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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 12648/06
présentée par Malcolm David BOOKER
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 14 septembre 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de Mme F. Aracı, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 22 mars 2006,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Malcolm David Booker, est un ressortissant australien, né en 1954 et résidant à Montegabbione (Terni).
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant réside en Italie et est marié avec une ressortissante italienne.
Le 19 septembre 2002, le requérant appela les carabiniers de Montegabbione, les invitant à se rendre chez lui pour éloigner des chasseurs qui, selon ses dires, envahissaient sa propriété. Lorsque deux carabiniers, X et Y, arrivèrent sur les lieux, les chasseurs étaient déjà partis. Le requérant invita alors les carabiniers à placer une voiture en permanence devant sa demeure. Cette demande ayant été refusée, le requérant eut un différend avec X.
Le 28 août 2003, le requérant reçut une citation à comparaître à l’audience du 11 mai 2004 devant le tribunal d’Orvieto. Il apprit ainsi qu’il était accusé de menaces à officier public. Selon le chef d’inculpation, le requérant aurait proféré les phrases suivantes à l’encontre de X : « Je te fais faire la même fin que le maréchal qui était [ici] avant toi, que j’ai fait transférer loin parce qu’il ne mettait pas la voiture en permanence ici – maintenant j’appelle tes supérieurs et le général qui est à Pérouse » (« Ti faccio fare la fine del maresciallo che c’era prima di te che l’ho fatto trasferire lontano perché non mi metteva la macchina fissa qui – ora chiamo i tuoi superiori ed il generale che sta a Perugia »).
La citation à comparaître invitait le requérant à élire un domicile pour les notifications. Il était en outre précisé que le requérant pouvait nommer un avocat de son choix, à défaut de quoi il aurait été représenté par un conseil commis d’office, et qu’il lui était loisible de consulter le dossier contenant les actes accomplis au cours des investigations préliminaires.
Le requérant nomma un avocat de son choix, Me B., et l’informa verbalement de la date de l’audience.
Le 11 mai 2004, le requérant ne se présenta pas aux débats et fut déclaré contumax. Me B. produisit sa nomination et demanda un ajournement de l’audience, étant donné qu’il avait reçu son mandat seulement la veille. Le tribunal fit droit à cette demande et renvoya les débats au 5 novembre 2004.
Le jour venu, le requérant était toujours absent. Me B. ne se présenta pas aux débats et fut remplacé par un avocat commis d’office, Me C. X se constitua partie civile. X et Y furent interrogés par le représentant du parquet. Me C. eut la possibilité de poser des questions à ces deux témoins, mais n’estima pas nécessaire de le faire. La procédure fut ajournée au 25 février 2005.
A cette audience, ni le requérant ni Me B. n’étaient présents. Me B. fut remplacé par un nouvel avocat commis d’office, Me P. Les parties présentèrent leurs plaidoiries. Me P. demanda la relaxe du requérant ou bien l’infliction d’une peine mitigée.
Par un jugement du 25 février 2005, dont le texte fut déposé au greffe le 19 mars 2005, le tribunal d’Orvieto condamna le requérant à une peine d’un mois d’emprisonnement et à la réparation des dommages subis par X, s’élevant à 500 euros. Le requérant fut également condamné à rembourser les frais de justice de la partie civile. Cette décision se fondait sur les déclarations faites aux débats par X et Y. Le tribunal estima ne pas pouvoir octroyer au requérant le sursis de l’exécution de la peine, compte tenu de ses antécédents et de ses rapports conflictuels avec les forces de l’ordre.
Aucun appel n’ayant été interjeté contre le jugement du 25 février 2005, ce dernier devint définitif le 23 septembre 2005.
Le 6 décembre 2005, le requérant fut arrêté. Il apprit ainsi sa condamnation. L’exécution de sa peine fut suspendue le jour suivant. Le 16 février 2006, le juge d’exécution des peines de Pérouse fit droit à la demande du requérant d’être assigné à titre probatoire aux services sociaux (affidamento in prova a servizi sociali).
B. Le droit et la pratique internes pertinents
La validité d’un jugement de condamnation peut être contestée en soulevant un incident d’exécution, comme prévu à l’article 670 § 1 du code de procédure pénale (« le CPP »), lequel dispose, dans ses parties pertinentes :
« Lorsque le juge de l’exécution établit que l’acte n’est pas valide ou qu’il n’est pas devenu exécutoire, [après avoir] évalué aussi sur le fond (nel merito) le respect des garanties prévues pour le cas où le condamné est introuvable, (...) il suspend l’exécution et ordonne si nécessaire la libération de l’intéressé et le renouvellement de la notification qui avait été irrégulière. Dans ce cas, le délai d’appel recommence à courir. »
L’article 175 §§ 2 et 2bis du CPP prévoit la possibilité d’introduire une demande en relèvement de forclusion. Telles que modifiées par la loi no 60 de 2005 (entrée en vigueur le 24 avril 2005), les parties pertinentes de cette disposition se lisent comme suit :
« 2. En cas de condamnation par défaut (...), le délai pour attaquer le jugement est rouvert, à demande de l’accusé, sauf si ce dernier a eu une connaissance réelle (effettiva conoscenza) de la procédure [diligentée à son encontre] ou du jugement (provvedimento) et a volontairement renoncé à comparaître ou à attaquer le jugement. Les autorités judiciaires accomplissent toute vérification nécessaire à ces fins. »
« 2bis. La demande indiquée à l’alinéa 2 est introduite, sous peine d’irrecevabilité, dans les trente jours qui suivent la date à laquelle l’accusé a eu une connaissance effective du jugement. En cas d’extradition depuis l’étranger, le délai pour présenter la demande commence à courir du moment où l’accusé est délivré [aux autorités italiennes] (...). »
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure pénale menée à son encontre.
2. Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant considère que sa condamnation s’analyse en une discrimination injustifiée.
EN DROIT
Le requérant considère que la procédure pénale dont il a fait l’objet n’a pas été équitable. Il invoque l’article 6 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
Le requérant se plaint d’avoir été jugé par contumace, sans avoir eu la possibilité de présenter sa version des faits devant les juridictions nationales. Il observe qu’il aurait pu être aisément repéré à son domicile et déplore la circonstance qu’aucun avis de fixation des audiences postérieures à celle du 11 mai 2004 n’est parvenu ni à lui ni à Me B.
Le requérant souligne également être de langue maternelle anglaise et note que les autorités n’ont accompli aucune vérification pour déterminer s’il était en mesure de comprendre la signification de la citation à comparaître, rédigée en italien.
Le requérant estime en outre avoir été condamné au mépris de la présomption d’innocence. En effet, face aux affirmations d’un officier public, il incomberait au citoyen de prouver son innocence. Le requérant souligne enfin que les autorités ont remplacé Me B. par des avocats commis d’office qui n’avaient aucune connaissance des faits de la cause.
La Cour note d’emblée que le requérant, condamné par contumace, n’a ni demandé le relèvement de la forclusion, ni introduit un incident d’exécution. Cependant, elle n’estime pas nécessaire d’établir si, dans les circonstances particulières de la présente affaire, des recours fondés sur les articles 175 et 670 du CPP auraient été accessibles et efficaces (voir, mutatis mutandis, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 43-56 et 102-104, 1er mars 2006). En effet, même à supposer que les voies de recours internes aient été épuisées, ce grief est de toute manière irrecevable, pour les raisons suivantes.
Les principes généraux en matière de procès par contumace sont énoncés dans l’arrêt Sejdovic (voir arrêt précité, §§ 81-95).
Faisant application de ces principes dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant a été informé des poursuites et de la date de l’audience devant le juge du fond le 28 août 2003, lorsqu’il a reçu la citation à comparaître. Sa situation est donc différente de celle de M. Sejdovic, qui ne fut jamais atteint par une notification à personne (Sejdovic précité, § 96).
Il est vrai que la citation en cause était rédigée en italien et que le requérant est de langue maternelle anglaise. Cependant, plusieurs éléments amènent à penser que le requérant avait une connaissance de l’italien suffisante pour comprendre la signification de ce document. En premier lieu, le requérant réside en Italie et est marié avec une ressortissante italienne. De plus, le différend avec X a eu lieu en italien et le requérant a proféré dans cette langue les affirmations ayant conduit à sa condamnation. Par ailleurs, suite à la réception de la citation à comparaître, le requérant a pris contact avec Me B. et lui a donné mandat pour le représenter dans le cadre de la procédure pénale entamée à son encontre. Il a ainsi démontré avoir compris que des poursuites étaient ouvertes et avoir besoin d’une assistance légale. Enfin, l’intéressé n’a ni manifesté aux autorités ses éventuelles lacunes dans la compréhension de l’acte qui lui avait été signifié, ni sollicité une traduction en anglais de celui-ci.
La Cour en conclut que le requérant était au courant de la date de l’audience, fixée au 11 mai 2004 devant le tribunal d’Orvieto. Cependant, il décida de son plein gré de ne pas y participer. Le requérant a également omis de prendre contact avec son conseil, présent à l’audience incriminée, pour se renseigner quant au déroulement de la procédure et à la date de l’audience suivante, fixée par le juge en présence des représentants des parties.
Dans ces circonstances, la Cour conclut que le requérant a renoncé, de manière non équivoque, quoique tacite, à sa faculté de comparaître à l’audience (voir, mutatis mutandis, Craxi c. Italie, no 34896/97, § 70, 5 décembre 2002). Il n’avait donc pas droit à obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit.
Dans la mesure où le requérant se plaint d’une atteinte à la présomption d’innocence, la Cour observe que la culpabilité de l’intéressé a été établie de manière légale à l’issue d’une procédure judiciaire et sur la base des témoignages faits à l’audience. Dès lors, aucune apparence de violation du paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention ne saurait être décelée. Par ailleurs, il convient de rappeler que la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves ou encore sur la culpabilité du requérant (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 38, CEDH 2001-II, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V).
Pour ce qui est, enfin, du remplacement de Me B. par des avocats commis d’office aux audiences des 5 novembre 2004 et 25 février 2005, la Cour note que le 11 mai 2004, Me B. a lui-même demandé un renvoi des débats. Cette demande a été accueillie par le tribunal d’Orvieto, qui a communiqué à l’avocat en cause la date de l’audience suivante. Cependant, sans alléguer un empêchement légitime ou une autre raison valable, le jour venu Me B. ne s’est pas rendu au prétoire. Afin d’assurer une représentation effective à l’accusé absent, les autorités ont donc procédé à la nomination d’un conseil commis d’office. La Cour estime que cette démarche est conforme aux intérêts d’une bonne administration de la justice et ne saurait passer pour contraire à l’article 6 de la Convention.
Elle rappelle ensuite que, s’il reconnaît à tout accusé le droit à « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur (...) », l’article 6 § 3 c) de la Convention n’en précise pas les conditions d’exercice. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir ; la tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable (Quaranta c. Suisse, arrêt du 24 mai 1991, série A no 205, p. 16, § 30). A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Imbrioscia c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, p. 13, § 38, et Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33).
On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office ou choisi par l’accusé. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Daud c. Portugal, arrêt du 21 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, pp. 749-750, § 38, et Sannino c. Italie, no 30961/03, § 49, 27 avril 2006).
En l’espèce, le requérant n’a jamais porté à l’attention des autorités d’éventuelles difficultés qu’il aurait rencontrées dans la préparation de sa défense. De plus, la Cour ne voit, en la présente espèce, aucune carence manifeste imputable aux avocats d’office de l’intéressé. Il est vrai que l’un de ces avocats n’a pas estimé nécessaire de poser des questions aux témoins examinés à l’audience du 5 novembre 2004. Cependant, cette conduite ne s’analyse pas forcément en une carence, pouvant être dictée par des considérations relatives à la stratégie de défense. De plus, à l’audience du 25 février 2005, l’avocat d’office du requérant a plaidé en faveur de son client, sollicitant sa relaxe ou bien l’infliction d’une peine mitigée.
Les autorités internes n’étaient dès lors pas obligées d’intervenir ou de prendre des mesures pour garantir à l’accusé une défense et une représentation effectives (voir, a contrario, Sannino précité, § 51).
A la lumière de ce qui précède, la Cour ne saurait conclure que la procédure pénale menée contre le requérant a été inéquitable ou autrement contraire à l’article 6 de la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant estime que sa condamnation et le refus de lui octroyer le sursis de l’exécution de sa peine s’analysent en une discrimination, contraire à l’article 14 de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le requérant considère que les décisions incriminées étaient motivées par sa nationalité et par la circonstance qu’il est un artiste, actif dans la protection de l’environnement et marié avec une ressortissante italienne elle aussi promotrice d’actions en justice contre l’administration.
Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que la discrimination découlait du fait de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées en la matière dans des situations comparables (Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV).
En l’espèce, le requérant n’a pas démontré avoir été traité différemment par rapport à d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue à la sienne. Il n’a pas non plus été établi que le traitement dénoncé était fondé sur la nationalité, la profession ou l’engagement social du requérant ou de son épouse.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fatoş Aracı Boštjan M. Zupančič
Greffière adjointe Président