Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 41193/02
présentée par Iwona JAKUBOWSKA
contre le Luxembourg

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 28 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 novembre 2002,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Iwona Jakubowska, est une ressortissante polonaise, née en 1971 et résidant à Gorzow Wlkp. Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») est représenté par son conseil, Me C. Schmartz, avocat à Luxembourg.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 12 octobre 1996, la requérante contracta mariage avec un ressortissant luxembourgeois. De leur union naquit un enfant le 22 novembre 1997.

Le 21 janvier 1998, la requérante introduisit une demande en divorce.

Le 5 mars 1998, l’affaire fut fixée au 19 octobre 1998. Par conclusions notifiées le 12 octobre 1998, l’époux forma une demande reconventionnelle contre la requérante ; cette dernière répliqua le 15 octobre 1998.

Lors de l’audience du 19 octobre 1998, l’affaire fut fixée au 7 décembre 1998. Les parties échangèrent des conclusions entre les 24 novembre et 4 décembre 1998.

Lors de l’audience du 7 décembre 1998, les parties furent invitées à verser des pièces (concernant leur situation financière, d’une part, et la nationalité de l’enfant, d’autre part) et à conclure sur la compétence et la loi applicable au litige. L’affaire fut fixée au 2 février 1999 pour permettre aux parties de fournir ces renseignements. A cette dernière date, l’affaire fut remise au 8 novembre 1999, en raison de l’absence de conclusions échangées entre les parties.

Les parties notifièrent des conclusions les 29 octobre ainsi que les 4 et 8 novembre 1999. A cette dernière date, l’affaire fut prise en délibéré et le prononcé fixé au 25 novembre 1999.

La rupture du délibéré fut prononcée le 12 novembre 1999, suite à une lettre de l’avocate de la requérante se lisant ainsi qu’il suit :

« Ma cliente (...) m’a enjoint de vous demander de refixer le prononcé qui avait été fixé au 25 novembre 1999 à une année. (...) En effet ma mandante souhaite encore réfléchir plus amplement sur sa décision de demander le divorce. »

Selon le Gouvernement, l’adversaire de la requérante s’opposa à la remise du prononcé, en attirant l’attention sur la demande reconventionnelle qu’il avait introduite. Suite à la rupture du délibéré, l’affaire parut à l’audience du 18 novembre 1999, lors de laquelle elle fut remise au 21 décembre 1999 et ensuite au 25 janvier 2000 (en raison d’un problème de mandat dans le chef de l’avocat de la requérante). A cette dernière date l’affaire fut reprise en délibéré.

Le 10 février 2000, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg statua par défaut à l’encontre de la requérante, faute pour son avocate d’avoir conclu à l’audience du 25 janvier 2000, et prononça un jugement de divorce.

Le 26 juin 2000, le nouveau mandataire de la requérante fit opposition de ce jugement.

Les parties échangèrent des conclusions entre les 15 septembre 2000 et 29 janvier 2001. L’affaire fut retenue à l’audience du 30 janvier 2001.

Le 15 février 2001, le tribunal d’arrondissement rendit son jugement sur opposition.

Le 6 juin 2001, la requérante interjeta appel de ce jugement. Par conclusions notifiées le 1er octobre 2001, l’époux forma appel incident.

Après des échanges de conclusions ainsi que le versement de pièces de la part des parties entre les 9 novembre 2001 et 4 mars 2002, l’affaire fut plaidée et prise en délibéré le 12 avril 2002.

Dans son arrêt du 15 mai 2002, la cour d’appel confirma en partie le jugement du 15 février 2001.

Il résulte du dossier que la requérante omit de se pourvoir en cassation contre cet arrêt.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante se plaint de la longueur de la procédure civile.

2. Aux termes des articles 6 de la Convention et 5 du Protocole no 7, la requérante conteste la solution retenue par les autorités nationales.

EN DROIT

1. La requérante allègue que la durée de la procédure devant les juridictions civiles a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

La procédure a débuté le 21 janvier 1998 et s’est terminée le 15 mai 2002 par l’arrêt de la cour d’appel. Elle a donc duré 4 ans et 3 mois.

Le Gouvernement soulève en premier lieu une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Le Gouvernement est d’avis que la requérante aurait dû engager une action civile contre l’Etat sur le fondement de l’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité de l’Etat et des collectivités publiques. Il estime que ce texte de loi – qui, contrairement à la législation française, n’exige pas l’existence d’une faute lourde pour que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée – ne nécessite pas l’interprétation des juges afin de voir clarifié son champ d’application. En outre, la possibilité d’un recours fondé sur ladite législation a été confirmée de façon constante par la doctrine. Le Gouvernement produit également plusieurs décisions dans lesquelles des magistrats prononcèrent, au vu de la durée des procédures pénales, une atténuation de la peine des prévenus. Finalement, le Gouvernement renvoie à une décision du 18 mai 2004 (Kasel c. Etat, tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 8ème chambre, no 77974 du rôle) qui traita de la question du respect du délai raisonnable par les autorités judiciaires dans l’instruction d’une plainte déposée contre la personne concernée. Le Gouvernement en conclut que la loi de 1988 offre un recours effectif en cas de fonctionnement défectueux des services judiciaires.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes : tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Mifsud c. France [GC] (déc.), no 57220/00, 11 septembre 2002).

Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi d’autres, Rezette c. Luxembourg, no 73983/01, § 26, 13 juillet 2004 ; Dattel c. Luxembourg, no 13130/02, § 35, 4 août 2005 ; Casse c. Luxembourg, no 40327/02, § 36, 27 avril 2006). A cela, il faut ajouter que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour (voir, par exemple, Stoeterij Zangersheide N.V. et autre c. Belgique, no 47295/99, décision du 27 mai 2004, Zutter c. France, no 30197/96, décision du 27 juin 2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France, nos 44952/98 et 44953/98, décision du 7 novembre 2000, et Malve c. France, no 46051/99, décision du 20 janvier 2001 ; Casse, précité) soit, en l’espèce, le 8 novembre 2002.

La Cour rappelle que, dans sa décision qu’elle a rendue le 7 mai 2002 dans l’affaire Berlin (Berlin c. Luxembourg (déc.), no 44978/98, 7 mai 2002) puis dans ses arrêts rendus les 13 juillet 2004, 4 août 2005 et 27 avril 2006 dans les affaires Rezette c. Luxembourg, Dattel c. Luxembourg et Casse c. Luxembourg (précitées), elle a rejeté l’exception tirée du non-épuisement, en raison du fait que le gouvernement luxembourgeois restait en défaut de citer un exemple de jurisprudence qui ait démontré l’effectivité du recours existant en théorie en droit interne.

En l’espèce, la Cour constate que le Gouvernement produit en premier lieu des décisions dans lesquelles des magistrats prononcèrent, au vu de la durée de procédures pénales, une atténuation de la peine des prévenus concernés. La Cour estime cependant que ces précédents jurisprudentiels ne sauraient raisonnablement être pris en considération en l’espèce, dans la mesure où la requérante n’est pas inculpée dans le cadre d’une affaire pénale.

Ensuite, le Gouvernement renvoie à une décision du 18 mai 2004, dans laquelle les juges luxembourgeois analysèrent la question de savoir si les autorités judiciaires avaient instruit une plainte déposée contre la personne concernée dans un délai raisonnable. Force est cependant de constater d’emblée que ce jugement émane d’une juridiction de première instance et ne constitue pas un précédent jurisprudentiel qui aurait accueilli favorablement une demande en indemnisation présentée pour dépassement d’un délai raisonnable. Ensuite et surtout, ledit jugement est nettement postérieur à la date d’introduction de la requête.

La Cour estime, dès lors, que la possibilité de mettre en cause la responsabilité de l’Etat sur base de l’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 n’avait pas encore acquis, au moment de l’introduction de la requête, un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup d’autres, Debbasch c. France (déc.), no 49392/99, 18 septembre 2001 ; Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002 ; Berlin, précité, et Casse, précité).

Partant, il ne saurait être reproché à la requérante de ne pas avoir usé de ce recours. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

Quant au fond, la Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). Dans les affaires concernant l’état des personnes, l’enjeu du litige pour l’intéressé est aussi un critère pertinent et une diligence particulière s’impose eu égard aux éventuelles conséquences qu’une lenteur excessive peut avoir notamment sur la jouissance du droit au respect de la vie familiale (voir, entre autres, Laino c. Italie [GC], no 35158/96, § 18, CEDH 1999-I).

En l’espèce, l’affaire n’apparaît pas d’une complexité particulière. Par ailleurs, la Cour n’aperçoit aucune période d’inactivité imputable aux autorités nationales. S’agissant du comportement de la requérante, la Cour observe notamment que cette dernière fut à l’origine de la rupture du délibéré prononcée le 12 novembre 1999, d’une part, et qu’elle mit plus de 4 mois pour faire opposition du jugement du 10 février 2000 et plus de 3 mois pour interjeter appel de la décision du 15 février 2001, d’autre part.

Au vu de tout ce qui précède, la Cour, à la lumière de sa jurisprudence, estime que la durée globale de la procédure ne se révèle pas suffisamment importante pour que l’on puisse conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Invoquant les articles 6 de la Convention et 5 du Protocole no 7, la requérante reproche aux juges de ne pas avoir tenu compte des preuves qu’elle leur avait fournies et d’avoir fait une mauvaise application de la législation.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Il faut que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (arrêts Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999-I, §§ 36-37).

Or, la requérante omit de saisir la Cour de cassation pour lui soumettre son grief tel qu’il est présenté maintenant devant la Cour et n’a donc pas épuisé les voies de recours internes.

Partant, ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

En conséquence, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président