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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
29.8.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 44032/98
présentée par Beyhan KAYGISIZ
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 29 août 2006 en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
R. Türmen,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
M. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 23 octobre 1996,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Beyhan Kaygısız, ressortissante turque, est née en 1974. A l’époque des faits, elle était étudiante et résidait à Ankara.

Devant la Cour, elle est représentée par Me Oktay Polat, avocat au barreau d’Ankara.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

1. L’arrestation et la garde à vue de la requérante

Le 23 mai 1995, la requérante fut arrêtée par des policiers de la section anti-terroriste de la direction de sûreté d’Ankara (« la section ») et placée en garde à vue. Le même jour, elle fut examinée par un médecin légiste qui attesta de l’absence d’une quelconque trace de violence sur son corps.

Le 29 mai 1995, deux policiers interrogèrent la requérante sur ses relations avec l’organisation illégale TDKP/GKB. D’après le procès-verbal dressé le jour même, la requérante refusa de répondre aux questions.

Le 1er juin 1995, date de la fin de la garde à vue, la requérante fut réexaminée par un médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci releva l’existence de deux ecchymoses au niveau de la cuisse gauche et du mollet droit, et prescrivit un arrêt de convalescence d’un jour.

Après examen, la requérante comparut devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (« le procureur » – « la cour de sûreté de l’Etat »), qui ordonna son relax.

2. Le procès intenté contre la requérante

Le 10 juillet 1995, le procureur mit la requérante en accusation devant la cour de sûreté de l’Etat, pour chef d’aide et d’assistance à une organisation illégale, au sens de l’article 169 du code pénal.

Par un jugement du 8 avril 1996, la cour de sûreté de l’Etat acquitta la requérante.

3. La plainte pénale déposée contre les policiers

Le 6 novembre 1995, l’avocat de la requérante, Me Polat, saisit le procureur de la République d’Ankara (« le procureur ») d’une plainte formelle contre les deux agents de police ayant signé le procès-verbal d’interrogatoire du 29 mai 1995, pour mauvais traitements aux fins d’extorsion d’aveux.

Le 3 avril 1996, le procureur entendit la requérante. Elle déclara que, pendant sa garde à vue de neuf jours, des policiers – qu’elle pouvait du reste identifier – l’ont arrosé d’eau froide, suspendu et battu.

Le 19 avril 1996, le procureur rendit un non-lieu, ainsi motivé :

« (...) étant donné que, vu leur emplacement, les ecchymoses observées sur le corps [de la plaignante] peuvent avoir été causées par elle-même ; en l’absence de toute autre preuve, il n’est pas établi qu’elles puissent être provoquées par des jets d’eau ou une suspension (...). »

Ce non-lieu fut notifié au conseil de la requérante quelques années plus tard, soit le 14 juillet 2000. Les raisons d’un tel atermoiement demeurent inconnues. Après notification, le conseil forma opposition, dans le délai légal.

Le 9 août 2000, la cour d’assises de Kırıkkale (« la cour d’assises ») accueillit l’opposition et ordonna l’ouverture de poursuites contre les policiers mis en cause, pour chef de mauvais traitements sur autrui, au sens de l’article 243 du code pénal.

Le procureur de la République d’Ankara, saisi de l’affaire, entendit le commissaire en chef de la section, H.A., et son adjoint, K.D., respectivement les 30 janvier et 14 mai 2001. K.D. déclara n’avoir pas participé à l’interrogatoire de la requérante et que la signature figurant dans le procès-verbal du 29 mai 1995 n’était pas la sienne. De son côté, H.A. admit avoir interrogé la requérante, accompagné de K.D., mais contesta les accusations de mauvais traitements. Il ajouta, qu’en l’occurrence, l’intéressée avait gardé le silence.

Le 15 juin 2001, le procureur renvoya les deux policiers devant la cour d’assises et requit leur mise en examen sur le terrain de l’article 243 § 1 du code pénal.

Le 5 juillet 2001, le greffier de la cour d’assises a signifié séparément à la requérante et à son avocat une invitation à comparaître à l’audience du 27 septembre 2001. Le courrier adressé à la requérante fut réceptionné par son frère le 9 juillet 2001, et celui envoyé à Me. Polat, par l’un des employés de son bureau.

La cour d’assises ouvrit les débats le 27 septembre 2001, en l’absence de la partie plaignante. Selon toute vraisemblance, les juges du fond impartirent à celle-ci un délai pour faire valoir leur témoignage et présenter un mémoire.

Le 22 novembre 2001, la cour d’assises, après avoir entendu H.D., toujours en l’absence de la partie requérante, constata que, malgré le délai imparti, celle-ci n’avait pas déposé d’observations.

Le 14 février 2002, fut promulguée la loi no 4616, dite loi d’amnistie, prévoyant la suspension des poursuites et des peines concernant certaines catégories d’infractions commises avant le 23 avril 1999. L’infraction prévue à l’article 245 du code pénal tombait sous le coup de cette loi, mais pas celle réprimée par l’article 243.

A l’audience suivante du 16 janvier 2002, le prévenu K.D. fut entendu. La partie requérante était absente.

La dernière audience fut tenue le 14 février 2002. La cour d’assises releva avant tout qu’en dépit de la signification, la requérante ne s’était pas présentée pour témoigner et son avocat n’avait pas soumis d’observations. De fait, à l’adresse fournie aux autorités, l’agent de la poste avait rencontré la famille de la requérante ; son père et sa mère lui ont déclaré que leur fille s’était mariée et avait quitté le foyer ; contactés par la police, ces derniers refusèrent d’indiquer la nouvelle adresse de la requérante. Me Polat avait, lui aussi, été invité à assurer la comparution de sa cliente, mais cette démarche n’avait pas abouti et, de ce fait, les questions adressées par les prévenus à la partie plaignante furent laissées sans réponse.

Ainsi, la cour d’assises décida de s’en tenir à la déposition que la requérante avait faite le 3 avril 1996, et de surseoir à la poursuite des policiers, en application de la loi no 4616. Pour ce faire, les juges du fond conclurent que l’acte reproché en l’espèce ne pouvait relever que de l’article 245 du code pénal, dont la violation rentrait dans le champ d’application de la loi no 4616. Les juges du fond se motivèrent comme suit :

« Compte tenu du réquisitoire ainsi que des dépositions recueillies des deux prévenus (...), il n’y a aucune preuve quelconque démontrant que ces derniers aient agi dans le but d’extorquer des aveux, mais qu’eu égard au témoignage clair et de bonne foi de la victime ainsi qu’au certificat médical, il convient de qualifier l’acte en question de « mauvais traitements sur autrui », au sens de l’article 245 du code pénal. »

Ce jugement était susceptible de cassation. Cependant, faute de s’être constituée partie intervenante, la requérante ne pouvait exercer cette voie.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Les dispositions pertinentes du code pénal, en leurs parties pertinentes, se lisent ainsi :

Article 243

« Quiconque, fonctionnaire (...), torture un accusé ou fait recours aux traitements cruels, inhumains ou dégradants pour lui faire avouer un délit, est condamné jusqu’à une peine d’emprisonnement de cinq ans ainsi qu’à une interdiction définitive ou provisoire de la fonction publique. Si mort d’homme s’ensuit, la peine qui est à prononcer en vertu de l’article 452 (...) est majorée d’un tiers jusqu’à la moitié. »

Article 245

« Tout agent des forces de l’ordre (...) qui, dans l’exercice de ses fonctions (...) et en dehors des circonstances prévues par la loi (...), maltraite ou blesse une personne ou porte des coups sur une personne ou lui provoque une souffrance physique, est condamné à une peine d’emprisonnement allant de 3 mois jusqu’à 3 ans ainsi qu’à une interdiction provisoire d’exercer dans la fonction publique. (...) »

Les dispositions du droit turc quant à la poursuite des actes de mauvais traitement aux mains des agents de l’Etat et quant aux voies de réparation ouvertes en la matière, figurent entre autres, dans la décision Şahmo c. Turquie (no 37415/97, ler avril 2003).

L’article 365 du code de procédure pénale (« CPP ») contient aussi une disposition permettant à une personne de se constituer « partie intervenante » et, ainsi, d’agir aux côtés de l’accusation. Dans ce cas, l’intervenant peut également réclamer – en sa qualité de victime directe – réparation de ses préjudices résultant de l’infraction. Il appartient au juge, après consultation du parquet, de se prononcer sur la recevabilité de la constitution de « partie intervenante » (article 366 du CPP). Si celle-ci est accueillie, l’intervenant peut, à l’instar du procureur, se pourvoir en cassation contre le verdict rendu au regard des prévenus (article 371 du CPP).

D’après l’article 307 du CPP, un pourvoi en cassation n’est, en principe, recevable que lorsque le jugement attaqué a « méconnu la loi » ou si une « règle de droit » n’a pas été appliquée ou mal appliquée. A ce titre, la Cour de cassation censure les erreurs de droit commises, non seulement dans l’interprétation et l’application des dispositions du CPP, mais aussi dans l’application des normes du droit matériel aux faits établis par la juridiction inférieure. Une qualification erronée desdits faits tombe donc sous le coup du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation.

La loi no 4616 concernant la suspension des peines et des poursuites ainsi que les modalités de libération conditionnelle du fait des infractions commises avant 23 avril 1999, fut promulguée le 21 décembre 2000. Dans son article 5 a), cette loi excluait de son champ d’application les infractions relevant de l’article 243 du code pénal, visant les agents d’Etat, présumés responsables de mauvais traitements infligés en vue d’extorquer des aveux. En revanche, les infractions réprimées par l’article 245 tombaient sous le coup de la loi no 4616.

L’article 5 a) susmentionné fut l’objet de recours devant la Cour Constitutionnelle, au motif que cette disposition était discriminatoire à l’endroit des agents de l’Etat, lorsque des actes allégués de torture entraînent mort d’homme, dès lors qu’en pareil cas, un tortionnaire non fonctionnaire pouvait bénéficier de la loi no 4616, mais pas un agent de l’Etat.

Par un arrêt du 18 juillet 2001, la Cour Constitutionnelle écarta ces recours, concluant que l’interdiction absolue posée par les articles 3 de la Convention et 17 de la Constitution turque justifiait une distinction entre les criminelles ordinaires et les agents de l’Etat qui abusent du pouvoir public afin d’extorquer des aveux en recourant à de mauvais traitements.

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, la requérante allègue avoir été l’objet de mauvais traitements lors de sa garde à vue. Elle dénonce ses interrogateurs qui, afin de lui extorquer des aveux, l’auraient sans cesse insulté, battu à coups de pieds et de poings, et arrosé d’eau froide.

La requérante se plaint aussi de l’inadéquation de la réaction judiciaire face à sa plainte et de l’impunité accordée en l’espèce à ses tortionnaires, en application de la loi no 4616.

EN DROIT

A. Les arguments des parties

1. Le Gouvernement

Dans ses observations écrites du 14 septembre 2000, le Gouvernement excipe d’abord de la tardivité de la requête, celle-ci ayant été introduite le 23 octobre 1996, soit plus de six mois après le non-lieu du 19 avril 1996, à savoir la décision interne définitive, au sens de l’article 35 de la Convention. Il explique que, si la requérante n’a pas eu notification de cette décision en temps utile, c’est parce qu’entre-temps, elle avait changé d’adresse, à l’insu des autorités.

En outre, le Gouvernement reproche à la requérante d’avoir omis de se prévaloir des moyens de droit disponibles en droit turc. Ainsi, il fait valoir les voies de réparation qu’ouvrent les articles 125 et 129 de la Constitution, et 2 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. Il soumet à cet égard l’exemple d’un arrêt (arrêt no 1983/665 du 30 mars 1983, rendu en l’affaire no 1982/206), par lequel le Conseil d’Etat a accordé une réparation aux ayants droits d’une personne ayant succombée suite aux tortures infligées pendant une garde à vue.

Ensuite, le Gouvernement affirme que la requérante aurait également pu intenter avec succès une action en dommages-intérêts sur le terrain du code des obligations. Là encore, il renvoie à un arrêt de la Cour de cassation (arrêt du 17 novembre 1986, rendu en l’affaire no 1986/7786) concernant une réclamation d’indemnité pour des tortures subies. Dans ce précédent, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 53 dudit code, le fait qu’un accusé ait été acquitté pour « insuffisance de preuves » ne lie pas la juridiction civile.

Le Gouvernement rappelle enfin qu’en vertu de la loi no 466, toute personne injustement arrêtée ou détenue a le droit de saisir la cour d’assises compétente afin d’obtenir réparation. Il soutient que ce moyen de droit constitue un recours adéquat quant aux allégations de la requérante.

Dans ses observations écrites du 10 février 2006, le Gouvernement développe une série d’arguments, eu égard aux faits nouveaux survenus dans l’intervalle, et qui démontrent le désintéressement total de la requérante et de son avocat quant à l’aboutissement de leur plainte.

Le Gouvernement met en exergue le fait que, malgré les significations, ni la requérante ni son avocat n’ont participé à la procédure diligentée contre les policiers ; ils n’ont pas non plus cherché à se constituer partie intervenante, se fermant ainsi toute possibilité d’obtenir notification du jugement concernant leur affaire et de se pourvoir en cassation.

2. La requérante

S’agissant de la tardiveté de sa requête, la requérante rétorque que d’après la loi, l’ordonnance litigieuse pouvait et devait être notifiée à son conseil, dont l’adresse était connue des autorités. Quoi qu’il en soit, elle estime que les autorités ne sauraient prétexter son changement d’adresse, dès lors qu’en pareils cas, la loi no 7201 veut que la notification soit faite par la remise du courrier au maire du lieu du domicile légal.

Elle soutient encore qu’en l’espèce l’introduction d’une demande de réparation n’aurait pas présenté d’intérêt particulier, puisque le tribunal saisi aurait sûrement soulevé une question préjudicielle et attendu l’aboutissement de la procédure pénale, avant de se prononcer.

D’après la requérante, la voie de réparation prévue par la loi no 466 ne saurait, elle non plus, passer pour un recours adéquat s’agissant des allégations de torture.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la responsabilité alléguée des autorités au regard de l’article 3 de la Convention, sous son volet substantiel

La Cour rappelle qu’une fois régulièrement saisie, elle peut connaître de toutes les questions de fait ou de droit surgissant en cours d’instance (voir, Foti et autres c. Italie, arrêt du 10 décembre 1982, série A no 56, pp. 15-16, § 44). Aussi note-t-elle que, dans la présente affaire, la procédure pénale déclenchée contre les deux policiers mis en cause s’est soldée le 14 février 2002, par une décision susceptible d’appel.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’attarder sur les thèses des parties, qui se rapportent à la situation de fait antérieure à la clôture de cette procédure ; car en tout état de cause, les circonstances actuelles font obstacle à la recevabilité de cette partie de la requête, pour les raisons ci-dessous.

La finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée, ledit recours devant par ailleurs être « à la fois relatif aux violations incriminées, disponible et adéquat » (voir, par exemple, Slimani c. France, no 57671/00, § 38, CEDH 2004IX (extraits), İlhan c. Turquie [GC], no 2277/93, § 58, CEDH 2000-VII, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999-V).

En l’espèce, la cour d’assises de Kırıkkale a fait usage de son droit de requalifier les faits sous son examen et a conclu, à tort ou à raison, que les actes reprochés en l’occurrence ne pouvaient relever de l’article 243 du code pénal sur lequel le ministère public se fondait : d’après cette juridiction, ces actes ne pouvaient tomber que sous le coup de l’article 245 du même code et, par conséquent, de la loi d’amnistie no 4616. Ainsi, les policiers mis en cause furent admis au bénéfice d’un sursis au jugement.

Ceci dit, la requérante n’a toutefois pas été en mesure d’expliquer pourquoi elle-même et son avocat ont omis de présenter aux juges du fond leurs témoignages et leurs arguments, alors qu’ils avaient bien accusé réception des notifications séparées qui leur avait été faites à cet effet. Selon toute vraisemblance, la requérante n’a rien fait pour prendre une part active à la procédure, notamment en se constituant partie intervenante, et s’est fermée la possibilité de se pourvoir contre la décision de sursis qu’elle critique maintenant devant la Cour.

Considérée ainsi, la présente affaire se distingue de celles qui portaient sur des procédures pénales ayant abouti à un non-lieux ou à l’acquittement des présumés responsables, pour absence de preuves suffisantes à charge. Dans le cadre de ces affaires, considérant le rôle central qu’occupent les magistrats dans le système de la justice pénale et des prérogatives attachés à leurs fonctions, la Cour a souvent dispensé les requérants d’emprunter la voie de cassation susvisée, convaincue qu’un tel recours ne pouvait leur permettre de préciser ou de compléter les éléments de preuve déjà versés au dossier, ou de modifier de façon notable les résultats de l’enquête ou du procès pénal litigieux (voir, par exemple A.A., H.A., M.A. et R.A. c. Turquie (déc.), no 30015/96, 28 mars 2000, Şenses c. Turquie (déc.), no 24991/94, 14 novembre 2000, Günay Kızılgedik c. Turquie, no 24944/94, 14 novembre 2000, et Suna Parlak, Rahime Aktürk et Hatice Tay c. Turquie, nos 2494224943-25125/94, 9 janvier 2001).

Or, il en va autrement dans le cas présent, où le problème se rapporte à l’appréciation des faits établis, et non à l’insuffisance de preuves susceptibles de fonder une responsabilité pénale. En effet, la Cour note qu’en droit turc, de même qu’en droit français, la Cour de cassation est certes liée par les faits établis par les instances inférieures et sa compétence est limitée, de par les dispositions de l’article 307 du CPP, aux violations de la loi. Cependant, la haute juridiction n’en a pas moins pour mission de contrôler l’adéquation entre lesdits faits et la conclusion à laquelle les juges du fond ont abouti (voir, mutatis mutandis, Civet c. France [GC], no 29340/95, §§ 43, CEDH 1999VI).

En l’espèce, la Cour ne saurait donc préjuger qu’un recours devant la Cour de cassation aurait été voué à l’échec. Elle estime a priori que, si elle avait été saisie, il lui aurait été loisible de vérifier non seulement la régularité procédurale du jugement rendu, mais aussi la pertinence de la qualification faite par les juges du fond des actes reprochés aux policiers mis en cause, sur le terrain des articles 243 et 245 du code pénal, et, selon le cas, de censurer l’application à leur égard de la loi d’amnistie no 4616.

En résumé, la requérante, en omettant d’utiliser les moyens procéduraux qui lui auraient permis de faire valoir ses arguments et, en ultime lieu, de se pourvoir en cassation, n’a pas donné aux juridictions turques l’occasion d’éviter ou de redresser les violations alléguées contre elles.

Partant, la Cour accueille l’exception d’irrecevabilité soulevée sur ce point et ne peut, en conséquence, connaître du fond du grief tiré de la violation matérielle de l’article 3 de la Convention.

2. Sur la conduite d’une « enquête officielle et effective »

En second lieu, la requérante se plaint de l’inadéquation de réaction judiciaire face à ses allégations de mauvais traitements et de l’impunité qui aurait finalement été accordée à ses présumés tortionnaires.

A cet égard, la Cour reconnaît qu’en prononçant un sursis au jugement, la cour d’assises de Kırıkkale a mis fin aux investigations pénales et, du même coup, à l’établissement des circonstances exactes se rapportant au premier grief, certes « défendable », que la requérante tirait d’une violation substantielle de l’article 3. Cependant, pour les raisons précédemment exposées, force est d’admettre que, dans la présente affaire, l’impossibilité d’aboutir à des constats de fait précis est attribuable plus à la requérante qu’aux magistrats ayant connu de l’affaire, étant entendu que, de surcroît, rien dans le dossier ne laisse à penser que l’intéressée, du reste assistée d’un conseil, ait pu se trouver dans une situation de vulnérabilité quelconque durant le procès qu’elle critique maintenant devant la Cour.

Partant, la Cour estime que le second grief tiré de l’inefficacité du recours pénal exercé en l’espèce doit être examiné sur le terrain de l’article 13, combiné avec l’article 3, et non sous le volet procédural de cette dernière disposition (pour la discussion, voir İlhan, précité, §§ 90-92, ainsi que les références qui y figurent).

L’article 13, en vertu de laquelle toute personne ayant un grief défendable de violation de l’article 3 doit disposer d’un recours effectif, fournit généralement aux victimes un redressement et les garanties procédurales nécessaires contre les abus pouvant être commis par des agents de l’Etat, d’autant plus que, dans ce contexte, la notion de recours effectif inclut l’obligation de mener une enquête approfondie et effective propre à conduire à l’identification et à la punition des responsables et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure (voir parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV).

Or la Cour a précédemment relevé qu’en l’espèce la requérante avait omis de se prévaloir des moyens de droit pénal qui lui étaient offerts sur le plan interne.

Vu les étroites affinités qu’il y a entre l’article 13 et l’article 35 § 1 de la Convention, cette observation a d’incidence directe sur l’appréciation du second grief (Slimani, précité, § 42, et Kanlıbaş c. Turquie (déc.), no 32444/96, 28 avril 2005) qui, en conséquence, s’avère dénué de fondement, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président