Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 17367/02
présentée par Naif DEMİRCİ
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 3 octobre 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 13 février 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, Naif Demirci, est un ressortissant turc, né en 1956 et résidant à Diyarbakır. Il est représenté devant la Cour par Me Mustafa Sezgin Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 13 décembre 2001, dans le cadre d’une enquête menée contre l’organisation illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le commandement de la gendarmerie de Diyarbakır (« la gendarmerie ») émit un avis [de recherche] à l’encontre du requérant.
Le 20[1] décembre 2001 (vers 16 h 00), sur le fondement dudit avis dont le contenu demeure inconnu, M. Demirci fut arrêté par les policiers de la direction de sûreté de Diyarbakır, ville alors soumise au régime de l’état d’urgence. Avant d’être remis aux mains des gendarmes et placé en garde à vue, le requérant fut examiné par un médecin qui aurait établi un rapport, dont la Cour ne dispose pas.
Le 23 décembre 2001, la gendarmerie demanda au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« le procureur » - « la cour de sûreté de l’Etat») l’autorisation de garder le requérant pour une durée supplémentaire de deux jours. L’autorisation requise fut accordée.
Le 24 décembre 2001, le requérant signa une déposition reconnaissant son appartenance au PKK.
Le 25 décembre 2001, le requérant, traduit devant le procureur, contesta sa déposition faite devant les gendarmes, affirmant n’avoir aucun lien avec le PKK. Ensuite, il comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, devant lequel il réitéra ses dires, ajoutant qu’il fut obligé de signer la déposition litigieuse sans pour autant en connaître le contenu. Le juge ordonna la mise en détention provisoire du requérant qui, de ce fait, fut transféré à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır.
Toujours le 25 décembre 2001, statuant sur les demandes du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence et du procureur, et se fondant sur l’article 3 c) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l’état d’urgence, le juge assesseur autorisa le renvoi du requérant à la gendarmerie pour interrogatoire, pour une durée de dix jours. Ainsi, le requérant fut remis aux mains des gendarmes.
Le 28 décembre 2001, le représentant du requérant fit opposition contre cette décision, soutenant notamment qu’une telle mesure était contraire à la Constitution ainsi qu’aux instruments internationaux pertinents en la matière. La demande fut écartée le même jour par la cour de sûreté de l’Etat.
Le 3 janvier 2002, le requérant retourna à la maison d’arrêt de Diyarbakır.
Par un acte du 4 janvier 2002, le procureur mit le requérant en accusation pour appartenance à une bande armée, en application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.
Par une lettre adressée à la cour de sûreté de l’Etat le 7 janvier 2002, le requérant soutint avoir été soumis à des tortures physiques et psychiques dès le 20 décembre 2001, pour qu’il accepte les accusations, à savoir, recel de membres du PKK et collecte de fonds pour l’organisation. Il soutint notamment avoir été battu et arrosé d’eau ; on lui aurait également tordu les testicules et on l’aurait menacé d’harceler sa femme, elle aussi en garde à vue à l’époque. Dénonçant la valeur probante des déclarations à charge obtenues sous la torture et signées alors qu’il avait les yeux bandés, le requérant contesta son placement en détention provisoire. Toutefois, lors de la première audience tenue le lendemain, la cour de sûreté de l’Etat reconduisit la détention du requérant.
Le 14 janvier 2002, Me Tanrıkulu s’entretint avec le requérant qui lui décrivit en détail les sévices infligés lors de la garde à vue. M. Demirci réitéra en grande partie le contenu de sa lettre du 7 janvier et allégua avoir subi en outre des électrocutions et avoir été privé de nourriture. Par ailleurs, il affirma qu’on lui infligea ces traitements durant les trois premiers jours de la première garde à vue et le tout premier jour de la seconde.
A la date de l’introduction de la requête, le procès du requérant était encore pendant devant la cour de sûreté de l’Etat.
B. Le droit et la pratique internes
A l’époque des faits, l’article 16 de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence exclusive desdites juridictions, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant ledit juge. En cas de délit collectif, en raison du nombre des accusés et de la difficulté de la réunion des preuves et pour des raisons similaires, le procureur pouvait prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours au terme desquels si l’investigation n’avait pas abouti, celle-ci pouvait être prolongée par le juge, sur demande du procureur, jusqu’à sept jours ou dix jours dans le cas où la personne était arrêtée dans une région soumise à l’état d’urgence.
Par ailleurs, le régime concernant l’état d’urgence en vigueur à l’époque des faits était régi par les deux décrets-lois nos 285 et 430; le premier instituait un gouvernorat de la région soumise à l’état d’urgence dans certains départements du Sud-Est. Aux termes de son article 4 alinéas b) et d), l’ensemble des forces de l’ordre ainsi que le commandement de la force de paix de la gendarmerie étaient à la disposition du gouverneur de la région ; quant au second, il renforçait les pouvoirs du gouverneur de région en prévoyant en son article 3 c) que, « sur proposition du gouverneur de la région, à la demande du procureur de la République et par décision du juge, les personnes détenues après condamnation ou en détention provisoire, dans le cadre de l’instruction des délits relatifs à des activités terroristes visant à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux, peuvent être amenées des établissements pénitentiaires aux fins d’interrogatoire pour une durée ne dépassant pas, à chaque fois, dix jours. Les personnes concernées peuvent demander un examen médical à leur sortie des établissements en question ainsi qu’à leur retour ».
Enfin, l’article 1 de la loi no 466 « sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou injustement détenues » prévoit que «sera dédommagée par l’Etat toute personne qui, entre autres, a été arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois en vigueur.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été interrogé sous la torture. A cet égard, il soutient notamment que son isolement de treize jours dans les locaux de la gendarmerie serait à lui seul en faveur d’une présomption de véracité de ses allégations.
2. Le requérant allègue une violation de l’article 5 de la Convention, à plus d’un égard. Ainsi, il déplore :
a) avoir été arrêté sur le seul fondement d’un avis lancé par la gendarmerie en l’absence d’une raison plausible justifiant cette mesure, ce qu’il estime contraire à l’article 5 § 1 c) de la Convention ;
b) n’avoir été informé des raisons de l’arrestation et des accusations portées contre lui que le 24 décembre 2001, soit quatre jours après son arrestation, ce qui ne correspondrait nullement avec l’exigence de promptitude qu’impose l’article 5 § 2 de la Convention ;
c) la durée excessive de sa garde à vue de treize jours (quatre jours de garde à vue avant d’être placé en détention provisoire pour ensuite être reconduit à la gendarmerie pour une durée supplémentaire de neuf jours) qui serait contraire à l’article 5 § 3 de la Convention ;
d) n’avoir disposé d’aucun recours effectif contre la décision prise par le procureur quant à la prolongation de sa garde à vue ainsi que contre celle du juge assesseur quant à son replacement en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie ; à cet égard il se plaint d’une violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
e) enfin, l’absence de voie de réparation en droit interne pour les violations de ses droits consacrés par les quatre premiers paragraphes de l’article 5, ce qui serait contraire à l’article 5 § 5.
Dans son mémoire complémentaire du 25 juin 2002, le requérant souligne que le décret-loi no 430 ayant fondé la décision du 25 décembre 2001, n’a pas été approuvé par la Grande assemblée nationale suivant sa publication au journal officiel. Or, sans cette approbation qui est prescrite par l’article 121 de la Constitution, le décret-loi en question n’aurait pas acquis force de loi. Ainsi, son replacement en garde à vue ne serait fondé sur aucune disposition légale, ce qui constituerait une violation de l’article 7 de la Convention. Par ailleurs, le requérant soutient que le juge assesseur ayant rendu la décision de replacement ne serait pas indépendant dans la mesure où il aurait suivi, sans plus, la demande du gouverneur. A cet égard, il allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Enfin, en relation avec le second volet du grief exposé au point 2 d) ci‑dessus, le requérant se plaint d’une violation de l’article 13 de la Convention.
EN DROIT
1. En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité des griefs tirés des articles 3, 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. S’agissant du grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention, il convient de noter que, dans sa lettre du 7 janvier 2002, le requérant affirme avoir fait l’objet de tortures dès le début de sa garde à vue pour qu’il accepte les accusations d’assistance à « l’organisation », à savoir le PKK. La Cour considère donc que celui-ci savait, déjà le jour de son arrestation, qu’on le soupçonnait d’être mêlé à des activités d’une organisation illégale (pour une approche similaire, voir Ak c. Turquie (déc.), no 16006/02, 13 mars 2003).
Il s’ensuit qu’il n’y a aucune apparence de violation de cette disposition de la Convention et que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.
3. Alléguant une violation des articles 6 et 7, le requérant soutient que le juge assesseur qui a rendu la décision de le replacer dans les locaux de la gendarmerie n’était pas indépendant et que le décret-loi no 430 ayant fondé cette décision n’avait pas force de loi en l’absence de l’approbation de la Grande assemblée nationale.
La Cour constate que la décision critiquée en l’espèce se résume à une mesure de police. De ce fait, elle ne concerne ni une accusation pénale au sens de l’article 6 ni une peine au sens de l’article 7 de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.
4. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’il ne disposait pas de recours effectif pour contester la décision de le conduire dans les locaux de la gendarmerie pour interrogatoire.
Vu l’approche adoptée dans l’arrêt Karagöz c. Turquie (no 78027/01, §§ 65-68, CEDH 2005‑... (extraits)), la Cour estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen de la requête en tant qu’elle porte sur les articles 3 et 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
S. Dollé J.- P. Costa
Greffière Président
[1] Sur le procès-verbal d’arrestation ainsi que sur d’autres documents officiels contenus dans le dossier, la date d’arrestation figure comme étant le 21 décembre 2001. Il en est de même de l’opposition formée par le représentant du requérant afin de contester le replacement de M. Demirci en garde à vue (voir ci-dessous). Toutefois, dans le formulaire de requête ainsi que dans la lettre adressée par le requérant à la cour de sûreté de l’Etat et le procès-verbal dressé par Me Tanrıkulu (voir ci-dessous), cette date figure comme étant le 20 décembre 2001.