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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
18.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 22871/06
présentée par YOUB SAOUDI
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 18 septembre 2006 en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
M. V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,

et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 juin 2006,

Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Youb Saoudi, est un ressortissant algérien, né en 1960. Il est sous écrou extraditionnel en Catalogne. Il est représenté devant la Cour par Me S. Salellas Magret, avocat à Gérone. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Blasco Lozano, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. La détention, l’écrou extraditionnel du requérant et la demande d’extradition

Le requérant, ressortissant algérien, est arrivé à une date inconnue en Espagne.

Il a été arrêté le 11 septembre 2003 à Salt (Gérone) et placé sous écrou extraditionnel sur la base d’un mandat d’arrêt international du 12 avril 1999 expédié par le juge d’instruction de la première chambre près le Tribunal de Sidi Bel Abbes (Algérie), pour délits présumés de création de groupe armé terroriste et détention de tracts faisant apologie d’actes terroristes.

Entre-temps, par un jugement du Tribunal criminel de Sidi Bel Abbes du 26 février 2000, le requérant avait été condamné à réclusion à perpétuité par contumace, pour délits de création de groupe armée terroriste et détention de tractes faisant apologie d’actes terroristes, par application des articles 87 bis, 87 bis 3 et 87 bis 5 du code pénal algérien. L’attestation du greffier du Tribunal criminel de Sidi Bal Abbes précise ce qui suit :

« Nous, le greffier du tribunal criminel de Sidi Bel Abbes, dans le jugement criminel daté du 26/02/2000 sous le n o 09/2000 :

Il s’avère que le suspect SAOUDI YOUB est :

Condamné par contumace pour le crime de création de groupe armé terroriste et détention de tract faisant l’apologie d’actes terroristes, les faits incriminés et sanctionnés par les articles 87 bis, 87 bis 3 et 87 bis 5 du code pénal, et a été sanctionné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité et l’interdiction d’exercer ses droits civiques pendant cinq ans ».

Suite à la détention du requérant en Espagne, le procureur général près la Cour de Sidi Bel Abbes formula une demande d’extradition du requérant pour ce motif, se fondant sur la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies et, en particulier, sur la partie relative à l’assistance et entraide judiciaire entre les Etats dans leur lutte commune contre le terrorisme.

B. La procédure d’extradition

Par une décision du 30 juin 2004, l’Audiencia Nacional accorda l’extradition du requérant. Elle demanda toutefois des autorités algériennes certaines garanties liées à l’obligation de procéder à un nouveau procès en présence du requérant et en respect des droits de la défense, et à la compressibilité de la réclusion à perpétuité. Concernant le grief du requérant tiré de ce qu’il risquerait la peine de mort en cas de nouveau procès, l’Audiencia Nacional s’exprima ainsi :

« (...) l’éventuelle exécution d’une peine de mort impliquerait la violation par l’Etat algérien du droit espagnol et de la confiance déposée par l’Etat espagnol dans les autorités de l’Etat algérien. Il s’agirait d’une conduite tout à fait inconcevable dans le contexte de la confiance mutuelle qui doit présider les relations internationales (...) ».

Suite au recours de súplica du requérant, par une décision du 25 novembre 2004, l’Audiencia Nacional, siégeant en chambre plénière, précisa ce qui suit :

« (...) bien qu’une nouvelle procédure doive avoir lieu, en raison de la condition fixée [dans la décision du 30 juin 2004], en présence du réclamé, afin de garantir ses droits de la défense, et bien qu’en Algérie la peine de mort existe encore, la peine maximale applicable au faits objet de l’accusation [lors du nouveau procès] est celle de la réclusion à perpétuité, tel qu’il ressort de la copie de la législation applicable remise à ce tribunal, ce qui oblige les juridictions algériennes comme si c’était une garantie expresse (...) ».

Le 24 août 2005, le ministre de la Justice algérien assura, dans une note verbale no 05/286/SY/SC, ce qui suit :

« 1. Quant à une nouvelle comparution de l’accusé devant une juridiction algérienne :

La condamnation à la peine de mort, prononcée par contumace contre l’intéressé (sic), est régie en appel par les dispositions de l’article 326 du Code de procédure pénale qui stipule que dans le cas où le condamné par contumace se constitue prisonnier ou s’il est détenu avant qu’il y ai prescription de la peine, le jugement et les procédures auxquels il est soumit, seront prescrits de plein droit. Des mesures ordinaires seront mises en œuvre, notamment quant à la saisie de ses biens. Cette dernière restera en vigueur jusqu’au prononcé d’un nouveau jugement qui l’annulerait. Dans ce cas, l’accusé a le droit de récupérer ses biens, et à défaut, la valeur nette de la vente.

La récupération de ses biens ne pourrait avoir lieu si l’accusé devait comparaître durant les cinq années postérieures au jugement par contumace, sauf en cas de force majeure démontrée.

De même, les articles 272, 292 et 293 du même Code, indiquent que si l’inculpé doit comparaître à nouveau, il a le droit de choisir un avocat ou à défaut, le juge en désignera un d’office. Cet avocat aura le droit de prendre contact, en toute liberté, avec l’intéressé et il aura la possibilité de prendre connaissance de tout le dossier.

Quant à la peine encourue par l’accusé :

La peine encourue par l’accusé relève de l’article 284 du Code de procédure pénale qui impose aux jurés de prêter serment afin d’étudier avec précision, transparence et impartialité, les indices qui pourraient être retenus contre l’inculpé et les arguments de la défense.

D’autre part, et malgré la présomption d’innocence prévue par l’article 53 du Code pénal (sic), tout accusé à droit à une peine atténuée, en cas de circonstances atténuantes. Cette atténuation peut atteindre 10 ans d’emprisonnement si l’accusé a été condamné à la peine capitale, 5 ans d’emprisonnement en cas d’une condamnation à perpétuité, 3 ans d’emprisonnement suite à une peine d’emprisonnement et 1 an en cas de condamnation à des peines prévues par l’article 119 § 1 du même Code. (...) »

Après avoir donné la possibilité au requérant et au ministère public de présenter des observations sur les assurances données par les autorités algériennes, le 28 novembre 2005 l’Audiencia Nacional considéra suffisantes les assurances fournies, et, suite au recours de súplica présenté par le requérant, confirma sa décision en date du 6 février 2006, précisant ce qui suit :

« Il faut préciser que la note verbale de l’Ambassade d’Algérie no 05/295/SY/SC (sic), à laquelle est jointe la note du ministère de la justice algérien remplie les conditions exigées, à savoir la tenue d’une nouvelle procédure et la restriction ou limitation de la peine de réclusion à perpétuité, dans le sens que ladite peine n’est pas incompressible ou à vie. »

Le Conseil des Ministres se réunit le 26 mai 2006 et accorda la remise du requérant aux autorités algériennes.

Un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel fut présenté par le requérant le 9 mars 2006. La haute juridiction ne s’est pas prononcée à ce jour.

Le 1er juin 2006, l’Audiencia Nacional accusa réception de la décision du Conseil des Ministres et ordonna la remise immédiate. Le requérant en fut informé le 6 juin 2006. L’exécution de l’extradition pouvait avoir lieu à tout moment.

Dans un document du 18 juin 2006, le ministre de la justice algérien précisa ce qui suit :

« (...) SAOUDI YOUB, né le 20/07/1960 en Sidi Ali Bousedi, Sidi Bel Abbes, fils de A. et de Z.F., dont l’extradition a été demandée aux autorités espagnoles, fut condamné par contumace le 26/02/2000 par le tribunal pénal de la Cour de Sidi Bel Abbes pour constitution d’un groupe terroriste armé et le crime de publication de tracts d’incitation, faits sanctionnés par les articles 87 bis, 87 bis 3 et 87 bis 5 du code pénal qui prévoient que la peine maximale est la condamnation à perpétuité et non pas la peine capitale .

[Salutation]

Pour le ministère de la Justice, Garde des seaux, Le Directeur des affaires pénales et des mesures de grâce. Signé : M. L. (Timbre rond du ministère) »

GRIEFS

Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention et 1 du Protocole no 6, le requérant se plaint qu’il encourra la peine capitale ou une peine de réclusion à perpétuité lors de son nouveau procès en Algérie.

EN DROIT

Le requérant allègue que son extradition est contraire aux articles 2 et 3 de la Convention et 1 du Protocole no 6, dans la mesure où il encourra la peine capitale ou une peine de réclusion à perpétuité.

Ces dispositions se lisent ainsi :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Enfin, l’article 1 du Protocole no 6 dispose :

« La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté. »

La Cour rappelle d’emblée que les Etats contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Toutefois, l’extradition par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’extrade vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à cette disposition (Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 35, §§ 89-91). Un État contractant se conduirait en effet d’une manière incompatible avec le « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » auquel se réfère le Préambule de la Convention, s’il remettait consciemment une personne à un autre État où il existe des moyens sérieux de penser qu’un danger de torture ou de peines ou de traitements inhumains ou dégradants menace l’intéressé (arrêt Soering, précité, p. 35, § 88)

De même, l’extradition pourrait poser un problème sous l’angle de l’article 2 de la Convention ou l’article 1 du Protocole nº 13 si l’intéressé y risque d’être condamné à la peine capitale (Bader et autres c. Suède, no 13284/04, § 42, CEDH-2005). Ceci s’applique aussi pour l’article 1 du Protocole no 6, invoqué par le requérant.

Le Gouvernement espagnol souligne que l’Etat algérien a donné des garanties qui ont été considérées comme suffisantes par les juridictions espagnoles pour procéder à l’extradition du requérant. Il souligne qu’il est nécessaire de maintenir la coopération juridique internationale et, en particulier, lors de la poursuite de délits tels que le terrorisme, sans qu’il puisse être présumé que l’Algérie ne va pas respecter ses propres lois. Le Gouvernement se réfère à la clarté de la demande d’extradition ainsi qu’au contenu de l’attestation du greffier du Tribunal criminel de Sidi Bel Abbes, reproduite ci-dessus, et insiste sur ce que la législation algérienne ne prévoit pas la peine capitale pour les délits en cause, tel que l’Audiencia Nacional l’avait déjà considéré dans ses décisions. Il se réfère, par ailleurs, au document du ministère de la Justice algérien, daté du 18 juin 2006, reproduit dans la partie « en Fait ».

Le requérant insiste sur ce que les infractions pour lesquelles il est poursuivi sont susceptibles d’entraîner sa condamnation à la peine de mort ou à la réclusion à perpétuité lors du nouveau procès qui aura lieu en Algérie. Il souligne à cet égard que les assurances offertes par le gouvernement algérien sont insuffisantes et que la coopération internationale doit rester subordonnée à l’empire de la loi. Il insiste en particulier sur le contenu de la note verbale no 05/286/SY/SC du 24 août 2005, où le ministre de la Justice algérien se référait à la condamnation à la peine de mort. Le requérant fait état de la grave situation des droits de l’homme en Algérie et se réfère aux rapports d’Amnesty International de 2006 et au rapport « Unrestrained powers », rendu public aussi par Amnesty International, qui examine des cas d’individus extradés qui font l’objet de tortures de la part de la sécurité militaire algérienne. Il cite, en dernier lieu, un arrêt du Tribunal suprême espagnol daté du 16 juin 2004 qui fit droit à un pourvoi en cassation présenté par un citoyen algérien lui octroyant le droit d’asile, en se fondant sur les dossiers du Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies.

Quant à la réclusion à perpétuité, le Gouvernement rappelle que les juridictions espagnoles demandèrent des garanties de compressibilité, ce qu’elles obtinrent, et se réfère à la jurisprudence de la Cour en la matière. Il observe que la note remise le 24 août 2005 à l’Audiencia Nacional par les autorités algériennes, faisait référence aussi à la peine capitale, mais souligne qu’il s’agissait d’une erreur. Il précise que la peine de réclusion à perpétuité est toujours commuée par une peine à durée limitée et rappelle que l’Algérie a introduit une procédure nationale de réinsertion des terroristes au sein de la société moyennant des mesures de grâce.

Le requérant insiste sur le caractère insuffisant des garanties fournies par la note verbale du 24 août 2005, et sur l’identité inconnue de la personne qui a envoyé ledit document.

La Cour observe de prime abord que le requérant se réfère à certains aspects de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et, en général, à la situation des droits de l’homme en Algérie, et qu’il estime que cela doit être pris en compte pour évaluer la portée de la coopération internationale en matière de terrorisme que prône le Gouvernement. Il ne ressort toutefois pas du dossier que le requérant ait présenté devant l’Audiencia Nacional ni devant le Tribunal constitutionnel dans le cadre de son recours d’amparo, des allégations de risque de torture ou de mauvais traitements qu’il pourrait lui-même encourir suite à son extradition vers l’Algérie. Devant la Cour, tant dans sa demande de mesures provisoires que dans sa requête, il s’est aussi limité à soulever ce grief en rapport avec la condamnation à la réclusion à perpétuité qui porterait atteinte, selon lui, à l’article 3 de la Convention.

La Cour constate, s’agissant de la possibilité invoquée par le requérant de condamnation à la peine capitale, que les juridictions espagnoles ont conclu, après un examen approfondi de la demande d’extradition, des arguments des parties, ainsi que des assurances fournies par les autorités algériennes, que la peine de mort ne pouvait pas être appliquée au requérant en vertu des dispositions pour lesquelles son extradition avait été demandée. Par ailleurs, la note du 18 juin 2006 du ministère de la Justice algérien fournie par le Gouvernement, confirme que les dispositions légales en vertu desquelles le requérant a été condamné ne prévoient pas la peine capitale.

En l’absence de tout élément pouvant la convaincre du contraire, la Cour ne saurait infirmer ces conclusions des juridictions internes, qui ont eu le bénéfice d’entendre directement les parties, dans le cadre d’un examen contradictoire de la demande d’extradition.

La Cour constate par ailleurs que les autorités algériennes ont fourni des assurances de ce que le requérant ne serait soumis ni à la peine de mort ni à une peine de réclusion à perpétuité incompressible. Elle observe à cet égard que les juridictions espagnoles ont considéré ces assurances comme suffisantes et convaincantes.

Aux yeux de la Cour, c’est à bon droit que les juridictions espagnoles ont considéré que de telles assurances écartaient tout danger de condamnation du requérant à la peine capitale ou à celle de la réclusion à perpétuité non-compressible lors du nouveau procès en Algérie (voir Aylor-Davis c. France, no 22742/93, décision de la Commission du 20 janvier 1994, Décisions et rapports (DR) 76, p. 164 ; Nivette c. France (déc.), no 44190/98, CEDH 2001VII ; Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, CEDH 2001XI ; Abu Salem c. Portugal (déc.), no 26844/04).

Il s’ensuit qu’il n’y a aucune apparence de violation des dispositions invoquées par le requérant et que la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président