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TROISIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 699/03
présentée par Carlo FACCHIANO et autres
contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 7 septembre 2006 en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 30 juillet 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. Carlo Facchiano, Vito Maio, Egidio Barbato, Andrea Ciullo, Vittorio Errico, Eclantino Mauta, Gennaro Mesisca, Gennaro Mozzetta et Pasquale Torzillo, sont des ressortissants italiens, nés respectivement en 1950, 1946, 1932, 1934, 1939, 1957, 1943, 1964 et 1935 et résidant à Bénévent. Ils sont représentés devant la Cour par Mes A. Nardone et T. Verrilli, avocats à Bénévent.
A. Les circonstances de l’espèce
1. La procédure principale
Le 8 juillet 1995, les requérants déposèrent un recours unique devant le juge d’instance de Bénévent (RG no 5632/95), faisant fonction de juge du travail, afin d’obtenir le paiement des différences de rétribution auxquelles ils estimaient avoir droit.
Des cinq audiences fixées entre le 25 février 1997 et le 1er juin 1999, trois furent renvoyées d’office.
Le juge mit l’affaire en délibéré le 21 septembre 1999.
Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 24 novembre 1999, le tribunal rejeta la demande des requérants.
2. La procédure « Pinto »
Par une lettre du 25 juillet 2001, le greffe de la Cour informa les requérants de l’entrée en vigueur, le 18 avril 2001, de la loi no 89 du 24 mars 2001 (« la loi Pinto »), qui a introduit dans le système juridique italien une voie de recours contre la longueur excessive des procédures judiciaires. Les requérants furent en outre invités à soumettre leurs griefs d’abord aux juridictions nationales.
Par un décret-loi du 12 octobre 2001, le délai de six mois prévu à l’article 6 de la loi Pinto fut prorogé au 18 avril 2002.
Par une lettre du 4 avril 2002, les requérants informèrent la Cour qu’ils souhaitaient se prévaloir du recours offert par la loi Pinto.
En octobre 2001, MM. Facchiano et Maio saisirent la cour d’appel de Rome au sens de la loi Pinto afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure décrite ci-dessus. Ils demandèrent à la cour de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner le gouvernement italien au dédommagement des préjudices moraux subis, à savoir 12 000 000 lires [6 197,48 euros (EUR)] pour M. Facchiano et 8 000 000 lires [4 131,65 EUR] pour M. Maio.
Par une décision du 18 juin 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 26 juillet 2002, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle accorda à chaque requérant 600 EUR en équité comme réparation du dommage moral et 1 000 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 4 décembre 2002 et acquit l’autorité de la chose jugée le 2 février 2003.
Par deux lettres du 7 et 11 février 2004, MM. Maio et Facchiano informèrent la Cour du résultat de la procédure nationale et la prièrent de reprendre l’examen de leur requête. Par la même lettre, ils informèrent aussi la Cour qu’ils n’avaient pas l’intention de se pourvoir en cassation au motif que ce remède pouvait être introduit seulement pour des questions de droit.
Les sommes accordées en exécution de la décision Pinto furent payées le 7 avril 2004.
Finalement, par deux lettres du 3 avril et 17 septembre 2004, les autres requérants informèrent la Cour qu’ils n’avaient pas saisi la cour d’appel compétente aux termes de la loi Pinto.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, 29 mars 2006).
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure civile.
D’autre part, après avoir tenté la procédure « Pinto », les deux premiers requérants considèrent que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le dommage subi pour la violation de l’article 6.
2. Invoquant l’article 13 de la Convention, les deux premiers requérants se plaignent également que la procédure « Pinto » n’est pas un remède effectif au motif que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant.
3. Les deux premiers requérants allèguent aussi la violation des articles 34, 17 et 14 de la Convention. Ils considèrent qu’étant donné les frais de procédure qu’il faut avancer pour intenter la procédure Pinto, il y a une discrimination fondée sur la richesse.
4. Invoquant l’article 6 de la Convention, les deux premiers requérants se plaignent enfin du manque d’impartialité du magistrat de la procédure « Pinto ». Ils estiment que ce magistrat ne peut pas être impartial car il doit vérifier si un autre juge, appartenant à la même catégorie d’agents de l’Etat, est responsable de la longueur d’une procédure interne et qu’en cas de condamnation le dossier est transmis à la Cour des comptes pour une procédure en responsabilité du juge.
EN DROIT
A. Grief présenté par MM. Barbato, Ciullo, Errico, Mauta, Mesisca, Mozzetta et Torzillo
Invoquant l’article 6 de la Convention, ces requérants se plaignent de la durée de la procédure civile.
La Cour estime que les requérants pouvaient se prévaloir de la norme transitoire contenue dans l’article 6 de la loi Pinto et avaient accepté de le faire. Le recours à la cour d’appel leur était donc accessible.
La Cour note que selon la loi Pinto les personnes ayant subi un dommage patrimonial ou non patrimonial peuvent saisir la cour d’appel compétente afin de faire constater la violation de la Convention quant au respect du délai raisonnable de l’article 6 § 1, et demander l’octroi d’une somme à titre de satisfaction équitable.
La Cour rappelle avoir déjà constaté dans maintes décisions sur la recevabilité (voir, parmi d’autres, Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX, et Giacometti et autres c. Italie (déc.), no 34939/97, CEDH 2001-XII) que le remède introduit par la loi Pinto est un recours que le requérant doit tenter avant que la Cour se prononce sur la recevabilité de la requête et ce, quelle que soit la date d’introduction de la requête devant la Cour.
Ne décelant aucune circonstance qui amène à décider différemment dans le cas d’espèce, la Cour considère que le grief soulevé par ces requérants doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Griefs présentés par MM. Facchiano et Maio
1. Les deux requérants se plaignent de la durée de la procédure civile et, après avoir tenté la procédure « Pinto », ils considèrent que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le dommage subi pour la violation de l’article 6 de la Convention.
Cet article, dans ses parties pertinentes, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La procédure a débuté le 8 juillet 1995 et s’est terminée le 24 novembre 1999. Elle a donc duré plus de quatre ans et quatre mois pour une instance.
Selon les requérants, la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Après avoir tenté la procédure « Pinto », les deux requérants considèrent que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le dommage subi pour la violation de l’article 6.
A cet égard, elle rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie (précité, § 84) selon laquelle dans ce genre d’affaires il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.
Dans le cas d’espèce, la Cour relève que les deux requérants peuvent continuer à se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention dans la mesure où même si la cour d’appel a reconnu l’existence de la durée excessive de la procédure, la somme accordée représente 10 % de ce qu’elle octroie généralement dans des affaires italiennes similaires. Cet élément à lui seul aboutit à un résultat manifestement déraisonnable par rapport à sa jurisprudence pour une procédure devant le juge du travail. La Cour rappelle à ce sujet que ce type de procédures doit être particulièrement rapide (voir Cocchiarella précité, § 106).
La Cour note en outre que la date pour se pourvoir en cassation pour les requérants a expiré le 2 février 2003, c’est-à-dire avant le changement de jurisprudence de la Cour de cassation.
C’est pourquoi, la Cour ne voit pas de motif l’amenant à déroger à la jurisprudence Cocchiarella c. Italie (précitée).
Partant, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief tiré de l’article 6 et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur pour observations écrites conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Invoquant l’article 13 de la Convention, les deux requérants se plaignent également que la procédure « Pinto » n’est pas un remède effectif au motif que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant.
Cet article est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour estime que ce grief est étroitement lié à celui relatif à la durée de la procédure civile interne et doit par conséquent suivre le même sort.
En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer ce grief au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
3. Les deux requérants allèguent aussi la violation des articles 34, 17 et 14 de la Convention. Ils considèrent qu’étant donné les frais de procédure qu’il faut avancer pour intenter la procédure Pinto, il y a une discrimination fondée sur la richesse.
La Cour note d’abord que selon la loi italienne, un justiciable peut être admis au bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite en matière civile. Or, la Cour constate que les deux requérants n’ont jamais demandé l’aide judiciaire.
La Cour relève en outre que les deux requérants, qui se plaignent d’une prétendue discrimination en raison des frais de justice, ont pu saisir la cour d’appel compétente aux termes de la loi « Pinto ». Or, on ne saurait parler d’entrave à l’accès à un tribunal lorsqu’une partie, représentée par un avocat, saisit librement la juridiction compétente et présente devant elle ses arguments (Nicoletti c. Italie (déc.), no 31332/96, 10.4.1997).
Partant, la Cour estime qu’aucune apparence de violation de ces dispositions ne peut être décelée et que ces griefs sont manifestement mal fondés selon l’article 35 § 3 et doivent être rejetés conformément à l’article 34 § 4 de la Convention.
4. Invoquant l’article 6 de la Convention, les deux requérants se plaignent enfin du manque d’impartialité du magistrat de la procédure « Pinto ». Ils estiment que ce magistrat ne peut pas être impartial car il doit vérifier si un autre juge, appartenant à la même catégorie d’agents de l’Etat, est responsable de la longueur d’une procédure interne et qu’en cas de condamnation le dossier est transmis à la Cour des comptes pour une procédure en responsabilité du juge.
Cet article, dans ses parties pertinentes, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour rappelle que l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257‑B, § 25-28).
Quant à la première, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire ; or aucun élément du dossier ne donne à penser que le juge de la procédure « Pinto » avait des préjugés.
Quant à la seconde, elle conduit à se demander si, indépendamment de la conduite du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier.
En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge un défaut d’impartialité, l’optique de l’intéressé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour objectivement justifiées.
En l’espèce, la crainte d’un défaut d’impartialité tenait au fait que le juge de la procédure « Pinto » devait vérifier si un autre magistrat, appartenant à la même catégorie d’agents de l’Etat, était responsable de la longueur d’une procédure interne et qu’en cas de condamnation le dossier était transmis à la Cour des comptes pour une procédure en responsabilité du juge.
Or si pareille situation pouvait susciter des doutes chez les intéressés, on ne saurait pour autant les considérer comme objectivement justifiés.
Il ressort en effet du dossier que le juge de la procédure « Pinto » a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en accordant aux requérants une somme en équité comme réparation du dommage moral. Il appert en outre que ledit magistrat se fondait sur les faits provenant de la procédure civile interne.
La Cour note que le juge de la procédure « Pinto » obéissait à des dispositions précises applicables à son cas.
Partant, la Cour estime qu’aucune apparence de violation de ce disposition ne peut être décelée et que ce grief est manifestement mal fondée selon l’article 35 § 3 et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen des griefs des requérants Facchiano et Maio tirés des articles 6 § 1, quant à la durée de la procédure civile, et 13 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Vincent Berger Boštjan M. ZupanČiČ Greffier Président