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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 18482/03
présentée par Mehmet Nuri KARAKOYUN et Mehmet Salih TURAN
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 26 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 mai 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Mehmet Nuri Karakoyun et Mehmet Salih Turan, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1971 et 1977 et résidant à Istanbul. Ils sont représentés devant la Cour par Me F. Karakaş Doğan, avocate à Istanbul.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

M. Karakoyun est le propriétaire de la maison d’édition « Mehmet Nuri Karakoyunlu », laquelle publie en langue kurde l’hebdomadaire Azadiya Welat.

M. Turan était le directeur de la rédaction de cet hebdomadaire à l’époque des faits.

Par une décision du 1er septembre 2001, sur le fondement de l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680, le parquet près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul ordonna la confiscation du numéro 292 de l’hebdomadaire Azadiya Walet (1-7 septembre 2001) au motif qu’il faisait de la propagande au profit du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)

Le 7 septembre 2001, M. Turan fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État. Le parquet l’interrogea au sujet du numéro saisi. Le requérant déclara que la une de l’hebdomadaire comportait la photographie d’Abdullah Öcalan avec le sous-titre : « Nous prenons pour fondement que les peuples vivent ensemble avec leurs cultures. La démocratie et la paix ne peuvent se réaliser sans l’acceptation de l’identité et de la culture. ». En page 2 est publiée une déclaration présentée comme une nouvelle information. En page 3 sont publiés la photographie d’Osman Öcalan et un article intitulé « La paix viendrait avec les actions de masses. », dont le contenu concerne l’annulation de la réunion du 1er septembre 2001. Cet article contient également des déclarations du HADEP (Parti de la démocratie du peuple), de l’İHD (Association des droits de l’homme) et de certains artistes, ainsi que celle d’Osman Öcalan. L’article a été préparé à partir de nouvelles trouvées sur Internet. En page 5 est publié un article qui ne concerne pas les actions et les idées de l’organisation mais contient les points de vue d’Abdullah Öcalan au sujet de la science et de la technique. Cet article a été préparé à partir de nouvelles recueillies sur Internet et données par les agences de presse. En page 4 se trouve un article concernant Halil Uysal qui a publié un livre en Turquie. Le requérant protesta de son innocence.

Par un acte d’accusation du 7 septembre 2001, le parquet intenta une action pénale contre les requérants du chef de propagande au profit du PKK.

Par un arrêt du 10 mai 2002, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul condamna chacun des requérants à une amende pénale de 124 365 600 livres turques. Elle interdit également la publication de l’hebdomadaire pendant sept jours.

Le 4 juin 2002, les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour de sûreté de l’État.

Le 10 mai 2002, les requérants demandèrent la tenue d’une audience devant la Cour de cassation.

Le 20 novembre 2002, le procureur général près la Cour de cassation rendit son avis écrit demandant la confirmation de l’arrêt attaqué.

Cet avis ne fut pas communiqué aux requérants.

Par un arrêt du 12 décembre 2002, sur le fondement du code de procédure pénale, la Cour de cassation rejeta la demande d’audience des requérants et confirma l’arrêt attaqué.

Le 13 janvier 2003, le bureau de l’exécution des peines du parquet près la cour de sûreté de l’État fut informé de l’arrêt du 10 mai 2002 passé en force de chose jugée.

Le 7 avril 2003, les requérants s’acquittèrent de l’amende pénale.

GRIEFS

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, les requérants font valoir que la publication d’articles similaires dans des quotidiens nationaux ne donne pas lieu à poursuite. Ils se plaignent que leur demande concernant la tenue d’une audience devant la Cour de cassation a été rejetée.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants soutiennent que l’avis du procureur général près la Cour de cassation ne leur a pas été notifié.

Invoquant les articles 1, 10, 14 et 18 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été condamnés au pénal et de l’interdiction temporaire de la publication de leur hebdomadaire. Ils allèguent que leur droit à la liberté d’expression a ainsi été méconnu en raison de la publication d’une revue en langue kurde.

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants soutiennent que la confiscation du numéro litigieux de l’hebdomadaire et l’interdiction temporaire de publication durant sept jours leur ont causé un dommage matériel. De plus, ils ont été condamnés à une amende pénale.

Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants allèguent l’absence de voie de recours interne pour contester leur condamnation.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants soutiennent que l’avis du procureur général près la Cour de cassation ne leur a pas été notifié.

Invoquant les articles 1, 10, 14 et 18 de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent d’avoir été condamnés au pénal et de l’interdiction temporaire de la publication de l’hebdomadaire en cause.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, les requérants font valoir que la publication d’articles similaires dans des quotidiens nationaux ne donne pas lieu à poursuite. Ils se plaignent que leur demande concernant la tenue d’une audience devant la Cour de cassation a été rejetée.

S’agissant de la première partie du grief, la Cour constate que celui-ci se confond avec celui tiré de l’article 10 de la Convention. Dès lors, il doit être examiné sous cet angle.

Quant à l’absence d’audience devant la Cour de cassation, la Cour rappelle que le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement peut impliquer le droit à une audience publique. Elle ne saurait pourtant conclure que l’article 6 implique toujours le droit à une telle audience, indépendamment de la nature des questions à trancher. Dès lors, pourvu que des débats publics aient eu lieu pendant le procès en première instance, leur absence au deuxième ou troisième degré peut se justifier par les caractéristiques de la procédure dont il s’agit. Ainsi celles consacrées exclusivement à des points de droit et non de fait, peuvent remplir les conditions de l’article 6 même si la Cour de cassation n’a pas donné au requérant la faculté de s’exprimer en personne devant elle (voir, entre autres, Ekbatani c. Suède, arrêt du 26 mai 1988, série A no 134, p. 14, § 31, et Jan-Ake Andersson c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A no 212-B, pp. 4546, §§ 2728).

Dans le cas d’espèce, la Cour note que la Cour de cassation a d’abord justifié son refus de tenir une audience sur le fondement du code de procédure pénale. Ensuite, la Cour de cassation n’a pas statué sur le fond du litige, son arrêt est uniquement consacré à l’interprétation des règles de droit, et il y a eu une audience publique devant la juridiction de première instance, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul (voir, a contrario, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, CEDH 2002V). Partant, l’absence de débats publics au deuxième degré n’est pas de nature à entacher l’équité de la procédure, telle que prévue à l’article 6.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants allèguent l’absence d’une voie de recours interne pour contester leur condamnation.

La Cour relève qu’une procédure pénale a été diligentée à l’encontre des requérants et que leur cause a été entendue par la cour de sûreté de l’État, laquelle les a condamnés par un arrêt du 10 mai 2002. Puis, les intéressés ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation, qui l’a confirmé le 12 décembre 2002. Les requérants ont ainsi disposé en droit national de recours effectifs et les juridictions compétentes se sont prononcées sur leurs griefs.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de la méconnaissance de leur droit à la liberté d’expression (article 10) ainsi que de l’absence de communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation (article 6 § 1) ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président