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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
des requêtes nos 11905/03, 11911/03 et 11915/03
présentées respectivement par
Halil CAN, Hanife KOCAOĞLU et autres, et Kamile ACAR et autres
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 3 octobre 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 11 mars 2003,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, dont les noms figurent dans le tableau ci-dessus, sont des ressortissants turcs. Ils sont représentés devant la Cour par Mes B. Yıldız et K. Yıldız, avocats à Ankara.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Par une décision du 27 octobre 1999, l’administration départementale de Sakarya (« l’administration ») procéda à l’expropriation des biens immobiliers appartenant aux requérants, sis à Söğütlü (une commune de Sakarya). Des indemnités d’expropriation fixées par une commission d’experts de l’administration furent versées aux requérants à la date du transfert de propriété.
En mars 2001, en désaccord sur les montants des indemnités fixées par l’administration, les requérants introduisirent, pour chaque bien immobilier, une action en augmentation de l’indemnité d’expropriation devant le tribunal de grande instance de Söğütlü.
Le tribunal leur donna gain de cause et condamna l’administration à leur verser des indemnités complémentaires d’expropriation, assorties d’intérêts moratoires simples au taux légal. Faute de pourvoi en cassation, les jugements en question devinrent définitifs le 11 octobre 2001.
Par la suite, à la demande des requérants, l’office des poursuites pour dettes de Sakarya notifia à l’administration des injonctions de payer, lesquelles demeurèrent infructueuses.
D’après les requérants, le 11 avril 2003, lors d’une réunion organisée par l’administration, les responsables de cette dernière demandèrent aux intéressés, en présence de leurs avocats, de renoncer à leurs créances correspondant aux sommes dues, assorties d’intérêts moratoires, déterminées par le tribunal. Le cas échéant, elle ne leur effectuerait aucun paiement.
Cependant, entre mars 2003 et août 2004, les parties signèrent des protocoles selon lesquels l’administration s’engageait à verser aux requérants les montants ayant fait l’objet des injonctions de paiement susmentionnées, assortis des intérêts moratoires, des frais d’avocats et de procédure devant le tribunal ainsi que l’office des poursuites pour dettes. De leur côté, les requérants acceptèrent ces montants, ainsi que les modalités de paiement proposées et renonçèrent à toute prétention pouvant découler de ces affaires.
La partie pertinente desdits protocoles peut se lire ainsi :
« (...) Le [ou les] requérant[s] reconnai[t/ssent] par le présent protocole qu’il[s] accepte(nt) le versement des montants ayant fait l’objet des injonctions de paiement de l’office des poursuites pour dettes de Sakarya et fixés par le tribunal de grande instance [de Söğütlü], assortis des frais de procédure devant le tribunal et l’office des poursuites pour dettes, des frais d’avocat (...) ainsi que 40 % des intérêts moratoires ayant couru jusqu’à ce jour et qu’il[s] renonce[nt] à toute autre prétention à l’encontre de l’administration. »
Les paiements furent effectués en livres turques (TRL) à la date de la signature de chacun des protocoles en question.
Des informations plus détaillées figurent dans le tableau suivant :
Requête | Date du jugement | Date du jugement définitif | Date de l’injonction de payer | Montant à verser (TRL), assorti des intérêts moratoires | Date de la signature du protocole entre les parties et du paiement | Montant versé en TRL aux requérants selon le protocole |
11905/03 Halil CAN | 15.6.2001 | 11.10.2001 | 3.10.2001 | 20 721 193 017 | 2.8.2004 | 23 983 352 935 |
11911/03 Hanife KOCAOĞLU Hasan KOCAOĞLU Kadriye KÖSE Fatma ARABACI Ayşe GÜNDOĞDU | 15.6.2001 | 11.10.2001 | 3.10.2001 | 61 634 707 226 | - Fatma ARABACI et Ayşe GÜNDOĞDU : 3.3.2003 - Hanife KOCAOĞLU : 29.5.2003 - Kadriye KÖSE et Hasan KOCAOĞLU : 2.8.2004 | - Fatma ARABACI et Ayşe GÜNDOĞDU : 13 982 931 698 (soit 6 991 465 849 chacune) - Hanife KOCAOĞLU : 17 231 591 591 - Kadriye KÖSE et Hasan KOCAOĞLU : 22 327 045 137 (arrondi à 11.163.000.000 chacun) |
11915/03 Kamile ACAR Kaniye OĞUZ Nazif ACAR Şöhret ÜSTÜNCAN | 15.6.2001 | 11.10.2001 | 3.10.2001 | 12 325 261 368 | 5.7.2004 | 14 304 088 497 (arrondi à 3 576 000 000 chacun) |
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Modalités d’expropriation
La Cour renvoie aux arrêts et décisions déjà rendus en la matière (voir, entre autres, Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV, Aka c. Turquie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, p. 2682, Gaganuş et autres c. Turquie, no 39335/98, 5 juin 2001, Arabacı c. Turquie (déc.), no 65714/01, 7 mars 2002, et Denli c. Turquie, no 68117/01, 23 juillet 2002).
2. Exécution forcée contre l’administration
En vertu de l’article 82 § 1 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur la voie d’exécution et la faillite (Icra ve Iflas Kanunu), les biens appartenant à l’État ne peuvent faire l’objet d’une saisie.
GRIEFS
Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la non-exécution des jugements ayant acquis force de chose jugée et condamnant l’administration à leur verser des indemnités complémentaires d’expropriation.
EN DROIT
Les requérants estiment que les situations litigieuses portent atteinte à leur droit au respect de leurs biens, garanti par l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
Le Gouvernement s’oppose à cette thèse et souligne que l’article 1 du Protocole no 1 n’exige pas une indemnisation intégrale dans tous les cas d’expropriation. Il fait ensuite observer que les requérants sont parvenus à un accord amiable de paiement avec l’administration et ont signé des protocoles à cet effet. Les montants indiqués dans ces protocoles, payés aux dates de la signature de ceux-ci, correspondent aux sommes exigées par les requérants devant le bureau des exécutions. Partant, le Gouvernement invite la Cour à prendre en considération l’accord ainsi exécuté entre les parties et à déclarer les requêtes irrecevables.
Les requérants rétorquent avoir signé ces protocoles sous la pression de la législation interdisant la saisie des biens publics. Selon eux, la procédure d’exécution forcée qu’ils ont entamée n’aurait pas abouti car, en vertu de l’article 82 § 1 de la loi no 2004, les biens appartenant à l’État ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie.
La Cour observe que les requérants, expropriés de leurs terrains, se sont vus accorder des indemnités qui leur ont été versées à la date de l’expropriation et qu’à leur demande, le tribunal de grande instance leur a ensuite accordé des indemnités complémentaires assorties d’intérêts légaux à compter de la date de l’expropriation.
Conformément aux protocoles qu’elle avait signés avec les requérants, l’administration a versé les montants en question aux dates de la signature de ceux-ci.
Considérée ainsi, la présente affaire n’a rien de commun avec celles concernant le retard de versement d’indemnités d’expropriation que la Cour a déjà eu à connaître. En effet, les protocoles en question entraînaient, de la part des requérants, la renonciation à toute prétention (voir ci-dessus) en rapport avec la procédure d’exécution du jugement. Sur le plan interne, ces accords mettaient donc indiscutablement fin à la contestation portant sur les indemnités d’expropriation.
Aux yeux de la Cour, les protocoles exécutés en l’espèce sont la manifestation de la volonté explicite des requérants de mettre fin aux procédures litigieuses. Leur acceptation quant au montant et aux modalités de paiement de leur créance a eu pour effet pratique de satisfaire dans une grande mesure, sinon toutes, les revendications formulées par ceux-ci sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, 3 avril 2003, Folcheri c. Italie (déc.), no 61839/00, 3 juin 2004, Ortiz Ortiz et autres c. Espagne (déc.), no 50146/99, 15 mars 2001, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, CEDH 2002‑I, Yıldırım et Durman c. Turquie (déc.), no 49507/99, 3 mai 2005, et Hüseyin Sarı c. Turquie (déc.), no 14798/03, 29 septembre 2005).
Il s’ensuit que les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de rejeter les requêtes comme étant manifestement mal fondées, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes irrecevables.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président