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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE GEROGIANNAKIS c. GRÈCE
(Requête no 30173/03)
ARRÊT
STRASBOURG
10 août 2006
DÉFINITIF
10/11/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gerogiannakis c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30173/03) dirigée contre la République hellénique par deux ressortissants de cet Etat, MM. Pantelis et Charalampos Gerogiannakis (« les requérants ») qui ont saisi la Cour le 26 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me A. Evangeliou, avocate au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Skiani, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Le 4 mai 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
4. Les requérants sont nés respectivement en 1952 et 1950 et résident à Rethymno.
5. La présente affaire concerne un différend opposant M.P. aux requérants sur la modification du libellé d’un chèque que les requérants avaient reçu de sa part.
6. Les 1er avril et 29 août 1991, M.P. déposa deux plaintes pénales contre les requérants pour faux et usage de faux.
7. Les 4 avril 1991 et 16 octobre 1991, deux poursuites pénales furent engagées contre les requérants pour faux, usage de faux et fraude.
8. Le 27 janvier 1993, les requérants furent convoqués devant le juge d’instruction. Le 2 mars 1993, ils déposèrent leur mémoire ampliatif.
9. Le 30 mars 1994, le procureur près le tribunal correctionnel de Rethymno demanda au juge instructeur l’établissement d’un rapport graphologique. Le 6 septembre 1994, ce rapport fut déposé devant le juge instructeur. Le 1er novembre 1994, les requérants furent convoqués devant le juge instructeur pour soumettre un mémoire de défense supplémentaire.
10. Le 30 mai 1995, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Rethymno ordonna l’ouverture des comptes bancaires des requérants (ordonnance no 44/1995). Le 14 juin 1995, les requérants sollicitèrent la révocation de cette ordonnance. Le 17 juillet 1995, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Rethymno rejeta la demande des requérants (ordonnance no 69/1995).
11. Le 9 février 1996, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Rethymno renvoya les requérants en jugement (ordonnance no 13/1996). Le 14 février 1996, les requérants interjetèrent appel de cette ordonnance. Le 13 mai 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Crète confirma l’ordonnance attaquée (ordonnance no 143/1996). Le 5 juin 1996, les requérants se pourvurent en cassation contre ladite ordonnance. Le 24 octobre 1996, la chambre d’accusation de la Cour de cassation cassa partiellement l’ordonnance attaquée quant à l’acte de fraude. Elle renvoya les requérants en audience pour les chefs de faux et usage de faux (ordonnance no 1171/1996).
12. Le 15 mai 1998, et après trois ajournements de l’audience, le tribunal correctionnel de Rethymno relaxa les requérants (jugement no 184/1998).
13. Le 24 août 1998, le procureur près la Cour de cassation demanda la cassation du jugement no 184/1998. Le 2 avril 1999, la Cour de cassation entérina la proposition du procureur, cassa le jugement no 184/1998 du tribunal correctionnel de Rethymno pour défauts de procédure et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Crète (arrêt no 738/99).
14. Le 25 février 2000, la cour d’assises de Rethymno, statuant en juridiction de premier degré, déclara les requérants coupables du chef de faux et les condamna à quatre ans de réclusion (jugement no 92/2000). Le même jour, les requérants interjetèrent appel de ce jugement.
15. Le 2 juillet 2001, la cour d’assises de Crète, statuant en appel, réduisit la peine infligée à deux ans de réclusion (jugement no 135/2001).
16. Le 20 septembre 2001, les requérants se pourvurent en cassation. Le 27 février 2003, la Cour de cassation débouta les requérants (arrêt no 509/2003).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17. Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
18. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il affirme que l’affaire était compliquée et que les juridictions saisies ont statué dans des délais raisonnables.
19. La période à considérer a débuté le 4 avril 1991, date à laquelle la première poursuite pénale fut engagée contre les requérants et s’est terminée le 27 février 2003, avec l’arrêt no 509/2003 de la Cour de cassation. Elle a donc duré onze ans et onze mois environ pour sept instances.
A. Sur la recevabilité
20. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
21. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II)
22. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Proïos c. Grèce, no 35765/03, §§ 13-22, 24 novembre 2005).
23. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En effet, la Cour observe que le Gouvernement n’étaye pas sa thèse concernant la complexité de l’affaire qui n’avait particulièrement trait qu’au volet pénal d’un différend résultant de la modification du libellé d’un chèque. S’agissant du comportement des requérants, la Cour note qu’ils ont présenté de nombreux recours lors de l’instruction de l’affaire. Elle estime toutefois que l’on ne saurait leur reprocher d’avoir tiré pleinement parti des possibilités que leur ouvrait le droit interne. Toutefois, leur comportement constitue un fait objectif, non imputable à l’Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du « délai raisonnable » (voir, parmi beaucoup d’autres, Lechner et Hess c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A no 118, p. 19, § 49). La Cour est d’avis, en l’espèce, que la lenteur de la procédure résulte principalement du comportement des juridictions saisies. Sur ce point, la Cour relève notamment une période d’inactivité d’un an et dix mois environ, allant du 4 avril 1991, date à laquelle la première poursuite pénale fut engagée jusqu’au 27 janvier 1993, date à laquelle les requérants furent convoqués devant le juge d’instruction. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière et eu égard à la durée globale de la procédure, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
24. Les requérants se plaignent en outre d’une violation de leur droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Ils allèguent que les juridictions internes ont commis des erreurs de fait et de droit en examinant leur affaire. Ils se plaignent, de surcroît, du manque d’impartialité des juridictions de fond, en raison de la présence de magistrats dans des formations en chambre ou en audience qui ont statué sur des pourvois que les requérants avaient formés à des stades différents de la procédure. Enfin, les requérants se plaignent, sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, qu’ils n’ont pas bénéficié lors de la procédure devant les juridictions internes d’une protection du principe de la présomption d’innocence.
Sur la recevabilité
25. Dans la mesure où les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure, la Cour rappelle que l’administration des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles, sauf indice manifeste d’arbitraire. En particulier, il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Dans le cas d’espèce, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le déroulement de la procédure, qui a respecté le principe du contradictoire et au cours de laquelle les requérants ont eu la possibilité de présenter tous les arguments pour la défense de leur cause.
26. Par ailleurs, dans la mesure où les requérants se plaignent du manque d’impartialité des juridictions saisies, la Cour relève que ceux-ci n’ont pas soulevé devant la Cour de cassation l’allégation d’impartialité des juridictions inférieures. Dès lors, ils n’ont pas attiré l’attention de la haute juridiction sur le problème dont ils saisissent actuellement la Cour et n’ont donc pas épuisé valablement les voies de recours que mettait à leur disposition le droit grec.
27. Enfin, s’agissant du grief tiré de la protection de la présomption d’innocence, la Cour rappelle que cette garantie se trouve méconnue si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au préalable (parmi d’autres, Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 125-126, 28 novembre 2002). Or, en l’occurrence, la Cour observe que la culpabilité des requérants a été établie par les juridictions compétentes dans le respect du procès contradictoire. De plus, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les juridictions internes aient méconnu la présomption d’innocence des requérants.
28. Partant, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
30. Les requérants réclament 210 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison de l’iniquité et de la durée de la procédure. Ils réclament en outre 10 000 EUR chacun au titre du dommage moral.
31. Le Gouvernement estime que les demandes au titre du préjudice matériel et moral sont vagues et excessives et que la Cour doit les écarter. Pour le Gouvernement, un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. Alternativement, il estime que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 700 EUR.
32. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue résulte exclusivement d’une méconnaissance du droit des intéressés à voir leur cause entendue dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont les requérants auraient eu à souffrir (Appietto c. France, no 56927/00, § 21, 25 février 2003).
33. La Cour estime en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérants un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour accorde à chacun des requérants 2 000 EUR au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
34. Les requérants demandent également 33 800 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour sans produire de justificatifs.
35. Le Gouvernement affirme que les prétentions des requérants sont vagues et non justifiées. Alternativement, il estime que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 500 EUR.
36. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). S’agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d’une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu’il convient donc d’en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour note que les requérants ne produisent aucune facture en ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions saisies et la Cour. Il échet donc de rejeter leurs prétentions à ce titre.
C. Intérêts moratoires
37. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 août 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président