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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE VUILLEMIN c. FRANCE

(Requête no 3211/05)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2006

DÉFINITIF

19/12/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Vuillemin c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 août 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3211/05) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Claude Vuillemin (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Alain Marx, avocat au barreau de Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires Juridiques au ministère des Affaires Etrangères.

3. Le 9 mai 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1942 et réside à Soye.

5. Le 24 décembre 1996, le requérant porta plainte avec constitution de partie civile contre son épouse pour vol. Celle-ci fut renvoyée devant le tribunal correctionnel de Besançon par une ordonnance du 26 novembre 1998.

6. Par un jugement du 2 juin 1999, le tribunal correctionnel de Besançon la condamna à une peine d’amende avec sursis et octroya au requérant une certaine somme à titre de dommages et intérêts.

7. Par un arrêt du 8 octobre 1999, la cour d’appel de Besançon confirma ce jugement.

8. Le requérant, représenté par un avocat aux Conseils, se pourvut en cassation. Par un arrêt du 19 septembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

9. Le requérant se plaint du défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur, alors que ce document avait été communiqué à l’avocat général, et du défaut de communication des conclusions de l’avocat général qu’il n’a donc pu commenter. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

10. La Cour constate que la première branche du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

11. S’agissant du grief pris en sa seconde branche, la Cour rappelle que, dans l’arrêt Reinhardt et SlimaneKaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998II, § 106), elle a constaté qu’à l’heure actuelle, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties – lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation – du sens de ses propres conclusions ; elle a en outre relevé que lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré. Elle a jugé « qu’eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (ibidem). Par la suite, elle a conclu au défaut manifeste de fondement des griefs de cette nature (voir, par exemple, Mac Gee c. France (déc.), no 46802/99, 10 juillet 2001). Or, cette pratique est suivie par toutes les chambres de la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Crochard et autres c. France (déc.), no68255/01, 27 mai 2003).

Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur le fond

12. Le Gouvernement indique que la Cour de cassation française a modifié les modalités d’instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans ses arrêts Voisine c. France du 8 février 2000 (no 27362/95) et Meftah et autres c. France du 26 juillet 2002 ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII). Il précise cependant que ces mesures n’étaient pas en vigueur à l’époque où le requérant s’est pourvu en cassation et déclare en conséquence « s’en remet[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien du grief ».

13. Le requérant ne produit pas d’observations en réplique à celles du Gouvernement. Il invite néanmoins la Cour à conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

14. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé qu’étant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé, faute d’une communication identique du rapport au conseil du prévenu, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précité, § 105). La Cour ne distingue en l’espèce aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence : en effet le rapport du conseiller rapporteur n’a pas été communiqué, avant l’audience, au requérant ou à son conseil, alors que l’avocat général s’est vu communiquer l’intégralité du dossier. Les principes du contradictoire et de l’égalité des armes ont ainsi été méconnus.

15. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

16. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

17. Le requérant réclame 2 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

18. Le Gouvernement estime que le seul constat d’une violation de la Convention constituerait une satisfaction équitable au titre du préjudice moral allégué.

19. La Cour estime suffisamment réparé le dommage moral subi par le constat de violation auquel elle parvient (cf. Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 668, § 112 et le dispositif point 3).

B. Frais et dépens

20. Le requérant demande également 1 965,47 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il produit une « facture récapitulative » émanant de son conseil, daté du 13 avril 2005.

21. Le Gouvernement propose d’allouer au requérant une somme de 1 500 EUR à ce titre.

22. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

23. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention – relatif au défaut de communication au requérant ou à son conseil du rapport du conseiller rapporteur, avant l’audience publique de la Cour de cassation, alors que ce document a été fourni à l’avocat général – et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le constat de violation auquel elle parvient constitue une satisfaction équitable suffisante quant au préjudice moral ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président