Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 37626/02
présentée par Armağan ÖZEL et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 28 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
R. Türmen,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 juillet 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Armağan Özel, Cem Çakar, Hakkı Köse et Abbas Mert, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1950, 1964, 1960 et 1963, et résidant à Istanbul. Ils sont représentés devant la Cour par Me H. Kaplan, avocat à Istanbul.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les 30 novembre, et 5 et 6 décembre 1995 respectivement, MM. Özel, Köse et Çakar, tous trois médecins, furent arrêtés par des agents de la direction de la sûreté d’Istanbul pour avoir établi de faux certificats en vue de l’exemption d’appelés au service militaire.

Le 9 décembre 1995, ils furent placés en détention provisoire à la maison d’arrêt militaire de Kasımpaşa par le juge militaire.

Le 12 mars 1996, M. Mert fut arrêté par des agents de la direction de la sûreté d’Istanbul pour avoir obtenu un faux certificat en vue de son exemption du service militaire.

Le 18 mars 1996, il fut placé en détention provisoire à la maison d’arrêt militaire de Kasımpaşa par le juge militaire.

Par un acte d’accusation du 22 mars 1996, sur le fondement de l’article 81 du code militaire, le parquet militaire inculpa MM. Özel, Köse et Çakar pour avoir établi de faux certificats médicaux en vue de l’exemption d’appelés sous les drapeaux. Il inculpa M. Mert pour avoir obtenu un faux certificat médical en vue de son exemption du service militaire.

Le 18 avril 1996, M. Özel fut mis en liberté provisoire. Les autres requérants le furent le 12 juin 1996.

Par un jugement du 20 octobre 2000, le tribunal militaire d’Istanbul condamna M. Mert à une peine d’emprisonnement d’un an, cinq mois et quinze jours, M. Özel à un an, onze mois et dix jours, M. Çakar à dix mois, et M. Köse à six mois et vingt jours d’emprisonnement.

Le 22 janvier 2001, MM. Özel, Çakar et Köse formèrent un pourvoi devant la Cour de cassation militaire.

M. Mert fit de même à une date non précisée.

Par arrêt du 16 avril 2002, la Cour de cassation militaire confirma le jugement attaqué.

B. Le droit interne pertinent

L’article 81 du code pénal militaire dispose que toute personne ayant commis des fraudes afin d’être exemptée en partie ou en totalité du service militaire sera punie jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Les complices seront punis de six mois à cinq ans d’emprisonnement.

Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents sont décrits dans l’arrêt Ergin c. Turquie (no 6) (no 47533/99, §§ 15-25, 4 mai 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent que leurs cheveux ont été coupés et qu’ils ont été contraints d’acheter une tenue militaire pour être placés en détention dans une maison d’arrêt militaire. Ils se trouvaient dans une cellule avec dix-huit autres personnes sans disposer d’une possibilité de se laver. Ils soutiennent avoir été privés de nourriture et avoir été interrogés dans des cellules insalubres, sans l’assistance d’un avocat. Il ne leur avait pas été possible de présenter une pétition au sujet de leurs conditions de détention. Ils soutiennent également qu’ils ont assisté aux audiences en tenue militaire.

Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, les requérants allèguent avoir été illégalement privés de leur liberté dans la mesure où il n’existait pas de raison plausible de les soupçonner.

Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue.

Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, les requérants font valoir une absence de recours leur permettant de mettre en cause la légalité de leur garde à vue.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale engagée à leur encontre.

Invoquant encore l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent un manque d’indépendance et d’impartialité du tribunal militaire qui les a jugés alors qu’ils étaient des civils. Ils expliquent que ce tribunal est composé de trois magistrats appartenant au corps militaire et nommés par la hiérarchie militaire. Le juge militaire Necati Nalıncı qui les a jugés a rendu un mandat d’arrêt délivré par contumace à leur encontre. Quant au procureur militaire Cengiz Şirin, il avait préparé l’acte d’accusation à leur encontre. Le parquet militaire a participé à une enquête préliminaire menée par la direction de la sûreté.

Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis ainsi que de la façon dont les juridictions nationales les ont appréciés. Ils soutiennent qu’ils ont été présentés à l’opinion publique comme coupables alors que les éléments de preuve réunis n’ont pas été obtenus conformément au droit. Ils n’ont pas été assistés par un avocat lors de leur garde à vue.

Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants allèguent que des années auparavant leurs lignes téléphoniques avaient été placées sur écoute.

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants soutiennent qu’en raison de leur placement en détention, ils ont subi de sérieux dommages matériels puisqu’ils n’ont pas pu exercer leur profession.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale ainsi que du manque d’indépendance et d’impartialité du tribunal militaire qui les a jugés.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants soutiennent que les conditions de leur détention sont constitutives d’un traitement inhumain et dégradant.

Contrairement à ce qu’ils prétendent et à supposer même qu’il ne leur avait pas été possible de présenter une pétition lors de leur détention, la Cour relève que les requérants avaient la possibilité de présenter une plainte pénale au sujet de leurs allégations devant le parquet compétent. Ils pouvaient également invoquer ces allégations devant les juridictions nationales qui ont entendu leur cause. A la lumière des pièces contenues dans le dossier, la Cour constate que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, les requérants allèguent avoir été illégalement privés de leur liberté dans la mesure où il n’existait pas de raison plausible de les soupçonner.

La Cour rappelle que l’article 5 §§ 1 et 2 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Intégrée au système de protection qu’offre l’article 5, elle oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai » mais le policier qui l’arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (voir Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, p. 19, § 40).

En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont été arrêtés pour avoir établi ou bénéficié de faux certificats médicaux en vue de l’exemption du service militaire. Elle constate ainsi que les intéressés ont bien été informés des raisons de leur arrestation.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Invoquant l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue ainsi que de l’absence de recours leur permettant de mettre en cause la légalité de celle-ci.

En l’occurrence, la Cour relève que la garde à vue des requérants a pris fin le 9 décembre 1995 pour les trois premiers requérants et le 18 mars 1996 pour le dernier, alors que la requête a été introduite le 23 juillet 2002. En outre, l’examen de l’affaire ne permet de discerner aucune circonstance particulière qui ait pu interrompre ou suspendre le cours dudit délai. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

5. Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis ainsi que de la façon dont les juridictions nationales les ont appréciés. Ils soutiennent qu’ils ont été présentés à l’opinion publique comme coupables alors que les éléments de preuve réunis n’ont pas été obtenus conformément au droit. Ils n’ont pas été assistés par un avocat lors de leur garde à vue.

La Cour rappelle qu’elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui, dès lors, relève au premier chef du droit interne (voir Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 4546). Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, par principe, sur la recevabilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale, ou encore sur la culpabilité du requérant.

Eu égard à la formulation de leurs griefs, la Cour constate que les requérants ont été représentés par des avocats devant les juridictions nationales, qui ont défendu leurs intérêts et, à ce titre, ont contesté tous les éléments de preuve. Elle ne relève aucun manquement ni arbitraire dans les procédures engagées contre les requérants d’autant qu’elle n’est pas une juridiction de « quatrième instance » ni de cassation.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

6. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants allèguent que des années auparavant leurs lignes téléphoniques avaient été placées sur écoute.

Tenant compte du fait que les intéressés n’ont pas formulé ce grief devant les autorités nationales, celui-ci doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

7. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants soutiennent qu’en raison de leur placement en détention, ils ont subi de sérieux dommages matériels puisqu’ils n’ont pas pu exercer leur profession.

La Cour constate que la mesure dont se plaignent les requérants représente un effet accessoire de leur condamnation. En conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner séparément ce grief (voir, mutatis mutandis, Ayhan c. Turquie (no 2) (déc.), no 49059/99, 9 octobre 2003).

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de la durée de la procédure pénale ainsi que du manque d’indépendance et d’impartialité du tribunal militaire d’Istanbul ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président