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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 58694/00
présentée par Petar Alexandrov et Gospodinka Alexandrova KIROVI
contre la Bulgarie et la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 2 octobre 2006 en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. R. Türmen,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 janvier 2000,

Vu les observations soumises par les gouvernements défendeurs et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Petar Alexandrov Kirov et Mme Gospodinka Alexandrova Kirova, sont des ressortissants bulgares. Ils sont frère et sœur, nés respectivement en 1938 et 1940 et résidant à Burgas. Les requérants sont représentés par Me M. Ekimdjiev, avocat à Plovdiv.

Le gouvernement bulgare était représenté par ses agents, Mmes M. Karadjova et M. Pasheva, du ministère de la Justice. Le gouvernement turc était représenté par son agent, M. K. Esener, représentant permanent adjoint auprès du Conseil de l’Europe.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. L’expropriation et la vente ultérieure des biens immobiliers des parents des requérants

En 1949, les autorités bulgares exproprièrent la moitié d’un terrain et de la maison construite sur ce même terrain, situés à Burgas et appartenant aux parents des requérants ; un acte d’expropriation fut rédigé. En 1950, le conseil municipal prit la décision de louer l’autre moitié des biens. A une date non précisée, l’acte d’expropriation fut modifié de manière à indiquer que le terrain et la maison dans leur entier avaient été expropriés.

Le 14 avril 1988, la Bulgarie et la Turquie signèrent un Protocole relatif à l’achat des locaux des missions diplomatiques et des postes consulaires de la République populaire de Bulgarie et de Turquie (Протокол за покупката на недвижими имоти, прегледа, ремонта, поддръжката и реставрационните изисквания на сградите на дипломатическите и консулските представителства на Народна република България и Република Турция). Il concernait entre autre l’achat des biens ayant appartenu aux parents des requérants. Il était précisé que les biens, de même qu’un immeuble voisin, seraient utilisés aux fins du consulat général de Turquie à Burgas. Le prix des biens fut également fixé. Enfin, le Protocole prévoyait que la Turquie entrerait en possession des biens aussitôt après sa signature.

Le Protocole fut approuvé par le Conseil des ministres de la Bulgarie le 30 juin 1988. Sur la base du Protocole, en 1989, le terrain et la maison, qui avaient appartenu aux parents des requérants, furent vendus à la Turquie par un mandataire du Conseil des ministres de l’État bulgare. Le contrat de vente fut établi par un juge du tribunal de district de Burgas.

Entre-temps, le 15 avril 1988, les autorités turques entrèrent en possession des biens.

2. La procédure en restitution des biens

En 1992, suite à l’entrée en vigueur de la loi sur la restitution des biens immobiliers nationalisés (Закон за възстановяване собствеността върху одържавени недвижими имоти), les requérants en tant qu’héritiers de leurs parents sollicitèrent auprès du maire de reconnaître leur droit de propriété sur le terrain et la maison. Par un arrêté du 19 mai 1992, le maire fit droit à leur demande et raya les biens du registre des biens immobiliers appartenant à l’État. Par une décision du 17 septembre 1992, le gouverneur de région déclara cet acte nul et non avenu au motif que la matière relevait de la compétence du ministre des Finances.

Par ailleurs, à une date non communiquée, les requérants saisirent le tribunal de district de Burgas d’une demande visant à constater la nullité du contrat de vente entre la Bulgarie et la Turquie, ainsi que d’une action en revendication dirigée contre la Turquie.

Ils alléguaient en particulier que le contrat de vente était entaché de plusieurs vices de forme. La Turquie n’avait donc pas acquis le bien qui faisait toujours partie du patrimoine de l’État bulgare au moment de l’entrée en vigueur de la loi de restitution, en 1992. Par ailleurs, une partie des biens avait été expropriée en application d’une des lois visées par la loi de restitution ; leurs parents avaient été privés de l’occupation du restant des biens de manière totalement illégale. Dès lors, toutes les conditions à la restitution étaient réunies dans le cas d’espèce.

La Turquie fut assignée au procès par l’intermédiaire de son consul à Bourgas, mais ne prit pas part au procès. Le gouverneur de région et le ministère des Affaires étrangères se constituèrent tierces parties à la procédure.

Par une décision du 27 septembre 1993, le tribunal examina la question de savoir s’il était compétent pour trancher le litige. Les parties n’ont pas présenté de copie de cet acte.

Par un jugement du 22 avril 1994, le tribunal de district déclara le contrat de vente nul, ayant constaté que le pouvoir du mandataire du Conseil des ministres présentait un défaut de forme et que le juge, qui avait établi le contrat de vente, n’avait pas le droit d’exercer des fonctions de notaire. Toutefois, le tribunal rejeta l’action en revendication au motif qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur la validité de l’expropriation ayant eu lieu en 1949.

Les requérants interjetèrent appel de la partie du jugement rejetant leur action en revendication.

L’État bulgare et le ministère des Affaires étrangères attaquèrent le jugement dans la partie déclarant la nullité du contrat de vente. Se référant à l’article 31 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et à l’article 43 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, le ministère des Affaires étrangères excipa de l’irrecevabilité des demandes des requérants du fait que les tribunaux bulgares n’étaient pas compétents pour examiner la cause. A titre subsidiaire, le ministère soutenait que la vente avait eu lieu en vertu du Protocole du 14 avril 1988. Or, c’était un traité international qui primait sur les dispositions du droit interne des contrats.

Le tribunal rejeta les exceptions préliminaires au motif que, d’une part, en vertu de l’article 8 du Code de procédure civile, les juridictions bulgares étaient compétentes pour examiner toute action immobilière dirigée contre un état étranger si le litige concernait des biens immobiliers situés en Bulgarie et que, d’autre part, les traités internationaux invoqués ne trouvaient pas à s’appliquer aux faits de l’espèce. Par ailleurs, le tribunal observa que, même en admettant que le Protocole du 14 avril 1988 fût un traité bilatéral, il aurait dû être ratifié par l’Assemblée nationale pour produire l’effet visé par le ministère des Finances. Or, le protocole n’avait jamais été ratifié.

Se référant aux constations factuelles de la juridiction de première instance, le tribunal régional conclut qu’une partie des biens n’avait pas été expropriée de manière régulière ; elle appartenait aux requérants qui l’avaient hérité de feu leurs parents. Quant à la partie expropriée, elle n’avait pas été validement acquise par la Turquie du fait de la nullité du contrat de vente et tombait sous le coup de la loi de restitution qui prévoyait la restitution de plein droit de tels biens. Le tribunal en déduisit que les requérants étaient propriétaires des biens et fit droit à leur action en revendication.

Le jugement fut rendu le 12 février 1998. Les parties ne formèrent pas de pourvoi en révision (молба за преглед по реда на надзора).

3. Tentatives des requérants d’obtenir l’exécution du jugement

Le 10 juin 1998, les requérants se virent délivrer un titre exécutoire par le tribunal de district de Burgas et une procédure d’exécution fut engagée.

Le 29 juin 1998, le juge de l’exécution se rendit au consulat de Turquie à Burgas. Il ressort du procès-verbal établi qu’il fut accueilli par le secrétaire du consulat qui l’informa que la Turquie n’était pas en mesure d’exécuter le jugement. Le juge indiqua aux requérants qu’il n’avait pas le droit de procéder à l’exécution forcée en raison de l’immunité dont bénéficiaient les locaux du poste consulaire et leur suggéra de s’adresser au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Justice.

Par la suite, les requérants envoyèrent des courriers au gouverneur de région, au ministre de la Justice, au ministre du Développement régional, au président et au premier ministre de la Bulgarie. En réponse à leurs demandes, ils furent informés que les questions soulevées relevaient de la compétence du ministre des Affaires étrangères et que leurs courriers avaient été transmis d’office au ministre compétent.

Le 10 mars 1999, les requérants saisirent également le gouverneur de région d’une demande de rayer les biens du registre des propriétés de l’État. Par une lettre du 9 juillet 1999, le gouverneur les informa qu’il allait entreprendre les mesures sollicitées après avoir reçu l’avis du Conseil des ministres.

Par ailleurs, le 1er juillet 1999, les requérants invitèrent, par acte notarié, l’ambassadeur de Turquie en Bulgarie, à leur remettre les biens ou à leur verser une indemnité d’occupation. L’ambassadeur leur indiqua qu’ils devaient s’adresser au ministre des Affaires étrangères.

Le 7 décembre 2000, le ministère des Affaires étrangères informa les requérants qu’il était impossible de procéder à l’exécution du jugement en raison des engagements de la Bulgarie sur le plan international et bilatéral. Le ministère indiqua également qu’une réunion des représentants des autorités internes concernées était en cours de préparation afin de trouver une solution aux questions soulevées par les requérants. Suite à de nouvelles démarches entreprises par les requérants, le 26 juin 2001, le ministère leur adressa une lettre rédigée dans les mêmes termes.

La procédure d’exécution fut relancée à une date non communiquée. Le juge de l’exécution informa les occupants des biens qu’il allait procéder à leur expulsion (въвод във владение) le 20 juin 2002.

Les 20 et 27 mai 2002, l’ambassadeur de la Turquie adressa au ministère des Affaires étrangères deux notes verbales au sujet des démarches entreprises par le juge de l’exécution, en soulignant que ni l’État turc, ni ses représentants en Bulgarie ne pouvaient être considérés comme parties au procès engagé par les requérants et qu’en tout état de cause, aucune mesure en exécution des jugements rendus à l’issue de cette procédure ne pouvait être entreprise du fait de l’inviolabilité des locaux du poste consulaire.

Par une lettre en date du 10 juin 2002, le secrétaire du ministère des Affaires étrangères informa le président du tribunal de district de Burgas et le service de l’exécution (изпълнителна служба) de ces développements et les invita à tenir compte des obligations de la Bulgarie, découlant de la Convention de Vienne sur les relations consulaires et de la Convention consulaire entre la Bulgarie et la Turquie.

Le secrétaire émettait également des doutes quant au bien-fondé des décisions des juridictions déclarant la nullité du contrat de vente. Il faisait valoir qu’ayant conclu à l’irrégularité de l’acte notarié, les tribunaux auraient dû tenir compte du fait que sa nullité était sans incidence sur la validité de la vente, la propriété ayant été transférée bien avant l’établissement de l’acte, suite à la signature d’un traité international – le Protocole du 1988 – possibilité explicitement prévue par la loi sur la propriété.

Enfin, le représentant du ministère faisait savoir que le titre exécutoire (изпълнителен лист) des requérants était également entaché d’irrégularités dans la mesure où son dispositif différait du dispositif du jugement du tribunal régional et visait des biens qui n’avaient jamais appartenu aux parents des intéressés.

Les parties n’ont pas fourni d’informations concernant le développement ultérieur de la procédure d’exécution.

4. La procédure en dommages et intérêts engagée par les requérants

Le 6 janvier 2000, les requérants introduisirent contre les ministres des Affaires étrangères et du Développement régional une action en application de l’article 1 de la loi relative à la responsabilité délictuelle de l’État. Ils faisaient valoir que le tribunal régional de Bourgas avait ordonné la restitution des biens et qu’une procédure en exécution du jugement avait été engagée. Toutefois, les requérants ne pouvaient pas entrer en possession de leurs biens du fait de la passivité des défendeurs et que l’État leur devait un dédommagement des pertes subies de ce fait.

Par un jugement du 8 novembre 2004, le tribunal de la ville de Sofia débouta les intéressés, estimant que même s’il devait accueillir leur thèse selon laquelle les défendeurs avaient négligé leurs obligations, leur omission d’agir était en conformité avec les dispositions du droit international, notamment celles de l’article 31 de la Convention de Vienne.

Par ailleurs, se référant aux articles 32 et 49 de la même convention, le tribunal constata que les requérants pouvaient demander une indemnité d’occupation des l’État turc.

Les intéressés interjetèrent appel. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Sofia.

B. Le droit interne et international pertinent

1. Compétence des juridictions bulgares

En vertu de l’article 8 du Code de procédure civile, les tribunaux bulgares sont compétents d’examiner des affaires en matière réelle immobilière impliquant un état étranger ou une personne bénéficiant de l’extraterritorialité si l’objet du litige est situé dans le pays.

La Convention de Vienne sur les relations consulaires (voir ci-dessous), en tant que traité international, ratifié par la Bulgarie et publié, fait partie du droit interne conformément à l’article 5, alinéa 4 de la Constitution.

2. Instruments internationaux relatifs à l’immunité des postes consulaires

a) La Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963

Aux termes de l’article 31 de la Convention :

« 1. Les locaux consulaires sont inviolables dans la mesure prévue par le présent article.

2. Les autorités de l’État de résidence ne peuvent pénétrer dans la partie des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail, sauf avec le consentement du chef de poste consulaire, de la personne désignée par lui ou du chef de la mission diplomatique de l’État d’envoi. Toutefois, le consentement du chef de poste consulaire peut être présumé acquis en cas d’incendie ou autre sinistre exigeant des mesures de protection immédiates.

3. Sous réserve des dispositions du par. 2 du présent article, l’État de résidence a l’obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées pour empêcher que les locaux consulaires ne soient envahis ou endommagés et pour empêcher que la paix du poste consulaire ne soit troublée ou sa dignité amoindrie.

4. Les locaux consulaires, leur ameublement et les biens du poste consulaire, ainsi que ses moyens de transport, ne peuvent faire l’objet d’aucune forme de réquisition à des fins de défense nationale ou d’utilité publique. Au cas où une expropriation serait nécessaire à ces mêmes fins, toutes dispositions appropriées seront prises afin d’éviter qu’il soit mis obstacle à l’exercice des fonctions consulaires et une indemnité prompte, adéquate et effective sera versée à l’État d’envoi. »

L’article 32 de la Convention dispose :

« 1. Les locaux consulaires et la résidence du chef de poste consulaire de carrière dont l’État d’envoi ou toute personne agissant pour le compte de cet État est propriétaire ou locataire sont exempts de tous impôts et taxes de toute nature, nationaux, régionaux ou communaux, pourvu qu’il ne s’agisse pas de taxes perçues en rémunération de services particuliers rendus.

2. L’exemption fiscale prévue au paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas à ces impôts et taxes lorsque, d’après les lois et règlements de l’État de résidence, ils sont à la charge de la personne qui a contracté avec l’État d’envoi ou avec la personne agissant pour le compte de cet État. »

L’article 43 de la Convention se lit comme suit dans ses parties pertinentes :

« 1. Les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ne sont pas justiciables des autorités judiciaires et administratives de l’État de résidence pour les actes accomplis dans l’exercice des fonctions consulaires.

2. Toutefois, les dispositions du par. 1 du présent article ne s’appliquent pas en cas d’action civile :

a) Résultant de la conclusion d’un contrat passé par un fonctionnaire consulaire ou un employé consulaire qu’il n’a pas conclu expressément ou implicitement en tant que mandataire de l’État d’envoi ; »

L’article 49 § 1 se lit comme suit dans ses parties pertinentes :

« 1. Les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ainsi que les membres de leur famille vivant à leur foyer sont exempts de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux et communaux, à l’exception :

(...)

b) Des impôts et taxes sur les biens immeubles privés situés sur le territoire de l’État de résidence, sous réserve des dispositions de l’art. 32; »

b) La Convention consulaire entre la Bulgarie et la Turquie du 6 octobre 1970

Aux termes de l’article 12 de la Convention consulaire :

« 1. Les locaux du poste consulaire sont inviolables. Les autorités de l’État du for peuvent pénétrer dans les bureaux situés dans les locaux et utilisés exclusivement pour assurer le fonctionnement du poste consulaire, uniquement avec la permission du chef du poste ou de la personne désignée par lui, ou encore du chef de la mission diplomatique de l’État d’envoi.

(...)

3. Les dispositions du premier alinéa de présent article s’appliquent également à la résidence du chef du poste consulaire. »

3. La Convention européenne sur l’immunité des États

L’article 9 de la Convention européenne de 1972 sur l’immunité des États (dite la Convention de Bâle), un instrument du Conseil de l’Europe, dispose qu’un État contractant ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État contractant si la procédure a trait à un droit de l’État sur un immeuble, à la possession d’un immeuble par l’État, ou à l’usage qu’il en fait si l’immeuble est situé sur le territoire de l’État du for.

La Convention régit également les règles applicables aux procédures impliquant un État étranger et les effets des jugements rendus par les autorités judiciaires. L’article 23 prévoit que :

« Il ne peut être procédé sur le territoire d’un État contractant ni à l’exécution forcée, ni à une mesure conservatoire sur les biens d’un autre État contractant, sauf dans les cas et dans la mesure où celui-ci y a expressément consenti par écrit. »

Par ailleurs, l’article 32 de la Convention stipule qu’aucune de ses dispositions ne porte atteinte aux privilèges et immunités relatifs à l’exercice des fonctions des missions diplomatiques et des postes consulaires.

La Convention n’a pas été ratifiée par les deux pays défendeurs.

4. Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens

Le 2 décembre 2004, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens. Les dispositions pertinentes de la Convention, qui est ouverte à la signature du 17 janvier 2005 au 17 janvier 2007, sont les suivantes :

Article 5 – Immunité des États

« Un État jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État, sous réserve des dispositions de la présente Convention. »

Article 6 – Modalités pour donner effet à l’immunité des États

« 1. Un État donne effet à l’immunité des États prévue par l’article 5 en s’abstenant d’exercer sa juridiction dans une procédure devant ses tribunaux contre un autre État et, à cette fin, veille à ce que ses tribunaux établissent d’office que l’immunité de cet autre État prévue par l’article 5 est respectée.

2. Une procédure devant un tribunal d’un État est considérée comme étant intentée contre un autre État lorsque celui-ci :

a) est cité comme partie à la procédure ; ou

b) n’est pas cité comme partie à la procédure, mais que cette procédure vise en fait à porter atteinte aux biens, droits, intérêts ou activités de cet autre État. »

Article 13 – Propriété, possession et usage de biens

« A moins que les États concernés n’en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compétent en l’espèce, dans une procédure se rapportant à la détermination :

a) d’un droit ou intérêt de l’État sur un bien immobilier situé sur le territoire de l’État du for, de la possession du bien immobilier par l’État ou de l’usage qu’il en fait, ou d’une obligation de l’État en raison de son intérêt juridique au regard de ce bien immobilier, de sa possession ou de son usage ;

b) d’un droit ou intérêt de l’État sur un bien mobilier ou immobilier né d’une succession, d’une donation ou d’une vacance ; ou

c) d’un droit ou intérêt de l’État dans l’administration de biens tels que biens en trust, biens faisant partie du patrimoine d’un failli ou biens d’une société en cas de dissolution. »

Article 19 – Immunité des États à l’égard des mesures
de contrainte postérieures au jugement

« Aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que saisie, saisie-arrêt ou saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d’un État en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d’un autre État excepté si et dans la mesure où :

a) l’État a expressément consenti à l’application de telles mesures dans les termes indiqués :

i) par un accord international ;

ii) par une convention d’arbitrage ou un contrat écrit ; ou

iii) par une déclaration devant le tribunal ou une communication écrite faite après la survenance du différend entre les parties ; ou

b) l’État a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de cette procédure ; ou

c) il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l’État du for (...) »

La Convention n’a pas été ratifiée par les États défendeurs.

5. Résolution de l’Institut de droit international sur les aspects récents de l’immunité de juridiction et d’exécution des États (session de Bâle, 1991)

Article 4 – Mesures d’exécution forcée

« 1. Les biens d’un État étranger ne peuvent faire l’objet d’une procédure ou d’une décision de la part des tribunaux ou d’autres organes de l’État du for en vue de l’exécution d’un jugement ou d’une ordonnance, ou en vue de mesures préalables à une telle exécution, sauf dans les conditions prévues par les dispositions du présent article et de l’article 5.

2. En particulier, les catégories suivantes de biens d’un État bénéficient de l’immunité d’exécution :

a) Les biens utilisés par les missions diplomatiques ou consulaires de l’État, par ses missions spéciales ou par ses missions auprès des organisations internationales ou dont l’utilisation par ces missions est prévue ;

(...) »

Article 5 – Consentement ou renonciation

« 1. Un État étranger ne peut invoquer l’immunité de juridiction ou d’exécution à l’égard de compétences des tribunaux ou autres organes de l’État du for auxquelles il a expressément consenti :

a) dans un accord international ;

b) dans un contrat écrit ;

c) par une déclaration relative à une affaire déterminée ;

d) par une soumission volontaire à l’exercice de ces compétences, sous la forme soit de l’introduction d’une procédure devant les organes pertinents de l’État du for, soit d’une intervention dans une procédure aux fins de faire valoir certains moyens liés au fond, soit de toute autre intervention comparable.

2. Le consentement à l’exercice de la juridiction n’implique pas le consentement à l’exécution forcée, qui nécessite un consentement exprès distinct. »

6. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités

L’article 31 de la Convention, intitulé « Règle générale d’interprétation », est ainsi libellé :

« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;

b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;

b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;

c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. »

7. Les lois relatives à la restitution des biens expropriés

La loi du 21 février 1992 sur la restitution de la propriété des biens immobiliers nationalisés (Закон за възстановяване собствеността върху одържавени недвижими имоти) prévoyait que les biens nationalisés sans compensation en application de plusieurs lois spécifiques datant des années 1947-1952, étaient restitués ex lege à la condition d’exister dans leurs limites d’origine et de faire encore partie du patrimoine de l’État ou des communes. Dans le cas contraire, les anciens propriétaires pouvaient recevoir une indemnisation en vertu d’une législation à venir (la loi de compensation des propriétaires de biens nationalisés qui fut adoptée en novembre 1997).

La loi de compensation des propriétaires de biens nationalisés (Закон за обезщетяване на собствениците на одържавени недвижими имоти, ЗОСОИ) prévoit que les personnes dont les biens ne peuvent pas être restitués car acquis par des tiers, peuvent être indemnisées par des bons compensatoires, des actions ou des parts dans les entreprises ayant acquis les biens en question, ou encore, le cas échéant, en devenant copropriétaires des biens construits sur les terrains expropriés.

8. Les moyens d’acquisition de biens immobiliers

Aux termes de l’article 29 alinéa 4 de la loi sur la propriété :

« Un état étranger ou une organisation internationale peuvent acquérir des terrains, des immeubles (...) sur le territoire du pays sur la base d’un traité international, d’une loi ou d’un acte du Conseil des ministres. »

La Constitution de 1971, en vigueur à l’époque des faits prévoyait que l’Assemblée nationale était compétente pour ratifier et dénoncer des traités internationaux lorsque leur ratification était prévue par la loi (article 92 (16). Le Conseil des ministres était compétent pour signer ou dénoncer les traités internationaux n’exigeant pas la ratification (article 103 (10)).

9. La loi relative à la responsabilité délictuelle de l’État et des communes

L’article 1 alinéa 1 de la loi de 1988 sur la responsabilité délictuelle de l’État et des communes pour les dommages (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) énonce que l’État est responsable des dommages causés aux particuliers par des actes ou des omissions illégaux des autorités administratives.

GRIEFS

1. Invoquant en substance l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de l’impossibilité d’obtenir l’exécution du jugement du fait de la passivité des autorités bulgares.

2. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent du refus des autorités turques de leur remettre les biens immobiliers ou de leur payer une indemnité d’occupation desdits biens.

EN DROIT

A. Griefs contre la Bulgarie

Les requérants se plaignent de l’impossibilité d’obtenir l’exécution des décisions judiciaires ordonnant la restitution des biens et de la passivité des autorités bulgares qui auraient omis de trouver une solution à cette situation. Ils invoquent l’article 6 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Arguments des parties

a) Le gouvernement turc

Le gouvernement turc ne soumet pas de commentaires sur cette partie de la requête.

b) Le gouvernement bulgare

Le gouvernement bulgare excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants ont pu introduire un recours en annulation du refus du gouverneur de région de rayer les biens du registre des propriétés de l’État. Par ailleurs, leur demande en dommages et intérêts introduite en application de la loi relative à la responsabilité délictuelle de l’État et des communes est actuellement en cours d’examen.

A titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir qu’il a pris les mesures normalement requises pour assurer le respect des droits des requérants. Toutefois, au vu de la réaction des autorités turques à toute tentative d’exécution entreprise par les autorités judiciaires bulgares, notamment des notes verbales adressées au ministère des Affaires étrangères, la Bulgarie ne pourrait être tenue responsable pour ne pas avoir respecté un jugement dont l’exécution dépend entièrement de la volonté de l’État turc.

c) Les requérants

Les requérants contestent la thèse du gouvernement bulgare selon laquelle ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Ils estiment qu’une décision ordonnant la radiation des biens litigieux du registre des propriétés de l’État n’aurait pour effet que réaffirmer leurs droits sur les biens, du reste déjà reconnus par une décision judiciaire passée en force de chose jugée.

Quant à l’action en dommages et intérêts, le Gouvernement n’a pas démontré que la loi régissant la responsabilité délictuelle de l’État pouvait s’appliquer en l’espèce. Qui plus est, les requérants avaient introduit une telle demande et avaient donc épuisé cette voie de recours.

Par ailleurs, les requérants font valoir que n’ayant entrepris aucune mesure effective, visant à mettre en exécution le jugement du tribunal régional de Burgas, les autorités bulgares avaient violé leur droit d’accès à un tribunal, tel que protégé par l’article 6 § 1. En outre, les autorités ne leur ont pas offert une indemnisation, ni proposé à la Turquie d’autres biens en échange des biens litigieux, négligeant ainsi leurs obligations découlant de l’article 1 du Protocole no 1.

En conclusion, les requérants soulignent que l’État bulgare a procédé à l’expropriation sans indemnisation des biens, qu’il n’a pas veillé à ce que l’immeuble et le terrain soient vendus à la Turquie en bonne et due forme, et qu’il n’a au demeurant pas procédé à l’exécution forcée de la décision de restitution même si le cas d’espèce n’était pas couvert par les hypothèses de l’article 31 § 4 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur le grief tiré de l’article 6 § 1

La Cour a déjà reconnu que le droit à un procès équitable, énoncé à l’article 6 § 1, implique l’obligation pour les autorités internes de mettre en place un système visant à assurer l’exécution des jugements définitifs (voir, parmi beaucoup d’autres références, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40).

Le droit d’accès aux tribunaux n’est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I, et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 44, CEDH 2001VIII).

Dans le cas d’espèce, les requérants ont été reconnus propriétaires des biens occupés par le consulat de Turquie, mais n’ont pas pour autant pu entrer en possession de leurs biens, en raison du refus de autorités bulgares de procéder à l’expulsion forcée des occupants des locaux. De l’avis de la Cour, il s’agit là d’une limitation imposée au droit d’accès à un tribunal garanti aux requérants.

La Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle rappelle à cet égard que la Convention doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui énonce en son article 31 § 3 c) qu’il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ».

La Cour relève qu’il n’est pas contesté que les biens immobiliers dont la restitution a été accordée aux requérants en vertu de la décision du tribunal régional de Burgas sont utilisé par le consulat général de Turquie en Bulgarie. Ils constituent donc un « poste consulaire », aux termes de l’article 1 j) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires.

Or, la Cour rappelle que l’immunité d’exécution des États souverains est un concept de droit international généralement reconnu. Ce principe s’applique en particulier aux biens utilisés par leurs missions diplomatiques et consulaires sis dans l’État du for. La Cour relève en particulier que l’article 31 de la Convention de Vienne garantit le caractère inviolable de la partie des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail, en interdisant aux agents de l’État du for d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef du poste, et en imposant à l’État du for l’obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées afin d’empêcher que ces locaux ne soient envahis ou endommagés.

De même, l’article 5 de la résolution de l’Institut de droit international consacrée précisément à « l’immunité de juridiction et d’exécution forcées des États étrangers » indique clairement qu’il ne peut être procédé ni à l’exécution forcée ni à une saisie conservatoire sur les biens qui sont la propriété d’un État étranger et sont affectés à l’exercice de son activité gouvernementale qui ne se rapporte pas à une exploitation économique, et l’article 31 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires affirme que les locaux du poste ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution.

La Cour relève également que la Convention sur l’immunité des États, visant à limiter l’étendue de l’immunité de juridiction des États souverains, précise qu’aucune de ses dispositions ne portent atteinte aux privilèges et immunités relatifs à l’exercice des fonctions des missions diplomatiques et des postes consulaires. Par ailleurs, elle stipule de manière plus générale, en son article 23, qu’il ne peut être procédé sur le territoire d’un État contractant ni à l’exécution forcée, ni à une mesure conservatoire sur les biens d’un autre État contractant, sauf dans les cas et dans la mesure où celui-ci y a expressément consenti par écrit.

Enfin, la Cour relève que la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens dispose, à l’article 19, qu’aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que la saisie, la saisie-arrêt et la saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d’un État en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d’un autre État excepté si et dans la mesure où l’État y a expressément consenti ou s’il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales.

La conclusion s’impose donc que la limitation poursuit le but légitime d’assurer le respect des normes du droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États.

La Cour doit encore déterminer si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle sur ce point que la Convention doit s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux États et qu’on ne peut de façon générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement reconnues en matière d’immunité des États (voir les affaires Kalogeropoulou et autres c. Grèce et Allemagne (déc.), no 59021/00, CEDH 2002X, Manoilescu et Dobrescu c. Roumanie et Russie (déc.), no 60861/00, 3 mars 2005, §§ 80 et 81 et Treska c. Albanie et Italie (déc.), no 26937/04 , 29 juin 2006).

Rien dans la présente espèce ne permet de s’écarter d’une telle conclusion. Aucune tendance ne va, à la connaissance de la Cour, vers un assouplissement de la règle de l’immunité d’exécution des États étrangers en la matière. Il ne saurait donc être demandé à l’État bulgare d’outrepasser contre son gré la règle de l’immunité des États et de procéder à l’exécution forcée de la décision ordonnant la restitution des biens.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Sur le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1

La Cour note qu’il n’est pas contesté qu’en vertu de la décision du tribunal régional de Burgas les requérants ont été reconnus propriétaires des biens litigieux. Il ne l’est pas davantage que les intéressés se trouvent actuellement dans l’impossibilité d’entrer en possession des lieux, les autorités bulgares n’ayant pas procédé à l’exécution forcée ni trouvé un moyen alternatif pour garantir la restitution effective des biens.

Dès lors, la Cour doit rechercher, à la lumière du principe général de respect de la propriété consacré par la première phrase du premier alinéa de l’article 1 précité, si les autorités bulgares, en s’abstenant d’agir dans le sens souhaité par les requérants, ont ménagé un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi beaucoup d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69).

i. « Prévue par la loi »

La Cour a déjà observé que l’impossibilité pour les requérants d’obtenir l’exécution forcée de la décision judiciaire découlait directement des principes du droit international généralement reconnus (voir ci-dessus). Elle était donc prévue par la loi.

ii. « Cause d’utilité publique »

La Cour ne doute nullement que le refus par l’État bulgare de pratiquer l’expulsion forcée des occupants des biens litigieux servait une « cause d’utilité publique », à savoir éviter des troubles dans les relations entre les deux pays.

iii. Proportionnalité de l’ingérence

La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Sporrong et Lönnroth précité, § 69). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure portant atteinte au droit de propriété d’une personne (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, § 38). Lorsqu’elle contrôle le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (l’affaire Kalogeropoulou et autres précitée).

Dans le cas d’espèce, la Cour a déjà jugé que le refus des autorités bulgares de procéder à l’expulsion forcée des occupants des biens litigieux ne constituait pas une entrave disproportionnée au droit d’accès à un tribunal garanti aux requérants. Elle a souligné à cet égard qu’il ne saurait être demandé au gouvernement défendeur d’outrepasser contre son gré le principe de l’immunité des États et de compromettre ses bonnes relations internationales. Pareille considération s’impose aussi dans le cadre de l’examen du présent grief.

La Cour constate par ailleurs que les requérants reprochent aux autorités bulgares leur passivité et soulignent que celles-ci étaient dans l’obligation de trouver une solution au problème, par de négociations diplomatiques ou en leur accordant une indemnité pécuniaire. Les requérants semblent considérer que cette obligation trouve son origine dans le fait que l’État bulgare est responsable de l’expropriation des biens dans les années 40 et 50, ainsi que des irrégularités du contrat de vente. Ils font valoir également qu’ils ne disposent d’aucune possibilité pour remédier à la situation qui leur fait grief.

Dans le contexte de l’article 6 § 1, la Cour a déjà dit que les autorités internes sont obligées de mettre en place un système visant à assurer l’exécution des jugements définitifs (voir p. 15 ci-dessus).

En ce qui concerne les conséquences juridiques découlant de la non-exécution du jugement du tribunal régional du 12 février 1998, la Cour observe que les requérants ont saisi les juridictions bulgares d’une action en indemnité, en application de la loi bulgare relative à la responsabilité délictuelle de l’État. Cette demande, qui visait la réparation du préjudice subi du fait de l’omission des autorités bulgares d’assurer l’exécution du jugement ordonnant en question, est actuellement en cours d’examen (voir p. 4 de la partie « En fait »). Dans ces circonstances, la Cour ne pourrait spéculer sur l’issue de cette procédure. Cette branche du grief est donc prématurée.

La Cour relève également que le principe énoncé par la loi de restitution de 1992 était la restitution en nature des seuls biens appartenant à l’État et aux communes à la date de l’entrée en vigueur de la loi. Dans tous les autres cas, les anciens propriétaires pouvaient recevoir une indemnisation en vertu d’une législation à venir. Il est bien compréhensible que dans un premier temps les requérants aient pu avoir certains doutes quant à la date d’adoption et les modalités de cette nouvelle loi. Force est toutefois de constater que cette dernière a été adoptée en 1997, à une époque où la procédure engagée par les intéressées était encore pendante et où leur action en revendication des biens n’avait pas été examinée. Ils ont néanmoins préféré poursuivre la procédure au lieu d’essayer d’obtenir le versement d’une indemnité en vertu de la loi de compensation (cf. l’affaire Treska précitée).

S’agissant enfin de l’argument des requérants selon lequel l’État bulgare est responsable de l’expropriation et la vente, la Cour se doit de rappeler que ces événements ont eu lieu avant le 7 septembre 1992, date de l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole no 1 pour la Bulgarie, et qu’elle n’est pas compétente ratione temporis pour examiner cette branche du grief (cf. Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, §§ 78-82, 8 mars 2006).

Au vu de ce qui vient d’être exposé, l’omission des autorités bulgares de prendre des mesures en vue de la mise en possession des biens litigieux n’a pas enfreint l’équilibre qui doit exister entre la protection du droit des particuliers au respect de leurs biens et les exigences de l’intérêt général.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

B. Grief dirigé contre la Turquie

Les requérants se plaignent du refus des autorités turques de leur remettre leurs biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Thèses des parties

a) Le gouvernement turc

Le Gouvernement excipe de l’incompatibilité ratione personae du grief dirigé contre lui. Se référant aux articles 1 et 34 de la Convention, il fait valoir que les requérants ne relèvent pas de sa juridiction mais de celle de l’État bulgare. Il ne pourrait donc être tenu responsable pour ne pas avoir pris les mesures revendiquées par les intéressés.

A titre subsidiaire, se référant à la disposition de l’article 29 alinéa 4 de la loi sur la propriété, le gouvernement turc souligne qu’il a acquis les biens litigieux en bonne et due forme, suite à la signature en avril 1988 du Protocole bilatéral relatif à l’achat des locaux des missions diplomatiques et des postes consulaires. Toute irrégularité liée à l’établissement de l’acte notarié est imputable à la partie bulgare qui aurait dû veiller à l’accomplissement de toutes les formalités requises par la loi pertinente.

Le Gouvernement estime que les juridictions bulgares n’étaient pas compétentes pour examiner des actions dirigées contre l’État turc, bénéficiant de l’immunité de juridiction, découlant de la disposition de l’article 43 § 2 a) in fine de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Le Gouvernement rappelle à cet égard que ni la Bulgarie, ni la Turquie n’ont ratifié la Convention de Bâle et ne sont liées par ses dispositions.

A titre très subsidiaire, le gouvernement défendeur fait valoir que les biens litigieux bénéficient également de l’immunité d’exécution, conformément à l’article 31 de la Convention de Vienne.

b) Le gouvernement bulgare

Le gouvernement bulgare conteste la thèse selon laquelle le grief contre la Turquie est incompatible ratione personae avec la Convention. Certes, les locaux du poste consulaire bénéficient de l’immunité d’exécution. Toutefois, le fonctionnement normal du consulat n’est nullement affecté par le changement du propriétaire de l’immeuble qu’il occupe. Rien n’empêche donc l’État turc à continuer d’utiliser les locaux aux mêmes fins, tout en les louant à leurs propriétaires actuels – les requérants.

Par ailleurs, le Gouvernement conteste la thèse du gouvernement turc, selon laquelle ce dernier serait propriétaire des biens litigieux. En droit bulgare, le contrat de vente des biens immobiliers doit remplir certaines conditions de forme pour produire les effets visés par les parties. Or, dans le cas d’espèce le contrat de vente était entaché de plusieurs irrégularités, du reste constatées par les tribunaux bulgares. Dès lors, la Turquie n’avait pas valablement acquis l’immeuble et le terrain actuellement occupés par le consulat.

Le gouvernement bulgare estime également que l’article 43 § 1 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, dont tire argument le gouvernement turc pour conclure que les juridictions bulgares n’étaient pas compétentes pour examiner le litige, ne trouve pas à s’appliquer au cas d’espèce. Cette conclusion s’impose également à la lumière des dispositions de Bâle sur l’immunité des États. Or, le litige interne opposait les requérants à la Turquie et c’est cette dernière qui a été condamnée à restituer les biens aux intéressés. Certes, le ministère des Affaires étrangères bulgare est intervenu dans la procédure interne, mais il n’était pas pour autant responsable des agissements de l’État turc.

En conclusion, le gouvernement défendeur fait valoir que l’exécution du jugement ordonnant la restitution des biens dépend uniquement de la bonne volonté de la Turquie, les autorités bulgares n’étant pas en mesure de procéder à l’exécution forcée du fait de l’immunité des locaux du poste consulaire. Dès lors, l’argument du gouvernement turc, selon lequel les requérants ne relèvent pas de sa juridiction ne peut être accueilli.

c) Les requérants

Les requérants, de même que le gouvernement bulgare, contestent la thèse relative à l’incompatibilité ratione personae de cette partie de la requête. A leur avis, le gouvernement turc devrait tenir compte du fait que le consulat de Turquie occupe actuellement leurs biens et ses représentants se sont maintes fois opposés à l’exécution forcée du jugement ordonnant leur restitution. Dès lors, même si les requérants en tant que personnes ne relèvent pas de la juridiction de la de l’État turc, les biens litigieux se trouvent en possession des autorités turques.

Les requérants contestent également l’argument du gouvernement turc selon lequel il est devenu propriétaire des biens litigieux dans les formes et selon les modalités prévues par la loi sur la propriété. Ils réitèrent les arguments présentés devant les tribunaux bulgares quant aux irrégularités de l’acte notarié. Quant au Protocole du 14 avril 1988, les intéressés estiment qu’il ne peut être considéré comme un traité international, n’étant pas ratifié par l’Assemblée parlementaire bulgare, condition prévue à l’article 78 § 13 de la Constitution de 1971.

Enfin, se référant aux dispositions de l’article 31 §§ 1 et 4 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, les requérants soutiennent que les locaux du poste consulaire ne bénéficient pas de l’immunité d’exécution, leur immunité étant limitée aux seuls cas de « réquisition à des fins de défense nationale ou d’utilité publique ».

2. Appréciation de la Cour

La Cour doit tout d’abord rechercher si la Turquie peut être tenue responsable de la situation qui fait grief aux requérants.

Elle rappelle que, du point de vue du droit international public, la compétence juridictionnelle d’un état est principalement territoriale. Elle n’admet qu’exceptionnellement qu’un État contractant s’est livré à un exercice extraterritorial de sa compétence : par exemple lorsque l’état défendeur, au travers du contrôle effectif exercé par lui sur un territoire extérieur à ses frontières et sur ses habitants par suite d’une occupation militaire ou en vertu du consentement, de l’invitation ou de l’acquiescement du gouvernement local, assumait l’ensemble ou certains des pouvoirs publics relevant normalement des prérogatives de celui-ci (voir Drozd et Janousek c. France et Espagne, arrêt du 26 juin 1992, série A no 240, § 91, et Banković et autres c. Belgique et 16 autres États contractants (déc.) [GC], no 52207/99, § 71, CEDH 2001-XII). La Cour a récemment étendu la portée de ce principe en indiquant que même en l’absence de contrôle effectif sur un territoire extérieur à ses frontières, un état demeure tenu, en vertu de l’article 1 de la Convention, par l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires pour assurer dans le chef des requérants le respect des droits garantis par la Convention. Elle a également indiqué que ces mesures devaient être en conformité avec le droit international (voir Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 331, CEDH 2004-VII).

La Cour a estimé, conformément à cette approche, que la participation d’un État en qualité de défendeur à une procédure dirigée contre lui dans un autre État ne suffisait pas pour conclure que la partie adverse relevait de sa juridiction (voir McElhinney c. Irlande et Royaume-Uni (déc.) [GC], no 31253/96, 9 février 2000).

Elle a réaffirmé ce constat dans l’affaire Kalogeropoulou et autres précitée concernant la non-exécution par les autorités grecques d’un jugement rendu dans le cadre d’une procédure judiciaire opposant les requérants à la république fédérale d’Allemagne.

Enfin, dans une affaire récente, très similaire au cas d’espèce, la Cour a estimé que l’abstention d’un État d’intervenir dans une procédure concernant la restitution à des particuliers des biens occupés par des fonctionnaires affiliées à sa mission diplomatique, non plus que son refus ultérieur de consentir à l’exécution de la décision de restitution, ne pouvaient engager sa responsabilité sur le terrain de la Convention (voir l’affaire Manoilescu et Dobrescu précitée, §§ 104-110).

S’agissant de la présente affaire, la Cour note que si la Turquie était la partie défenderesse au procès engagé par les requérants en vue d’obtenir la restitution des biens litigieux, elle n’a pour autant exercé aucune juridiction sur eux : la procédure litigieuse s’est exclusivement déroulée en Bulgarie, et les juridictions bulgares étaient les seules à exercer un pouvoir de souveraineté envers les requérants. Le seul fait que les autorités turques aient soulevé devant les juridictions bulgares une exception tirée de l’inviolabilité des locaux du poste consulaire dans le cadre de la procédure d’exécution ne suffit pas à faire relever ces derniers de la juridiction de la Turquie au sens de l’article 1 de la Convention (voir, dans le même sens, les décisions McElhinney, Kalogeropoulou et autres et Manoilescu et Dobrescu précitées).

Enfin, la responsabilité de l’État turc ne saurait davantage être engagée en vertu de l’article 1 de la Convention du fait d’éventuels manquements à son obligation positive d’assurer le respect des droits garantis par la Convention et invoqués par les requérants. On ne saurait en effet lui reprocher de ne pas avoir pris de mesures positives, par exemple en donnant son consentement préalable à d’éventuelles mesures de contrainte. Un tel consentement impliquerait la renonciation de la part de la Turquie au bénéfice de l’immunité des locaux des postes consulaires, alors qu’il s’agit d’un principe unanimement admis en droit international et visant légitimement à favoriser la sauvegarde la courtoisie et les bonnes relations entre les États (voir, mutatis mutandis, l’affaire Manoilescu et Dobrescu précitée, § 107).

La Cour ne partage pas l’interprétation des requérants, selon laquelle des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur les relations consulaires limiterait l’immunité des locaux des postes consulaires aux seuls cas de « réquisition à des fins de défense nationale ou d’utilité publique ». Cette interprétation ne tient compte ni du libellé du deuxième paragraphe de l’article 31 de cette convention, prohibant de manière générale la pénétration dans les parties des locaux utilisés exclusivement aux fins de la mission sans l’accord du chef du poste consulaire, ni du troisième paragraphe du même article qui astreigne l’État d’accueil d’entreprendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le fonctionnement normal du poste consulaire. Ces dispositions sont d’ailleurs reprises dans la Convention consulaire signée par les deux États défendeurs qui garantit également l’inviolabilité de la résidence du chef du poste consulaire.

Il s’ensuit que la situation qui fait grief aux requérants, à savoir le refus des autorités bulgares de procéder à l’exécution de la décision leur ayant donné gain de cause, ne saurait être imputée à la Turquie. Le grief s’avère donc incompatible ratione personae avec la Convention et ses Protocoles et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président