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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.9.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 8932/03
présentée par Turan PAŞAOĞLU
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 5 septembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 17 janvier 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Turan Paşaoğlu, est un ressortissant turc, né en 1963 et résidant à Thessalonique (Grèce). Il est représenté devant la Cour par Mes E. Saraçoğlu et D. Sanlı, avocats à Ankara.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est marié à une ressortissante grecque et père d’un enfant.

Le 18 octobre 1999, le requérant déposa une demande de prorogation de son passeport auprès du consulat général de Turquie à Thessalonique. Sa demande fut rejetée sur injonction du ministère de l’Intérieur.

Le jour même, il saisit le consul général d’une demande d’information quant aux motifs de ce refus.

Le 27 octobre 1999, l’avocat du requérant saisit la direction de la sûreté d’une demande d’information quant aux motifs de l’établissement d’une fiche de restriction au nom du requérant.

Le 9 novembre 1999, la direction de la sûreté précisa à la préfecture d’Istanbul que la présence du requérant à l’étranger et l’octroi d’un passeport étaient de nature à compromettre la sécurité du pays en vertu de l’article 22 de la loi no 5682 sur les passeports, telle que modifiée par la loi no 3463, de sorte qu’une fiche de restriction avait été établie à son nom.

Le 10 novembre 1999, l’avocat du requérant saisit la direction de la sûreté d’une demande d’information quant à la mesure de restriction dont le requérant fit l’objet.

Le 25 novembre 1999, la direction de la sûreté près le ministère de l’Intérieur informa la préfecture d’Ankara que la présence du requérant à l’étranger et l’octroi d’un passeport étaient de nature à compromettre la sécurité du pays en vertu de l’article 22 de la loi no 5682, de sorte qu’une fiche de restriction avait été établit à son nom.

Le même jour, elle demanda au ministère des Affaires étrangères d’enjoindre à sa représentation étrangère de saisir le passeport du requérant aux fins d’envoi à la préfecture d’Istanbul. Elle souligna à cet égard qu’une fiche de restriction avait été établie au nom du requérant pour des raisons de sécurité générale.

Le 13 décembre 1999, le requérant saisit le tribunal administratif d’Ankara d’un recours en annulation et sursis à exécution de la décision portant interdiction de sortie à l’étranger.

Dans son mémoire en défense, le ministère de la Défense soutint que le requérant était le gendre de l’écrivain grec Georgios Andreadis, interdit de séjour en Turquie pour sa propagande en faveur de l’état de Pontus ; qu’il dirigeait une société de tourisme et organisait des voyages en partance de Grèce vers la Turquie, au cours desquels il pouvait faire la propagande de l’état de Pontus. Il précisa en outre qu’il avait été établi, par une décision ministérielle du 16 juillet 1999, que la présence du requérant à l’étranger et l’acceptation de sa demande de passeport pouvait représenter un inconvénient pour la sécurité du pays au regard de l’article 22 de la loi no 5682.

Le 10 février 2000, le tribunal administratif rejeta la demande de sursis à exécution. L’un des juges siégeant à cette occasion adopta une opinion dissidente aux termes de laquelle aucun élément de preuve ne venait établir les faits reprochés au requérant. Il soutint qu’eu égard au rapprochement existant entre la Grèce et la Turquie, il aurait dû être sursis à la mesure litigieuse.

Le 2 mars 2000, le requérant forma opposition contre le rejet de sa demande de sursis.

Le 8 mars 2000, le tribunal administratif rejeta ce recours.

Le 5 octobre 2000, le tribunal administratif rejeta le recours en annulation du requérant. Il précisa pour ce faire le fondement légal de la mesure de restriction litigieuse et estima établi, au vu des pièces du dossier, que le requérant se livrait à de la propagande hellénique en organisant des voyages vers la Turquie avec des groupes de touristes formés par son beau-père, ce qui pouvait constituer une menace pour la sécurité du pays.

Le 1er décembre 2000, le requérant se pourvut devant le Conseil d’État et demanda l’annulation de la décision de première instance ainsi que le sursis à son exécution. Il allégua une atteinte au principe de la personnalité des peines et l’illégalité des mesures l’empêchant de retourner en Turquie. Il précisa de surcroît ne plus détenir de parts dans la société de tourisme mise en cause.

Le 7 février 2001, le Conseil d’État rejeta la demande de sursis du requérant.

Le 25 octobre 2001, le Conseil d’État estima que la décision de première instance était conforme à la loi et aux règles de procédure, et que les motifs à l’appui du recours n’étaient pas de nature à justifier l’infirmation de cette décision. Il rejeta en conséquence le recours en annulation.

Le 19 décembre 2001, le requérant forma un recours en révision contre cette décision.

Par un arrêt du 15 mai 2002, notifié au requérant le 9 août 2002, le Conseil d’État rejeta cette demande.

B. Le droit interne pertinent

En vertu de l’article 22 de la loi no 5682 sur les passeports, les personnes faisant l’objet d’une interdiction de quitter le territoire national en vertu d’une décision de justice, où celles dont la sortie du pays comporte, selon le ministère de l’Intérieur, un inconvénient relatif à la sécurité générale ne peuvent se voir délivrer de passeport.

Toutefois, les personnes interdites de passeport ou de sortie du territoire ainsi que celles dont la présence en dehors du territoire national est considérée comme présentant un inconvénient pour la sécurité générale, et dont les passeports sont périmés et non renouvelés, peuvent se voir accorder un titre de voyage.

GRIEFS

1. Invoquant les articles 5 et 8 de la Convention, le requérant soutient que la restriction administrative relative à l’octroi d’un passeport, l’interdiction d’entrer en Turquie ainsi que le refus de prorogation de son passeport portent atteinte à son droit à la liberté ainsi qu’à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux administratifs, le juge ayant adopté une position dissidente quant au rejet de sa demande de sursis n’ayant pas siégé au sein de la juridiction ayant statué sur le fond de sa demande. Le requérant se plaint également du défaut d’équité de la procédure devant les juridictions nationales et de l’absence de motivation des jugements rendus.

3. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant estime que l’attitude des juridictions internes qui ont accepté comme tels les arguments présentés par les autorités administratives, selon lesquels le requérant représentait une menace pour la sécurité, constitue un constat de culpabilité contraire au principe de la présomption d’innocence.

4. Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant soutient que le refus de passeport et l’impossibilité d’entrer sur le territoire turc portent atteinte au principe de la légalité des délits et des peines.

5. Enfin, le requérant soutient que l’entrave à son entrée en Turquie le prive de la possibilité d’user des biens et propriétés qu’il y possède.

EN DROIT

1. Invoquant les articles 5 et 8 de la Convention, le requérant se plaint de la restriction administrative quant à l’octroi d’un passeport, du refus des autorités internes de proroger son passeport ainsi que de l’atteinte en résultant pour sa liberté, sa vie privée et familiale. La Cour examinera ces griefs sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Se fondant sur l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’indépendance et d’impartialité des juridictions administratives, du défaut d’équité de la procédure ainsi que de l’absence de motivation des décisions judiciaires dont il a fait l’objet. Invoquant l’article 6 § 2, il allègue en outre une atteinte au principe de la présomption d’innocence.

A supposer que l’article 6 s’applique à la procédure en cause :

a) En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juridictions administratives, la Cour rappelle avoir déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question et avoir rejeté ce grief au vu des garanties constitutionnelles et légales dont jouissent les juges siégeant dans les tribunaux administratifs, et étant donné l’absence d’une argumentation pertinente qui rendrait sujettes à caution leur indépendance et leur impartialité (Saltuk c. Turquie (déc.), no 31135/96, 28 août 1999). Tel est également le cas en l’espèce.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b) Quant au défaut d’équité de la procédure, la Cour observe que le requérant conteste en substance la solution adoptée par les juridictions nationales. Or, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sinon elle s’érigerait en juge de troisième ou quatrième instance et méconnaîtrait ainsi les limites de sa mission (voir Kemmache c. France, arrêt du 24 novembre 1994, série A no 296-C, § 44). En outre, la Cour ne décèle en l’espèce aucune apparence d’arbitraire dans le déroulement de la procédure litigieuse.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c) S’agissant de l’absence de motivation des décisions rendues par les juridictions nationales, la Cour reconnaît qu’il ne découle pas de l’article 6 que les motifs exposés par une juridiction doivent traiter en particulier de tous les points que l’une des parties peut estimer fondamentaux pour son argumentation. Une partie n’a pas le droit absolu d’exiger du tribunal qu’il expose les motifs qu’il a de rejeter chacun de ses arguments (voir Ibrahim Aksoy c. Turquie (déc.), nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, 10 octobre 2000). En l’occurrence, la décision du tribunal administratif précisait les motifs de la mesure d’interdiction dont le requérant avait fait l’objet ainsi que la base légale sur laquelle la mesure litigieuse était fondée. De même, le Conseil d’État a-t-il rejeté le pourvoi du requérant en soulignant que la décision de première instance était conforme à la loi et à la procédure, et que les motifs du pourvoi n’étaient pas de nature à justifier l’infirmation.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

d) Quant au grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention, la Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par cette disposition figure parmi les éléments du « procès pénal équitable ». En l’occurrence, elle constate que le requérant ne se trouvait pas en face d’une « accusation en matière pénale dirigée contre [lui] ». Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

3. Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant allègue une atteinte au principe de la légalité des délits et des peines. Or, la Cour constate que l’intéressé n’a pas été « condamné » pour avoir commis une « infraction » pénale au sens de l’article 7. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

4. Enfin, quant au grief tiré de l’atteinte au respect des biens, la Cour note que le requérant n’apporte aucune précision quant à la violation alléguée et que son argumentation n’apparaît en ce sens nullement étayée.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés de l’article 8 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Naismith J-P. Costa
Greffier adjoint Président