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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 68163/01
présentée par Aleksandrs KORIZNO
contre la Lettonie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 28 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 5 mars 2001,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant letton, né en 1947 et résidant à Riga (Lettonie). Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mlle I. Reine.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Les procédures pénales contre le requérant et la saisie de son véhicule

Le 19 mars 1992, une voiture de marque Mercedes-Benz fut volée à Berlin (Allemagne). Ce véhicule était la propriété d’une société commerciale allemande qui le mettait à disposition de l’un de ses collaborateurs. Ce dernier porta immédiatement plainte devant la police allemande, qui ouvrit aussitôt une enquête pénale.

Le 2 octobre 1992, le requérant acheta à un particulier, M. L.P., une voiture d’occasion de marque Mercedes-Benz, provenant d’Allemagne. Cette voiture avait déjà été dédouanée et enregistrée en Lettonie, et elle portait des plaques minéralogiques lettonnes. Le requérant déclare ne pas s’être enquis de la manière dont L.P. avait lui-même pris possession du véhicule. Après l’accomplissement des formalités requises par la réglementation en vigueur, le département de sécurité routière de Lettonie délivra au requérant un certificat d’enregistrement le mentionnant comme propriétaire de la voiture.

En janvier 1993, le parquet letton ouvrit une enquête du chef de recel aggravé et concernant un trafic de voitures volées de l’Allemagne vers la Lettonie.

Le 10 novembre 1993, la police interpella le requérant, le déclara suspect d’extorsion de fonds et de prise d’otages, et le plaça en garde à vue. Lors de son arrestation, les agents de police saisirent les papiers de la Mercedes susmentionnée. Le 22 novembre 1993, le requérant fut inculpé du chef d’extorsion de fonds et de prise d’otages et placé en détention provisoire.

Par une lettre du 11 novembre 1993, M. A.D., directeur de la succursale lettonne d’une entreprise allemande, informa la police que la Mercedes (dont il énumérait les caractéristiques techniques de base) avait été volée à Berlin. Il demanda donc la localisation et la saisie du véhicule. Interrogé par la police, A.D. expliqua, documents à l’appui, qu’il agissait comme mandataire du propriétaire légitime de la voiture.

Le 16 novembre 1993, la police se rendit au domicile du requérant et procéda à la saisie du véhicule litigieux. Lors de la saisie, les agents de police constatèrent que le numéro du châssis de la voiture correspondait à celui de la Mercedes volée à Berlin, et que toutes les autres caractéristiques étaient elles aussi parfaitement concordantes.

Par une décision du 14 juillet 1994, l’agent de police responsable de l’enquête déclara le véhicule « preuve matérielle » (lietisks pierādījums), et le plaça sous séquestre de A.D., mandataire de la victime du vol. Le requérant affirme que cette opération ne lui fut pas notifiée, et qu’il ne fut pas invité à fournir des explications quelconques à ce sujet.

A une date non précisée, en été 1994, A.D. transmit la voiture en Allemagne, où elle fut remise à son propriétaire présumé. Elle ne fut jamais renvoyée en Lettonie.

Le 5 avril 1995, le requérant fut remis en liberté et placé sous surveillance de la police.

Le 11 mai 1995, le parquet près la cour régionale de Berlin demanda aux autorités lettonnes des renseignements sur la question de savoir comment la voiture litigieuse avait pu parvenir jusqu’au requérant. Le 9 février 1996, la direction générale de la police criminelle lettonne fournit une note informative résumant les faits établis jusqu’alors par l’enquête ; elle fut aussitôt transmise au parquet allemand par voie diplomatique.

Le 20 septembre 1995, le parquet divisa le dossier de l’instruction, ouvert en janvier 1993 du chef de recel, en deux dossiers séparés ; l’un d’eux concernait désormais le prétendu recel de la Mercedes litigieuse. Le requérant y figurait en tant que témoin ; il ne fut jamais mis en examen dans le cadre de cette affaire, aucune preuve ne montrant avec certitude qu’il aurait été conscient du fait que le véhicule avait été volé. Interrogé en qualité de témoin, le requérant expliqua qu’il « ne connaissai[t] pas très bien » le vendeur de la voiture, L.P., et qu’il avait omis de s’enquérir plus en détail de l’origine de celle-ci. A cet égard, la police découvrit une facture prétendument émise par une entreprise « finno-lituanienne » le 29 avril 1992 ; cette facture attestait l’acquisition de la Mercedes par L.P., en Lituanie, sans en mentionner clairement le vendeur. Toutefois, cet achat n’avait jamais été notifié aux autorités lituaniennes, et l’entreprise en cause avait cessé d’exister avant la fin de l’année 1992. Enfin, la police constata qu’en avril 1995, L.P. avait définitivement quitté la Lettonie pour la Russie, et que son adresse actuelle était inconnue.

Plusieurs fois au cours des années 1996 et 1997, le requérant se plaignit à la police et au parquet de la saisie litigieuse et demanda la restitution de la voiture. Il lui fut répondu que la remise du véhicule au représentant de la victime était régulière, et que c’était à juste titre que la police avait considéré comme nul et non avenu le contrat de vente conclu entre le requérant et L.P. En particulier, le 20 août 1997, la direction générale de la police criminelle répondit au requérant en des termes suivants :

« (...) Le dossier de l’affaire pénale contient (...) des documents provenant de la police berlinoise et confirmant le fait [même] du vol.

Eu égard au fait que la voiture a été mise sous séquestre de (...) [A.D.], il est la personne responsable pour la conservation de cette voiture. En cas de nécessité, nous pouvons réclamer la voiture susmentionnée à [A.D.]

Dans la présente affaire pénale, A. Korizno n’a pas été reconnu victime, puisque, dans cette affaire, il est la personne chez laquelle on a saisi un bien qui a été vendu en sachant qu’il était acquis par voie d’une infraction pénale ; dans la présente affaire pénale, [il] est un acheteur de bonne foi [et] un témoin.

Pour ce qui est de la réparation des dommages, A. Korizno peut saisir les tribunaux d’une demande civile contre la personne qui lui a vendu le véhicule.

Eu égard à ce qui précède, il est impossible de rendre la voiture Mercedes-Benz (...) à A. Korizno. »

Le 17 février 1997, le requérant adressa au juge de la cour régionale de Riga chargé de son dossier une lettre exposant une série de doléances. En particulier, il dénonça le caractère irrégulier des actes de la police, ayant placé sa voiture sous séquestre du représentant de la prétendue victime, c’est-à-dire d’une personne manifestement partiale, permettant ainsi l’éloignement de l’objet litigieux du territoire letton. Il souligna qu’il était toujours sinon le « propriétaire », du moins le « possesseur de bonne foi » du véhicule, au sens du droit civil interne, et que ses droits garantis par le code civil avaient été enfreints. En résumé, il conclut que la police avait méconnu son obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger ses biens pendant sa détention. Aucune suite ne fut donnée à cette lettre.

Par un jugement du 6 juin 1997, la cour régionale de Riga acquitta le requérant des charges d’extorsion de fonds et de prise d’otages. Ce jugement passa en force de chose jugée.

Par une décision du 2 octobre 1997, l’inspecteur de police chargé de l’affaire ordonna le classement sans suite de l’affaire intentée du chef de recel de la Mercedes, pour cause de prescription, sans que l’auteur de ce délit eût été établi. Aucune décision ne fut cependant prise quant au sort du véhicule.

2. Les procédures en indemnisation

En octobre 1997, le requérant saisit le tribunal de première instance de l’arrondissement de Vidzeme de la ville de Riga d’un recours administratif visant à reconnaître l’illégalité du comportement de la police au sujet de la voiture litigieuse. En mars 2000, il compléta ce recours par un mémoire supplétif contenant des arguments plus élaborés. Il insista notamment sur le fait qu’aucun jugement n’avait été adopté au sujet du véhicule en question, et que la réalité même du prétendu vol n’avait pas été démontrée. En effet, selon le requérant, certaines incohérences dans le dossier donnaient à penser que la Mercedes qu’il avait achetée n’avait jamais été volée, c’est-à-dire que le véhicule dérobé en Allemagne pourrait avoir été un autre que le sien.

Par une ordonnance du 30 mai 2000, prise à l’issue d’une procédure contradictoire, le tribunal déclara le recours irrecevable, au motif que les actes de la police dans le cadre d’une enquête pénale étaient susceptibles du seul recours devant le parquet ; dès lors, ils ne relevaient pas de la compétence des tribunaux. Le requérant ne fit pas appel contre cette ordonnance.

Le 30 mars 1999, le requérant saisit le ministère de la Justice d’une demande d’indemnisation fondée sur la loi du 28 mai 1998 relative à la réparation des dommages causés par des actes illégaux ou mal fondés de l’autorité d’enquête, du parquet ou du tribunal (ci-après la « loi sur l’indemnisation »). Dans son mémoire, il demanda une indemnisation pour perte de revenus au titre des périodes qu’il avait passées en détention, la compensation de la valeur de la Mercedes saisie et perdue, la compensation de la valeur d’un autre véhicule, de marque Toyota, vendue entre-temps par sa femme, ainsi que le remboursement des frais et dépens qu’il avait engagés pour sa défense.

Par une décision du 18 août 1999, le ministère de la Justice rejeta la demande du requérant. S’agissant en premier lieu du manque à gagner qu’il réclamait, le ministère fit remarquer que la détention en cause avait eu lieu avant le 1er septembre 1998, date de l’entrée en vigueur de la loi précitée. Pour ce qui était de la Mercedes, le ministère rappela que l’article 2 de la loi sur l’indemnisation subordonnait la réparation d’un préjudice à l’existence d’un jugement acquittant l’intéressé ; or, en l’occurrence, le requérant n’avait jamais été « acquitté » dans le cadre de la deuxième procédure pénale. Concernant la voiture Toyota, le ministère releva que ce véhicule n’avait jamais été placé sous la supervision de la police, et qu’il avait été vendu par la femme du requérant avec l’accord de celui-ci. Enfin, quant au remboursement des frais et dépens, le ministère nota que le requérant n’avait pas étayé sa demande par des factures quelconques.

Le requérant saisit alors la cour régionale de Riga d’une demande contre l’État letton (représenté par le ministère de la Justice), en réitérant les prétentions exposées dans sa demande d’indemnisation du 30 mars 1999. Par un jugement du 25 février 2000, la cour régionale le débouta. La partie pertinente du jugement se lisait ainsi :

« (...) A l’audience, A. Korizno expliqua qu’à sa demande, sa femme (...) rendit la voiture Toyota, la carte d’immatriculation et la clef de cette voiture à une personne inconnue. Dans ces circonstances, il n’y a pas de raisons pour rembourser à A. Korizno la valeur de la voiture Toyota, l’aliénation de ce véhicule ayant été effectuée à sa demande et le véhicule n’étant pas placé sous le séquestre des autorités de police.

L’allégation de A. Korizno selon laquelle il avait été contraint de rendre la voiture à cause des menaces de la part de ses codétenus, ne peut pas servir de fondement pour le remboursement (...) de la valeur de la voiture Toyota, une telle hypothèse d’indemnisation n’étant pas prévue par l’article 3 de la loi [sur l’indemnisation].

A supposer même que la voiture Mercedes-Benz ait été saisie dans le cadre d’une affaire pénale dans laquelle A. Korizno fut placé en détention provisoire, la cour estime que la demande de A. Korizno quant au remboursement de la valeur de ce véhicule doit être rejetée.

Aux termes (...) de l’article 4 § 1 de la loi [sur l’indemnisation], le dommage moral doit être réparé suivant les modalités définies aux articles 2 et 3 de la même loi. Selon l’article 2, sous 1), de la loi précitée, le fondement pour la réparation du préjudice subi, invoqué par A. Korizno, est un jugement portant acquittement, indépendamment des motifs de cet acquittement. (...)

Par le jugement de (...) la cour régionale de Riga du 6 juin 1997, le requérant a été acquitté des chefs d’[extorsion de fonds] et de [prise d’otages]. Aucun jugement acquittant A. Korizno n’a été pris dans le cadre de la procédure pénale engagée du chef de [recel].

Eu égard à ce qui précède, il n’y a aucun fondement légal pour enjoindre au ministère de la Justice de rembourser à A. Korizno la valeur de la voiture Mercedes-Benz. (...) »

Contre ce jugement, le requérant interjeta appel devant la chambre des affaires civiles de la Cour suprême. Par un arrêt du 12 septembre 2000, la chambre fit partiellement droit à la demande du requérant et enjoignit au ministère de la Justice de lui verser une somme de 1 511 lati, dont 920 lati pour honoraires d’avocat et 591 lati au titre de la période de détention allant du 10 novembre 1993 au 5 avril 1995. Pour le reste, l’appel fut rejeté avec une motivation identique à celle du jugement entrepris.

Le requérant se pourvut alors en cassation devant le sénat de la Cour suprême. Par une ordonnance du 16 novembre 2000, le sénat déclara son pourvoi irrecevable pour manque de moyens de droit défendables.

Par une lettre du 22 octobre 2003, la direction de la sécurité routière informa le requérant que la Mercedes était toujours inscrite au registre officiel de cette direction en tant que sa propriété.

B. Le droit interne pertinent

1. Code de procédure pénale

A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale alors en vigueur (Kriminālprocesa kodekss) se lisaient ainsi :

Article 175

« Afin de garantir la demande civile ou la confiscation éventuelle des biens, l’autorité d’enquête ou le procureur doivent ordonner une saisie conservatoire des biens de l’accusé ou du suspect, ou des personnes qui, d’après la loi, sont matériellement responsables des actes de ceux-ci, ou encore des biens des tiers chez lesquels se trouvent les objets obtenus par voie d’une infraction.

La saisie conservatoire des biens peut être ordonnée au moment même de la perquisition (...), ou indépendamment [de celle-ci].

L’autorité d’enquête ou le procureur prend une décision motivée concernant la saisie conservatoire des biens.

Tous les biens saisis doivent être montrés aux témoins (...) et aux autres personnes présentes sur les lieux, et énumérés dans le procès-verbal de la saisie ou dans une liste annexée à ce procès-verbal ; doivent être indiqués le nombre des objets, leur mesure ou poids, leurs propriétés individuelles et leur degré d’usure.

(...)

L’autorité d’enquête ou le procureur place les biens saisis sous le séquestre du représentant de la [municipalité] locale, de l’autorité de gestion des immeubles municipaux, d’un membre de la famille du propriétaire, ou d’une autre personne, à sa discrétion. Cette personne doit être avertie de sa responsabilité quant à la conservation des biens susmentionnés, et elle doit l’attester par sa signature. En cas de nécessité, les biens saisis peuvent être retirés [du séquestre]. (...) »

Article 212, deuxième alinéa

« La décision portant classement de l’affaire doit, conformément aux dispositions de l’article 66 du présent code, trancher la question des preuves matérielles et des autres objets saisis dans le cadre de cette affaire respective ; il faut également y indiquer la levée des (...) mesures conservatoires visant à garantir la confiscation [éventuelle] des biens et une demande civile. »

Article 220, premier alinéa

« Les (...) témoins (...) ont le droit de saisir le procureur d’une plainte contre les actes de l’autorité d’enquête. La plainte peut être soumise directement au procureur ou par l’intermédiaire de l’autorité dont le comportement est attaqué. (...) »

Article 221

« Le procureur chargé de superviser l’enquête prend la décision sur la plainte dans les trois jours suivant la réception de celle-ci ; il en informe le plaignant. Si la plainte est rejetée, le procureur doit énoncer les motifs du rejet.

L’enquêteur, ainsi que l’auteur de la plainte, peuvent attaquer la décision du procureur prise au sujet de [cette dernière] par voie de recours devant un procureur du rang supérieur. »

2. Loi sur l’indemnisation

A l’époque des faits relatés dans la requête, les dispositions pertinentes de la loi du 28 mai 1998 relative à la réparation des dommages causés par des actes illégaux ou mal fondés de l’autorité d’enquête, du parquet ou du tribunal (Likums « Par izziņas iestādes, prokuratūras vai tiesas nelikumīgas vai nepamatotas rīcības rezultātā nodarīto zaudējumu atlīdzināšanu ») étaient ainsi libellées :

Article 2

« Le fondement juridique de l’indemnisation est :

1) un jugement portant acquittement, indépendamment des motifs de cet acquittement ;

2) le classement de l’affaire pénale en raison de circonstances réhabilitant la personne [concernée] ;

(...) »

Article 3 § 1

« Une personne a le droit de demander l’indemnisation dans les cas suivants :

1) lorsqu’elle a été condamnée à une peine pénale et l’a purgée ;

2) lorsqu’elle a été placée en détention provisoire [en prison] ou à domicile ;

3) lorsqu’elle a été arrêtée et placée en garde à vue selon les modalités prévues par le code de procédure pénale ;

4) lorsqu’elle s’est vue appliquer une mesure de caractère médical prévue par le code pénal ;

5) lorsqu’elle a été placée, de force, dans un établissement médical selon les modalités prévues par le code de procédure pénale ;

6) lorsque, étant accusée dans une affaire pénale, elle a fait l’objet d’un licenciement ;

7) lorsqu’elle s’est vue appliquer une détention administrative en tant que peine [en matière contraventionnelle] ;

8) lorsqu’elle a recouru à l’assistance d’un avocat en raison de son inculpation. »

Article 4 § 1

« Compte tenu des conditions mentionnées aux articles 2 et 3 de la présente loi, les préjudices suivants portés à la personne doivent être réparés :

(...)

4) la valeur intégrale des objets saisis au stade de l’investigation préliminaire, ou la valeur des dommages subis par les objets saisis, lorsqu’il est impossible de rendre la totalité des objets saisis [à l’intéressé] ou que leur valeur a baissé en raison de leur saisie ;

5) la valeur intégrale des biens appartenant à un tiers, ou la valeur des dommages subis par ces biens, lorsque ces biens ont totalement péri ou que leur valeur a baissé en raison du fait que, pendant son séjour dans les lieux de détention, la personne [concernée] n’a pas eu la possibilité d’effectuer les démarches adéquates pour préserver sa propriété, ou que la protection des biens de [cette] personne n’a pas été assurée. L’usure naturelle des biens n’est pas indemnisée. »

Dispositions transitoires

« 1o La présente loi est applicable à toutes les personnes au regard desquelles le fondement juridique de l’indemnisation, au sens de l’article 2 (...), et les circonstances (...) mentionnées à l’article 3 (...) sont apparus après le 21 août 1991, à l’exception des personnes visées au paragraphe 3 ci-dessous.

(...)

3o Les personnes arrêtées illégalement ou sans fondement (...) ont le droit de demander l’indemnisation, lorsque, à leur égard, le fondement juridique de l’indemnisation, au sens de l’article 2 (...), et les circonstances (...) mentionnées à l’article 3 (...) sont apparus après la date de l’entrée en vigueur de la présente loi. »

3. Code civil

Les articles pertinents du code civil (Civilikums) se lisent ainsi :

Article 996, premier alinéa

« La tradition [d’un bien] effectuée dans l’erreur quant (...) au droit de propriété du traditeur, n’entraîne pas la transmission de la propriété. »

Article 1041

« Le propriétaire peut réclamer son bien de tout tiers possesseur par une action en revendication de propriété. (...) »

Article 1044, premier alinéa

« Une action en revendication de propriété peut être intentée par le propriétaire à quiconque retient illégalement son bien ; son but est de reconnaître le droit de propriété et, par conséquent, de conférer la possession [du bien]. »

Article 1060

« Le demandeur doit prouver son droit de propriété. A cet égard, il suffit qu’il démontre qu’il a vraiment acquis ce droit d’une manière légale ; après, c’est au défendeur de prouver que le demandeur n’est plus propriétaire.

Lorsque le demandeur soutient qu’il a acquis la chose d’autrui par voie de tradition ou de succession, il doit prouver que son prédécesseur en était propriétaire. »

GRIEFS

Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été illégalement privé de sa liberté pendant la période allant du 10 novembre 1993 au 5 avril 1995. Selon lui, l’irrégularité de sa détention est amplement démontrée par le jugement de la cour régionale de Riga du 6 juin 1997 l’acquittant des deux chefs d’accusation portés contre lui.

De même, invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, le requérant se plaint du refus du ministère de la Justice et des juridictions lettonnes de lui accorder une indemnisation adéquate du fait de sa détention illégale, ainsi que d’inclure la période qu’il a passée en détention, dans la période totale de référence aux fins du calcul de sa pension de retraite.

Le requérant allègue également une violation de l’article 1 du Protocole no 1. A cet égard, il se plaint en premier lieu du caractère irrégulier de la saisie de sa Mercedes, de sa remise au représentant de la victime présumée, de son transfert à l’étranger, et du refus des tribunaux lettons de lui rembourser la valeur de ce véhicule. Il souligne en particulier qu’en vertu du droit interne, il reste le propriétaire légitime de la voiture, et qu’il est toujours enregistré comme tel par la direction de la sécurité routière. En deuxième lieu, il critique le refus des juridictions nationales de lui accorder la somme de son deuxième véhicule, de marque Toyota, que sa femme a vendu « sous contrainte ». Enfin, il dénonce la perte de ses revenus du fait de la procédure pénale engagée illégalement contre lui, eu égard au fait qu’avant son arrestation, il était un homme d’affaires relativement prospère.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 5 de la Convention

Le requérant considère que ses droits au titre de l’article 5 de la Convention ont été enfreints. Les dispositions qu’il invoque se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

La Cour rappelle que la Convention ne régit, pour chacune des Parties contractantes, que les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l’égard de cette Partie. En d’autres termes, les dispositions de la Convention ne lient une Partie contractante ni en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de cette partie, ni en ce qui concerne une situation qui avait cessé d’exister avant cette date (voir Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, § 70, CEDH 2006...). En l’occurrence, la Cour constate que la détention provisoire du requérant a pris fin le 5 avril 1995, alors que la Convention n’est entrée en vigueur à l’égard de la Lettonie que le 27 juin 1997. Dès lors, la Cour n’est pas compétente ratione temporis pour examiner le grief du requérant tiré de l’article 5 § 1.

Pour ce qui est de l’article 5 § 5, la Cour rappelle que le droit à réparation, au sens de cette disposition, suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 ait préalablement été établie, soit par elle-même, soit par un organe interne (voir, entre autres, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002X, et Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, CEDH 2003VI). Or, le contrôle conventionnel de la légalité de la détention provisoire du requérant échappant à la compétence ratione temporis de la Cour, la même conclusion s’impose également au sujet du grief tiré de l’article 5 § 5 (voir, par exemple, Iosséliani c. Géorgie (déc.), no 64803/01, 6 septembre 2005).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

B. Griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1

Le requérant s’estime également victime de plusieurs violations de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Grief portant sur la saisie de la voiture Mercedes

a) Observations des parties

Le Gouvernement soulève trois exceptions d’irrecevabilité de ce grief. En premier lieu, il rappelle que toutes les décisions ordonnant la saisie de la Mercedes en cause et sa remise à son propriétaire légitime ont été adoptées en 1993 et en 1994, lorsque la Lettonie n’était ni membre du Conseil de l’Europe ni partie à la Convention. De même, puisque le titre de propriété du requérant n’a pas été démontré et que de nombreuses pièces du dossier témoignent, au contraire, que le véhicule appartient à la société allemande à laquelle il a été volé, on ne peut parler de l’existence d’une quelconque « situation continue » en l’espèce. Le grief du requérant est donc incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention.

En deuxième lieu, n’ayant aucun titre de propriété de la voiture, le requérant ne saurait se prétendre « victime » d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1, au sens de l’article 34 de la Convention.

Enfin, le Gouvernement plaide l’absence d’épuisement, par le requérant, des voies de recours internes à sa disposition. Si le requérant s’estimait réellement propriétaire de la Mercedes, il pouvait réclamer sa restitution au moyen d’une action en revendication de propriété, conformément aux articles 1041 et 1044 du code civil. Quant à la demande d’indemnisation intentée par le requérant contre l’État, elle ne constituait pas une voie de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, et ce, pour deux raisons : premièrement, parce que, ayant pour objet la prétendue négligence de la police, elle ne pouvait pas remédier à une atteinte au droit de propriété, et, deuxièmement, parce que cette partie de la demande du requérant ne remplissait manifestement pas les conditions posées par la loi sur l’indemnisation à la recevabilité de telles demandes.

Le requérant combat les exceptions du Gouvernement. Selon lui, les dispositions transitoires de la loi sur l’indemnisation prévoyant son application rétroactive aux faits ayant eu lieu à partir de 1991, l’article 1 du Protocole no 1 est bel et bien applicable en l’espèce. Le requérant soutient ensuite que les autorités lettonnes n’ont pas démontré avec suffisamment de certitude que le véhicule en question avait effectivement été volé ; ainsi, aucune expertise technique ne prouve que la Mercedes dérobée en Allemagne est la même que celle qu’il a achetée. En tout état de cause, du point de vue du droit interne, il est le possesseur de bonne foi de la Mercedes litigieuse ; l’ayant utilisé pendant plus d’une année, il est certainement devenu son propriétaire par voie d’usucapion. Quant à la saisie du véhicule et de sa remise à son propriétaire présumé, elle a été accompagnée de violations grossières du code de procédure pénale ; en particulier, en ordonnant la clôture et le classement de la procédure pénale ouverte du chef de recel, les autorités ont omis de prendre une décision sur le sort de la voiture saisie. Enfin, le requérant fait valoir qu’il a épuisé toutes les voies de recours qui s’ouvraient à lui en droit letton à l’époque des faits.

b) Appréciation de la Cour

La Cour rappelle, encore une fois, que sa compétence ratione temporis se limite aux faits ayant eu lieu après l’entrée en vigueur de la Convention et de ses Protocoles à l’égard de l’État défendeur. En particulier, la Convention n’impose aux États contractants aucune obligation spécifique de redresser les injustices ou dommages causés avant qu’ils ne ratifient la Convention (voir Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 38, CEDH 2004IX). De même, les organes de la Convention se sont toujours déclarés incompétents pour examiner des griefs portant sur le refus ou la négation de droits à l’indemnisation fondés sur des faits matériels survenus avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’État concerné (voir Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 85, CEDH 2001VIII, Kikots et Kikota c. Lettonie (déc.), no 54715/00, 6 juin 2002, et Mayer et autres c. Allemagne, nos 18890/91, 19048/91, 19049/91, 19342/92 et 19549/92, décision de la Commission du 4 mars 1996, Décisions et rapports (DR) 85, p. 5). Afin de déterminer la compétence temporelle de la Cour dans chaque cas concret, il échet d’identifier la localisation exacte dans le temps du fait constitutif de l’ingérence alléguée, compte tenu tant des faits dont se plaint le requérant que de la portée du droit invoqué (voir Blečić, précité, § 82).

Dans la présente affaire, la Cour relève que la saisie du véhicule en cause, sa mise sous séquestre et sa remise à son propriétaire présumé ont eu lieu au cours des années 1993 et 1994 ; or, en ce qui concerne la Lettonie, le Protocole no 1, tout comme la Convention, est entré en vigueur le 27 juin 1997. A cet égard, la Cour rappelle qu’en principe, la privation d’un individu de ses biens constitue un acte instantané et ne crée pas une situation continue de « privation de droits » (voir Malhous c. République tchèque (déc.), no 33071/96, CEDH 2000XII). La Cour est donc incompétente ratione temporis pour examiner la compatibilité des actes susvisés en tant que tels avec le Protocole no 1.

Par ailleurs, la Cour estime que la présente affaire se distingue nettement des affaires Blečić et Kikots et Kikota, précitées, dans lesquelles la date de l’entrée en vigueur de la Convention scindait en deux la procédure interne relative aux griefs en cause et correspondant aux exigences de l’article 35 § 1. Or, la procédure judiciaire en indemnisation intentée par le requérant n’entre pas en ligne de compte pour déterminer la compétence temporelle de la Cour. En effet, il ressort du dossier que le requérant n’a jamais été mis en examen dans le cadre de la procédure pénale diligentée du chef de recel, et que son statut procédural dans cette affaire a été celui de témoin. La Cour constate que l’article 3 § 1 de la loi sur l’indemnisation énumère, d’une manière suffisamment claire et précise, les hypothèses dans lesquelles une personne peut réclamer la réparation des dommages causés par des actes illégaux ou mal fondés de l’autorité d’enquête ; toutefois, le cas d’un témoin auquel on a retiré la possession d’une preuve matérielle n’y figure pas. Force est à la Cour de conclure que la demande d’indemnisation introduite par le requérant sur la base de la loi précitée ne remplissait pas les conditions d’accessibilité et d’effectivité, et que cette procédure ne constituait donc pas un recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 75, CEDH 1999V).

La Cour constate ensuite que, par une décision du 2 octobre 1997, l’inspecteur de police chargé de l’affaire a ordonné le classement sans suite de l’affaire pénale concernant la Mercedes litigieuse, sans toutefois trancher formellement le sort de la voiture saisie. Cette décision a été prise après le 27 juin 1997 ; la Cour est donc compétente pour examiner sa compatibilité avec les dispositions de la Convention. Il est vrai qu’une telle omission de l’inspecteur – qui, paraît-il, a méconnu les exigences de l’article 212 du code de procédure pénale alors en vigueur – pourrait poser problème sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Toutefois, il ressort des explications des parties que le requérant n’a pas attaqué cette décision par voie d’un recours devant le procureur compétent, bien que articles 220 et 221 du même code ouvraient aux témoins cette voie ; par ailleurs, le tribunal de l’arrondissement de Vidzeme l’a noté dans son ordonnance du 30 mai 2000. Sur ce point, il y a donc non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

Enfin, le requérant semble alléguer la présence d’une « situation continue de privation d’un droit », en ce sens qu’il est actuellement privé de la possession effective d’un bien dont il se considère le propriétaire légitime. Or, selon la Cour, si le requérant est réellement convaincu de son titre de propriété du véhicule en question, il lui est toujours loisible de le revendiquer par la voie civile, en saisissant le tribunal compétent d’une action pétitoire contre son détenteur actuel.

En résumé, la Cour conclut que ce grief est irrecevable et, comme tel, doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Autres griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1

Dans la mesure où le requérant critique le refus des juridictions nationales de lui accorder la valeur de son véhicule de marque Toyota, vendu, selon lui, par son épouse « sous contrainte », la Cour relève que le dossier ne contient pas de documents susceptibles de montrer en quoi et dans quelle mesure ce fait serait imputable aux autorités de l’État défendeur. Ce grief est donc dénué de fondement.

S’agissant de la perte des revenus du requérant du fait de la procédure pénale prétendument irrégulière, la Cour constate que cette procédure s’est terminée par le jugement de la court régionale de Riga du 6 juin 1997, donc antérieurement à l’entrée en vigueur du Protocole no 1 à l’égard de la Lettonie. En tout état de cause, ni la Convention, ni ses Protocoles ne garantissent un droit à un niveau de revenus déterminé (voir, mutatis mutandis, Nerva et autres c. Royaume-Uni, no 42295/98, § 43, CEDH 2002VIII, et Sokur c. Ukraine (déc.), no 29439/02, 26 novembre 2002).

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président