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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 9907/02
présentée par Emine ARAÇ
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 19 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 22 octobre 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Emine Araç, est une ressortissante turque, née en 1973 et résidant à Istanbul. Elle est représentée devant la Cour par Me H. Tuna, avocat à Istanbul.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

Le 24 septembre 1998, la requérante, étudiante à la faculté de théologie d’İnönü à Malatya, demanda son inscription à la faculté de théologie de l’université de Marmara. A cette fin, elle fournit entre autres une photo d’identité sur laquelle elle apparaissait voilée.

Le 1er octobre 1998, la faculté de théologie de l’université de Marmara répondit que la photo d’identité présentée par l’intéressée n’était pas conforme à la réglementation en vigueur et qu’en cas de manquement des pièces demandées, il n’était pas possible de donner suite à la demande d’inscription.

A une date imprécisée, la requérante introduisit un recours en annulation devant le tribunal administratif d’Istanbul. Elle demanda, en particulier, l’annulation du refus de l’administration du fait du non-respect de ses droits.

Par un jugement du 23 septembre 1999, le tribunal administratif débouta la requérante de sa demande, considérant que le refus était conforme à la réglementation en vigueur. Il estima notamment que la partie demanderesse avait présenté une photo d’identité non conforme à la réglementation en vigueur, selon laquelle « les photos doivent être prises de face depuis moins de six mois, de sorte que la personne en question soit facilement identifiable, la tête et le cou doivent apparaître découverts » (article 4 § 1 f) du Guide du concours d’entrée à l’université, adopté par le Conseil de l’enseignement supérieur le 17 avril 1998).

Sur pourvoi de la requérante, le Conseil d’État confirma le jugement du 23 septembre 1999, considérant que celui-ci était conforme à la loi et aux règles de procédure. Les parties pertinentes de cet arrêt sont libellées comme suit :

« Résumé de la demande : (...)

Opinion de Mme Serpil K. Erdoğan, juge d’instruction auprès du Conseil d’État : Elle pense qu’il convient de rejeter la demande de pourvoi et de confirmer le jugement de première instance.

Opinion de M. H. Hüseyin Tok, avocat général (savcı) auprès du Conseil d’État : Les moyens présentés dans le mémoire de pourvoi ne correspondent pas à ceux énumérés à l’article 49 § 1 du code de procédure administrative et, vu les arguments juridiques et légaux sur lesquels étaient fondés le jugement de première instance, ces moyens ne peuvent pas être considérés comme nécessitant l’infirmation du jugement contesté (...) »

GRIEFS

La requérante soutient que le refus de sa demande d’inscription pour avoir fourni une photo d’identité sur laquelle elle apparaît voilée enfreint ses droits garantis par les articles 8, 9 et 10 de la Convention et 2 du Protocole no 1.

La requérante dit également avoir subi une discrimination fondée sur le sexe, du fait que le précepte religieux portant sur le voile ne concerne que les femmes musulmanes. Selon elle, les hommes musulmans, qui ne sont pas obligés de porter un tel couvre-chef, ne subissent aucune contrainte de cette sorte. A ses yeux, de telles interdictions constituent une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention, combiné avec les articles 8, 9 et 10, ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1.

La requérante se plaint en outre que sa cause n’a pas été entendue équitablement par les juridictions administratives du fait du manque d’indépendance et d’impartialité de ces tribunaux, dans la mesure où parmi les juges des tribunaux administratifs figuraient des juges qui ne sont pas juristes de formation. Par ailleurs, elle soutient ne pas avoir bénéficié du principe du contradictoire et de l’égalité des armes dans la procédure consacrée à l’examen de son pourvoi du fait que l’avis de l’avocat général auprès du Conseil d’État ne lui a jamais été communiqué. De même, elle se plaint de l’absence de motivation des jugements. Elle invoque à cet égard l’article 6 de la Convention.

La requérante se plaint enfin que la mesure en cause constitue une violation de son droit au respect de ses biens, dans la mesure où elle a engagé des frais de scolarité et s’est vue privée de la possibilité d’intégrer la fonction publique. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 6 de la Convention

La requérante se plaint que sa cause n’a pas été entendue équitablement par les juridictions administratives du fait du manque d’indépendance et d’impartialité de ces tribunaux, dans la mesure où parmi les juges des tribunaux administratifs figuraient des juges qui ne sont pas juristes de formation. En outre, elle soutient ne pas avoir bénéficié du principe du contradictoire et de l’égalité des armes dans la procédure consacrée à l’examen de son pourvoi du fait que l’avis de l’avocat général auprès du Conseil d’État ne lui a jamais été communiqué. Enfin, elle se plaint de l’absence de motivation des jugements.

Elle invoque à cet égard l’article 6 de la Convention.

1. Sur le manque de communication de l’avis de l’avocat général auprès du Conseil d’État

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Sur le manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux administratifs

La Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion de se prononcer sur une question similaire soulevée par un requérant dans le cadre de l’affaire Saltuk c. Turquie ((déc.), no 31135/96, 28 août 1999 ; voir, dans le même sens, Kurtulmuş c. Turquie (déc.), no 65500/01, CEDH 2006-...). Elle a rejeté le grief au vu des garanties constitutionnelles et légales dont jouissent les juges siégeant dans les tribunaux administratifs, et étant donné l’absence d’une argumentation pertinente qui rendrait sujettes à caution leur indépendance et leur impartialité. Tel est également le cas en l’espèce.

Il convient dès lors de rejeter cette partie de la requête pour défaut manifeste de fondement, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Sur le manque de motivation des jugements

Quant à l’absence alléguée de motivation des jugements rendus par les juridictions nationales, la Cour reconnaît qu’il ne découle pas de l’article 6 que les motifs exposés par une juridiction doivent traiter en particulier de tous les points que l’une des parties peut estimer fondamentaux pour son argumentation. Une partie n’a pas le droit absolu d’exiger du tribunal qu’il expose les motifs qu’il a de rejeter chacun de ses arguments (voir Ibrahim Aksoy c. Turquie (déc.), nos 28635/95,30171/96 et 34535/97, 10 octobre 2000).

En l’occurrence, le tribunal administratif d’Istanbul, saisi d’un recours en annulation, a rejeté la demande de la requérante, en se fondant sur la réglementation en vigueur. De même, le Conseil d’État a confirmé le jugement de première instance en soulignant que celui-ci était conforme à la loi et aux règles de procédure

La Cour estime ainsi que ces juridictions ont suffisamment motivé leur décision. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Griefs tirés des articles 8, 9 et 10 de la Convention ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1

La requérante soutient que le refus de sa demande d’inscription pour avoir fourni une photo d’identité sur laquelle elle apparaît voilée enfreint ses droits garantis par les articles 8, 9 et 10 de la Convention et 2 du Protocole no 1.

De même, elle dit avoir subi une discrimination fondée sur le sexe, du fait que le précepte religieux portant sur le voile ne concerne que les femmes musulmanes. Selon elle, les hommes musulmans, qui ne sont pas obligés de porter un tel couvre-chef, ne subissent aucune contrainte de cette sorte. A ses yeux, de telles interdictions constituent une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention, combiné avec les articles 8, 9 et 10, ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1.

1. Article 9 de la Convention et première phrase de l’article 2 du Protocole no 1

La Cour rappelle que, dans la décision Karaduman c. Turquie (no 16278/90, décision de la Commission du 3 mai 1993, Décisions et rapports (DR) 74, p. 93), la Commission a considéré notamment que l’obligation faite à une étudiante de présenter une photo sur laquelle elle apparaît la tête découverte aux fins d’obtenir son diplôme ne constitue pas une ingérence dans la liberté de manifester la religion.

Au regard de l’article 9 de la Convention, la Cour parvient à une conclusion similaire en la présente affaire. D’une part, rien ne donne à penser que l’obligation imposée à la requérante de présenter une photo d’identité sur laquelle elle apparaît la tête nue constitue une entrave à une quelconque forme habituelle de manifestation de sa religion. D’autre part, une photo d’identité constitue un simple moyen d’identification.

Par ailleurs, dans sa jurisprudence constante relative à l’article 9 de la Convention et à la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1, la Cour a toujours dit que les modalités de la mise en œuvre de telles réglementations entrent dans la marge d’appréciation de l’État défendeur (voir, entre plusieurs autres, Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, §§ 109 et 154, CEDH 2005..., Phull c. France (déc.), no 35753/03, CEDH 2005-..., et Köse et autres c. Turquie (déc.), no 26625/02, CEDH 2006-...).

Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Article 14 de la Convention

Pour ce qui est du grief tiré de l’article 14, combiné avec les dispositions énoncées ci-dessus, la Cour observe que l’obligation imposée à la requérante de présenter une photo d’identité sur laquelle elle apparaît la tête nue ne vise nullement son appartenance à une religion ou à un sexe déterminé, mais constitue manifestement un simple moyen d’identification destiné aux services internes de la faculté.

Cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Articles 8 et 10 de la Convention et article 1 du Protocole no 1

Pour ce qui est des autres griefs tirés des articles de la Convention, leur argumentation n’est que la reformulation du grief exprimé sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1 et de l’article 9 de la Convention, aux sujets desquels la Cour a conclu à l’absence d’apparence de violation.

De même, s’agissant du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour souligne que, selon les éléments du dossier, la requérante a toujours la possibilité de reprendre ses études universitaires en présentant une photo d’identité conforme à la réglementation en vigueur. Pour ce qui est du manque à gagner, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le revenu futur ne peut être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il a fait l’objet d’une créance certaine (Köse et autres, décision précitée).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief de la requérante tiré de l’absence de communication de l’avis de l’avocat général auprès du Conseil d’État ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président