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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 42969/04
présentée par Ali Osman ÖZMEN
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 5 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 6 décembre 2004,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Ali Osman Özmen, est un ressortissant turc, né en 1942 et résidant à Ankara. Il est représenté devant la Cour par Me U. Alacakaptan, avocat à Istanbul.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est le président directeur général de Ali Osman Özmen İnşaat A.Ş., une société anonyme oeuvrant dans le domaine de la construction et des travaux publics. A l’époque des faits, il construisait un complexe immobilier (350 000 m2 de surface habitable et 150 000 m2 de travaux divers) pour le commandement des forces spéciales, dans le cadre d’un contrat signé avec le ministère de la Défense.

Le 29 avril 2004, le requérant fut entendu par le procureur militaire près la présidence de l’état-major (« le procureur militaire ») au sujet des chefs d’inculpation suivants : corruption, fraude dans les opérations d’appels d’offres publics, obtention frauduleuse de versements en violation du plafond contractuel, collusion dans l’incitation à mauvais escient des fonctions publiques, faux, usage de faux et escroquerie.

Le 30 avril 2004, le tribunal militaire près la présidence de l’état-major à Ankara (« le tribunal militaire ») ordonna la détention provisoire du requérant, sur la demande du procureur militaire, dans le cadre de l’article 71 alinéas 1/A et B, et 2/A de la loi no 353 sur l’établissement et la procédure des tribunaux militaires. Les motifs du tribunal étaient comme suit : l’existence, d’après les éléments contenus dans le dossier d’instruction, de preuves plausibles que le requérant avait commis une infraction ; le risque de fuite et la nature du crime reproché nécessitant une peine lourde. Il rejeta l’application des alinéas 1/C et D du même article du fait que le requérant n’était pas militaire. Le 7 mai 2004, le tribunal militaire du commandement des forces aériennes près la présidence de l’état-major rejeta la demande d’opposition du requérant du 6 mai 2004 et approuva la décision de mise en détention provisoire.

Les 26 mai, 4 juin, 2 juillet, 1er septembre et 4 octobre 2004, le procureur militaire examina l’état de la détention provisoire du requérant et décida de la prolonger.

Les 25 mai, 4 et 30 juin, 23 juillet, 2 août, 27 août et 29 septembre 2004, le requérant fit des demandes de mise en liberté devant le tribunal militaire, lesquelles furent toutes rejetées les 3 juin, 2 juillet, 3 août, 1er septembre et 4 octobre 2004. Pour statuer, le tribunal se basa sur la gravité des chefs d’inculpation, de l’état de l’enquête et de la proportionnalité de la durée de la détention.

Le requérant forma des oppositions devant le tribunal militaire du commandement des forces aériennes près la présidence de l’état-major et le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie, les 6 mai, 8 juin, 5 juillet, 11 août, 3 septembre et 5 octobre 2004. Ces derniers approuvèrent toutes les décisions de refus de mise en liberté les 7 mai, 10 juin, 6 juillet, 13 août, 6 septembre et 8 octobre 2004.

Dans ses demandes de mise en liberté et oppositions, le requérant allégua l’incompétence du tribunal militaire dans la mesure où il n’était pas militaire. Par ailleurs, il fit savoir que les conditions exigées par les lois internes pour une détention provisoire n’étaient pas réunies et que cette mesure n’était pas conforme aux dispositions de la Convention.

Par un acte d’accusation présenté le 3 décembre 2004, le procureur militaire intenta une action pénale à l’encontre du requérant demandant sa condamnation, en application des dispositions suivantes :

articles 213/1, 80, 219/4 et 37 du code pénal et articles 16/2 et 251/1 de la loi no 353 par le renvoi de l’article 135 du code pénal militaire ;

articles 240, 64, 80 et 80 du code pénal par le renvoi de l’article 144 du code pénal militaire ;

articles 64, 339/1, 80, 504/7, 80, 522, 71 et 74 du code pénal ;

article 143 du code pénal militaire.

Le 5 janvier 2005, le tribunal militaire se déclara incompétent ratione materiae et décida de transférer l’affaire à la cour d’assises d’Ankara, au motif que les chefs d’inculpation tels que faux, usage de faux et escroquerie ne constituaient pas des délits militaires, n’y étaient pas liés et n’avaient pas été commis contre des militaires. Elle refusa toutefois la demande de mise en liberté du requérant en précisant que la compétence en la matière appartenait désormais à la cour d’assises.

Le 6 janvier 2005, le tribunal militaire décida la mise en liberté du requérant concernant uniquement le chef de fraude dans les opérations d’appels d’offres publics ; ainsi, dans les faits, il ne fut pas libéré de suite. En ce qui concerne les chefs d’inculpation pour lesquels il se déclara incompétent, elle réitéra que la cour d’assises était compétente. Le 12 janvier 2005, elle refusa la demande du requérant pour les mêmes motifs.

Le 18 février 2005, le procureur général près la Cour de cassation militaire refusa le pourvoi du procureur militaire et l’opposition du requérant.

A une date non précisée, la 9e chambre de la cour d’assises d’Ankara refusa la demande de mise en liberté du requérant, eu égard à la nature de l’infraction, à l’état des preuves et aux chefs d’inculpation définis dans la décision d’incompétence du tribunal militaire. Le 18 mars 2005, la 10e chambre approuva ladite décision.

Le 4 avril 2005, le parquet militaire rendit une décision de non-lieu concernant le chef d’inculpation de faux et de usage de faux.

Le 14 avril 2005, le requérant fut libéré.

La procédure pénale est apparemment toujours pendante devant la cour d’assises d’Ankara concernant les chefs d’inculpation restants.

B. Le droit interne pertinent

1. Le code pénal militaire

L’article 135 renvoie aux dispositions concernées du code pénal en cas de commission du délit de corruption par des personnes militaires.

L’article 143 prévoit une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans pour ceux qui réceptionnent ou font réceptionner des marchandises ou des travaux contraires aux contrats. En cas de prévision d’une peine plus lourde par les lois pénales, celles-ci seront appliquées.

Selon l’article 144, en cas de négligence de la personne à laquelle une œuvre militaire est confiée, les dispositions du code pénal prévoyant d’autres actes et d’autres peines seront également appliquées.

2. Le code pénal

Selon l’article 37, la condamnation d’une personne n’empêche pas les victimes du délit en question d’entamer des actions pour la réparation des dommages subis.

L’article 64 réglemente la collusion dans les délits et crimes.

Les articles 71, 74 et 80 réglementent le cumul des peines dans les différentes situations.

L’article 213 prévoit une peine d’emprisonnement allant de quatre à douze ans pour la corruption active.

L’article 217 prévoit la confiscation du matériel ayant fait l’objet de la corruption.

L’article 219 prévoit une majoration de moitié de la peine pour la corruption si la personne occupe une fonction dirigeante ou de magistrature.

L’article 240 prévoit une peine d’emprisonnement allant d’un à trois ans pour tout fonctionnaire abusant de sa fonction.

L’article 339 prévoit une peine d’emprisonnement allant de trois à dix ans pour la commission de faux et usage de faux par les fonctionnaires. La peine sera de cinq à douze ans si le faux est considéré comme authentique jusqu’à la preuve du contraire.

L’article 504 prévoit une peine d’emprisonnement allant de deux à cinq ans pour la corruption aggravée.

L’article 522 prévoit la majoration ou la minoration de la peine selon la valeur de l’objet en question et le dommage encouru.

3. La loi no 353 sur l’établissement et la procédure des tribunaux militaires

Selon l’article 16/2, les procureurs militaires sont tenus d’évaluer la perte concernant le Trésor public, le faire apparaître dans l’acte d’accusation, diligenter une enquête et entamer une procédure devant les tribunaux militaires.

L’article 251/1 prévoit la déduction de la période de détention provisoire de la peine d’emprisonnement définitive.

Les alinéas 1/A et B et 2/A de l’article 71 énumèrent les situations nécessitant la mise en détention provisoire. Les alinéas 1/C et D concernent les militaires.

L’article 145 de la Constitution concernant la juridiction militaire et l’article 11 de cette loi au sujet du jugement des personnes civiles devant les tribunaux militaires figurent dans l’arrêt Ergin c. Turquie (no 6) (no 47533/99, §§ 15 et 18-19, 4 mai 2006).

GRIEFS

Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été mis en détention provisoire par un tribunal militaire en l’absence de raisons plausibles. Il soutient que les tribunaux militaires ne sont pas compétents et, par conséquent, ne sont pas indépendants et impartiaux pour décider de la mise en détention et du maintien en détention des personnes civiles. Il se plaint également de la durée de sa détention provisoire et de la compétence du tribunal militaire pour exercer un contrôle sur la régularité de cette détention.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure, dans la mesure où le tribunal militaire ne peut pas être considéré comme indépendant et impartial pour juger des personnes civiles, comme en l’espèce.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été mis en détention provisoire par un tribunal militaire en l’absence de raisons plausibles. Il soutient que les tribunaux militaires ne sont pas compétents et, par conséquent, ne sont pas indépendants et impartiaux pour décider de la mise en détention et du maintien en détention des personnes civiles. Il se plaint également de la durée de sa détention provisoire et de la compétence du tribunal militaire pour exercer un contrôle sur la régularité de cette détention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure, dans la mesure où le tribunal militaire ne peut pas être considéré comme indépendant et impartial pour juger des personnes civiles, comme en l’espèce.

La Cour relève que la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant est toujours pendante devant la cour d’assisses d’Ankara. Or, elle estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la procédure pénale engagée afin de statuer sur sa conformité aux prescriptions de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 109, CEDH 2000VIII, et Parlak et autres c. Turquie (déc.), nos 24942-24943/94 et 25125/94, 9 janvier 2001).

Il s’ensuit qu’au stade actuel de la procédure devant les juridictions internes, la présentation de ce grief apparaît prématurée. Le requérant ne saurait donc, en l’état, se plaindre à cet égard d’une quelconque violation de la Convention sur ce point. Cette partie de la requête est prématurée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés de l’article 5 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président