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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
25.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
1
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 17060/02
présentée par Abdulkadir COBAN
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 25 septembre 2006 en une chambre composée de

M. P. Lorenzen, President,
Mme S. Botoucharova,
M. V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 avril 2002,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Abdulkadir Coban (aussi appelé Asim Babuscum ou Haci Cadir), est un ressortissant turc, né en 1945. Il est représenté devant la Cour par Me Francisco Javier Díaz Aparicio, avocat à Madrid. Le gouvernement défendeur est représenté par M. I. Blasco Lozano, agent du Gouvernement et chef du service juridique des droits de l’homme du ministère de la Justice.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. La genèse de l’affaire et le déroulement de l’enquête

Fin 1995, le juge central d’instruction no 3 de l’Audiencia Nacional ouvrit une enquête pour trafic de stupéfiants.

Dans le cadre de cette enquête, la Brigade d’investigation criminelle (Brigada de Investigación de la Policía), sollicita au juge d’instruction la mise sur écoute de deux lignes téléphoniques appartenant à S. et à A. « afin d’éclaircir certaines activités criminelles sur lesquelles une enquête policière active a lieu », ainsi que la liste des numéros de téléphone composés depuis le numéro 908 02 ** ** (les numéros de téléphone ont été ci-après occultés pour de raisons de confidentialité), ses titulaires, et la liste des numéros composés depuis le nouveau numéro qui remplaçait le dernier, entre les 1er décembre 1995 et 1er mars 1996.

Par une ordonnance du 27 décembre 1995, le juge central d’instruction se prononça de la façon suivante :

« (...) Etant donné qu’il existe, de ce qui a été exposé par la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants, des indices fondés permettant de conclure que la mise sur écoute des lignes téléphoniques 730 ** ** et 466 ** **, appartenant aux abonnés S. et A., respectivement, pouvant amener à la découverte de divers faits et circonstances d’intérêt concernant la commission d’un délit de trafic illicite de stupéfiants dans lequel pourraient être impliqués M. A. et autres, il convient d’ordonner la mise sur écoute sollicitée, qui sera effectuée par les agents de la Brigade d’investigation, conformément à l’article 18 § 3 de la Constitution.

J’ordonne, par conséquent, l’intervention, enregistrement et écoute des lignes téléphoniques nos 730 ** ** et 466 ** **, appartenant aux abonnés S. et A. respectivement, qui seront effectués par des agents de la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants jusqu’au 18 janvier 1996, lesquels devront, à la fin de cette période, informer du résultat de la mise sur écoute en cause.

(...)

[J’ordonne également] de réclamer à M. le Directeur de la Compagnie Téléphonique d’Espagne S.A., la liste des numéros et [l’identité] de leurs titulaires, composés depuis la ligne téléphonique du numéro 908 02 ** **, appartenant à H. ou, le cas échéant, le nouveau numéro appartenant au même titulaire proposé entre le 1er décembre de cette année et le 1er mars 1996, informant le destinataire de cet ordre du secret de l’instruction. »

Le 11 janvier 1996, la police demanda une prorogation de l’autorisation judiciaire des mises sur écoute.

Le 18 janvier 1996, le juge d’instruction fit droit à la demande pour les mêmes motifs, et ordonna la prorogation des écoutes sur les lignes en cause jusqu’au 21 mars 1996.

Le 9 février 1996, le juge central d’instruction décréta, dans des termes identiques à ceux de l’ordonnance du 27 décembre 1995, la mise sur écoute de la ligne téléphonique du numéro 07/905 322 42* ***, dont l’utilisateur habituel était S. O., suite à la demande adressée, dans des termes identiques aux précédents, par la Brigade d’investigation. Le délai de mise sur écoute devait terminer le 21 mars 1996.

Le 14 février 1996, le commissaire en chef de la brigade d’investigation criminelle demanda au juge d’instruction de mettre un terme aux écoutes, au motif que le suivi des conversations ne révélait pas d’indices laissant croire à une relation présumée avec un trafic de stupéfiants. Par une ordonnance du 28 février 1996, le juge d’instruction décida la cessation des écoutes.

Le 6 juin 1996, la brigade d’investigation criminelle sollicita encore la mise sur écoute de deux autres lignes téléphoniques utilisées par deux personnes en raison de leurs relations avec les personnes écoutées lors de la première mise sur écoute.

Par une ordonnance du 18 juillet 1996, le juge central d’instruction, utilisant également des termes identiques aux ordonnances précédentes, accorda l’autorisation d’écoute pour une ligne téléphonique no 905 322 65* *** et la prorogation pour une autre, no 905 322 71* ***, jusqu’au 11 septembre 1996, pour l’investigation d’un trafic de stupéfiants dans lequel pourrait être impliqué K. Y.

Par une ordonnance du 10 septembre 1996, le juge central d’instruction autorisa la mise sur écoute de la ligne téléphonique no 91 329 ** **, appartenant à l’abonnée G., à effectuer également par des agents de la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants jusqu’au 30 octobre, lesdites écoutes pouvant amener à la « découverte de divers faits et circonstances d’intérêt concernant la commission d’un délit contre la santé publique dans lequel elle pourrait être impliquée ». Deux demandes de prorogation de la part de la brigade d’investigation furent accordées par le juge d’instruction, la dernière en date du 11 octobre 1996.

Par une ordonnance du 24 septembre 1996, le juge central d’instruction décida la mise sur écoute d’une ligne de téléphone utilisée par le requérant, dans les termes suivants :

« I. FAITS : Dans le document de la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants à l’origine des présentes investigations, il est demandé d’intervenir, d’enregistrer et d’écouter la ligne téléphonique du numéro 909 01* ***, afin d’éclairer certains faits délictuels sur lesquels ont lieu des investigations policières actives.

II. FONDEMENTS JURIDIQUES : (...) Etant donné qu’il existe, de ce qui a été exposé par la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants, des indices fondés permettant de conclure que la mise sur écoute de la ligne téléphonique 909 01* ***, peut amener à la découverte de divers faits et circonstances d’intérêt concernant la commission d’un délit de trafic illicite de stupéfiants dans lequel pourrait être impliqué Haci Cadir [l’une des identités du requérant], il est nécessaire d’ordonner la mise sur écoute sollicitée, qui sera effectuée par les agents de la Brigade d’investigation, conformément à l’article 18 § 3 de la Constitution.

DISPOSITIF : J’ordonne, par conséquent, l’intervention, enregistrement et écoute de la ligne téléphonique no 909 01* ***, qui seront effectués par des agents de la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants jusqu’au 30 octobre 1996, lesquels devront, à la fin de cette période, informer du résultat de la mise sur écoute en cause.

(...) ».

Par une nouvelle ordonnance du 11 octobre 1996, le juge central d’instruction décida la mise sur écoute du téléphone utilisé par le requérant, dans les termes suivants :

« I. FAITS : Dans le document de la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants à l’origine des présentes investigations, il est demandé d’intervenir, d’enregistrer et d’écouter les lignes téléphoniques des numéros 909 22* *** et 909 08* ***, ainsi que la liste d’appels effectués depuis ces numéros durant le mois d’octobre. Sont demandées aussi toutes les informations concernant le titulaire ainsi que les listes des numéros faits durant la même période pour ce qui est du numéro 909 07* ***, afin d’éclairer certains faits délictuels sur lesquels ont lieu des investigations policières actives.

II. FONDEMENTS JURIDIQUES : (...) Etant donné qu’il existe, de ce qui a été exposé par la Brigade d’investigation de l’Unité centrale des stupéfiants, des indices fondés permettant de conclure que la mise sur écoute et enregistrement des lignes téléphoniques ci-dessus peuvent amener à la découverte de divers faits et circonstances d’intérêt concernant la commission d’un délit de trafic de stupéfiants dans lequel pourrait être impliqué, entre autres, Haci Cadir [l’une des identités du requérant], il convient donc d’ordonner la mise sur écoute sollicitée, qui sera effectuée par les agents de l’Unité centrale des stupéfiants, conformément à l’article 18 § 3 de la Constitution.

DISPOSITIF : J’ordonne, par conséquent, l’intervention, enregistrement et écoute des lignes téléphoniques nos 909 22* *** et 909 08* ***, qui seront effectués par des agents de l’Unité centrale des stupéfiants, groupe 21, jusqu’au 5 décembre 1996, lesquels devront, à la fin de cette période, informer du résultat de la mise sur écoute en cause.

[J’ordonne également] de réclamer à M. le Directeur de la Compagnie Téléphonique des services mobiles l’identité des titulaires [desdites lignes téléphoniques] et la liste des appels passés depuis ces derniers durant le mois d’octobre. Et [j’ordonne également] de réclamer à la société AIRTEL de faciliter à l’Unité centrale des stupéfiants, groupe 21, l’identité du titulaire du numéro 907 70* ***, ainsi que d’établir la liste des appels passés depuis ce dernier numéro durant le mois d’octobre.

(...) ».

Au terme d’une intense investigation policière, le 19 octobre 1996, en fin de journée, le requérant et plusieurs de ses collaborateurs furent arrêtés par la police. A la suite de ces investigations, 9,983 kg d’héroïne dissimulés dans une voiture utilisée par les membres du groupe ainsi qu’une somme importante d’argent furent saisis par la police. Le 21 octobre 1996, le requérant fut interrogé par la police judiciaire en présence d’un avocat d’office. Le 22 octobre 1996, le requérant comparut devant le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional en présence d’un avocat et d’un interprète désigné par le greffier. Le requérant signa le procès-verbal en indiquant qu’il était conforme avec son contenu.

Par une ordonnance du 11 avril 1997, le juge central d’instruction décréta l’inculpation et la prison provisoire entre autres, du requérant, pour délits de trafic de stupéfiants et de faux en écritures publiques.

2. La procédure devant l’Audiencia Nacional

Au terme de l’instruction (sumario), le requérant fut renvoyé en jugement avec plusieurs autres personnes faisant partie du réseau devant la chambre pénale de l’Audiencia Nacional. Dans son mémoire en défense, le requérant souleva en particulier la nullité de certains actes de procédure, sollicitant notamment la nullité des preuves obtenues à la suite des écoutes téléphoniques qu’il estimait illégales.

Par un arrêt du 10 décembre 1998, l’Audiencia Nacional reconnut le requérant coupable des délits de trafic de stupéfiants et de faux en écritures publiques, et le condamna à une peine de dix-neuf ans de prison, ainsi qu’au paiement de plusieurs amendes pénales. Pour cette condamnation, le tribunal se fonda sur l’audition d’extraits des cassettes contenant l’enregistrement effectué par la police de conversations en langue espagnole, sur les déclarations des prévenus, sur les expertises effectuées, ainsi que sur des preuves matérielles recueillies durant les investigations.

S’agissant du moyen de défense fondé sur l’allégation de nullité des écoutes téléphoniques, l’Audiencia Nacional rejeta cette exception liminaire pour les motifs suivants :

« (...) Le Tribunal estime cependant que la demande de nullité des écoutes téléphoniques réalisées doit être rejetée. En effet, à tout moment, les écoutes ont été menées dans le respect scrupuleux des conditions déterminées au fil des années par la jurisprudence dans les nombreuses décisions rendues tant par le Tribunal suprême, depuis son arrêt du 21 février 1991 et sa décision du 18 juin 1992 et autres décisions postérieures, que par le Tribunal constitutionnel dans son arrêt du 29 novembre 1984 et dans ses récents arrêts des 15 juin et 13 juillet 1998, jurisprudence citée dans le mémoire du ministère sur cette question.

A cet égard, et suivant les critères déterminés par le Tribunal constitutionnel concernant le contrôle de la régularité des interventions téléphoniques dans les arrêts en question (des 15 juin et 13 juillet 1998), il convient d’examiner les trois phases différentes composant la preuve obtenue à partir des écoutes téléphoniques, à savoir : 1) la décision de réaliser les écoutes , 2) sa mise en œuvre par la police et 3) l’incorporation au dossier des résultats et la manière dont ils ont été intégrés au procès.

Aucune objection n’a été soumise par les parties à la procédure quant à la première phase, c’est-à-dire la prise de décision judiciaire autorisant la mise sur écoute des communications, dans la mesure où ils ne contestent pas la légitimité des décisions judiciaires (...) ni qu’elles aient été accordées hors des cas habituels, ou qu’elles pèchent de manque de motivation. Les allégations portent sur le contrôle judiciaire de l’exécution des écoutes, en particulier et surtout en raison de l’impossibilité, d’après les parties, de procéder au contrôle des conversations menées dans des langues étrangères et sur l’absence de transcriptions effectuées par un traducteur juré. Les mêmes reproches sont adressés quant à l’incorporation des résultats des écoutes au dossier de procédure, concrètement, en raison de l’absence de traduction et de transcription mécanographique des écoutes et de l’absence de vérification par le greffier du tribunal du contenu des transcriptions sur papier (...)

Ce Tribunal ne peut accueillir favorablement aucune des objections soumises par les parties (...) En effet, la défense qui soulève la question admet d’elle-même l’existence du contrôle dont elle réfute la validité, précisément par le biais des traductions et des extraits du contenu des conversations produites. S’agissant d’une langue peu commune, la participation d’un interprète diplômé ou d’un interprète juré, ayant un degré suffisant de fiabilité quant à la connaissance de la langue qu’il interprète et quant à la probité dans l’exercice de ses fonctions, rend valide, du moins en ce qui concerne les phases préliminaires, l’inclusion en tant qu’élément de preuve lors du procès, c’est-à-dire durant la phase d’investigation, de l’interprétation du contenu des conversations maintenues dans une autre langue et ce, même si le contenu se fait moyennant un résumé ou des extraits de la conversation. Il en va différemment quant à sa valeur probatoire lors de l’audience publique, question qui se situe dans la troisième phase suivant la jurisprudence établie dans les arrêts du Tribunal constitutionnel (...). En tout état de cause, la chambre souligne que (...) les conversations proposées par l’accusation lors de l’audience ont fait l’objet d’une audition publique durant la phase de jugement de manière contradictoire et ont fait l’objet d’une appréciation postérieure par ce Tribunal. Ces conversations ne sont aucunement concernées par les allégations présentées dans la mesure où il s’agit de conversations en espagnol et pour lesquelles un contrôle judiciaire plein a eu lieu.

Quant aux objections portant sur la troisième phase, c’est-à-dire, la question de la validité des conversations téléphoniques proposées lors de la phase de jugement comme moyen de preuve, dans la mesure où les parties allèguent l’absence de vérification par le greffier des transcriptions réalisées, ce Tribunal ne peut accueillir favorablement ces objections. En effet, dans le feuillet no 1339 figure un acte réalisé par la greffière, Mme P.M.L., dans lequel il est indiqué qu’« ayant procédé à la vérification des cassettes contenant les conversations téléphoniques interceptées avec les transcriptions intégrales des conversations versées au dossier de la procédure, elles coïncident en substance les unes avec les autres, bien que dans les conversations téléphoniques apparaissent de manière intercalée des mots dans une langue étrangère, et qu’il existe de petites différences de style qui ne modifient pas le sens la phrase, que j’ai corrigées et signalées au crayon ». Ainsi, on ne peut arguer de l’absence d’authentification alléguée (...) En tout état de cause, il convient de prendre en compte le fait que le ministère public, au moment de proposer les éléments de preuve, a procédé à une sélection des conversations qu’il attribue aux accusés (...) et a demandé leur audition durant l’audience publique, ce qui a été accordé et fait en présence de ce Tribunal et des parties. Quant à la comparaison des voix avec les personnes à qui elles sont attribuées, ce Tribunal réserve à un stade postérieur sa position en estimant qu’il s’agit là d’un sujet qui concerne en réalité l’appréciation des éléments de preuve. »

3. Le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême

Contre ce jugement, le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême. Dans son mémoire, le requérant se plaignait, entre autres du fait que les écoutes téléphoniques réalisées pendant les investigations judiciaires et policières avaient porté atteinte à son droit au secret des communications (article 18 § 3 de la Constitution). Par un arrêt du 18 juillet 2000, le Tribunal suprême confirma le jugement entrepris. Examinant la question de la légalité des écoutes téléphoniques, le tribunal se prononça comme suit :

« A l’appui de son moyen, il soutient que les éléments probatoires découlant des interventions téléphoniques pratiquées ont été obtenus en violation des droits fondamentaux relatifs au secret des communications téléphoniques et à la protection judiciaire effective. Il allègue l’absence de justification de la mesure adoptée par le juge central d’instruction ainsi que des irrégularités découlant du fait de la traduction des enregistrements par un interprète occasionnel et non juré dans les locaux de la police avec envoi de résumés au juge d’instruction. En outre, il allègue qu’elles n’ont pas été vérifiées par le greffier et qu’il a été procédé à une sélection des conversations écoutées lors de l’audience publique à la demande de l’accusation. Enfin, il conteste l’identification de sa voix.

En reprenant brièvement sa jurisprudence en la matière, le récent arrêt du Tribunal constitutionnel 166/99 du 27 novembre 1999 déclare qu’une mesure restrictive du droit au secret des communications n’est constitutionnellement légitime que si les conditions suivantes sont réunies : en premier lieu, la prévision légale doit être suffisamment précise (articles 18 § 3 de la Constitution et 579 § 3 du code de procédure pénale) ; en second lieu, l’interception doit être autorisée par l’autorité judiciaire et, en troisième lieu, le principe de proportionnalité doit être respecté strictement. Cela signifie que la mesure doit être nécessaire pour atteindre un but constitutionnellement légitime à savoir, suivant le texte de la Convention européenne des Droits de l’homme (...) la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui (article 8 § 2 de la CEDH, arrêts du Tribunal suprême des 2 et 26 juin 2000).

Dans le cas présent, les exigences de rang constitutionnel autorisant la mesure limitative des droits fondamentaux en cause sont réunies dès lors que la mesure est proportionnée ou justifiée au vu des informations reçues par le juge d’instruction de la part de la police judiciaire. Ces informations contiennent de véritables indices concernant des personnes déterminées et des situations concrètes relatives à des faits délictueux, en l’occurrence un trafic de stupéfiants, faits objectivement graves. En outre, la mesure sollicitée était adéquate aux fins d’obtenir les éléments de preuve. En conclusion, elle était proportionnée.

Il est certain qu’il s’agit d’une investigation complexe composée d’actes successifs et liés, ce qui entraîna la pluralité des interventions jusqu’à arriver à celles qui sont déterminantes. Ainsi, la première fut autorisée par une décision du 27 décembre 1995 sur demande motivée de la police judiciaire. Le résultat de cette interception est contenu dans un résumé joint au dossier. La prorogation eut lieu par décision du 18 janvier 1996. Cette phase s’étant achevée sans résultats positifs apparents, l’arrêt des interventions fut ordonné par décision du 28 février 1996. Ultérieurement, au mois de mai, la police judiciaire, sur la base d’un exposé motivé, sollicita auprès du juge d’instruction la mise sur écoute de nouveaux numéros de téléphone. Parmi ces derniers figurent les téléphones (909015608 et 909224715) mentionnés par l’Audiencia Nacional dans le jugement attaqué et dont les conversations servent de base pour conforter la preuve à charge après audition durant l’audience publique (alinéa c) du fondement en droit no 2). Dans le dossier (feuillet no 254) figure également la décision du 24 septembre 1996 autorisant la mise sur écoute du premier des numéros de téléphone cités, et dans le feuillet no 268, figure la décision du 11 octobre 1996 relative au deuxième numéro de téléphone concernant le requérant. Cette décision se fonde sur la demande motivée de la police judiciaire.

Quant aux irrégularités concernant la mise en œuvre de la mesure, il convient de signaler ce qui suit : a) suivant l’article 785 § 1 du code de procédure pénale, disposition applicable durant la phase d’investigation préliminaire, lorsque les personnes imputées ou les témoins refusent de parler ou ne comprennent pas la langue, il convient d’appliquer les prévisions des articles 398, 440 et 441 du code de procédure pénale sans qu’il soit nécessaire que l’interprète désigné soit en possession d’un diplôme officiel (...). Au demeurant, dans le cas présent, la source probatoire est constituée directement par l’audition des cassettes originales par le tribunal ; b) tel que nous l’avons indiqué dans notre arrêt du 3 juillet 2000, s’agissant d’un document phonographique, ce sont les cassettes originales remises par la police au juge d’instruction qui constituent l’objet direct de la preuve et, en tant que telles, elles doivent être versées à la procédure. Leur transcription ne constitue qu’une activité purement instrumentale pour faciliter leur examen. Uniquement lorsque l’audition est remplacée par la lecture des transcriptions en tant que moyen d’accéder au contenu de la preuve, la vérification et comparaison de la retranscription par le greffier devient exigible. Or, dans le cas présent, le greffier du juge central d’instruction a procédé à la vérification des cassettes et à la comparaison avec les transcriptions réalisées (...) ; c) quant à la sélection de conversations par le ministère public, cela relève du régime général de la preuve et, partant, chaque partie peut solliciter l’audition à l’audience des fragments qu’elle estime pertinents ; d) enfin, pour ce qui est de la reconnaissance et de l’identification des voix des personnes impliquées (...) l’arrêt du Tribunal suprême du 2 juin 2000 déclare que lorsqu’il est procédé à l’audition de l’enregistrement par le tribunal (...), celui-ci a l’occasion d’entendre directement les voix en question. Cela signifie que l’expertise de reconnaissance et d’identification des voix ne constitue pas un moyen essentiel de constatation de sa validité sauf si on a allégué sa manipulation ou distorsion de son contenu (...) Le tribunal peut apprécier l’identité des voix en motivant raisonnablement sa conclusion. Tel a été le cas en l’espèce du fait de la perception directe résultant du principe d’immédiateté. (...) »

4. Le recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel

Invoquant les articles 24 (droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence), 18 § 3 (respect du secret des communications) et 17 § 3 (droit à être informé immédiatement et de manière compréhensible de ses droits et des motifs de sa détention) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel.

Par une décision du 25 février 2002, la haute juridiction déclara le recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Concernant la mise sur table d’écoutes téléphoniques, le Tribunal constitutionnel se prononça ainsi :

« (...) S’agissant des prétendues irrégularités commises à l’occasion de l’autorisation et de la prorogation des écoutes téléphoniques, la lecture de ces décisions ne permet pas de conclure à la violation alléguée. Bien au contraire, elles dépassent largement le test établi dans la jurisprudence de ce Tribunal pour considérer conforme à la Constitution l’ingérence dans le droit fondamental garanti par l’article 18 § 3, jurisprudence qui a fait l’objet d’une synthèse récente dans l’arrêt de ce Tribunal 202/2001 du 15 octobre 2001. Ainsi, l’autorité judiciaire autorisa les écoutes en question dans le cadre d’un procès en exposant de manière suffisante les motifs, c’est-à-dire en raisonnant suffisamment la raison de l’autorisation (aller-retour de ressortissants étrangers dans l’immeuble sous surveillance, etc.) en spécifiant chaque fois les lignes téléphoniques objet de l’autorisation ainsi que les personnes concernées, la durée de la mesure et qui devait la réaliser. De même, les demandes de prorogation font l’objet d’un contrôle clair, et sont présentées avant l’échéance fixée chaque fois. Enfin, le principe de proportionnalité est respecté dans la mesure où le but des immixtions perpétrées dans le droit fondamental au respect des communications est constitué par la prévention d’un grave délit (...) et qu’elles s’avèrent être indispensables pour les investigations. En effet, dans le cas contraire, la vérification du délit aurait été pratiquement impossible (...) compte tenu de son mode de planification. A partir de là, l’argument principal du requérant, à savoir que tous les actes postérieurs ne sont pas valables et, partant (...) qu’il y a eu atteinte à la présomption d’innocence de l’article 24 § 2 de la Constitution espagnole ne peut être retenu. A cet égard, et pour ce qui est du grief tiré de la transcription des conversations sans les garanties suffisantes, avec un interprète non juré et non identifié durant l’audience, effectuée dans les locaux de la police et non au siège du tribunal, de la non-participation du greffier pour ce qui est du choix des conversations significatives pour l’investigation ainsi que de la preuve de la reconnaissance de voix, d’après la jurisprudence établie par ce Tribunal, « tout ce qui concerne la remise et la sélection des cassettes enregistrées, la surveillance des originaux et la transcription de leur contenu ne fait pas partie des garanties inhérentes à l’article 18 § 3 de la Constitution (...) » (arrêt du Tribunal constitutionnel 202/2001 précité, fondement de droit no 7), tout cela « sans préjudice de leur impact au regard des effets probatoires, car il est possible que le versement des actes contenant le résultat des écoutes téléphoniques légalement autorisées ne réunissent pas les garanties suffisantes quant au contrôle judiciaire et au principe du contradictoire, de sorte qu’il ne soit pas possible de qualifier de preuve valide l’enregistrement susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence. » Mais tel n’est pas le cas en l’espèce car, comme il est expliqué dans l’arrêt rendu en cassation, la preuve fut constituée par l’audition directe par l’organe judiciaire des cassettes originales, de sorte que la transcription doit être considérée comme un simple acte subsidiaire à l’examen de leur contenu. Quant à la reconnaissance de la voix du requérant lors de l’audition des cassettes en question (...) il s’agit là d’un problème d’appréciation des éléments de preuve relevant de la juridiction du fond (...) sauf si l’appréciation est déraisonnable ou arbitraire, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. (...) »

B. Droit et pratique internes pertinents

1. Le régime des écoutes téléphoniques

a) La Constitution

Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :

Article 10 § 2

« Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux traités et accords internationaux ratifiés dans ce domaine par l’Espagne. »

Article 18 § 3

« Le secret des communications et, en particulier, des communications postales, télégraphiques et téléphoniques est garanti, sauf décision judiciaire. »

Article 96

« Les traités internationaux régulièrement conclus, une fois publiés officiellement en Espagne, font partie de l’ordre juridique interne (...) »

b) Le code de procédure pénale

La loi organique 4/1988 du 25 mai a modifié, entre autres, l’article 579 du titre VIII du livre II, qui dispose :

Article 579

« 1. Le juge pourra autoriser la saisie de la correspondance privée, postale et télégraphique envoyée ou reçue par la personne mise en examen s’il existe des indices donnant à penser que l’on pourra obtenir par ces moyens la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure.

2. Le juge pourra aussi autoriser, par une décision motivée, la surveillance des communications téléphoniques de la personne mise en examen s’il existe des indices donnant à penser que l’on pourra obtenir par ce moyen la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure.

3. De la même façon, le juge pourra autoriser, par une décision motivée, pour un délai maximum de trois mois, susceptible de prorogation pour des périodes similaires, la surveillance des communications postales, télégraphiques ou téléphoniques des personnes au sujet desquelles il existe des indices de responsabilité criminelle, ainsi que des communications servant à des fins délictuelles.

(...) »

c) La jurisprudence

a) Dans son arrêt 114/1984 du 29 novembre 1984, le Tribunal constitutionnel précisa que le concept de « secret » ne couvrait pas seulement le contenu des communications, mais aussi d’autres aspects de celles-ci, comme l’identité des interlocuteurs.

b) Dans sa décision 344/1990 du 1 octobre 1990, le Tribunal constitutionnel déclara que l’ingérence dans le droit au secret des communications était soumise au principe de légalité et à celui de la proportionnalité et ce, aussi bien en ce qui concernait la gravité de l’infraction justifiant la mesure que les garanties devant entourer l’autorisation judiciaire de contrôle des communications.

c) Dans son arrêt du 21 février 1991, le Tribunal suprême releva l’imperfection de la modification législative opérée par la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988, qui amenda l’article 579 du code de procédure pénale. L’arrêt précisa que les cassettes enregistrées à partir d’une intervention téléphonique devaient être mises à la disposition du juge, avec la transcription exacte de leur contenu, qui devait être vérifié par le greffier, pour audition, le cas échéant, lors des débats oraux. Il ajoutait que « si les conditions prévues par l’article 579 étaient remplies, si le juge contrôlait le résultat de l’administration de la preuve, et s’il permettait son audition lors des débats oraux », l’interception de la communication téléphonique serait considérée comme une preuve valable.

d) La décision du 18 juin 1992 du Tribunal suprême est considérée comme le début de la jurisprudence tendant à combler les lacunes de la régulation légale des écoutes téléphoniques. Cette décision interpréta la législation existant en Espagne en la matière après l’entrée en vigueur de la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988. Elle précisa que « le législateur n’établissait pas de limitations en raison de la nature des possibles délits ou des peines associées. » et souligna que les lacunes, l’insuffisance et l’imprécision de cette législation devaient être corrigées par le juge national, tenant compte de « la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, du Tribunal constitutionnel et de cette Chambre pénale du Tribunal suprême », au vue de la Constitution et des traités internationaux portant sur les droits de l’homme.

A cet égard, le Tribunal suprême établit les principes suivants :

« En résumé, les violations qui entraînent la nullité de la preuve obtenue par la mise sur écoute téléphonique et ses effets sont les suivantes :

1. Absence d’indices. Insuffisance de motivation

(...) Absence d’indices, selon le juge, susceptibles de justifier une mesure aussi restrictive des droits fondamentaux que l’écoute téléphonique. De simples soupçons de la police, servant en principe de base à la décision judiciaire, ne suffisent pas.

2. Absence de contrôle

On peut observer un type quelconque de contrôle juridictionnel sur la réalisation concrète de la mise sur écoute du téléphone concerné, par le biais, par exemple, d’un examen des conversations enregistrées sur des durées raisonnables. Il faut en effet, d’une part, vérifier la progression de l’enquête, policière dans ce cas, et toujours soumise au principe intangible de proportionnalité dont on ne peut précisément constater le respect que par la motivation et, d’autre part, décider de la nécessité ou non de poursuivre, dans les délais prévus, par le biais de prolongations de l’interception/la surveillance, laquelle doit être aussi raisonnablement limitée dans le temps, selon les principes du code de procédure pénale.

3. Périodicité du contrôle. Effets

Une fois les conversations enregistrées sur bandes, le juge doit procéder périodiquement à leur examen en présence du greffier, selon les conditions qu’il a fixées dans sa sagesse et en fonction des circonstances puis, après avoir entendu les enregistrements, doit décider de la marche à suivre, en ordonnant de continuer ou non l’interception et en fixant, le cas échéant, des règles de bon comportement pour les agents exécutant cette mesure.

Si le juge ordonne de mettre fin à l’interception, ladite mesure devra être portée à la connaissance de la (ou des) personne(s) concernée(s) (...) pour qu’elle(s) puisse(nt) éventuellement engager les actions correspondantes. (...)

Ce n’est qu’en cas exceptionnel que le secret pourra être gardé jusqu’à la fin de l’enquête, afin de ne pas compromettre l’intérêt légitime ayant présidé à son ouverture (voir l’arrêt CEDH du 6 septembre 1978 dans l’affaire Klass), mais il devra cependant être levé au plus tard à la fin de l’enquête (...)

4. Dissociation entre autorisation et enquête

(...) Il y a violation du droit à la vie privée et, plus simplement, du droit au secret des communications en général et des communications téléphoniques en particulier, (...) lorsque, au cours de l’écoute initialement autorisée, il apparaît vraisemblable qu’un ou plusieurs nouveaux délits ont été commis. A ce moment, (...) la police doit immédiatement en informer le juge d’instruction qui a autorisé/ordonné la mise sur écoute, afin qu’il examine sa propre compétence et le caractère proportionné de la mesure (...) Toute autorisation générale est à proscrire, de même que la poursuite de l’interception/surveillance sans avoir obtenu auparavant une nouvelle autorisation expresse du juge, lorsqu’il apparaît que le nouveau délit présumé qui ressort des entretiens téléphoniques est indépendant de celui qui a motivé l’autorisation initiale. De telles situations, si elles ne sont pas contrôlables et contrôlées directement par le juge, provoquent ou peuvent provoquer une totale méconnaissance du principe de proportionnalité, dont on ne saura jamais s’il a ou non été respecté en l’espèce. (...)

5. Remise de copies à la place d’originaux

Il y a aussi violation de la légalité de l’interception téléphonique lorsque cette mesure n’est pas conforme à la Constitution et à l’ensemble de la législation (article 579 du code de procédure pénale). Le fait que les bandes remises au tribunal ne soient pas des originaux mais des copies, et qu’en plus, celles-ci représentent une sélection opérée par la police sans aucun contrôle juridictionnel, constitue une grave violation du système. (...) Car il faut que le juge, conseillé, s’il l’estime opportun, par des experts, et en présence du greffier (...) sélectionne, de la façon qui lui semble adéquate, ce qui intéresse l’enquête ordonnée par lui, et qu’il laisse le reste à la garde du greffier, pour empêcher ainsi une quelconque divulgation non désirée ou indésirable de conversations n’ayant rien à voir avec la décision d’écoute. Il met aussi immédiatement fin à l’interception lorsqu’elle ne vise plus les buts légitimes de la vérification d’une infraction majeure, dont la gravité doit toujours être proportionnelle à l’ingérence, en principe intolérable, dans la vie privée. (...)

6. Constatation du caractère proportionné

(...) Sur cette base, il faut observer le rapport de proportionnalité existant entre les mesures de sûreté adoptées et le but poursuivi. (...) Le juge, garant essentiel des droits fondamentaux et des libertés publiques, doit examiner chaque infraction dans son contexte et statuer en recherchant si les objectifs légitimes de l’enquête, du procès et, le cas échéant, de la condamnation, méritent dans le cas d’espèce le sacrifice de prérogatives aussi importantes que la dignité, la vie privée et la liberté de la personne (...)

7. Fixation de la mesure et de ses limites

(...) Il appartient à l’autorité judiciaire de préciser en quoi devra consister la mesure, et de veiller à ce que sa réalisation soit menée à bien avec le minimum de préjudice pour l’intéressé (...) »

Par ailleurs, la décision précisa que lorsque les écoutes téléphoniques ne réunissaient pas les conditions requises par la jurisprudence et devenaient nulles, une telle déclaration de nullité impliquait :

« La destruction immédiate de toutes les cassettes et de leur transcription dactylographiée, en présence, si elles le souhaitent, des parties et avec l’intervention, bien sûr, du Greffier, qui donnera foi à leur destruction, les cassettes étant jusqu’à alors sous son contrôle. »

e) Entre autres, les arrêts du Tribunal constitutionnel 85/1994, du 14 mars et 181/1995, du 11 décembre, insistaient sur la nécessité de motivation des ordonnances décrétant les interventions téléphoniques. Dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel 202/2001 du 15 octobre 2001 (postérieur à la mise sur écoutes en l’espèce), la haute juridiction a procédé à une synthèse de sa jurisprudence concernant le régime des écoutes téléphoniques au regard de l’article 18 § 3 de la Constitution.

Se référant notamment à la jurisprudence de la Cour dans les affaires Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, série A no 28, Kruslin c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176A, Huvig c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176B, Kopp c. Suisse, (arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II; Haldford c. Royaume-Uni, arrêt du 25 juin 1997, Rec. 1997-III et Valenzuela Contreras c. Espagne, précité, le Tribunal constitutionnel rappela que l’interception des communications téléphoniques n’était conforme à la Constitution que si, prévue par la loi de manière suffisamment précise, elle était autorisée par l’autorité judiciaire dans le cadre d’une enquête et respectait le principe de proportionnalité. En outre, la mesure devait poursuivre un but constitutionnellement légitime tel que la prévention et répression des infractions pénales graves et constituer un moyen approprié et indispensable pour l’investigation de ces infractions. Le contrôle de la proportionnalité devait s’effectuer en procédant à l’analyse des circonstances propres à chaque cas.

Pour ce qui est de la motivation de la décision autorisant la mise sur écoute téléphonique, le Tribunal précisa qu’il était clair que celle-ci devait exposer les motifs de fait et de droit appuyant la nécessité de l’interception, en particulier, les indices relatifs à la commission présumée d’un fait délictueux grave par une personne déterminée. En outre, le ou les numéros de téléphone concernés doivent être précisés dans la décision, la durée de la mise sur écoute ainsi que les dates auxquelles il faut tenir informé le juge d’instruction des résultats obtenus afin qu’il puisse en contrôler l’exécution.

D’autre part, les suspicions à l’origine de la demande de mise sur écoute doivent se fonder sur des données factuelles ou des indices permettant de déduire que quelqu’un envisage, est en train de commettre ou a commis une infraction grave, ou sur des raisons ou de fortes présomptions quant à la proche perpétration du délit. Quant aux décisions prorogeant les mises sur écoute, elles doivent contenir les motifs qui justifient la poursuite de l’interception.

f) L’arrêt du Tribunal constitutionnel 184/2003 prononcé en séance Plénière le 23 octobre 2003 reconnaît que « l’article 579 du code de procédure pénal n’est pas, en soi, une norme de couverture légale adéquate », et précise que « l’ingérence dans les droits fondamentaux ne peut être autorisée que par la « loi » au sens formel du terme ». Il note que le début de la jurisprudence sur les conditions d’adéquation des écoutes téléphoniques au droit au secret des communications est la décision du Tribunal suprême du 18 juin 1992, mentionnée ci-dessus et rappelle que l’unification et consolidation de la jurisprudence constitutionnelle n’a lieu qu’à partir de 1998 et, en particulier, à partir de l’arrêt du Tribunal constitutionnel 49/1999, du 5 avril 1999. La haute juridiction s’exprime, dans son arrêt 184/2003, dans les termes suivants :

« 5. (...) Notre décision, suivant la doctrine de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de nos organes judiciaires, doit montrer que l’article 579 du code de procédure pénal pèche d’indétermination dans certains aspects essentiels, ne satisfaisant donc pas les conditions exigées par l’article 18 § 3 de la Constitution pour la protection du droit au secret des communications, interprété, tel qu’il est établi par l’article 10 § 2 de la Constitution, conformément à l’article 8 §§ 1 et 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

(...)

Nous devons donc convenir que l’article 579 du code de procédure pénal n’est pas, en soi, une norme de couverture légale adéquate, compte tenu des garanties de certitude et de sécurité juridique nécessaires pour la restriction du droit fondamental au secret des communications téléphoniques (article 18 § 3 de la Constitution).

(...)

Toutefois, malgré l’inexistence d’une loi satisfaisant les exigences constitutionnelles de sécurité juridique, les organes judiciaires auxquels l’article 18 § 3 se réfère agissent dans le cadre d’une enquête sur une infraction grave pour laquelle l’intervention téléphonique se révèle clairement nécessaire, adéquate et proportionnée, et qu’elle a été accordée sur des personnes prétendument impliquées dans les faits, en respectant, par ailleurs, les exigences constitutionnelles dérivées du principe de proportionnalité, il ne peut pas être conclu que le Juge a violé, par la seule absence de loi, le droit au secret des communications téléphoniques.

(...)

7. (...) Il correspond au législateur (...) de remédier à cette situation dès que possible, relevant des tâches législatives du Congrès et du Sénat d’y mettre un terme dans le délai le plus bref (arrêts du Tribunal constitutionnel 96/1996 du 30 mai 1996, FJ 23 et 235/1999 du 20 décembre 1999, FJ 13).

(...)

Il relève des compétences [de ce Tribunal constitutionnel], ne serait-ce que provisoirement, tant que l’intervention du législateur ne se produise, de combler les lacunes indiquées, ce qu’il fait en matière d’interventions téléphoniques, comme il a déjà été dit, depuis l’unification et consolidation de sa jurisprudence dans l’arrêt 49/1999 (...). Cette jurisprudence est d’application aux tiers et lie tous les juridictions ordinaires. Conformément à l’article 5 § 1 de la Loi organique portant sur le Pouvoir Judiciaire, les décisions du Tribunal constitutionnel rendues dans toute procédure lient tous les juges et tribunaux, qui doivent interpréter et appliquer les lois et règlements suivant les principes constitutionnels tels qu’interprétés par ce Tribunal. (...) ».

g) Dans son arrêt 26/2006 du 30 janvier 2006, le Tribunal constitutionnel reprend le raisonnement contenu dans le dernier paragraphe transcrit de son arrêt 184/2003, précité, en insistant à nouveau sur ce que, si malgré l’inexistence d’une loi satisfaisant les exigences constitutionnelles de la sécurité juridique :

« (...) les organes judiciaires auxquels l’article 18 § 3 se réfère agissent dans le cadre d’une enquête sur une infraction grave pour laquelle l’intervention téléphonique se révèle clairement nécessaire, adéquate et proportionnée, et qu’elle a été accordée sur des personnes prétendument impliquées dans les faits en respectant, par ailleurs, les exigences constitutionnelles dérivées du principe de proportionnalité, il ne peut pas être conclu que le juge a violé, pour la seule absence de la loi, le droit au secret des communications téléphoniques. »

GRIEFS

Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir fait l’objet d’écoutes téléphoniques portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée. A cet égard, il considère que la motivation et le contrôle juridictionnel des décisions ordonnant la mise sur écoute sont insuffisants.

EN DROIT

Le requérant se plaint d’avoir fait l’objet d’écoutes téléphoniques portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Il considère que tant la motivation que le contrôle juridictionnel des décisions ordonnant la mise sur écoute sont insuffisants. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui dispose comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Existence d’une ingérence

La Cour souligne que les communications téléphoniques se trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8, leur interception s’analyse en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garanti au requérant (voir, entre autres, Malone c. Royaume-Uni, précité, p. 30, § 64, et Valenzuela Contreras c. Espagne, précité, § 47). Le Gouvernement ne le conteste d’ailleurs pas.

B. Justification de l’ingérence

Pareille ingérence méconnaît l’article 8, sauf si « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

1. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

Les mots « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit.

a) Existence d’une base légale en droit espagnol

La Cour relève que le juge d’instruction avait ordonné les écoutes litigieuses sur le fondement des articles 579 du code de procédure pénale. L’ingérence litigieuse avait donc une base légale en droit espagnol.

b) « Qualité de la loi »

La deuxième exigence qui se dégage du membre de phrase « prévue par la loi », l’accessibilité de cette dernière, ne soulève aucun problème en l’occurrence. Il n’en va pas de même de la troisième, la « prévisibilité de la loi » quant au sens et à la nature des mesures applicables.

i. Thèses des parties

Le Gouvernement soutient que, au moment des faits, la législation espagnole applicable en matière de mise sur écoutes téléphoniques répondait aux exigences découlant de l’article 8 de la Convention. Il souligne que la réforme opérée en 1988, combinée avec l’interprétation faite par les tribunaux espagnols, répond aux garanties inhérentes à cette disposition de la Convention.

Le Gouvernement explique qu’en droit espagnol la jurisprudence établie et réitérée du Tribunal suprême lorsqu’il interprète la loi, la coutume et les principes généraux du droit est complémentaire de la loi. Il en veut pour preuve que le pourvoi en cassation peut être fondé exclusivement sur le motif de l’infraction de la jurisprudence, ce qui veut dire que le système espagnol est à mi-chemin entre le système continental et le système anglo-saxon, et renvoie au paragraphe 29 de Kruslin c. France (précité, pp. 21-22).

Pour le Gouvernement, le régime portant sur les interventions téléphoniques est fondé en droit espagnol non seulement sur les articles 18 § 3 de la Constitution et 579 du code de procédure pénal – dans la rédaction de la Loi organique 4/1988, du 25 mai – mais aussi sur les précisions et les conditions établies par la jurisprudence. Il se réfère à cet égard à la décision du Tribunal suprême du 18 juin 1992 (dont les conclusions sont reproduites dans la partie « Droit et pratique internes pertinents ») ainsi que, sans les citer, à des nombreuses décisions antérieures et postérieures adoptées avant les faits de la présente espèce, qu’il estime suffisantes pour montrer l’existence d’un régime prévisible et connu permettant la pratique d’écoutes téléphoniques, en tenant compte expressément de la jurisprudence de la Cour.

Le Gouvernement souligne en particulier que « seuls les délits graves peuvent donner lieu à une intervention téléphonique », que seules peuvent être susceptibles d’être mises sur écoute judiciaire les personnes contre lesquelles existent des indices rationnels, et non de simples suspicions, en relation à la commission d’un délit grave, et observe que, pour ce qui est des conditions d’établissement des procès-verbaux de synthèse consignant les conversations interceptées, l’existence de tels documents ne constitue pas une exigence de l’article 8 de la Convention, qui n’oblige pas à ce que les enregistrements sonores soient transcrits, le juge pouvant les écouter et vérifier à tout moment.

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement, se limitant à manifester « que le texte [des observations] remis par le Gouvernement ne fait que constater l’insuffisance de la législation espagnole en matière d’écoutes téléphoniques », et signale, sans fournir des précisions, que la jurisprudence a expérimenté des incertitudes qui ont contribué à augmenter l’insécurité juridique.

ii. Appréciation de la Cour

La Cour rappelle d’emblée qu’elle a toujours entendu, dans le domaine du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle ». Elle y a inclus à la fois des textes de rang infralégislatif (voir notamment De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, p. 45, § 93) et le « droit non écrit ». Comme la Cour l’a dit dans son arrêt Kruslin c. France (précité, pp. 21-22, § 29), dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété en ayant égard, au besoin, à des données techniques nouvelles.

La Cour rappelle que lorsqu’il s’agit de mesures secrètes de surveillance ou de l’interception de communications par les autorités publiques, l’absence de contrôle public et le risque d’abus de pouvoir impliquent que le droit interne doit offrir à l’individu une certaine protection contre les ingérences arbitraires dans les droits garantis par l’article 8. C’est ainsi que la loi doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures secrètes (voir l’arrêt Halford c. Royaume-Uni, précité, § 49).

Selon la jurisprudence constante de la Cour, une norme est « prévisible » lorsqu’elle est rédigée avec assez de précision pour permettre à toute personne, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, de régler sa conduite (voir Amann c. Suisse [GC], précité, § 56 et Kruslin c. France, et Huvig c. France, précités, pp. 22-23 et pp. 54-55, § 29).

Il convient donc d’examiner la « qualité » des normes juridiques invoquées en l’espèce.

La Cour rappelle que, dans l’affaire Valenzuela Contreras c. Espagne (précitée, § 61), elle a conclu à la violation de l’article 8 au motif que le droit espagnol, écrit et non écrit, n’indiquait pas avec assez de clarté, au moment des faits, l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré.

Ensuite, dans l’affaire Prado Bugallo c. Espagne, (no 58496/00, §§ 28-32, 18 février 2003), la Cour nota que la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988 avait entre-temps modifié l’article 579 du code de procédure pénale et précisé dans ses paragraphes 2 et 3 les modalités de contrôle de la mise sur écoute des conversations téléphoniques. Aux termes de cet article, la surveillance des communications téléphoniques ne peut intervenir que sur décision motivée du juge, lorsqu’il existe des indices donnant à penser que l’on pourra obtenir par ce moyen la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure. Ces mêmes garanties doivent entourer les décisions de prorogation de cette mesure de surveillance. Quant aux retranscriptions des conversations enregistrées, elles ont lieu sous le contrôle du greffier du tribunal.

La Cour estima cependant dans l’affaire Prado Bugallo c. Espagne, précitée, que les garanties introduites par la loi de 1988 ne répondaient pas à toutes les conditions exigées par la jurisprudence de la Cour, notamment dans les arrêts Kruslin c. France et Huvig c. France, précités, pour éviter les abus. Il en va ainsi de la nature des infractions pouvant donner lieu aux écoutes, de la fixation d’une limite à la durée d’exécution de la mesure, et des conditions d’établissement des procès-verbaux de synthèse consignant les conversations interceptées, tâche qui est laissée à la compétence exclusive du greffier du tribunal. Ces insuffisances concernaient également les précautions à prendre pour communiquer intacts et complets les enregistrements réalisés, aux fins d’un contrôle éventuel par le juge et par la défense, la loi ne contenant aucune disposition à cet égard. La Cour nota que lesdites lacunes avaient d’ailleurs été relevées par les juridictions supérieures espagnoles, qui avaient estimé que les modifications opérées par cette loi étaient insuffisantes pour répondre aux garanties devant entourer les mises sur écoute téléphonique. Voilà pourquoi, outre ces dispositions législatives, le Tribunal suprême, notamment dans sa décision du 18 juin 1992 (voir ci-dessus « droit interne pertinent »), ainsi que le Tribunal constitutionnel (entre autres, dans sa décision 344/1990 du 1er octobre 1990 – rendue avant les écoutes objet de la présente affaire et avant la décision précitée – et dans son arrêt 85/1994 du 14 mars 1994), ont jugé nécessaire de définir toute une série de garanties complémentaires précisant l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation des juges, ainsi que les conditions d’établissement des procès-verbaux consignant les conversations interceptées et leur exploitation par le juge d’instruction. Ainsi, la décision du Tribunal constitutionnel 344/90 indiquait que l’ingérence dans le droit au secret des communications devait respecter les principes de légalité et de proportionnalité (et incluait la citation expresse des arrêts Malone c. Royaume-Uni, et Klass et autres c. Allemagne, précités), et les arrêts 85/1994, précité, et 181/1995, du 11 décembre, se référaient à la nécessité de motivation de l’ordonnance décrétant la mise sur écoutes. Pour sa part, l’arrêt du Tribunal constitutionnel 202/2001 du 18 octobre 2001, cité dans la décision du Tribunal constitutionnel du 25 février 2002 rendue en l’espèce, et qui procédait à une synthèse des garanties requises en la matière (voir, ci-après, « Droit et pratique internes pertinents »), est postérieur aux écoutes en cause dans la présente affaire.

La Cour relève qu’en l’occurrence, la mise sur écoute des conversations téléphoniques a été autorisée par l’autorité judiciaire entre décembre 1995 et octobre 1996, soit bien après la modification législative de 1988. Cette modification a été d’ailleurs peu à peu complétée par la jurisprudence du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel définissant les garanties devant être appliquées en la matière.

Encore faut-il, avant de se prononcer sur la question de savoir si la jurisprudence existante fait partie du terme « loi » dans son acception « matérielle » au sens de la jurisprudence de la Cour (Kruslin c. France, précité, pp. 21-27, § 29), vérifier si cette dernière peut être tenue pour consolidée et bien établie au moment où les écoutes furent réalisées. A cette fin la Cour a procédé à un examen approfondi de la jurisprudence des Tribunaux suprême et constitutionnel.

A cet égard, elle observe que le Tribunal constitutionnel, dans son arrêt 184/2003 prononcé en séance Plénière le 23 octobre 2003 (voir ci-après « Droit et pratique internes pertinents ») reconnaît que « l’article 579 du code de procédure pénal n’est pas, en soi, une norme de couverture légale adéquate », et précise que « l’ingérence dans les droits fondamentaux ne peut être autorisée [en Droit espagnol] que par la « loi » au sens formel du terme ». Par ailleurs, d’après l’arrêt 184/2003, la jurisprudence sur les conditions d’adéquation des écoutes téléphoniques au droit au secret des communications commence par la décision du Tribunal suprême du 18 juin 1992 (rendue avant les écoutes décrétées en l’espèce) et on assiste à l’unification et consolidation de la jurisprudence constitutionnelle à partir de 1998 et, en particulier, à partir de l’arrêt du Tribunal constitutionnel 49/1999, précité, c’est-à-dire, après la mise sur écoute en cause. Le Tribunal constitutionnel explique, dans son arrêt 184/2003, que l’article 579 du code de procédure pénal pêche d’indétermination dans certains aspects essentiels, ne satisfaisant donc pas les conditions exigées par l’article 18 § 3 de la Constitution pour la protection du droit au secret des communications, interprété, comme le prévoit l’article 10 § 2 de la Constitution, conformément à l’article 8 de la Convention. Le Tribunal considère qu’il convient en effet pour le législateur de remédier à cette situation dès que possible, en y mettant un terme dans le délai le plus bref. Entre temps, le Tribunal constitutionnel doit, bien que provisoirement et tant que l’intervention du législateur ne se produise, combler les lacunes, ce qu’il fait en matière d’interventions téléphoniques depuis l’unification et consolidation de sa jurisprudence dans l’arrêt 49/1999. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel est d’application aux tiers et lie toutes les juridictions ordinaires.

Plus récemment, dans son arrêt 26/2006 du 30 janvier 2006, le Tribunal constitutionnel nota qu’il « ne peut pas être affirmé qu’actuellement le droit interne ne respecte pas les exigences dérivées de l’article 8 de la Convention, ce Tribunal se devant de combler les insuffisances appréciées [dans l’article 579 du code de procédure pénale] jusqu’à l’intervention nécessaire du législateur ».

La Cour constate que, si la loi de 1988 a apporté d’indéniables progrès, ses insuffisances ont toutefois été palliées par la jurisprudence, notamment celle du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel. En effet, à partir de la décision du 18 juin 1992 du Tribunal suprême, la prévisibilité de la loi, au sens large du terme, ne peut pas être mise en cause. Cette décision comblait les lacunes relevées dans la loi. Elle a par ailleurs été confirmée et entérinée par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et contient les « sauvegardes adéquates » contre les abus à redouter telles que les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet d’une telle mesure et la nature des infractions pouvant y donner lieu, les limitations, fixées par le juge, à la durée de l’exécution de la mesure, les conditions d’établissement des procès-verbaux de synthèse consignant les conversations « écoutées », les précautions à prendre pour communiquer intacts et complets les enregistrements réalisés, aux fins de contrôle éventuel par le juge et par la défense, ainsi que les circonstances dans lesquelles peut ou doit s’opérer l’effacement ou la destruction desdites bandes, notamment après non-lieu ou relaxe (arrêt Kruslin, précité, p. 24, § 34).

Bien qu’une modification législative incorporant à la loi les principes dégagés de la jurisprudence de la Cour soit souhaitable, tel que le Tribunal constitutionnel l’a lui-même constamment indiqué, la Cour estime que l’article 579 du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988 et complété par la jurisprudence du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel, pose des règles claires et détaillées et précisent, a priori, avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré (arrêts Kruslin et Huvig précités, respectivement pp. 24-25, §§ 35-36, et p. 56, §§ 34-35 et Lambert c. France, arrêt du 24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998V, p. 2240, § 28) .

2. Finalité et nécessité de l’ingérence

La Cour estime que l’ingérence visait à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d’une procédure criminelle et tendait donc à la défense de l’ordre.

Il reste à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces objectifs. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de pareille nécessité, mais elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, pp. 37-38, § 97 et Barfod c. Danemark, arrêt du 22 février 1989, série A no 149, p. 12, § 28).

Dans le cadre de l’examen de la nécessité de l’ingérence, la Cour avait affirmé, dans son arrêt Klass et autres c. Allemagne, précité, (pp. 23-25, §§ 50, 54 et 55), qu’elle devait se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus.

Les parties n’ont pas soumis d’observations à cet égard.

La Cour relève que le placement sur écoutes téléphoniques aurait constitué l’un des principaux moyens d’investigation contribuant à démontrer l’implication de divers individus, dont le requérant, dans un important trafic de stupéfiants. Par ailleurs, le requérant a bénéficié d’un « contrôle efficace » pour contester les écoutes téléphoniques dont il a fait l’objet et a pu saisir le Tribunal suprême d’un pourvoi en cassation qui portait, entre autres, sur ce grief, ainsi que le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo.

La Cour observe que l’Audiencia nacional avait noté que le requérant n’avait soumis aucune objection quant à la légitimité des décisions judiciaires autorisant les écoutes téléphoniques, ni quant au fait qu’elles auraient été accordées hors des cas habituels, ou qu’elles pècheraient de manque de motivation. Par ailleurs elle relève que, le Tribunal constitutionnel précisa dans sa décision que l’autorité judiciaire avait autorisé les écoutes en question de façon motivée et en étayant suffisamment les motifs de l’autorisation (aller-retour de ressortissants étrangers dans l’immeuble sous surveillance, etc.) en spécifiant chaque fois les lignes téléphoniques objet de l’autorisation ainsi que les personnes concernées, la durée de la mesure et qui devait la réaliser. Les demandes de prorogation ont fait l’objet d’un contrôle clair, et ont été présentées avant l’échéance fixée chaque fois. Enfin, la Cour observe que, pour le Tribunal suprême le principe de proportionnalité a été respecté au vu des indices concernant des personnes déterminées et des situations concrètes relatives à un trafic de stupéfiants et que, le but de l’ingérence dans le droit fondamental au respect des communications étant constitué par la prévention d’un grave délit, les écoutes s’avéraient indispensables pour les investigations.

La Cour examine ensuite la question du contrôle judiciaire de l’exécution des écoutes, notamment l’impossibilité alléguée de procéder au contrôle des conversations dans des langues étrangères, l’absence de transcriptions effectuées par un traducteur juré, et l’incorporation des résultats des écoutes au dossier de procédure. La Cour observe que la participation d’un interprète, même non diplômé - le code de procédure pénale n’oblige pas à ce que l’interprète soit en possession d’un diplôme officiel - mais ayant un degré suffisant de fiabilité quant à la connaissance de la langue qu’il interprète rend valide l’interprétation du contenu des conversations dans une autre langue et ce, même s’il s’agit d’un résumé ou des extraits de la conversation. En tout état de cause, la Cour relève que, dans le cas présent, les cassettes originales ont été auditionnées par le tribunal et que les conversations proposées par l’accusation lors de l’audience ont fait l’objet d’une audition publique et contradictoire durant la phase de jugement, et qu’il s’agissait de conversations en espagnol. Le requérant n’a d’ailleurs pas fait valoir que cette solution était arbitraire ou qu’il ne pouvait pas demander la vérification d’autres cassettes.

Concernant l’absence alléguée de vérification par le greffier des transcriptions réalisées, la Cour constate que la greffière du juge central d’instruction avait pris soin de noter qu’elle avait procédé à l’authentification des conversations interceptées au moyen de la vérification des cassettes contenant les conversations téléphoniques et de la comparaison avec les transcriptions réalisées. Enfin, pour ce qui est de la reconnaissance et de l’identification des voix des personnes impliquées, la Cour estime que le tribunal pouvait apprécier l’identité des voix, sans avoir obligatoirement recours à une expertise de reconnaissance et d’identification pour constater sa validité.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’intéressé a bénéficié d’un « contrôle efficace » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence litigieuse à ce qui était « nécessaire dans une société démocratique ». A la lumière des principes dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention, la Cour estime que rien dans le dossier ne permet de déceler une quelconque apparence de violation par les juridictions espagnoles du droit au respect de la vie privée tel que reconnu par l’article 8 de la Convention.

Dès lors, ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président