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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 502/03
présentée par Munure APAYDIN et Fulya APAYDIN
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 19 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 19 août 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérantes, Mlles Münüre Apaydın et Fulya Apaydın, sont des ressortissantes turques, nées respectivement en 1979 et 1978 et résidant à Eskişehir. Elles sont représentées devant la Cour par Me S. Pekdaş, avocate à Izmir.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.

Le 26 décembre 1995, les requérantes furent arrêtées et placées en garde à vue par des policiers de la section de lutte anti-terroriste de la direction de la sûreté de Manisa. Il leur était reproché d’être membres d’une organisation illégale, le DHKP/C (Parti révolutionnaire de libération du peuple/Front).

Selon les requérantes, le 4 janvier 1996, elles furent présentées en tant que « terroristes » aux organes de presse écrite et télévisée.

Le 5 janvier 1996, Münüre Apaydın fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Izmir, qui ordonna son placement en détention provisoire.

Le même jour, Fulya Apaydın fut traduite devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Izmir, qui ordonna sa libération.

Le 16 avril 1996, la cour de sûreté de l’État libéra Münüre Apaydın.

Le 28 novembre 2000, la cour acquitta les requérantes. Cette décision devint définitive le 6 décembre 2000.

Le 2 mars 2001, sur le fondement de la loi no 466, les requérantes saisirent la cour d’assises d’Eskişehir d’une action en réparation du préjudice subi en raison de leur privation de liberté.

Le 6 septembre 2001, la cour d’assises, après avoir procédé à une expertise de la perte de revenus des requérantes pour la période de détention en cause, accorda à Münüre Apaydın 800 000 000 livres turques (TRL) [environ 647 euros (EUR)] et à Fulya Apaydın 125 000 000 000 TRL [environ 101 EUR] pour le préjudice moral. Elle estima que les autres demandes n’étaient pas fondées et que les pertes alléguées n’étaient pas prouvées.

Le 24 septembre 2001, les requérantes se pourvurent en cassation. Elles soutinrent que les montants accordés étaient insuffisants, la cour d’assises n’avait pas décidé sur leur demande concernant les intérêts moratoires, le rapport d’expertise ne leur avait pas été notifié et il n’y avait pas eu d’audience. Elles invoquèrent les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Elles demandèrent également la tenue d’une audience.

Le 21 janvier 2002, la Cour de cassation approuva l’arrêt de la cour d’assises après avoir examiné l’avis du procureur général, lequel ne fut pas notifié aux requérantes. Elle ne tint pas d’audience.

Le 27 février 2002, l’arrêt de la Cour de cassation fut notifié aux requérantes.

Le 19 août 2002, à la date de l’introduction de la requête, les requérantes n’avaient pas encore obtenu le paiement.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Göç c. Turquie ([GC], no 36590/97, §§ 2734, CEDH 2002V).

L’article 1 de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues dispose que :

« Seront compensés par l’État les dommages subis par toute personne :

1. arrêtée ou mise en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;

2. à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ;

3. qui n’aura pas été traduite dans le délai légal devant le juge après avoir été arrêtée ou mise en détention ;

4. qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ;

5. dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ;

6. qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ;

ou

7. qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement. »

Aux termes de l’article 2 de la loi no 466, tout plaignant doit introduire une demande d’indemnisation devant la cour d’assises du lieu de son domicile dans un délai de trois mois, en exposant les faits litigieux et indiquant le montant réclamé. Cette demande est dirigée contre le Trésor public.

L’article 3 de la même loi dispose :

« A réception de la demande d’indemnisation, la cour d’assises compétente (...) désigne l’un de ses membres, lequel doit tout d’abord vérifier que la demande a été présentée dans le délai légal. Dans l’affirmative, le juge ainsi désigné doit recueillir tous les éléments de preuve, y compris le dossier de l’affaire et le jugement [relatifs à la procédure pénale]. Si nécessaire, le juge désigné entend le plaignant. Il transmet ensuite le dossier au parquet pour avis, après avoir recueilli l’ensemble des éléments de preuve.

A réception de l’avis écrit du procureur, la cour rend sa décision sans tenir d’audience.

Le plaignant a le droit de faire appel de cette décision dans le délai d’une semaine après en avoir reçu notification. »

Tout plaignant est en droit de demander réparation du préjudice tant matériel que moral découlant d’une détention irrégulière. Toute demande financière doit s’appuyer sur des éléments écrits. Le montant accordé à titre de réparation pour dommage moral est déterminé en fonction de la situation personnelle, financière et sociale du plaignant.

En vertu de l’article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur les voies d’exécution et la faillite (İcra ve İflas Kanunu), les biens appartenant à l’État ainsi que les biens destinés à l’usage public ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérantes allèguent un défaut d’équité de la procédure devant le tribunal de fond et la Cour de cassation. Elles soutiennent entre autres que le défaut d’audience, l’absence de notification du rapport d’expertise lors de la procédure devant la cour d’assises ainsi que l’absence de notification de l’avis du procureur général près la Cour de cassation portent atteinte aux principes de « procédure contradictoire » et d’« égalité des armes ».

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 13 de la Convention, les requérantes dénoncent le retard de l’administration dans le paiement de l’indemnité qu’elles ont obtenue, laquelle n’est pas assortie d’intérêts moratoires, et allèguent une absence de recours à cet égard.

2. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, les requérantes se plaignent d’une violation de leur droit au respect de la présomption d’innocence, dans la mesure où elles auraient été présentées aux organes de presse en tant que « terroristes » avant même d’être jugées.

3. Invoquant l’article 5 § 1 c) de la Convention, les requérantes se plaignent du défaut de légalité de leur arrestation ainsi que de la durée de leur garde à vue et de leur détention provisoire (en ce qui concerne Münüre Apaydın). Invoquant l’article 5 § 5, elles se plaignent de l’insuffisance des sommes qui leur ont été accordées par les juridictions internes au vu des dommages matériels et moraux qu’elles auraient subis. A cet égard, elles invoquent également l’article 13 de la Convention. Elles allèguent une absence d’effectivité pour le recours découlant de la loi no 466 qui n’assurerait pas un degré suffisant de certitude.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, les requérantes se plaignent du défaut d’équité de la procédure devant le tribunal de fond et la Cour de cassation. Elles soutiennent plus particulièrement que les principes de « procédure contradictoire » et d’« égalité des armes » ont été atteints.

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérantes se plaignent du retard de l’administration dans le paiement de l’indemnité qu’elles ont obtenue et qui n’est pas assortie d’intérêts moratoires. L’absence de recours à cet égard aurait enfreint l’article 13 de la Convention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Les requérantes soutiennent que le fait d’avoir été présentées à la presse en tant que membres d’une organisation illégale avant même d’être jugées a enfreint leur droit à la présomption d’innocence, tel que prévu par l’article 6 § 2 de la Convention.

La Cour note que les intéressées n’étayent aucunement ce grief. En tout état de cause, la décision interne définitive est l’arrêt de la cour de sûreté de l’État du 28 novembre 2000, devenu définitif le 6 décembre 2000, soit plus de six mois avant l’introduction de la présente requête. L’examen du dossier ne révèle aucun élément qui aurait pu suspendre le cours du délai en question. Partant, ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Les requérantes se plaignent du défaut de légalité de leur arrestation ainsi que de la durée de leur garde à vue et de leur détention provisoire (en ce qui concerne Münüre Apaydın). Elles y voient une violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Elles allèguent en outre que le montant alloué par la cour d’assises est insuffisant et ne peut passer pour une réparation au sens de l’article 5 § 5. A cet égard, elles invoquent également l’article 13 de la Convention.

La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 §§ 1 c), 3 et 5 de la Convention.

En l’espèce, les gardes à vue des requérantes ont pris fin le 5 janvier 1996 et la détention provisoire de Münüre Apaydın le 16 avril 1996, soit, dans les deux cas, plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, à savoir le 19 août 2002. Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 c) et 3 sont tardifs et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Quant au grief tiré de l’article 5 § 5, la Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002X).

Compte tenu de la conclusion à laquelle elle aboutit ci-dessus, la Cour estime que les requérantes n’ont aucun droit à réparation. Par ailleurs, aucune violation de l’article 5 §§ 1 à 4 de la Convention n’a été établie par un organe interne. A cet égard, l’octroi d’une indemnisation par la cour d’assises en application de la loi no 466 ne constitue pas un tel constat, s’agissant d’une décision fondée sur un texte qui se distingue, tant par sa finalité que par ses conditions de recevabilité, des dispositions de l’article 5 §§ 1 et 3 (voir, mutatis mutandis, Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319A, p. 17, § 44, et Bauduin c. France, no 28692/95, décision de la Commission du 16 octobre 1996).

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs des requérantes tirés des articles 6 §§ 1 et 3, et 13 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président