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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SÜLEYMAN ERDEM c. TURQUIE

(Requête no 49574/99)

ARRÊT

STRASBOURG

19 Septembre 2006

DÉFINITIF

19/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Süleyman Erdem c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
R. Türmen,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 août 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 49574/99) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Süleyman Erdem (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 juin 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Mesut Beştaş, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent pour la procédure devant la Cour.

3. Le requérant alléguait en particulier que son arrestation n’était fondée sur aucun soupçon plausible (article 5 § 1 c) de la Convention), qu’il n’avait pas été informé des raisons de son arrestation (article 5 § 2), que la durée de sa garde à vue était excessive (article 5 § 3) et qu’il n’existait aucune voie de recours lui permettant de mettre en cause la légalité de son arrestation (article 5 § 4).

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 4 juillet 2000, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le restant au Gouvernement.

6. Le 1er avril 2003, se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien- fondé de l’affaire.

7. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est un ressortissant turc, né en 1973. A l’époque des faits il était commerçant et résidait à Diyarbakır.

A. L’arrestation et la garde à vue

10. Dans le cadre d’une opération menée contre une organisation armée illégale, le requérant fut arrêté le 1er mars 1999 puis placé en garde à vue, par des policiers de la Direction de la sûreté de Diyarbakır (« la Direction »).

11. Cependant, les faits concernant l’arrestation du requérant se trouvent controversés.

12. D’après le requérant, il aurait été arrêté lors d’une perquisition effectuée à son domicile où il se reposait, seul, souffrant d’une hépatite B. Tandis que, d’après un procès-verbal d’arrestation du 1er mars 1999 établi par la police, celui-ci a été appréhendé en flagrant délit à l’issue d’une manœuvre policière : de fait, un certain suspect, F.A., arrêté le 27 février 1999, aurait avoué avoir fixé un rendez-vous pour le 1er mars avec certaines personnes censées lui transmettre des marchandises destinées à l’organisation armée illégale en question ; à l’heure du rendez-vous, les policiers faisant le guet auraient surpris le requérant et sa belle-sœur S.E. en possession d’un sac contenant notamment des médicaments, de la nourriture, des vêtements divers, des cigarettes, un récepteur de radio universel et un ordinateur portable.

13. Sur le procès-verbal en question se trouve apposée la signature du requérant, tout comme sur le procès-verbal de fouille corporelle, dressé également le 1er mars 1999.

14. A la demande de la Direction, le procureur de la République près la Cour de sûreté de l’État de Diyarbakır (« le procureur » – « la Cour de sûreté de l’État ») prolongea la garde à vue du requérant jusqu’au 5 mars 1999 puis, un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, accédant à la demande du procureur, ordonna une seconde prolongation de six jours.

15. Le 8 mars 1999, la police recueillit les déclarations du requérant. Selon le procès-verbal dressé en conséquence et signé par le requérant, celui-ci contesta toutes les accusations portées contre lui et, bien qu’admettant avoir eu des conversations téléphoniques avec F.A., refusa de répondre aux autres questions. Selon le requérant, durant sa garde à vue, il fut interrogé sur des personnes qu’il ne connaissait pas.

16. Le 9 mars 1999, le requérant comparut d’abord devant le procureur qui l’interrogea. Insistant sur le fait qu’il avait été arrêté à son domicile, alors qu’il y était seul, il renia le contenu du procès-verbal d’arrestation du 1er mars 1999. Quant au procès-verbal de déclarations faites à la police, dont le procureur lui avait donné lecture, le requérant s’expliqua ainsi : « on me l’a fait signé les yeux bandés, sans que je puisse le lire. J’en conteste les parties à ma charge. Je n’ai jamais rencontré une personne dénommée F.A. (...). Je refuse l’accusation portée à mon encontre ».

17. Toujours, le 9 mars 1999, le requérant ainsi que S.E. furent traduits devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat. Le requérant y réitéra ses dires devant le procureur. De son côté, S.E. expliqua avoir été appréhendée seule, alors qu’elle portait dans une pochette quelques vêtements et des confiseries pour sa petite sœur. Le juge ordonna le placement en détention provisoire du requérant.

B. L’action publique

18. Le 23 mars 1999, le procureur mit le requérant en accusation du chef d’assistance à une organisation armée illégale et requit l’application de l’article 169 du code pénal.

19. Les débats devant la cour de sûreté de l’Etat furent ouverts le 20 mai 1999. A l’audience, le requérant, assisté de deux conseils, plaida non coupable et sollicita sa libération provisoire. Il s’exprima ainsi : « Je n’accepte pas les déclarations faites à la police. Contrairement à ce que l’on prétend, je n’ai jamais dit à l’agent qui m’interrogeait ‘je ne veux pas vous faire de déclarations’ ; c’est eux qui ont rédigé [le procès-verbal] et m’ont forcé à le signer ». Pour le reste, le requérant admit la véracité de ses déclarations devant le procureur. Quant à ses conseils, ils citèrent deux voisins du requérant, İ.T. et H.A., en tant que témoins oculaires, en vue de démentir l’accusation selon laquelle le requérant avait été arrêté en flagrant délit. Les juges du fond entendirent İ.T. et H.A., lesquels confirmèrent la version des faits de la défense et dirent notamment avoir vu des policiers entrer dans l’appartement du requérant et en ressortir avec celui-ci et un grand sac en plastique.

20. Les juges entendirent également trois policiers, Y.G., C.T. et H.D., tous signataires du procès-verbal d’arrestation controversé. Y.G. et C.T. déclarèrent que, le jour de l’opération, S.E. avait bien été arrêtée alors qu’elle marchait dans la rue avec une pochette en main, mais pas le requérant, qui avait été appréhendé après, dans l’appartement que S.E. avait indiqué. Quant à H.D., il dit ne pas se rappeler si S.E. avait été appréhendée seule ou non. A une date non précisée, le requérant bénéficia d’une libération provisoire.

21. Par un arrêt du 14 septembre 2000, considérant que les déclarations des témoins oculaires laissaient planer des doutes quant au contenu du procès-verbal d’arrestation en cause et qu’en vertu du principe selon lequel « le doute profite à l’accusé », la cour de sûreté acquitta le requérant faute de « preuves et indices suffisamment puissants ».

22. Par le même arrêt, la cour de sûreté déclara coupable F.A. et S.E. du chef d’assistance à une bande armée au sens de l’article 169 du code pénal.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

23. A l’époque des faits, en vertu de l’article 128 du code de procédure pénale (CPP), toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge dans les 24 heures et, dans le cas d’un délit collectif, dans les quatre jours. Selon l’article 30 de la loi no 3842 du 1er décembre 1992, ces délais pouvaient être prolongés, dans le cadre de procédures devant les cours de sûreté de l’État, à 48 heures pour les infractions individuelles et à quinze jours pour les infractions collectives.

24. L’article 1 de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues prévoit :

« Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne :

1. arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;

2. à laquelle les motifs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ;

3. qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ;

4. qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après l’échéance du délai légal pour être traduite devant le juge ;

5. dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ;

6. qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ;

7. qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement (...) ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

25. Le requérant se plaint en premier lieu du fait qu’il n’existait pas de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale. Il se plaint en outre de l’omission des autorités de l’informer des raisons de son arrestation, de la durée de sa garde à vue et de l’absence d’un moyen de droit pour faire contrôler la légalité de cette mesure. Il invoque l’article 5 §§ 1, 2, 3 et 4 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».

A. Sur la recevabilité

1. Épuisement des voies de recours internes

26. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, qui comporte deux volets. En premier lieu, le Gouvernement invoque l’article 128 § 4 du code de procédure pénale, qui prévoit la possibilité d’introduire un recours devant le juge d’instance pour faire contrôler la légalité de la garde à vue ou pour contester tout ordre du parquet visant à prolonger la garde à vue. Il soutient que la famille du requérant et son avocat ont été informés de la garde à vue de celui-ci et qu’ils ont omis d’introduire un recours devant le juge d’instance pour contester l’ordonnance visant à prolonger la garde à vue du requérant. En deuxième lieu, le Gouvernement se réfère à la loi no 466 du 15 mai 1964 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou injustement détenues. Il soutient que le requérant aurait pu soumettre à la cour d’assises compétente ses allégations de détention illégale.

27. Le requérant soutient que les moyens de droit indiqués par le Gouvernement ne peuvent passer pour pertinents dans les circonstances de la cause.

28. La Cour estime que l’exception du Gouvernement est étroitement liée au bien-fondé du grief formulé sous l’angle de l’article 5 § 4. Dès lors, la question de savoir si les voies de recours internes ont été épuisées doit être traitée lors de l’examen sur le fond (Öcalan c. Turquie (déc.), no 46221/99, 14 décembre 2000, Kılıçoğlu c. Turquie (déc.), no 41136/98, 28 septembre 2004).

2. Autres critères de recevabilité

29. La Cour constate que les griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que ceux-ci ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Bien-fondé

30. La Cour rappelle avoir lié l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes au fond du grief tiré de l’article 5 § 4. Aussi la Cour examinera-t-elle cette exception dans le cadre de son appréciation du grief formulé sous l’angle de l’article 5 § 4, grief qu’elle abordera en premier lieu (voir Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 61, CEDH2005).

1. Article 5 § 4 de la Convention

31. Dans son arrêt Öcalan (précité, §§ 66-70), la Cour a considéré qu’à l’époque des faits, le contrôle effectué par le juge national sur la légalité de la détention des intéressés en vertu de l’article 128 § 4 du CPP, ne respectait pas les exigences de l’article 5 § 4. A cet égard, après l’examen des exemples de décisions judiciaires produits par le Gouvernement, elle a constaté, d’une part, que dans aucune de ces décisions le juge national n’avait ordonné la mise en liberté des intéressés et qu’il s’était contenté de les renvoyer devant le juge chargé de la mise en détention, et, d’autre part, que dans aucune des procédures aboutissant aux décisions judiciaires mentionnées par le Gouvernement, le prévenu en garde à vue n’a comparu devant le juge. Ce dernier a effectué son contrôle uniquement sur dossier, à la suite du recours introduit par l’avocat concerné.

32. La Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter de cette conclusion dans le cadre de la présente affaire, dont les faits se sont déroulés à une période proche de celle en question dans l’affaire Öcalan.

33. Par ailleurs, la Cour estime aussi que la voie d’indemnisation prévue par la loi no 466 et invoquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention en raison de l’absence de compétence du juge pour ordonner la libération en cas de détention illégale et de l’impossibilité d’accorder une réparation pour manquement à la Convention en cas de conformité de la détention à la loi nationale (Öcalan [GC], précité, § 71).

34. La Cour rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement et elle conclut pour les mêmes motifs à la violation de l’article 5 § 4.

2. Article 5 § 1 de la Convention

35. Le Gouvernement affirme que le requérant a été placé en garde à vue dans le cadre d’une opération programmée, au motif qu’on le soupçonnait d’avoir porté aide et assistance à une organisation armée illégale. A l’origine des soupçons plausibles se trouvaient des renseignements fournis par F.A. lors de sa garde à vue pour ramassage de marchandises destinées à l’organisation en question. Pour appuyer sa thèse, le Gouvernement observe en outre que devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, le requérant a été interrogé sur les accusations portées contre lui, mis en détention provisoire et inculpé ensuite du chef d’assistance à cette organisation.

36. Le requérant, de son côté, attire l’attention sur le fait que le procès verbal d’arrestation, dont le contenu serait démenti par ses rédacteurs mêmes, prouverait qu’il a été victime d’un coup monté. Il estime que le Gouvernement est resté en défaut d’établir des faits suffisants pour permettre de conclure que les soupçons fondant son arrestation étaient plausibles.

37. La Cour rappelle que la plausibilité des soupçons sur lesquels doit se fonder une arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c) contre les privations de liberté arbitraires. L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni arrêt du 30 août 1990, série A no 182, § 32).

38. Par ailleurs, l’alinéa c) de l’article 5 § 1 ne présuppose pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l’arrestation. L’objet d’un interrogatoire pendant une détention au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 est de compléter l’enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets fondant l’arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l’enquête pénale (arrêts Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 29, § 53, et Murray c. RoyaumeUni du 28 octobre 1994, série A no 300-A, p. 27, § 55).

39. En l’espèce, certes, le procès-verbal d’arrestation dressé par les policiers d’après lequel le requérant avait été arrêté en flagrant délit fut ensuite démenti par des témoins oculaires et n’a pas été admis devant la cour de sûreté comme faisant foi des circonstances d’arrestation du requérant.

40. Cela étant, la Cour constate que le 1er mars 1999, le requérant a été appréhendé par la police et placé en garde à vue dans le cadre d’une opération dirigée contre une organisation armée illégale. Les 8 et 9 mars 1999, il fut ensuite interrogé respectivement par les policiers et le procureur sur ses prétendus liens avec une personne dénommée F.A. (paragraphes 15 et 16 ci-dessus) arrêtée dans le cadre de la même opération. La durée de la garde à vue du requérant a été prolongée deux fois et une action publique à son encontre fut engagée par le procureur le 23 mars 1999 pour avoir porté aide et assistance à une bande armée en application de l’article 169 du code pénal.

En conséquence, compte tenu des faits de la présente espèce, la Cour estime que le requérant peut être considéré comme ayant été arrêté et détenu sur la base de « raisons plausibles de (le) soupçonner » d’avoir commis une infraction pénale.

Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

3. Article 5 § 2 de la Convention

41. La Cour rappelle que l’article 5 § 2 de la Convention énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Il oblige à signaler à une telle personne les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai » mais le policier qui l’arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (voir Fox, Campbell et Hartley, précité, § 40).

42. En l’espèce, la Cour constate que lors de sa garde à vue, le requérant fut interrogé par les policiers et par le procureur sur ses prétendus liens avec une organisation armée illégale et avec une personne dénommée F.A., arrêtée dans le cadre de la même opération.

43. La Cour rappelle qu’aucune forme particulière n’est requise pour l’information d’une personne arrêtée (Dikme c. Turquie, no 20869/92, CEDH 2000VIII). Elle est d’avis que les questions posées au requérant pendant ses interrogatoires lors de sa garde à vue contiennent des indications assez précises quant aux soupçons pesant sur lui. D’autre part, rien dans le dossier ne permet de conclure que le requérant, lors de son arrestation ou de sa garde à vue, n’a pas été informé des raisons de son appréhension.

En conclusion, il n’y a pas eu, dans les circonstances de l’espèce, violation de l’article 5 § 2 de la Convention.

4. Article 5 § 3 de la Convention

44. Le Gouvernement fait observer que la garde à vue du requérant était conforme à la législation interne pertinente. A cet effet, il met l’accent sur les difficultés et la spécificité des enquêtes relatives aux infractions terroristes concernant plusieurs personnes, telle l’infraction reprochée au requérant, accusé d’aide et d’assistance à une bande armée, et soutient que la durée de la garde à vue, imposée en l’espèce, était nécessaire en vue du rassemblement des preuves.

45. La Cour relève que la garde à vue litigieuse a débuté avec l’arrestation du requérant le 1er mars 1999 et a pris fin le 9 mars 1999, avec son placement en détention provisoire (paragraphe 17 ci-dessus). La durée de la garde à vue du requérant s’élève donc à huit jours.

46. La Cour rappelle que dans l’arrêt Brogan et autres, elle a jugé qu’une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans que l’intéressé ait été traduit devant un juge allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme (voir Brogan et autres, précité, § 62).

47. La Cour ne saurait donc admettre qu’il ait été nécessaire de détenir le requérant pendant huit jours sans qu’il n’ait été « traduit devant un juge. »

48. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

50. Le requérant réclame 1 780 euros (EUR) pour préjudice matériel et 15 000 EUR pour dommage moral.

51. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

52. La Cour relève que l’existence d’un préjudice matériel ne ressort pas des éléments du dossier ; elle ne peut donc faire droit à cette demande (Demir et autres c. Turquie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, § 63).

53. En revanche, elle relève que le requérant a subi une garde à vue de huit jours sans intervention judiciaire et estime qu’il est fort probable que ces faits lui ont causé un préjudice moral pour lequel les tribunaux internes ne lui ont accordé aucune réparation.

Prenant en compte les différents aspects de la cause et statuant en équité, conformément à l’article 41, la Cour alloue au requérant la somme de 3 000 EUR (comparer avec Kılıçoğlu c. Turquie, no 41136/98, § 35, 20 octobre 2005).

B. Frais et dépens

54. Le requérant demande également 5 460 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et ceux encourus devant la Cour.

55. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

56. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant la somme de 1 250 EUR.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre l’exception préliminaire du Gouvernement au fond du grief tiré de l’article 5 § 4 et déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 2 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention et rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;

6. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza              Greffier              Président