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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 16585/04
présentée par Nathalie Rachel BRUKARZ
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 26 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
Mme S. Dollé, greffière de section

Vu la requête susmentionnée introduite le 28 avril 2004,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Nathalie Rachel Brukarz, avocate à Paris au moment des faits, réside désormais à Jérusalem, Israël. Elle est représentée devant la Cour par Me D. Bouthors, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation. Le gouvernement défendeur était représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Vivant en union libre, la requérante et B. eurent deux filles, S. et M., nées respectivement le 1er décembre 1995 et le 9 juin 1998. Les deux enfants furent reconnues par leurs parents qui vécurent ensemble jusqu’en septembre 1999.

Suite à la séparation du couple, la requérante et B. saisirent le juge aux affaires familiales de Bobigny pour voir, notamment, fixer à leurs domiciles respectifs la résidence habituelle des enfants. Par une ordonnance du 10 décembre 1999, le juge aux affaires familiales sursit à statuer, ordonna une enquête médico-psychologique et psychiatrique et, dans l’attente du rapport, fixa la résidence habituelle des enfants chez la mère et accorda un droit de visite et d’hébergement au père.

La requérante, qui expliquait être victime de violences de la part de B., saisit le juge aux affaires familiales. Parallèlement, en avril et mai 2000, l’enfant S., âgée alors de 4 ans et demi, déclara d’abord à son père puis à la brigade des mineurs avoir été victime d’attouchements de la part de son grand-père maternel. Le père de la requérante fit alors l’objet d’un mandat d’arrêt et fut incarcéré le 10 mai 2000. Le 12 mai, S. révéla à l’entourage de sa mère avoir vu le sexe de son père et avoir fait du « téléski » avec. Une procédure fut ouverte à la brigade des mineurs de Paris et le juge des enfants de Paris suspendit le droit de visite et d’hébergement de B. La requérante refusa à partir de là que B. parle au téléphone avec ses filles.

Au vu de ces éléments nouveaux, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bobigny fixa en urgence une audience, au cours de laquelle B. demanda notamment le transfert de la résidence habituelle des enfants à son domicile, et la requérante demanda l’exercice exclusif de l’autorité parentale et la suspension de tout droit de visite et d’hébergement de B. Par une ordonnance rendue le 30 mai 2000, le juge aux affaires familiales débouta chaque partie de ses demandes, et jusqu’à l’audience de renvoi, ordonna le maintien de la résidence des enfants chez la requérante et accorda au père un simple droit de visite tous les samedis de 10 heures à 18 heures en présence d’une tierce personne désignée par la requérante. Le juge releva notamment que :

« Depuis le 10 mai 2000 S. et M. sont totalement isolées de leur père ;

Elles se trouvent au centre d’une situation familiale dramatique où règne une logique de surenchère dans laquelle chacun de leurs parents est directement impliqué ;

Il convient de les protéger de ce processus hautement déstabilisant pour elles ;

Jusqu’à ce jour, [la requérante] n’a pas mis ses enfants en danger et elle s’engage solennellement à les soustraire à tout contact avec leur grand-père maternel tant que celui-ci ne sera pas innocenté ;

Les enfants, compte tenu de leur très jeune âge, doivent continuer à rencontrer leur père dans un cadre serein et protégé par la présence d’un tiers au rythme de tous les samedis jusqu’à l’audience de renvoi (...) »

Le 20 juin 2000 l’expert chargé de l’expertise médico-psychologique et psychiatrique déposa son rapport.

Au vu de ce dernier, et par ordonnance rendue le 29 juin 2000, le juge aux affaires familiales décida que l’autorité parentale continuerait à être exercée en commun par les deux parents, maintint la résidence des enfants chez la mère, accorda un droit de visite et d’hébergement au père et fixa la part contributive de ce dernier à 2 000 francs français (FRF) par mois.

Le juge motiva ainsi sa décision :

« Monsieur le Docteur P. indique aux termes de son rapport que Monsieur B. et [la requérante] ne présentent « nul trouble ou complexion rédhibitoire d’un exercice normal de leurs droits parentaux dans l’intérêt de leurs enfants », précisant que chacun d’eux est assez intelligent « pour comprendre sans naïveté ni ambiguïté » l’intérêt de S. et de M. ;

Aujourd’hui il n’est pas établi que l’un ou l’autre des parents ait un comportement mettant en danger leurs fillettes, que de simples accusations réciproques controversées, fondées sur des affirmations non caractérisées par des actes judiciaires passés, alors que les instances sont en cours depuis plus d’un mois, ne saurait caractériser un quelconque danger ;

Il convient en conséquence de maintenir S. et M. dans leur cadre de vie habituel et d’octroyer au père un droit de visite et d’hébergement régulier, les enfants pouvant ainsi faire l’objet d’un suivi adéquat en cas de besoin, (...) et les parents faisant l’objet d’un suivi psychologique et acceptant pour l’avenir de recourir à une instance de médiation familiale ; (...) »

B. interjeta appel des ordonnances des 30 mai et 29 juin 2000, demandant l’exercice exclusif de l’autorité parentale à son profit et la fixation de la résidence habituelle des enfants à son domicile.

La requérante expose avoir été, le 18 novembre 2000, à nouveau victime de violences de la part de B., celles-ci lui occasionnant un arrêt de travail de 30 jours et le port d’une minerve. B. ayant réitéré des menaces le 17 décembre 2000, la requérante, estimant nécessaire de se soustraire, ainsi que ses enfants, au danger que représentait B., décida de se faire rayer du barreau de Paris en sa qualité d’avocat et de se réfugier chez sa sœur en Israël.

Le 18 décembre 2000, elle quitta le territoire français avec ses deux filles.

Dès son arrivée en Israël, la requérante saisit le tribunal des affaires familiales de Jérusalem. Celui-ci interdit à B. de se rendre à moins de 500 m du domicile de la requérante et interdit la sortie des deux fillettes du territoire israélien. Cette ordonnance fut signifiée à B. le 22 décembre 2000.

Parallèlement, la requérante forma appel incident de l’ordonnance du juge français aux affaires familiales rendue le 29 juin 2000, demandant notamment à la cour de se déclarer incompétente au profit de la cour d’appel de Jérusalem et, dans le cas contraire, de se voir conférer l’autorité parentale à titre exclusif et que la résidence des enfants soit fixée à son domicile.

L’audience devant la cour d’appel de Paris eut lieu le 22 février 2001. La requérante y était représentée. Par un arrêt rendu le 29 mars 2001, la cour d’appel, statuant sur les appels interjetés par B. et par la requérante, infirma les ordonnances précédentes. Elle rejeta l’exception d’incompétence (concernant la compétence alléguée de la cour d’appel de Jérusalem), octroya l’exercice exclusif de l’autorité parentale à B. et fixa chez lui la résidence habituelle des enfants. La cour d’appel accorda à la requérante un droit de visite et d’hébergement les première, troisième et cinquième fins de
semaine du vendredi au dimanche soir, les deuxième et quatrième milieux de semaine du mardi au mercredi soir et la moitié de toutes les vacances scolaires. Elle fixa à 1 000 FRF la contribution mensuelle de la mère. La cour releva notamment :

« (...) il résulte de l’ensemble des pièces produites que la séparation des parents, qui s’accusent mutuellement de comportement violent et de nature à mettre en danger leurs enfants, s’est déroulée dans un climat extrêmement conflictuel auquel leurs familles respectives ont été étroitement associées ; que le 8 septembre 1999 de graves incidents ont eu lieu au domicile du grand-père maternel où des coups ont été échangés entre ce dernier accusé par B. de pédophilie (...) B. a dû être hospitalisé plusieurs jours ; que c’est dans ce contexte qu’a été saisi le juge aux affaires familiales ;

Considérant que la première ordonnance a été rendue dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise confiée par une précédente ordonnance du 10 décembre 1999 au Docteur P. ; que d’une part de graves accusations d’attouchements étaient portées sur le grand-père maternel qui était d’ailleurs incarcéré ; que d’autre part l’attitude de Monsieur B. à l’égard des enfants était mise en cause par [la requérante] suite aux « révélations » de S. et le droit de visite de celui-ci était strictement limité et devait se dérouler en présence d’une tierce personne ;

Que le rapport d’expertise du Docteur P. constatait qu’aucun des parents ne présentait de trouble ou complexion rédhibitoire d’un exercice normal de leurs droits parentaux dans l’intérêt de leurs enfants mais relevait chez l’un et l’autre des parents « une relativisation des intérêts des enfants à ses propres désidératas, quitte à négliger les qualités et les bonnes dispositions de l’autre », et préconisait afin de ne pas brusquer les choses et éviter de perturber les enfants de maintenir leur résidence habituelle chez la mère ; qu’à la suite du dépôt de ce rapport, un droit de visite et d’hébergement était rétabli au profit du père selon les modalités habituelles en fins de semaines et élargi à deux milieux de semaine par mois, la résidence des enfants étant maintenue chez la mère, l’autorité parentale étant exercée en commun ;

Que dès le 17 mai 2000, [la requérante] obtenait du juge des enfants de Paris une décision suspendant le droit de visite et d’hébergement paternel, laquelle sera d’ailleurs annulée par arrêt de la Cour le 30 mai suivant aux motifs que dans ce contexte familial complexe fait d’accusations réciproques controversées, à quelques jours d’une convocation devant le juge aux affaires familiales, l’urgence non visée par la décision rendue sans audition préalable du père n’était pas caractérisée et que le juge des enfants ne pouvait passer outre cette audition du père ;

Que Monsieur B. justifie qu’ultérieurement, à plusieurs reprises et malgré l’ordonnance exécutoire, il n’a pu exercer son droit de visite et d’hébergement en mai, en juin et en juillet 2000 ; que les accusations de [la requérante] sur les violences qu’elle aurait subies de la part de Monsieur B. lors de l’exercice de son droit le 18 novembre 2000 étaient formellement contestées par le témoignage de Madame J. qui avait accompagné le père ce jour-là ;

(...) Que le 18 décembre 2000, à la veille des vacances de Noël que S. et M. devaient passer pour partie avec leur père, [la requérante] quittait le territoire français avec les enfants, coupait toute relation avec le père et fixait sa résidence chez sa sœur ; (...)

Que, quels que soient le différend qui oppose les parents et leur responsabilité dans l’escalade des accusations, la décision prise unilatéralement par [la requérante] de rompre tout lien entre S. et M. et leur père et de faire ainsi échec à l’exercice en commun de l’autorité parentale et à ses droits est inacceptable ;

Qu’au vu du rapport de l’expert, le Dr P., des très nombreuses attestations produites par M. B. qui décrivent son attachement aux enfants, ses qualités éducatives pendant la vie commune et sa souffrance d’être séparé de ses filles dont il s’est jusqu’ici occupé de façon responsable, des réactions spontanées et confiantes de S. à l’égard de son père en présence de l’expert Mme C. désignée par le juge d’instruction, rien ne permet d’affirmer que Monsieur B. soit susceptible de mettre en danger ses enfants ;

Que les propos de S. sur les violences du père rapportés par le Dr H. consulté dès son arrivée en Israël par [la requérante] doivent être accueillies avec beaucoup de précautions, compte tenu de l’état d’angoisse et de la tension qui ont dû entourer les derniers événements et le départ, et en raison du caractère suggestible de l’enfant déjà relevé par Mme C. mettant en garde contre le risque pour S. de devoir répondre au désir des adultes ;

Que pour regrettables que soient la dramatisation extrême du conflit et les excès notamment verbaux qui ont pu l’accompagner lors des échanges précédents entre les parents, lesquels ne peuvent qu’être gravement préjudiciables aux enfants, mais dont M. B. ne peut être rendu seul responsable, rien ne justifie la position radicale et de fuite adoptée par [la requérante] ; que par son attitude, [la requérante] qui n’a pas comparu à l’audience malgré la demande de la Cour ne laisse aucune place à une solution négociée dans le respect des droits des enfants et des décisions judiciaires ; que ses réactions, que l’anxiété et l’inquiétude générée par le conflit avec Monsieur B. ne suffisent pas à excuser, traduisent une volonté d’exclure le père de la vie des enfants et son incapacité actuelle à respecter le rôle et la fonction paternels ;

Qu’aux termes des ses écritures, M. B. qui revendique la fixation de la résidence des enfants offre un droit de visite et d’hébergement élargi ; que ses propositions respectent ainsi davantage l’intérêt des enfants qui est de pouvoir, malgré la séparation, évoluer normalement entre leurs deux parents et avoir avec chacun des relations suivies et régulières (...). »

La requérante se pourvut en cassation. A l’appui de son pourvoi, elle alléguait que les juges du fond ne s’étaient pas fondés sur l’intérêt des enfants mais sur son comportement de fuite pour confier l’autorité parentale au seul père, contrairement à l’article 373-2-1 du code civil. Invoquant ensuite l’article 8 de la Convention, la requérante alléguait que les juges du fond n’avaient pas caractérisé l’exigence impérieuse de la priver de l’autorité parentale et, par suite, n’avaient pas justifié de manière prévisible et accessible les restrictions portées à son autorité parentale conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

Le 28 octobre 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, par un arrêt ainsi motivé :

« (...) attendu que la cour d’appel, qui a relevé que, par son attitude, [la requérante], qui n’a pas comparu à l’audience, ne laissait aucune place à une solution négociée dans le respect des droits des enfants et des décisions judiciaires, que ses réactions traduisaient une volonté d’exclure le père de la vie des enfants et son incapacité actuelle à respecter le rôle et la fonction paternels, a souverainement estimé que les propositions de M. B., qui offrait un droit de visite élargi pour la mère, respectaient davantage l’intérêt des enfants, qui est de pouvoir, malgré la séparation, évoluer normalement entre leurs deux parents ; (...)

(...) attendu que le respect dû à la vie privée et familiale ne fait pas obstacle à ce que le juge intervienne conformément aux pouvoirs que lui donne la loi, pour modifier l’exercice de l’autorité parentale dans l’intérêt de l’enfant ; (...) »

Par un jugement rendu le 18 septembre 2002 et devenu définitif, le tribunal de grande instance de Paris condamna la requérante du chef de soustraction d’enfant à un an d’emprisonnement. Elle fait actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt international.

B. Le droit interne pertinent

Article 287 du code civil
(abrogé par la loi no 2002-305 du 4 mars 2002)

« L’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents. Le juge désigne, à défaut d’accord amiable ou si cet accord lui apparaît contraire aux intérêts de l’enfant, le parent chez lequel les enfants ont leur résidence habituelle.

Si l’intérêt de l’enfant le commande, le juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents.

Les parents peuvent, de leur propre initiative ou à la demande du juge, présenter leurs observations sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. »

Les anciens articles 287 à 295 ont été abrogés par la loi no 2002-305 du 4 mars 2002 et remplacés en tant que de besoin par des dispositions analogues sous les articles 371 et suivants relatifs à l’autorité parentale.

Article 371-1 du code civil
(rédaction issue de la loi du 4 mars 2002)

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant (...) »

Article 372 du code civil
(rédaction issue de la loi du 4 mars 2002)

« Les pères et mères exercent en commun l’autorité parentale (...) »

Article 373-2 du code civil
(rédaction issue de la loi du 4 mars 2002)

« La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale.

Chacun des pères et mères doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent.

Tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant. Le juge répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. »

Article 373-2-1 du code civil (rédaction issue de la loi du 4 mars 2002)

« Si l’intérêt de l’enfant le commande, le juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents.

L’exercice du droit de visite et d’hébergement ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves (...) »

La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants

Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye sont ainsi libellées :

Article 7

« Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.

En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :

a. pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ;

b. pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ;

c. pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ;

d. pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ;

e. pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l’application de la Convention ;

f. pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ;

g. pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ;

h. pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ;

i. pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. »

GRIEFS

Invoquant les articles 6 et 8 de la Convention, la requérante soutient que l’arrêt rendu le 29 mars 2001 par la cour d’appel de Paris, confirmé par la Cour de cassation, se fondant essentiellement sur l’exil de la requérante et son absence à l’audience, a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle soutient que la cour d’appel, en attribuant l’exercice de l’autorité parentale à B. et en fixant la résidence des enfants au domicile de ce dernier, a violé les dispositions de la Convention.

La requérante soutient que les juges du fond se sont prononcés sans tenir compte de l’intérêt des enfants et souligne que les éléments des enquêtes psychologiques ne recommandaient d’ailleurs pas ce type de mesures. Elle estime, dès lors, que l’attribution de l’exercice exclusif de l’autorité parentale au père ainsi que la fixation de la résidence des enfants chez celuici constitue en réalité une sanction de sa fuite en Israël pour se protéger des violences de B. et porte ainsi une atteinte disproportionnée et illégitime à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. La requérante reproche également aux juges du fond de ne pas avoir retenu les violences reprochées à B., soulignant que la motivation des juges est restée purement formelle, n’apportant pas de réponse aux articulations essentielles de ses écritures.


EN DROIT

1. La requérante allègue d’abord une violation de l’article 8 de la Convention dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de l’article 8 de la Convention à la présente espèce, ni le fait que l’arrêt rendu le 29 mars 2001 par la cour d’appel de Paris, confirmé par la Cour de cassation, constitue une ingérence dans la vie familiale de la requérante. Analysant cette ingérence, il estime cependant que celle-ci est justifiée sous l’angle de l’article 8 § 2 de la Convention. Il soutient en effet qu’elle était prévue par la loi et qu’elle répondait à un but légitime. Sur ce dernier point, s’opposant à la thèse de la requérante, le Gouvernement considère que les décisions litigieuses ont été fondées sur la nécessité de préserver l’intérêt des enfants qui consiste à maintenir des liens avec chacun des deux parents. Ensuite, concernant la nécessité de la mesure dans une société démocratique, le Gouvernement estime que les juridictions internes ont établi un juste équilibre entre les intérêts du père, de la mère et des enfants, compte tenu de la marge d’appréciation laissée en la matière aux Etats par la Convention. Le Gouvernement souligne que l’attribution de l’exercice de l’autorité parentale au père et la fixation de la résidence habituelle chez lui, assorti d’un large droit de visite et d’hébergement de la mère, constituait une mesure proportionnée compte tenu notamment de la volonté sans équivoque de la requérante de rompre tout lien entre les enfants et leur père. Le Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du grief pour défaut manifeste de fondement.

La requérante réitère que les décisions prises par les juridictions internes ne comportaient aucune analyse spécifique de l’intérêt des enfants et en souligne le caractère punitif envers elle. Elle estime que le retrait de l’autorité parentale dont elle a fait l’objet n’était pas le seul moyen de conserver aux enfants un lien avec leur père et conclut au caractère disproportionné de l’ingérence litigieuse.

La Cour rappelle avant tout que la notion de famille au sens où l’entend l’article 8 de la Convention ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d’autres liens « familiaux » factuels lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage. Un enfant issu d’une telle relation s’insère de plein droit dans cette cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci. Il existe donc entre l’enfant et ses parents un lien constitutif d’une vie familiale. La Cour rappelle en outre que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (voir, entre autres, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 43, CEDH 2000VIII).

La Cour note que la requérante vivait en union libre avec B. De cette union sont issues S. et M., qui ont vécu avec leur mère depuis leur naissance. Compte tenu de ces éléments et de la jurisprudence précitée, la Cour ne met pas en doute l’existence d’une ingérence dans les droits garantis à la requérante par l’article 8 de la Convention, point qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties.

Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 8 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.

Nul ne conteste devant la Cour que les décisions en cause sont fondées sur des dispositions du droit interne, à savoir les articles 287 et suivants du code civil remplacés ensuite par les articles 371 et suivants de ce même code civil (voir partie « droit et pratique internes pertinents ci-dessus »). Dès lors, l’ingérence était « prévue par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention.

La Cour juge ensuite que les décisions contestées par la requérante visaient « la protection de la santé ou de la morale » et « des droits et libertés » des enfants, conformément aux dispositions du code civil précitées qui soulignent la nécessité de protéger l’intérêt de l’enfant. Cela ressort clairement de la motivation des arrêts rendus aussi bien par la cour d’appel de Paris que par la Cour de cassation qui mentionnent, à plusieurs reprises, la volonté des juges de privilégier les mesures « qui respectaient davantage l’intérêt des enfants ». L’analyse des décisions litigieuses, particulièrement circonstanciées, montre que la nécessité de préserver l’intérêt des enfants a constitué le fil directeur des arrêts contestés. Ces derniers poursuivaient donc un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Quant à la question de savoir si le comportement de la requérante, et notamment son départ pour Israël avec ses filles, a été un élément déterminant lors de la fixation par les juridictions nationales des mesures litigieuses, la Cour considère que ce point relève de l’appréciation de la nécessité desdites mesures et l’examinera donc cidessous.

Pour rechercher si les mesures litigieuses étaient « nécessaires dans une société démocratique », la Cour examinera, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Sans doute, l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est toujours d’une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte. Il faut en plus avoir à l’esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, mais il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (arrêts Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55, et Elshol, précité, § 48).

La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant (...) (Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996III, pp. 1003-1004, § 64).

La Cour rappelle en outre qu’un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts des enfants et ceux du ou des parent(s). Dans les affaires de ce type, l’intérêt des enfants doit passer avant toute autre considération. La Cour souligne cependant que cet intérêt présente un double aspect.

D’un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait en aucune manière autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants.

De l’autre côté, il est clair qu’il est tout autant dans l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. Il en résulte que l’intérêt de l’enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (voir, parmi d’autres, Piss c. France (déc.), 8 juillet 2004, no 46026/99).

Tel est d’ailleurs l’esprit des dispositions du code civil (articles 375 et suivants) qui fondent les décisions litigieuses.

Enfin, la Cour rappelle que la Convention doit s’appliquer en accord avec les principes du droit international, en particulier ceux relatifs à la protection internationale des droits de l’homme. En ce qui concerne plus précisément la réunion d’un parent et de ses enfants, la Cour se réfère aux dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ainsi qu’à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (voir, mutatis mutandis, arrêt Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 95, CEDH 2000I).

La Cour observe qu’en l’espèce l’intérêt des enfants est de pouvoir, malgré la séparation, évoluer normalement entre leurs deux parents.

La Cour relève que les juridictions du fond, y compris celles ayant statué avant la cour d’appel de Paris, ayant constaté qu’aucun des deux parents n’était susceptible de mettre les enfants en danger, se sont constamment efforcées de maintenir les fillettes dans leur cadre habituel en leur garantissant un contact avec leurs deux parents.

Un tel équilibre, établi par l’ordonnance rendue le 29 juin 2000 par le juge aux affaires familiales, fut brusquement interrompu par le départ non annoncé de la requérante avec ses filles pour Israël, où elles demeurent à ce jour. Ce faisant, la requérante a violé les dispositions de l’ordonnance précitée ainsi que le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Confrontée à cette situation, la cour d’appel, confirmée ensuite par la Cour de cassation, a recherché avec soin l’intérêt des enfants. Pour décider d’accorder l’exercice exclusif de l’autorité parentale à B. et de fixer la résidence principale des enfants chez lui, la cour d’appel s’est fondée sur une analyse concrète, précise et circonstanciée des éléments de la cause et de leur contexte. Elle a en particulier relevé qu’aussi bien le rapport d’expertise médico-psychologique et psychiatrique alors récemment déposé que de nombreuses attestations figurant au dossier témoignaient des qualités éducatives du père et de son attachement à ses filles.

Par ailleurs, tenant compte du contexte familial complexe et des incidents violents qui s’étaient déjà déroulés par le passé, la cour d’appel a cherché à évaluer la gravité des menaces que B. auraient proférées à l’égard de la requérante et des violences qu’il lui aurait infligées, sans parvenir à en établir l’entière fiabilité. Lors du dépôt de sa requête devant la Cour, la requérante a d’ailleurs précisé que la plainte pénale qu’elle avait déposée à l’encontre de B. n’avait pu prospérer en raison de l’absence de la partie civile.

Les juridictions nationales ont également examiné le comportement de la requérante depuis le début du litige et bien avant son départ de France. Elles ont relevé notamment que la requérante s’était à plusieurs reprises opposée à l’exercice par B. de son droit de visite et d’hébergement, et ce malgré une ordonnance exécutoire dont le caractère contraignant n’avait pu lui échapper, compte tenu de sa profession d’avocate. Ces faits ainsi que les réactions de la requérante traduisaient dès la séparation, selon les juridictions, une volonté d’exclure le père de la vie des enfants.

Enfin, et surtout, les juridictions internes ont longuement analysé les réactions de S. et de M. qui, comme l’atteste notamment le rapport d’expertise précité, semblaient épanouies au contact de leur père et n’ont jamais fait valoir qu’elles ne voulaient plus avoir de rapports avec lui.

Il ressort de ce qui précède que, si elles ont relevé le comportement de la requérante et son départ impromptu, les juridictions nationales en ont essentiellement examiné les conséquences pour ses enfants. La Cour en conclut que les décisions contestées sont donc fondées sur une série de motifs pertinents et suffisants eu égard à l’intérêt des enfants et aussi aux obligations contractées par la France dans le cadre de la Convention de la Haye précitée (en vertu notamment de son article 7).

Il s’ensuit que la décision de confier l’exercice de l’autorité parentale au père et de fixer la résidence principale des enfants chez lui, assortie pour la mère, il convient de le souligner, d’un droit de visite et d’hébergement élargi, ne peut s’analyser en une atteinte disproportionnée au droit de la requérante au respect de sa vie familiale, compte tenu également de la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales en la matière.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. La requérante allègue également une violation de l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

La Cour note d’emblée qu’il ne ressort ni du mémoire ampliatif, ni de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, que ce grief ait été soumis expressément à cette dernière. Même en admettant que l’on puisse considérer que ce grief ait été soumis en substance à la Cour de cassation, et que donc la condition de l’épuisement des voies de recours internes soit satisfaite, la Cour rappelle que si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Van de Hurk c. PaysBas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 20, § 61, et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999I).

En l’espèce, il ressort des arrêts rendus le 29 mars 2001 par la cour d’appel de Paris et le 28 octobre 2003 par la Cour de cassation que les juridictions internes ont amplement motivé leurs décisions, en analysant de façon détaillée les différents éléments du dossier.

Eu égard également à la conclusion à laquelle la Cour est parvenue lors de l’examen du grief précédent, il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 de la Convention doit être rejeté comme manifestement mal fondé en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président