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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 19646/03
présentée par Faruk DENİZ
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 19 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 décembre 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Faruk Deniz, est un ressortissant turc, né en 1972 et résidant à Manisa. Il est représenté devant la Cour par Me S. Pekdaş, avocate à Izmir.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 27 décembre 1995, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue par des policiers de la section de lutte anti-terroriste de la direction de la sûreté de Manisa. Il lui était reproché d’être membre d’une organisation illégale, le DHKP/C (Parti révolutionnaire de libération du peuple/Front).

Selon le requérant, le 4 janvier 1996, il fut présenté en tant que « terroriste » aux organes de presse écrite et télévisée.

Le 5 janvier 1996, le requérant fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Izmir, qui ordonna son placement en détention provisoire.

Le 25 mars 1998, la cour de sûreté de l’État libéra le requérant.

Le 28 novembre 2000, la cour acquitta le requérant. Cette décision devint définitive le 6 décembre 2000.

Le 2 mars 2001, sur le fondement de la loi no 466, le requérant saisit la cour d’assises de Manisa d’une action en réparation du préjudice subi en raison de sa privation de liberté.

Le 29 janvier 2002, la cour d’assises, après avoir procédé à une expertise de la perte de revenus du requérant pour la période de détention en cause, accorda à celui-ci 368 531 000 livres turques (TRL) [environ 323 euros (EUR)] à titre de dédommagement du préjudice matériel et 2 000 000 000 TRL [environ 1 757 EUR] pour le préjudice moral. Elle estima que les autres demandes n’étaient pas fondées et que les pertes alléguées n’étaient pas prouvées.

Le 7 février 2002, le requérant se pourvut en cassation. Il soutint que les montants accordés étaient insuffisants, la cour d’assises n’avait pas décidé sur sa demande concernant les intérêts moratoires, le rapport d’expertise ne lui avait pas été notifié et il n’y avait pas eu d’audience. Il invoqua les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Il demanda également la tenue d’une audience.

Le 20 mai 2002, la Cour de cassation approuva l’arrêt de la cour d’assises après avoir examiné l’avis du procureur général, lequel ne fut pas notifié au requérant. Elle ne tint pas d’audience.

Le 24 juin 2002, l’arrêt de la Cour de cassation fut notifié au requérant.

Le 20 décembre 2002, à la date de l’introduction de la requête, le requérant n’avait pas encore obtenu le paiement.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Göç c. Turquie ([GC], no 36590/97, §§ 2734, CEDH 2002V).

L’article 1 de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues dispose que :

« Seront compensés par l’État les dommages subis par toute personne :

1. arrêtée ou mise en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ;

2. à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ;

3. qui n’aura pas été traduite dans le délai légal devant le juge après avoir été arrêtée ou mise en détention ;

4. qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ;

5. dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ;

6. qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ;

ou

7. qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement. »

Aux termes de l’article 2 de la loi no 466, tout plaignant doit introduire une demande d’indemnisation devant la cour d’assises du lieu de son domicile dans un délai de trois mois, en exposant les faits litigieux et indiquant le montant réclamé. Cette demande est dirigée contre le Trésor public.

L’article 3 de la même loi dispose :

« A réception de la demande d’indemnisation, la cour d’assises compétente (...) désigne l’un de ses membres, lequel doit tout d’abord vérifier que la demande a été présentée dans le délai légal. Dans l’affirmative, le juge ainsi désigné doit recueillir tous les éléments de preuve, y compris le dossier de l’affaire et le jugement [relatifs à la procédure pénale]. Si nécessaire, le juge désigné entend le plaignant. Il transmet ensuite le dossier au parquet pour avis, après avoir recueilli l’ensemble des éléments de preuve.

A réception de l’avis écrit du procureur, la cour rend sa décision sans tenir d’audience.

Le plaignant a le droit de faire appel de cette décision dans le délai d’une semaine après en avoir reçu notification. »

Tout plaignant est en droit de demander réparation du préjudice tant matériel que moral découlant d’une détention irrégulière. Toute demande financière doit s’appuyer sur des éléments écrits. Le montant accordé à titre de réparation pour dommage moral est déterminé en fonction de la situation personnelle, financière et sociale du plaignant.

En vertu de l’article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur les voies d’exécution et la faillite (İcra ve İflas Kanunu), les biens appartenant à l’État ainsi que les biens destinés à l’usage public ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant allègue un défaut d’équité de la procédure devant le tribunal de fond et la Cour de cassation. Il soutient entre autres que le défaut d’audience, l’absence de notification du rapport d’expertise lors de la procédure devant la cour d’assises ainsi que l’absence de notification de l’avis du procureur général près la Cour de cassation portent atteinte aux principes de « procédure contradictoire » et d’« égalité des armes ».

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce le retard de l’administration dans le paiement de l’indemnité qu’il a obtenue, laquelle n’est pas assortie d’intérêts moratoires, et allègue une absence de recours à cet égard.

2. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de la présomption d’innocence, dans la mesure où il aurait été présenté aux organes de presse en tant que « terroriste » avant même d’être jugé.

3. Invoquant l’article 5 § 1 c) de la Convention, le requérant se plaint du défaut de légalité de son arrestation ainsi que de la durée de sa garde à vue et de sa détention provisoire. Invoquant l’article 5 § 5, il se plaint de l’insuffisance des sommes qui lui ont été accordées par les juridictions internes au vu des dommages matériels et moraux qu’il aurait subis. A cet égard, il invoque également l’article 13 de la Convention. Il allègue une absence d’effectivité pour le recours découlant de la loi no 466 qui n’assurerait pas un degré suffisant de certitude.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure devant le tribunal de fond et la Cour de cassation. Il soutient plus particulièrement que les principes de « procédure contradictoire » et d’« égalité des armes » ont été atteints.

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint du retard de l’administration dans le paiement de l’indemnité qu’il a obtenue et qui n’est pas assortie d’intérêts moratoires. L’absence de recours à cet égard aurait enfreint l’article 13 de la Convention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Le requérant soutient que le fait d’avoir été présenté à la presse en tant que membre d’une organisation illégale avant même d’être jugé a enfreint son droit à la présomption d’innocence, tel que prévu par l’article 6 § 2 de la Convention.

La Cour note que l’intéressé n’étaye aucunement ce grief. En tout état de cause, la décision interne définitive est l’arrêt de la cour de sûreté de l’État du 28 novembre 2000, devenu définitif le 6 décembre 2000, soit plus de six mois avant l’introduction de la présente requête. L’examen du dossier ne révèle aucun élément qui aurait pu suspendre le cours du délai en question. Partant, ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Le requérant se plaint du défaut de légalité de son arrestation ainsi que de la durée de sa garde à vue et de sa détention provisoire. Il y voit une violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Il allègue en outre que le montant alloué par la cour d’assises est insuffisant et ne peut passer pour une réparation au sens de l’article 5 § 5. A cet égard, il invoque également l’article 13 de la Convention.

La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 §§ 1 c), 3 et 5 de la Convention.

En l’espèce, la garde à vue du requérant a pris fin le 5 janvier 1996 et sa détention provisoire le 25 mars 1998, soit, dans les deux cas, plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, à savoir le 20 décembre 2002. Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 c) et 3 sont tardifs et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Quant au grief tiré de l’article 5 § 5, la Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002X).

Compte tenu de la conclusion à laquelle elle aboutit ci-dessus, la Cour estime que le requérant n’a aucun droit à réparation. Par ailleurs, aucune violation de l’article 5 §§ 1 à 4 de la Convention n’a été établie par un organe interne. A cet égard, l’octroi d’une indemnisation par la cour d’assises en application de la loi no 466 ne constitue pas un tel constat, s’agissant d’une décision fondée sur un texte qui se distingue, tant par sa finalité que par ses conditions de recevabilité, des dispositions de l’article 5 §§ 1 et 3 (voir, mutatis mutandis, Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319A, p. 17, § 44, et Bauduin c. France, no 28692/95, décision de la Commission du 16 octobre 1996).

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés des articles 6 §§ 1 et 3, et 13 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président