètres carrés de terrain qu’elle était autorisée à occuper, mais aussi d’une autre partie du terrain des requérants, à savoir 1 401 mètres carrés. La partie du terrain occupée, globalement considérée, était donc de 2 130 mètres carrés. Sa valeur marchande était de 20 000 ITL le mètre carré en avril 1982, à savoir au moment de sa transformation irréversible, et de 29 300 ITL le mètre carré en septembre 1986, soit au moment de l’expiration du délai d’occupation autorisée.

9. Par un jugement déposé au greffe le 3 juin 1993, le tribunal déclara que les requérants devaient se considérer comme privés de leur bien par l’effet de la construction de l’ouvrage public, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. Quant à la partie du terrain dont l’occupation avait été autorisée, à savoir 729 mètres carrés, le tribunal estima que les requérants avaient droit à un dédommagement égal à la valeur marchande de celle-ci au moment de l’expiration du délai d’occupation autorisée, indexé au jour du prononcé, soit 29 160 000 ITL. Quant à la partie du terrain occupée en l’absence d’une autorisation, à savoir 1 401 mètres carrés, le tribunal décida que les requérants avaient droit à un dédommagement égal à la valeur marchande de celle-ci au moment de sa transformation irréversible, indexé au jour du prononcé, soit 56 040 000 ITL.

10. En outre, le tribunal jugea que les requérants avaient droit à une indemnité d’occupation, indexée au jour du prononcé et évaluée à 1 700 000 ITL.

11. Par un acte notifié le 26 juillet 1993, la municipalité interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Bari.

12. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe, afin de recalculer le montant de l’indemnité due aux requérants en application de la loi no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur. Quant à la partie du terrain dont l’occupation avait été autorisée, l’expert considéra que le délai d’occupation autorisée avait pris fin en septembre 1985 et évalua à 12 056 799 ITL à cette dernière date le montant de l’indemnité due aux requérants aux termes de la loi no 662 de 1996. Quant à la partie du terrain occupée en l’absence d’un autorisation, l’expert évalua à 15 884 199 ITL en 1982 le montant de l’indemnité due aux termes de la loi no 662 de 1996.

13. Par un arrêt déposé au greffe le 9 novembre 1999, la cour d’appel condamna la municipalité à verser aux requérants les sommes de 12 056 799 ITL, plus intérêts et réévaluation, à titre de dédommagement pour la perte de la partie du terrain dont l’occupation avait été autorisée, et de 15 884 199 ITL, plus intérêts et réévaluation, à titre de dédommagement pour la perte de la partie du terrain occupée en l’absence d’autorisation.

14. Par un recours notifié le 11 décembre 2000, les requérants se pourvurent en cassation, contestant notamment l’application à leur cas de la loi no 662 de 1996.

15. Par un arrêt déposé au greffe le 2 avril 2003, la Cour de cassation débouta les requérants de leur pourvoi.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

17. La Cour note que la requérante est décédée le 5 novembre 2004 mais que son ayant droit, M. Pietro Rocco Dedda, a exprimé le souhait de poursuivre l’instance

18. La Cour estime que l’héritier de la requérante, eu égard à l’objet de la présente affaire, peut prétendre avoir un intérêt suffisant pour justifier de la poursuite de l’examen de la requête et lui reconnaît dès lors la qualité pour se substituer désormais à elle en l’espèce (voir, parmi d’autres, X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A no 234-C, p. 89, § 26).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

19. Les requérants allèguent avoir été privés de leur bien dans des circonstances incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

20. Le Gouvernement ne soulève pas d’exceptions concernant la recevabilité de ce grief.

21. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

22. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d’espèce, il s’agit d’une occupation de terrain dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. Il admet que la procédure d’expropriation n’a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun arrêté d’expropriation n’a été adopté.

23. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n’a pas été remis en cause par les juridictions nationales.

24. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l’expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Selon le Gouvernement, le principe de l’expropriation indirecte doit être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l’arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.

25. Le Gouvernement en conclut qu’à partir de 1983, les règles de l’expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.

26. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Cour a reconnu que la notion de loi comprend les principes généraux énoncés ou impliqués par elle (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33 § 45, Kruslin c. France no11801/85, arrêt du 24 avril 1990 série A 176-A, Huvig c. France no11105/84, arrêt du 24 avril 1990 série A 176-B, Maestri c. Italie no39748/98, 17 février 2004, et N. F. c. Italie 37119/97, 2 août 2001) ainsi que du droit non écrit (Sunday Times c. Royaume-Uni (no1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, § 47).

27. Il s’ensuit que la jurisprudence consolidée de la Cour de cassation ne saurait être exclue de la notion de loi au sens de la Convention.

28. Le Gouvernement rappelle que dans l’affaire ForrerNiedenthal c. Allemagne (arrêt du 20 février 2003), la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui ont privé la requérante de toute protection contre l’atteinte portée à sa propriété. Il demande à la Cour de suivre la même approche pour la présente affaire.

29. S’agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu’un arrêté d’expropriation n’ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.

30. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, la restitution du terrain n’est plus possible.

31. Le Gouvernement définit l’expropriation indirecte comme le résultat d’une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt des particuliers, lorsque l’ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et qu’il répond à l’utilité publique.

32. Quant à l’exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l’administration est tenue d’indemniser les intéressés.

33. Compte tenu de ce que l’expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l’illégalité commise par l’administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, l’indemnisation peut être inférieure au préjudice subi.

34. La fixation du montant de l’indemnité en cause rentre dans la marge d’appréciation laissée aux États pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Le Gouvernement rappelle en outre que l’indemnité telle que plafonnée par la loi budgétaire no 662 de 1996 est en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l’expropriation avait été régulière.

35. A la lumière de ces considérations et en se référant notamment à l’affaire OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté et que la situation dénoncée est compatible à tous points de vue avec l’article 1 du Protocole no 1.

b) Les requérants

36. Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement.

37. Ils font observer que l’expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité.

38. Les requérants dénoncent un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à leur cas au motif qu’un principe jurisprudentiel, tel que celui de l’expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

39. La Cour rappelle que, pour déterminer s’il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s’il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

40. La Cour relève que, en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants comme étant privés de leur bien par l’effet de la construction de l’ouvrage public. A défaut d’un acte formel d’expropriation, le constat d’illégalité de la part du juge est l’élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l’arrêt de la Cour de cassation a eu pour effet de priver les requérants de leur bien au sens de la deuxième phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura précité, § 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).

41. Pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d’utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d’examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n’était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).

42. Dès lors, la Cour n’estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu’une réparation intégrale en faveur des requérants n’a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).

b) Sur le respect du principe de légalité

43. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l’expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu’elle n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu’elle permet en général à l’administration de passer outre les règles fixées en matière d’expropriation. En effet, dans tous les cas, l’expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l’administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l’administration, au bénéfice de celle-ci.

44. Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions italiennes ont considéré les requérants privés de leur bien par l’effet de la construction de l’ouvrage public, les conditions d’illégalité de l’occupation et d’intérêt public de l’ouvrage construit étant réunies. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 2 avril 2003, date à laquelle l’arrêt de la Cour de cassation a été déposé au greffe.

45. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier du terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu’une indemnité soit mise en parallèle à la disposition des intéressés.

46. S’agissant de l’indemnité, la Cour constate que l’application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d’espèce a eu pour effet de priver les requérants de la possibilité d’obtenir réparation du préjudice subi.

47. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requérant.

48. Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

49. Les requérants se plaignent de l’adoption et l’application de la loi no 662 du 23 décembre 1996. Le grief a été communiqué sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

50. Le Gouvernement soutient que la requête est tardive, étant donné que le délai de six mois prévu à l’article 35 de la Convention aurait commencé à courir le 1er janvier 1997, date de l’entrée en vigueur de la loi no 662 de 1996. A l’appui de ses allégations, le Gouvernement cite l’affaire Miconi c. Italie (Miconi c. Italie, (déc.), no 66432/01, 6 mai 2004).

51. Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement.

52. La Cour rappelle qu’elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005) et Binotti c. Italie (no 2) (no 71603/01, 13 octobre 2005). Elle n’aperçoit aucun motif de s’écarter de ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception du Gouvernement

53. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

54. Le Gouvernement observe que la loi litigieuse n’a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par les requérants. En outre, l’application de cette loi n’aurait pas eu de répercussions négatives pour les requérants. Il en conclut que l’application de la disposition litigieuse à la cause des requérants ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l’appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère notamment aux arrêts Forrer-Niedenthal c. Allemagne (précité), OGIS Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (précité) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004-VIII).

55. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

56. La Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par le requérant n’est pas conforme au principe de légalité (paragraphes 47-48 ci-dessus). Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 133, CEDH 2006).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

57. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

58. A titre de préjudice matériel, les requérants sollicitent le versement de la somme de 160 120,50 EUR, égale à la différence entre la valeur marchande des deux parties du terrain dont ils ont été privés, réévaluée et assortie d’intérêts, et le montant des indemnisations reconnues par la cour d’appel en application de la loi no 662 de 1996.

59. S’agissant du préjudice moral, les requérants demandent la somme de 53 373,50 EUR.

60. Enfin, les requérants demandent 5 748,48 EUR pour les frais de procédure devant les juridictions internes et 16 012,05 EUR pour les frais de procédure devant la Cour, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA) en sus.

61. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées dans les arrêts précités Carbonara et Ventura c. Italie et Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie et estime qu’en tout état de cause la somme réclamée par les requérants serait excessive.

62. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement fait valoir qu’un tel dommage dépend de la durée excessive de la procédure devant les juridictions nationales. Par conséquent, le Gouvernement soutient que le versement d’une quelconque somme à titre d’indemnisation du dommage moral est subordonné à l’épuisement du remède Pinto. En tout état de cause, le Gouvernement estime que la somme réclamée par les requérants serait excessive.

63. Quant aux frais de la procédure devant les juridictions nationales, le Gouvernement soutient que ceux-ci doivent être remboursés dans le cadre de cette dernière procédure et non pas de celle devant la Cour.

64. S’agissant des frais de la procédure à Strasbourg, le Gouvernement soutient que les requérants ont quantifié ceux-ci de manière vague et imprécise.

65. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 septembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président