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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
8.8.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SITARSKI c. POLOGNE

(Requête no 71068/01)

ARRÊT

STRASBOURG

8 août 2006

DÉFINITIF

08/11/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Sitarski c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,et de M.T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 juillet 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 71068/01) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Stanisław Sitarski (« le requérant ») a saisi la Cour le 9 avril 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz du ministère des Affaires Etrangères

3. Le 22 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant, Stanisław Sitarski, est un ressortissant polonais, né en 1945 et résidant à Wrocław.

5. Le 10 juillet 1992, le tribunal régional prononça le divorce entre le requérant et son épouse.

6. Le 12 janvier 1993, le requérant forma devant le tribunal de district une demande tendant au partage des biens maritaux. Le 18 janvier 1993, il fut dispensé des frais de justice.

7. Cinq audiences se tinrent à des intervalles réguliers entre le 20 janvier et 8 juillet 1993. Trois audiences prévues pour les 14 octobre, 12 novembre et 9 décembre 1993 furent ajournées, cette dernière au motif de la nécessité d’ordonner des expertises et des visions locales.

8. Au cours des années 1994-1997, cinq fois le tribunal procéda à l’interrogatoire des experts : les 3 octobre 1994, 19 mai 1995, 21 mars, 2 juillet, 2 août 1996, 4 mars et 28 mars 1997.

9. Tout au long de la procédure, le requérant forma à plusieurs reprises des demandes concernant différents aspects de la procédure. Il contesta notamment l’ordre de paiement pour les expertises effectuées. Sa première action fut déclarée irrecevable en tant que tardive le 21 novembre 1994, la seconde fut rejetée le 11 juin 1997. Le requérant contesta également des expertises effectuées par les spécialistes, notamment celle d’un géodésiste présentée au tribunal le 28 mars 1997. Il demanda à ce qu’une expertise soit préparée par une commission indépendante. Un autre expert fut invité par le tribunal à présenter ses observations sur les contestations émises par l’intéressé. Le 20 septembre 1995, le requérant forma une demande sans toutefois préciser distinctement son objet. Invité à en définir l’objet, il affirma qu’il demandait un procès équitable. Le 4 mars 1997, au cours d’une audience, le requérant forma une autre demande laquelle, comme il s’était avéré par la suite, ne se referait pas à la procédure en cours.

10. Le 29 octobre 1995, le requérant se plaignit devant le ministère de la Justice de la durée excessive de la procédure. Le 7 décembre 1995, le ministre de la Justice constata une durée excessive et la justifia par la complexité de l’affaire (la difficulté d’établir la masse des biens à partager) mais releva la négligence du tribunal. Il chargea le président du tribunal de surveiller l’affaire.

11. Le 31 octobre 1996, le requérant demanda l’ajournement de la procédure au motif qu’une procédure concernant le transfert de propriété de son fils mineur n’était pas terminée. Le 22 novembre 1996, le tribunal rejeta cette demande.

12. Le 1er septembre 1997, le requérant réitéra sa plainte concernant la durée excessive de la procédure l’adressant directement au président du tribunal chargé de surveiller le déroulement de son affaire. Par lettre du 15 octobre 1997, le président, reconnaissant la durée excessive de la procédure, décida de transférer l’affaire à un autre juge. Une audience devait se tenir le 29 octobre 1997.

13. Le 18 octobre 1997 l’ex – épouse du requérant décéda. La procédure fut suspendue au motif de la nécessité de procéder au partage successoral. Le requérant contesta cette décision.

14. Le 16 janvier 1998, la partie adverse demanda la continuation de la procédure.

15. Le 11 février 1999, le tribunal de district statua sur le partage des biens maritaux octroyant à l’intéressé le droit à la moitié de l’immeuble (une maison et un terrain). Le tribunal procéda également à la suppression de la copropriété entre les époux. Vu l’impossibilité d’un partage en nature de l’immeuble en question, la maison et le terrain furent entièrement attribués à la fille de l’ex – épouse du requérant (ci dessous : débitrice) qui fut chargée d’en rembourser la moitié de la valeur revenant de droit à l’intéressé.

16. Le 29 octobre 1999, le tribunal régional infirma partiellement cette décision et renvoya l’affaire pour réexamen en ce qui concerne la suppression de la copropriété. En ce qui concerne le partage de l’immeuble, la décision du tribunal de district fut confirmée et le 15 mai 2000, un titre exécutoire fut apposé sur cette partie de la sentence.

17. Le 9 mai 2000, le tribunal de district statua sur les questions de renvoi et somma le requérant au paiement d’une somme d’argent au bénéfice de la débitrice au titre de décompte des créances réciproques résultant de la suppression de la copropriété. La somme fut augmentée d’intérêts moratoires à partir de 1992, soit de la date du divorce. Statuant le 28 novembre 2000, sur l’appel interjeté parallèlement par le requérant et par la débitrice à l’encontre de la décision du 9 mai 2000, le tribunal régional le rejeta en ce qui concerne l’intéressé et déclara son irrecevabilité en ce qui concerne la débitrice.

18. Le 22 février 2001, le tribunal régional déclara irrecevable le pourvoi en cassation formé par l’intéressé pour insuffisance de la valeur de l’objet du litige.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINANTS

19. L’article 417 al. 1 du code civil

« Le Trésor public est responsable pour les dommages résultant des actes d’un fonctionnaire de l’État ».

20. L’article 16 de la loi de 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004, (ci-dessous : la loi de 2004), introduisant dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive d’une procédure judiciaire, (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki) stipule :

« Une partie qui n’a pas déposé plainte pour retard excessif de procédure conformément à l’article 5 § 1 pour demander - au titre de l’article 417 du Code civil - une réparation pour les dommages ayant résulté du retard excessif, une fois terminée la procédure sur le fond.»

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

21. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

22. La période à considérer n’a commencé qu’avec la prise d’effet, le 1er mai 1993 de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Pologne. Toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable des délais écoulés à partir de cette date, il faut tenir compte de l’état où l’affaire se trouvait alors.

La période en question s’est terminée le 22 février 2001. La procédure en question a donc duré huit ans et un mois pour trois instances.

  1. Sur la recevabilité

23. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire alléguant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes.

24. Le Gouvernement estime en premier lieu que le requérant aurait du faire l’usage de l’article 417 du code civil, disposition permettant d’obtenir une satisfaction pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.

25. La Cour rappelle qu’elle s’était déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considéré comme telle (voir Skawińska c. Pologne, no 42096/98, déc. du 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, l’arrêt du 14 Octobre 2003 et récemment : Barszcz c. Pologne, no 71152/01, l’arrêt du 30 mai 2006). Le Gouvernement ne présente aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante, il convient en conséquence de rejeter cet argument.

26. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que le requérant aurait du faire usage de l’article 16 de la loi du 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004 (ci dessous la loi de 2004) qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.

27. La Cour rappelle qu’elle s’était déjà prononcée également sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004 en relation avec l’article 417 du code civil constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.

Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, le délai de prescription de l’action de l’article 417 (voir l’arrêt du 14 juin 2005, Krasuski c. Pologne, no 61444/00, § 72).

28. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (voir Ratajczyk c. Pologne, no 11215/02, déc. du 31 mai 2005).

29. En l’occurrence, la procédure s’été terminée le 22 février 2001, donc plus que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, le requérant ne disposait pas de voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.

30. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement les deux événements ne se produisent pas à la même date.

31. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz c. Pologne précité. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.

32. La Cour constate enfin que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité

  1. Sur le fond

33. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.

34. Le Gouvernement soutient d’abord que l’affaire était extrêmement complexe aussi bien en ce qui concerne les circonstances de l’espèce que le droit applicable. Il met ensuite l’accent sur le fait qu’aucune période d’inaction ne peut être reprochée aux instances nationales, les audiences ayant eu lieu à des intervalles réguliers. Le Gouvernement considère enfin que le requérant a lui-même contribué largement au prolongement de la procédure en formant des demandes inadéquates ainsi qu’en remettant en cause les expertises effectuées.

35. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement et soutient que la durée excessive de la procédure ne peut pas s’expliquer uniquement par la complexité de l’affaire et souligne sa participation active dans la procédure.

36. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

37. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

38. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

40. Le requérant réclame 250 000 PLN (60 000 euros) au titre du préjudice matériel et 100 000 PLN (25 000 euros) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

41. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable. A titre subsidiaire, il demande d’accorder au requérant une satisfaction équitable dont le montant ne dépasserait pas 10 000 PLN, (2 600 euros environ), la somme maximale prévue par la loi de 2004.

42. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 600 euros au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

43. Le requérant demande également 60 000 PLN (15 000 euros) pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour. Il ne présente toutefois pas de documents attestant les dépens prétendument encourus.

44. Le Gouvernement conteste ces prétentions mettant l’accent sur le fait que le requérant n’étaye pas sa demande par des documents.

45. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime que le requérant n’a pas prouvé que les frais dont il réclame le remboursement avaient été exposés. Il convient de lors de rejeter sa demande.

C. Intérêts moratoires

46. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit :

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 600 EUR (deux mille six cents euros) dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 août 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président