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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.7.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIEME SECTION

AFFAIRE ZERVUDACKI c. FRANCE

(Requête no 73947/01)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juillet 2006

DÉFINITIF

27/10/2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zervudacki c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73947/01) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Martine Zervudacki (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 août 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me H. Farge, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante alléguait en particulier que sa privation de liberté le 12 juin 1997 de 10 heures à 23 heures 30 était illégale au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. En outre, elle estimait n’avoir pu bénéficier d’aucun recours devant un magistrat pour faire contrôler sa détention durant cette période, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle alléguait enfin une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, du fait qu’elle n’avait pas comparu devant le procureur de la République à l’issue de sa garde à vue et avait attendu pendant treize heures et trente minutes avant de comparaître devant le juge d’instruction.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

Le 28 juin 2005, elle a déclaré la requête partiellement irrecevable et, se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé du restant de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1953 et réside à Paris.

6. Le 10 juin 1997, à 10 heures 15, en la présence de la requérante, qui était administrateur judiciaire, des fonctionnaires de la brigade financière perquisitionnèrent son étude.

7. A l’issue de la perquisition, la requérante fut emmenée dans les locaux de la brigade financière et informée qu’elle était en garde à vue depuis le matin.

La mesure de garde à vue fut prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures le 10 juin à 20 heures 05 par le procureur de la République.

Une nouvelle perquisition eut lieu à l’étude le soir même.

8. Le lendemain, elle fut entendue par la brigade financière de 9 heures 00 à 14 heures 30, puis à deux reprises dans l’après-midi. Elle fut, entre ces deux auditions, examinée par un médecin, qui considéra que son état de santé était normal sous réserve de la prise de trois médicaments. La requérante affirme que ces médicaments ne lui furent jamais donnés.

9. Le 11 juin, à 18 heures 05, l’officier de police judiciaire relata le déroulement des investigations au procureur de la République, qui lui demanda de lui déférer la requérante et quatre autres personnes, également gardées à vue dans le cadre de l’enquête, le lendemain matin.

10. La mesure de garde à vue prit fin le 12 juin 1997 à 10 heures 00 et la requérante fut directement transférée au parquet de Nanterre.

11. Le procureur de la République prit le jour même un réquisitoire introductif tendant à ce que le juge d’instruction instruise des chefs d’escroquerie aggravée à l’encontre de cinq personnes, dont la requérante.

La requérante attendit ensuite d’être entendue par le juge d’instruction, dans une pièce constamment surveillée par des policiers, sans pouvoir se laver, se restaurer ni se reposer.

12. A 18 heures 45, le magistrat instructeur commença l’interrogatoire de première comparution de la première personne. Il commença celui de la requérante à 23 heures 30, la mit en examen pour escroquerie aggravée et complicité, l’entendit longuement et la plaça en détention provisoire.

13. Arrivée à la maison d’arrêt à 5 heures 00, le 13 juin, la requérante fut aussitôt conduite à l’hôpital en raison de son état d’extrême affaiblissement.

14. Le 16 juin 1997, la requérante protesta auprès du juge d’instruction contre les conditions dans lesquelles s’était déroulée la première comparution. Son avocat s’aperçut plus tard que le dossier qui lui avait été communiqué avant celle-ci ne comportait pas les pièces sur lesquelles le procureur de la République s’était fondé pour requérir l’enquête préliminaire et qui avaient été analysées par la brigade financière avant de procéder aux perquisitions, interpellations, auditions et gardes à vues des différentes personnes mises en cause.

15. Le 27 juin 1997, la requérante fut libérée et placée sous contrôle judiciaire.

16. L’avis de fin d’information fut adressé aux parties le 1er mars 2000.

17. Le 20 mars 2000, la requérante saisit la chambre d’accusation d’une requête tendant à voir constater la nullité de la procédure, notamment de sa mise en examen, intervenue alors qu’elle était arbitrairement retenue depuis le 12 juin à 10h00, soit treize heures et trente minutes, et qu’elle était physiquement et moralement diminuée, n’ayant pu, depuis trois jours et deux nuits, bénéficier du confort élémentaire.

18. Par un arrêt du 20 octobre 2000, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles rejeta ces demandes, estimant que la requérante n’avait été entendue que neuf heures et dix minutes lors de sa garde à vue et qu’elle avait pu se reposer le reste du temps, que le médecin avait estimé sa santé compatible avec une telle mesure, que le juge d’instruction s’était fondé sur le dossier tel que l’avait reçu l’avocat de la requérante et qu’il l’avait entendue dès que possible, en fonction de l’ordre de passage des personnes qui lui étaient présentées. Elle estima que la requérante n’avait pas subi une privation de liberté injustifiable qui lui aurait causé grief.

19. La requérante se pourvut en cassation. Elle se plaignit de ne pas avoir été physiquement présentée au procureur de la République à l’issue de sa garde à vue, de ne pas avoir été conduite dans un délai raisonnable devant le magistrat instructeur, d’avoir été détenue arbitrairement et illégalement pendant treize heures et trente minutes, et de ce que sa mise en examen, en raison de la dégradation de son état de santé, ne pouvait plus intervenir à 23 heures 30, dès lors que « les garanties essentielles de la Convention européenne, notamment celles de n’être pas soumis à des traitements inhumains ou dégradants et de bénéficier de l’égalités des armes » n’étaient plus respectées.

20. Par une ordonnance du 8 décembre 2000, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara immédiatement recevable le pourvoi en cassation de la requérante.

Par un arrêt du 28 février 2001, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, considérant que la procédure n’était entachée d’aucune irrégularité dès lors que la garde à vue n’avait pas été prolongée au-delà de sa durée légale et qu’à l’issue de cette mesure, estimée par un médecin compatible avec son état de santé, la requérante avait été déférée devant le procureur de la République qui l’avait aussitôt mise à la disposition du juge d’instruction.

21. Le 10 août 2004, le contrôle judiciaire fut levé.

22. Le 11 juillet 2005, le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Nanterre rendit une ordonnance de non-lieu concernant la requérante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables au moment des faits :

Article 63

« L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, garder à sa disposition une ou plusieurs des personnes visées aux articles 61 et 62. Il en informe dans les meilleurs délais le procureur de la République. Les personnes gardées à vue ne peuvent être retenues plus de vingt-quatre heures.

Toutefois, les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucun indice faisant présumer qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps nécessaire à leur déposition.

La garde à vue des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction peut être prolongée d’un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, par autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.

Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort. »

Article 77

« L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, garder à sa disposition toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. II en informe dans les meilleurs délais le procureur de la République. La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures.

Le procureur de la République peut, avant 1’expiration du délai de vingt-quatre heures, prolonger la garde à vue d’un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus. Cette prolongation ne peut être accordée qu’après présentation préalable de la personne à ce magistrat. Toutefois, elle peut, à titre exceptionnel, être accordée par décision écrite et motivée sans présentation préalable de la personne (...)

Sur instructions du procureur de la République saisi des faits, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat. »

Article 173

« (...) Si l’une des parties estime qu’une nullité a été commise, elle saisit la chambre d’accusation par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d’instruction qui transmet le dossier de la procédure au président de la chambre d’accusation. La requête doit, à peine d’irrecevabilité, faire l’objet d’une déclaration au greffe de la chambre d’accusation. Elle est constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat. (...) »

Article 187-1

« En cas d’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen ou le procureur de la République peut, si l’appel est interjeté au plus tard le jour suivant la décision de placement en détention, demander au président de la chambre d’accusation ou, en cas d’empêchement, au magistrat qui le remplace, d’examiner immédiatement son appel sans attendre l’audience de la chambre d’accusation. Cette demande doit, à peine d’irrecevabilité, être formée en même temps que l’appel devant la chambre d’accusation. (...) »

Article 194

« En matière de détention provisoire, la chambre d’accusation doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de l’appel prévu par l’article 186, faute de quoi la personne concernée est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu au présent article.

24. Loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité

Art. 803-2

« Toute personne ayant fait l’objet d’un défèrement à l’issue de sa garde à vue à la demande du procureur de la République comparaît le jour même devant ce magistrat ou, en cas d’ouverture d’une information, devant le juge d’instruction saisi de la procédure. Il en est de même si la personne est déférée devant le juge d’instruction à l’issue d’une garde à vue au cours d’une commission rogatoire, ou si la personne est conduite devant un magistrat en exécution d’un mandat d’amener ou d’arrêt. »

Art. 803-3

« En cas de nécessité et par dérogation aux dispositions de l’article 803-2, la personne peut comparaître le jour suivant et peut être retenue à cette fin dans des locaux de la juridiction spécialement aménagés, à la condition que cette comparution intervienne au plus tard dans un délai de vingt heures à compter de l’heure à laquelle la garde à vue a été levée, à défaut de quoi l’intéressé est immédiatement remis en liberté.

Lorsqu’il est fait application des dispositions du présent article, la personne doit avoir la possibilité de s’alimenter et, à sa demande, de faire prévenir par téléphone une des personnes visées à l’article 63-2, d’être examinée par un médecin désigné conformément aux dispositions de l’article 63-3 et de s’entretenir, à tout moment, avec un avocat désigné par elle ou commis d’office à sa demande, selon les modalités prévues par l’article 63-4.

L’identité des personnes retenues en application des dispositions du premier alinéa, leurs heures d’arrivée et de conduite devant le magistrat ainsi que l’application des dispositions du deuxième alinéa font l’objet d’une mention dans un registre spécial tenu à cet effet dans le local où ces personnes sont retenues et qui est surveillé, sous le contrôle du procureur de la République, par des fonctionnaires de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque la personne a fait l’objet, en application des dispositions de l’article 706-88, d’une garde à vue ayant duré plus de soixante-douze heures. »

25. Jurisprudence de la Cour de cassation

Arrêt du 19 juillet 1993 (pourvoi 93-82090)

« Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 77, 170, 171, 172 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction de la loi no 93-2 du 4 janvier 1993 applicable en la cause, ensemble violation des articles 591 et 593 du même Code, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu d’annuler la procédure de placement en détention provisoire de G. B. ;

aux motifs qu’il appert des procès-verbaux du service régional de police judiciaire de Dijon, dont l’exactitude n’est pas contestée, que G. B. a été placé en garde à vue le 10 mars 1993 à neuf heures et, qu’après l’avoir entendu à l’expiration de vingt-quatre, le procureur de la République a autorisé la prolongation, durant vingt-trois heures, de la garde à vue qui a pris fin le 12 mars à huit heures ; que B. a été aussitôt conduit sous escorte au palais de justice mais il n’a été introduit dans le cabinet du juge d’instruction qu’environ deux heures plus tard, compte tenu du temps qu’il avait fallu aux magistrats du Parquet et de l’instruction pour prendre connaissance d’un dossier volumineux et complexe ; qu’on ne saurait en déduire que la garde à vue s’est perpétuée au-delà de son terme ;

alors, d’une part, que, à l’issue de la mesure de garde à vue, la personne concernée doit, soit être immédiatement remise en liberté, soit aussitôt être déférée à l’autorité judiciaire compétente ; que le respect des délais de garde à vue est désormais prescrit à peine de nullité ; qu’en l’espèce, en décidant que le fait pour Bournery, d’avoir attendu deux heures sous l’escorte de trois officiers de police judiciaire -ceux-là mêmes qui l’avaient interrogé pendant sa garde à vue- avant d’être introduit dans le cabinet du juge d’instruction, ne constituait pas une prolongation illégale de la garde à vue du demandeur susceptible d’entraîner la nullité de cette mesure, la chambre d’accusation a méconnu les textes susvisés ;

alors, d’autre part, que le demandeur faisait valoir dans des conclusions régulièrement déposées, qu’il existait un "vide juridique" du fait même du temps écoulé entre la cessation de la phase de garde à vue et le commencement de la procédure de mise en examen ; que ces conclusions étaient déterminantes, dans la mesure où elles invitaient les juges du second degré d’instruction à se prononcer sur la nature particulière de ce laps de temps écoulé dans des conditions identiques à celles de la garde à vue, c’est-à-dire sous le contrôle de l’autorité policière, alors que légalement et juridiquement cette mesure particulièrement restrictive des libertés individuelles avait pris fin ; qu’en s’abstenant néanmoins d’y répondre, la chambre d’accusation a entaché sa décision d’un défaut de motifs" ;

Attendu que la nullité alléguée, invoquée au moyen, concerne la régularité de la procédure et relève des dispositions des articles 170 et suivants du Code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993 qui, entrée en vigueur le 1er mars 1993, est applicable en l’espèce ;

Qu’à ce titre, elle n’avait pas à être examinée à l’occasion de l’appel formé par la personne mise en examen, par application de l’article 186 nouveau du même Code, contre une ordonnance portant sur la détention ;

Qu’en effet, en permettant aux personnes mises en examen de relever appel de telles ordonnances, ce texte, dont les dispositions sont limitatives, leur a attribué un droit exceptionnel dont elles ne sauraient s’autoriser pour faire juger, à cette occasion, des questions étrangères à leur unique objet ;

D’où il suit que le moyen, pris de ce que la chambre d’accusation a rejeté une exception de nullité qu’elle aurait dû déclarer irrecevable, est lui-même irrecevable ; (...) »

Arrêt du 9 février 2000 (pourvoi 99-87659)

« Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 63 du Code de procédure pénale, 55 et 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 5.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :

en ce que l’arrêt attaqué a rejeté la demande d’annulation de la procédure tirée de ce qu’il s’est écoulé 9 heures entre la fin de la garde à vue de X... et le moment de sa comparution devant le magistrat instructeur, délai pendant lequel il a été privé de sa liberté ;

aux motifs que, si la loi régit de façon très précise les décisions de mesure de garde à vue, aucun texte ne limite expressément le délai de déferrement ; qu’il est seulement précisé que celui-ci ne débute qu’à l’issue de la mesure de garde à vue ; que l’appréciation du temps écoulé entre la notification de la fin de garde à vue et la présentation au magistrat instructeur doit donc être faite sur la base du délai raisonnable ; qu’il doit être tenu compte du nombre de présentations, du temps nécessaire au juge pour lire le dossier et préparer naturellement la présentation et qu’un déferrement intervenant plusieurs heures après la fin de la garde à vue, mais dans la même journée, n’est pas irrégulier, ce qui a été le cas dans cette procédure ;

alors que, les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales étant intégrées dans l’ordre juridique interne doivent être appliquées d’office par le juge ; qu’il résulte des dispositions de l’article 5.3 de ladite Convention, que, dès la fin de sa garde à vue, la personne concernée, dès lors qu’elle est détenue, doit être aussitôt traduite devant un juge ; que la chambre d’accusation n’avait pas la faculté de substituer à la notion de "promptitude déduite de ce texte par la Cour européenne des droits de l’homme, la notion de délai raisonnable" qui lui est étrangère et qu’en se fondant dès lors sur un prétendu "délai raisonnable" pour refuser de constater le caractère manifestement arbitraire de la détention de X... entre la fin de sa garde à vue et son déferrement, la Chambre d’accusation a méconnu le texte susvisé ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure, qu’à l’issue de sa garde à vue, dont la fin lui a été régulièrement notifiée le 5 février à 13 heures 45, X... a été conduit devant le juge mandant qui l’a mis en examen et entendu le même jour ;

Attendu que, pour rejeter la requête en nullité présentée par X..., qui soutenait qu’il avait été irrégulièrement retenu entre la notification de la fin de la mesure de garde à vue dont il faisait l’objet et sa comparution devant le juge d’instruction, la chambre d’accusation prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en cet état, et dès lors que, d’une part, la garde à vue n’a pas été prolongée au-delà de sa durée légale, et que, d’autre part, à l’issue de cette mesure, X... a été mis aussitôt à la disposition du juge mandant, la chambre d’accusation a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; (...)»

Arrêt du 9 juillet 2003 (pourvoi 02-85899)

« Sur le deuxième moyen de cassation proposé contre l’arrêt du 31 mai 2002, pris de la violation des articles 5-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 55, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, 63, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué du 31 mai 2002 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’annulation de la procédure tirée de ce qu’il s’est écoulé 17 heures entre la fin de la garde à vue de Nordine X... et le moment de sa comparution devant le juge d’instruction, délai pendant lequel il a été privé de sa liberté ;

aux motifs que la rétention de l’intéressé, entre la fin de sa garde à vue et sa comparution le lendemain à 11 heures 11 devant le magistrat instructeur, résulte de l’ordre du juge ; que le délai ainsi écoulé trouve à l’évidence sa cause dans la nécessité de transférer Nordine X... de Paris à Bobigny puis d’attendre que la permanence de l’instruction dont le magistrat avait la charge ainsi que les autres tâches liées à la gestion de son cabinet permettent à celui-ci de prendre connaissance de la procédure ; que le délai ainsi écoulé était également nécessaire pour permettre à Nordine X... ainsi qu’aux magistrats et greffiers, appelés à intervenir, de prendre le repos que reconnaissent à toutes les personnes la Convention et la Constitution invoquées ;

alors, d’une part, que, si aucun texte interne ne fixe de délai pour conduire, à l’issue de la garde à vue, la personne concernée devant le juge d’instruction, aucun texte n’autorise que la privation de liberté perdure au-delà du maximum légal de 48 heures ;

que, dès lors, tout délai entre la fin de la garde à vue et la présentation à un magistrat, sauf celui strictement nécessaire au défèrement, constitue une atteinte illégale à la liberté et une détention arbitraire ; qu’ainsi, et contrairement aux affirmations de l’arrêt attaqué, Nordine X... a, durant plus de 17 heures, subi une privation de liberté illégale et arbitraire ; que l’atteinte ainsi portée à un droit fondamental entrave l’exercice normal des droits de la défense et emporte nécessairement la nullité du procès-verbal de première comparution subséquent et de toute la procédure ultérieure ;

alors, d’autre part, qu’à supposer que l’on puisse admettre la possibilité d’un délai entre l’issue de la garde à vue et la présentation au magistrat devant lequel l’intéressé reste privé de sa liberté, ce délai ne peut être qu’un délai raisonnable, lequel s’apprécie au regard de la durée de la rétention, et non des commodités nécessaires au juge d’instruction pour prendre connaissance du dossier ; que, dès lors, en l’espèce, la rétention illégale de 17 heures subie par Nordine X... , faisant suite à 48 heures de garde à vue, avant qu’il soit entendu par un juge, est un délai manifestement excessif et illégal tant au regard des dispositions de droit interne que des stipulations conventionnelles" ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’après avoir autorisé la prolongation de la garde à vue de Nordine X... à compter du 21 mars 2002 à 13 heures 50, le juge d’instruction a mis fin à cette mesure le même jour à 17 heures 40 et que, sur ses instructions, l’intéressé lui a été présenté le lendemain à 11 heures 11 ;

Attendu que, pour écarter le moyen de nullité présenté par Nordine X... , selon lequel, en violation de l’article 5.3 de la Convention européenne des droits de l’homme, il avait été illégalement détenu durant le délai de 17 heures séparant la fin de la mesure de garde à vue de sa présentation au juge, la chambre de l’instruction énonce que ce délai était nécessaire, d’une part, pour permettre son transfert et lui assurer un repos avant sa présentation, et, d’autre part, pour donner au juge, alors chargé du service de la permanence, le temps de prendre connaissance de la procédure ;

Attendu qu’en prononçant ainsi et, dès lors qu’à l’issue de cette mesure, la personne concernée a été mise immédiatement à la disposition du magistrat qui a fixé l’heure de sa comparution en fonction des nécessités du service, les juges ont justifié leur décision ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ; (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

26. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de l’illégalité de sa privation de liberté le 12 juin 1997 de 10 heures 00 à 23 heures 30. Cette disposition se lit notamment :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci (...) »

A. Sur la recevabilité

27. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

28. Le Gouvernement admet que la période qui s’écoule entre la fin de la garde à vue et la présentation au procureur ou au juge d’instruction doit, comme toute privation de liberté, avoir une base légale en droit interne. La notion de base légale est à prendre dans son acception matérielle conformément à la jurisprudence de la Cour, c’est à dire prévue par le droit interne, lequel doit satisfaire aux exigences de prévisibilité et d’accessibilité.

29. Il ajoute que la garde à vue se termine au moment de la notification de sa fin par l’officier de police judiciaire, soit en l’espèce le 12 juin 1997 à 10 h 00 et que le défèrement est distinct de la garde à vue.

Cette retenue de la requérante pendant la période litigieuse reposait au moment des faits sur l’article 77 al. 3 du code de procédure pénale.

30. Si la durée du défèrement n’était pas réglementée dans les textes au moment des faits, il appartenait aux juges saisis de cette question, par voie de conclusions de nullité, d’apprécier le caractère raisonnable de la durée du déferrement. Le Gouvernement se réfère à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (voir ci-dessus paragraphe 24) et indique que les juges du fond contrôlaient la légalité et la régularité du défèrement depuis de nombreuses années.

31. Par ailleurs, le but de cette privation de liberté était conforme à l’article 5 § 1 c) de la Convention puisque la requérante a été déférée au tribunal de Nanterre à l’issue de sa garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire et que le procureur de la République a pris un réquisitoire introductif par lequel il a saisi le juge d’instruction des chefs d’escroquerie aggravée à l’encontre de cinq personnes, dont la requérante.

32. La requérante a été présentée au juge d’instruction qui l’a mise en examen de ces chefs, l’a entendue en présence d’un avocat et l’a placée sous mandat de dépôt. Elle a ainsi été présentée à une autorité judicaire compétente au sens de l’article 5 § 1 et son défèrement s’inscrivait dans le cadre d’une procédure pénale. Le Gouvernement se réfère sur ce point à l’arrêt Ječius c. Lituanie (no 34578/97, CEDH 2000IX) et à l’arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145B).

33. Il conclut qu’en application de l’article 77 alinéa 3 du code de procédure pénale et de la jurisprudence applicable au moment de la privation de liberté de la requérante, cette privation de liberté reposait sur une base légale suffisamment précise et accessible à la requérante, satisfaisant aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention.

34. La requérante estime que le Gouvernement apporte des éléments de réponse qui ne correspondent pas à la réalité du droit en vigueur au moment des faits.

Ainsi, la pratique policière qui consiste à retenir une personne dont la garde à vue est terminée, dans l’attente de sa présentation devant l’autorité judiciaire, n’était pas réglementée au moment des faits, ainsi que le Gouvernement le reconnaît.

35. Elle ajoute qu’elle avait déjà subi 48 heures de garde à vue, avait constamment accepté de coopérer à l’enquête préliminaire qui avait précédé sa garde à vue sans jamais chercher à s’y dérober. Aussi, à supposer que le délai qu’on lui a fait subir était seulement nécessaire à l’examen du dossier par le juge d’instruction, rien ne justifiait qu’elle soit dans ce délai privée de sa liberté, de celle d’aller faire sa toilette, se restaurer, se reposer et retrouver ses enfants.

Elle est d’avis qu’il résulte des articles 63 et 77 al. 3 du code de procédure pénale que la personne devait être déférée au parquet à l’issue de sa garde à vue, c’est-à-dire à la minute où celle-ci avait cessé.

36. Elle expose que le défèrement au parquet implique matériellement que la personne soit transférée du lieu de garde à vue au tribunal et qu’elle soit présentée dans les plus brefs délais au procureur de la République et que cette notion est totalement étrangère à celle de « privation de liberté ».

Selon le Gouvernement, le « défèrement » ne pouvant, dans la plupart des cas, être immédiat, il induirait nécessairement une période de détention, qu’il intitule « période de défèrement ». Or, la requérante soutient que ladite « période de défèrement » est une pure création de convenance du Gouvernement, en violation de la Convention et qui, à l’époque des faits, n’était prévue par aucun texte. C’est la loi 2004-104 du 9 mars 2004 qui a introduit des dispositions dans le code de procédure pénale pour combler ce vide juridique (article 803-2 et 803-3 ; paragraphe 24 ci-dessus).

37. Elle ajoute qu’en outre, les tribunaux se sont refusés à contrôler la légalité et la régularité de cette détention jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation du 9 février 2003.

Ainsi à l’époque des faits, et contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la Cour de cassation n’exerçait aucun contrôle sur cette période de détention. L’arrêt du 28 février 2001 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a refusé de faire droit à ses demandes était en droite ligne avec la jurisprudence en vigueur au moment des faits.

De même, les arrêts antérieurs à cette décision, cités dans les observations de l’Etat français, se refusaient à tout contrôle de proportionnalité.

2. Appréciation de la Cour

38. La Cour relève que la privation de liberté de la requérante le 12 juin 1997 de 10 heures du matin à 23 h 30 relève de l’article 5 § 1 c) de la Convention. En effet, la requérante a été arrêtée et placée en garde à vue « en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente », au motif qu’elle était soupçonnée d’escroquerie aggravée.

39. La question à trancher est donc celle de savoir si la requérante a été privée de sa liberté, le 12 juin 1997 entre 10 h 00 heures et 23 h 30, « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention.

40. La Cour rappelle d’abord que l’article 5 de la Convention garantit le droit fondamental à la liberté et à la sûreté. Ce droit revêt une très grande importance dans « une société démocratique », au sens de la Convention (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, p. 36, § 65 ; Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 16, § 37 et Assanidzé c. Georgie [GC], no 71503/01, § 69, CEDH 2004II).

41. Tout individu a droit à la protection de ce droit, c’est-à-dire à ne pas être ou rester privé de liberté (Weeks c. Royaume-Uni, arrêt du 2 mars 1987, série A no 114, p. 22, § 40), sauf dans le respect des exigences du paragraphe 1 de l’article 5. La liste des exceptions que dresse l’article 5 § 1 revêt un caractère exhaustif (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000IV ; Quinn c. France, arrêt du 22 mars 1995, série A no 311, p. 17, § 42), et seule une interprétation étroite cadre avec le but et l’objet de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (Engel et autres c. PaysBas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, p. 25, § 58 ; Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996III, p. 848, § 42 et Giulia Manzoni c. Italie, arrêt du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997IV, § 25).

42. Les termes « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 renvoient pour l’essentiel à la législation nationale et consacrent l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement lorsque l’inobservation de ce dernier est susceptible d’emporter violation de la Convention. Tel est le cas, notamment, des affaires dans lesquelles l’article 5 § 1 de la Convention est en jeu et la Cour doit alors exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne – dispositions législatives ou jurisprudence – a été respecté (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50, CEDH 2000-III).

43. De surcroît, la Cour doit être convaincue que la détention pendant la période considérée est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention : protéger l’individu de toute privation de liberté arbitraire. En particulier, il est essentiel, en matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application, en ce sens qu’elle doit être suffisamment précise pour permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (arrêts Erkalo c. Pays-Bas du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2477, § 52, Baranowski, précité, § 52 et Minjat c. Suisse, no 38223/97, § 40, 28 octobre 2003).

44. En l’espèce, la Cour note que la durée de la garde à vue de la requérante a strictement respecté le délai légal maximal prévu à l’article 63 du code de procédure pénale, soit quarante-huit heures (paragraphe 23 ci-dessus).

Néanmoins, la requérante n’a pas été remise en liberté pour autant à l’issue de sa garde à vue ; elle est restée le 12 juin 1997, entre 10 h 00 du matin et 23 h 30, dans une pièce, surveillée par des policiers, dans l’attente de sa comparution devant le juge d’instruction.

45. Il est vrai que la Cour a admis que, dans certaines circonstances, il peut être normal qu’un délai limité s’écoule avant qu’un détenu ne soit libéré. Cependant, il s’agissait de cas où le terme de la détention n’était pas fixé d’avance par la loi et où elle a pris fin en vertu d’une décision judiciaire. Il résulte des nécessités pratiques du fonctionnement des juridictions et de l’accomplissement de formalités particulières que l’exécution d’une telle décision judiciaire peut exiger un certain temps (Quinn c. France du 22 mars 1995, série A no 311, p. 17, § 42, et Giulia Manzoni c. Italie, précité, p. 1191, § 25).

46. Cependant, en l’espèce, la durée maximale de privation de liberté de quarante-huit heures au titre de la garde à vue est fixée par la loi et revêt un caractère absolu. Le terme de la garde à vue étant connu d’avance, il incombait aux autorités responsables de prendre toutes les précautions nécessaires pour que sa durée légale fût respectée (K.-F. c. Allemagne, arrêt du 27 novembre 1997, Recueil 1997VII, § 72).

47. Par ailleurs, aucun texte du droit interne ne réglementait à cette époque la détention d’une personne entre le moment de la fin de sa garde à vue et celui de sa présentation devant le juge d’instruction.

La Cour ne peut dès lors que constater qu’en l’espèce, la privation de liberté qu’a subie la requérante le 12 juin 1997, entre 10 h 00 du matin et 23 h 30, n’avait pas de base légale en droit interne.

48. En outre, rappelant l’importance de l’article 5 dans le système de la Convention, la Cour estime qu’un équilibre raisonnable doit être ménagé entre les intérêts opposés en cause et que, dans la recherche de cet équilibre, il y a lieu d’accorder un poids particulier au droit à la liberté du requérant.

Il convient de relever qu’en l’espèce, la requérante allègue, ce qui n’est pas contesté, qu’elle n’a pu, pendant cette période, ni se laver, ni se restaurer, ni se reposer, alors qu’elle venait de subir une garde à vue de quarante-huit heures dans des conditions comparables.

De surcroît, la Cour relève que, dès son arrivée à la maison d’arrêt le 13 juin 1997 à 5 h 00 du matin, la requérante fut hospitalisée en raison de son extrême affaiblissement.

Au vu de ces circonstances, la Cour estime que la requérante a été détenue trop longtemps dans des conditions qui n’ont pas respecté l’équilibre susmentionné.

49. Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut que la privation de liberté de la requérante pendant cette période a enfreint l’article 5 § 1 c) de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

50. La requérante se plaint encore de ne pas avoir comparu devant le procureur de la République à l’issue de sa garde à vue et d’avoir attendu pendant treize heures et trente minutes avant de comparaître devant le juge d’instruction. Elle invoque l’article 5 § 3 de la Convention, lequel dispose que :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit aussitôt être traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

1. Arguments des parties

51. Le Gouvernement rappelle que la requérante a été traduite devant le juge d’instruction au terme d’un délai de treize heures et trente minutes à compter de la fin de sa garde à vue.

Par ailleurs, de jurisprudence constante, la Cour considère que le juge d’instruction répond aux exigences imposées par la Convention et est un juge au sens de l’article 5 § 3 (voir A.C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999)

Dès lors, la requérante ayant été présentée au juge d’instruction et entendue, avant d’être placée sous mandat de dépôt, a bien été traduite devant un juge ou une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3.

52. Il souligne en outre que la Cour a considéré de manière constante qu’il est impossible de traduire la notion de délai raisonnable en un nombre fixe de jours ou de semaines (Stögmüller c. Autriche, arrêt du 10 novembre 1969, série A no 9).

53. Selon le Gouvernement, au vu de la jurisprudence de la Cour, un délai de treize heures et trente minutes ne saurait être considéré comme excessif. Il ajoute que la durée avant que la requérante ne soit conduite devant le juge d’instruction était tout à fait raisonnable compte tenu des faits suivants : à l’issue de la garde à vue, la procédure a fait l’objet d’un premier examen par le procureur de la République, puis par le juge d’instruction qui a dû prendre connaissance du dossier aux fins de préparer les auditions.

La procédure a également été mise à la disposition des avocats des personnes déférées et le juge d’instruction a commencé le premier interrogatoire de première comparution à 18 h 45. Il a procédé à l’interrogatoire de la requérante dès que possible en fonction de l’ordre de passage des personnes qui lui étaient présentées.

54. La requérante rappelle que la Cour interprète au cas par cas le droit prévu à l’article 5 pour toute personne arrêtée ou détenue d’être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, arrêt du 22 mai 1984, série A no 77).

55. Elle ajoute qu’à la fin de la garde à vue, la législation française exigeait, à défaut d’une remise en liberté, qu’elle soit déférée devant le procureur de la République, seul magistrat ayant déjà la connaissance du dossier et pouvant se prononcer « aussitôt ». Pourtant, et cela n’est pas contesté, la requérante n’a jamais été présentée devant le procureur de la République, ni devant aucun autre magistrat au cours de la période de détention comprise entre la fin de sa garde à vue et sa première comparution devant le juge d’instruction.

56. Le terme « aussitôt » de l’article 5 sous-entend « aussitôt que possible ». Or, si le délai pris par le juge d’instruction pour se prononcer sur le dossier pouvait être justifié par le temps nécessaire à la prise de connaissance « des faits complexes de délinquance économique et financière aux fins de préparer les auditions », ce délai ne se justifiait en aucun cas pour le procureur de la République qui connaissait déjà le dossier.

57. La requérante ajoute que l’interprétation du terme « aussitôt » ou du caractère raisonnable du délai ne peut se faire exclusivement au regard des seules commodités du juge d’instruction et sans égard à la situation de la personne détenue.

Elle ajoute qu’il appartenait au procureur de la République de saisir le juge d’instruction avant la fin de la garde à vue pour permettre que la loi soit respectée.

2. Appréciation de la Cour

58. L’objet de l’article 5 § 3, qui forme un tout avec le paragraphe 1 c) du même article (Lawless c. Irlande (no 3), arrêt du 1er juillet 1961, série A no 3, p. 52 § 14), consiste à fournir aux individus privés de leur liberté une garantie spéciale : une procédure judiciaire visant à s’assurer que nul n’est arbitrairement privé de sa liberté (Schiesser c. Suisse, arrêt du 4 décembre 1979, série A no 34, p. 13, § 30).

59. La Cour l’a déclaré à de nombreuses reprises, l’article 5 § 3 de la Convention fournit aux personnes arrêtées ou détenues au motif qu’on les soupçonne d’avoir commis une infraction pénale des garanties contre la privation arbitraire ou injustifiée de liberté (voir, entre autres, l’arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3298, § 146). L’article 5 § 3, qui forme un tout avec l’article 5 § 1 c), a essentiellement pour objet d’imposer l’élargissement du moment où la détention cesse d’être raisonnable.

60. La Cour rappelle qu’elle a conclu ci-dessus (voir paragraphe 49 ci-dessus) que la requérante n’avait pas été détenue « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 c).

61. Compte tenu de cette conclusion, la Cour estime qu’il ne s’impose pas de statuer séparément sur le grief tiré de la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

62. La requérante se plaint enfin de ne pas avoir disposé d’un recours lui permettant de demander à un tribunal de statuer « dans un bref » délai sur la légalité de sa détention entre la fin de sa garde à vue et sa présentation au juge d’instruction, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1. Arguments des parties

63. Le Gouvernement expose que, dès sa mise en examen, la requérante pouvait introduire, en application de l’article 173 alinéa 3 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessus), une requête en annulation de la procédure, et plus précisément de la mise en examen, en raison de l’illégalité du défèrement précédant celle-ci, devant la chambre de l’accusation, dont il n’est pas contesté qu’il s’agisse d’un tribunal au sens de l’article 5 § 4 de la Convention.

64. Elle a d’ailleurs saisi en ce sens la chambre d’accusation de Versailles le 20 mars 2000 d’une requête en nullité à l’issue de l’information judiciaire, arguant notamment de ce grief pour demander l’annulation de l’ensemble de la procédure. Elle aurait néanmoins pu introduire cette requête dès sa mise en examen intervenue le 12 juin 1997 à 23 h 30 et obtenir dans un délai conforme aux prescriptions de l’article 5 § 4 une décision sur l’exception de nullité tirée du défèrement.

65. La chambre d’accusation a examiné très précisément le grief tiré de la légalité et de la régularité du défèrement et elle a, dans le cas d’espèce, fait preuve de diligence dans l’examen de la requête en nullité compte tenu, notamment, du nombre de mis en examen et de la complexité de la procédure portant sur des faits économiques et financiers. En effet, l’affaire a été évoquée à l’audience le 13 septembre 2000 et l’arrêt a été rendu le 20 octobre 2000.

66. Le Gouvernement estime, compte tenu de ces éléments, que le recours prévu par l’article 173 était un recours effectif répondant aux conditions de l’article 5 § 4 de la Convention, dans la mesure où il pouvait être introduit à tout moment par la requérante à compter de sa mise en examen, soit le 12 juin 1997.

67. Il ajoute que la requérante avait la possibilité de saisir la chambre d’accusation d’une demande de mise en liberté. En application de l’alinéa 3 de l’article 194 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessus), applicable au moment des faits, la chambre d’accusation devait se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les 10 jours de l’appel lorsqu’il s’agissait d’une ordonnance de placement en détention, faute de quoi la personne concernée était mise d’office en liberté.

Ainsi, la requérante disposait d’une deuxième voie de recours effective permettant à la chambre d’accusation, au moment des faits litigieux, d’examiner sa situation et de décider de la mettre, le cas échéant, en liberté.

68. Enfin, la requérante aurait pu recourir à la procédure dite de « référé liberté ». Prévue à l’article 187-1 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessus), elle permet à la personne mise en examen, en cas d’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, de faire examiner immédiatement son appel sans attendre l’audience de la chambre de l’instruction. Le président de la cour d’appel doit statuer au plus tard le troisième jour suivant la demande.

69. Le Gouvernement souligne encore que la requérante a usé des voies de recours à sa disposition puisque, sur son appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, la chambre d’accusation de Versailles a ordonné sa mise en liberté et l’a placée sous contrôle judicaire le 27 juin 1997.

70. Il conclut que la requérante disposait de plusieurs voies de recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa privation de liberté, conformément au paragraphe 4 de l’article 5.

71. La requérante rappelle qu’elle se plaint de ce que, alors qu’elle était maintenue en détention après sa garde à vue, elle n’a pu introduire aucun recours devant une juridiction, afin que celle-ci statue à bref délai sur la légalité de sa détention. Elle maintient qu’à l’époque des faits, un tel recours en droit interne, sur la période de détention entre la fin de la garde à vue et la délivrance du mandat de dépôt, n’existait pas.

72. Elle ajoute que la jurisprudence alors en vigueur refusait de contrôler cette période qu’elle qualifiait de « mise à disposition » (voir ci-dessus paragraphe 25) car aucun texte ne réglementait le délai nécessaire à la présentation d’une personne gardée à vue après l’expiration de cette garde à vue. En l’occurrence, la requérante fait valoir que, tant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, que la chambre d’accusation, se sont refusées à contrôler la légalité de sa détention pendant cette période.

73. La requérante observe que le Gouvernement invoque les articles 173 alinéa 3, 194 alinéa 3 et 187-1 du Code de procédure pénale. Elle souligne que ces trois articles concernent en réalité la détention provisoire de la personne mise en examen pendant la phase de l’instruction et note que le Gouvernement admet lui-même dans ses observations que ces articles ne concernent que la personne mise en examen.

Dès lors, ces trois textes sont complètement inopérants s’agissant de la période de détention concernée en l’espèce, à savoir celle qui se situe immédiatement après la garde à vue et avant la première comparution devant le juge d’instruction. Une personne ainsi détenue sans être mise en examen ne disposait d’aucun recours ni d’aucun accès à un juge durant cette période de détention pour qu’il soit statué à bref délai sur la légalité de sa privation de liberté.

2. Appréciation de la Cour

74. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à avoir accès à un tribunal qui examine le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté (Brogan et autres c. RoyaumeUni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, pp. 34-35, § 65). Cette garantie s’applique quels que soient les motifs de la détention et que celle-ci soit régulière ou non au regard du droit interne et de l’article 5 § 1 (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 39-40, § 73 et Asenov c. Bulgarie, no 42026/98, § 77, 15 juillet 2005.

75. Comme l’article 6 § 1, qui consacre également le « droit à un tribunal », l’article 5 § 4 ne saurait être lu comme énonçant un droit absolu qui serait incompatible avec toute restriction procédurale, notamment en matière de délais. Toutefois, l’objectif qui sous-tend l’article 5, la protection de la liberté et de la sûreté de l’individu, ainsi que l’importance des garanties qui s’y attachent, impliquent et exigent que les restrictions d’ordre procédural au droit qu’a une personne privée de liberté de contester la légalité de son maintien en détention devant un tribunal fassent l’objet d’un contrôle particulièrement strict (Shishkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 85, CEDH 2003-I (extraits), 9 janvier 2003 et Kostov c. Bulgarie, no 45980/99, § 30, 3 novembre 2005).

76. Une voie de recours, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, doit exister avec un degré suffisant de certitude pour fournir à l’individu concerné une protection appropriée contre une privation arbitraire de liberté (Van Droogenbroeck c. Belgique, arrêt du 24 juin 1982, série A no 50, § 54 et E. c. Norvège, arrêt du 29 août 1990, série A no 181A, § 60)

77. Dans la présente affaire, la Cour ne peut que relever que les voies de recours auxquelles se réfère le Gouvernement ne concernent que les personnes déjà mises en examen par le juge d’instruction. Or, le grief de la requérante porte précisément sur la période se situant entre la fin de la garde à vue et la comparution devant le juge d’instruction.

Par ailleurs, les arrêts cités par le Gouvernement dans le cadre de son argumentation sous l’angle de l’article 5 § 1, et tendant à prouver que les juridictions contrôlaient la légalité de la détention pendant la période du déferrement, ne convainquent pas la Cour que tel était le cas.

Dès lors, la Cour constate que la requérante ne disposait en droit interne d’aucun recours pour faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention.

78. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

79. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

80. La requérante demande 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 100 000 EUR au titre du préjudice moral.

81. Le Gouvernement rappelle que seul pourra donner lieu à une réparation éventuelle le grief dont le bien-fondé serait éventuellement constaté par la Cour. Il ajoute, concernant le préjudice matériel et moral, qu’aucun lien de causalité n’est établi entre le grief invoqué et le dommage que la requérante aurait subi et que le montant demandé est excessif. Il estime qu’en cas de constat de violation de la Convention, celui-ci constituerait une satisfaction équitable.

82. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l’article 5 de la Convention et le dommage matériel.

Par contre, la Cour considère que la requérante a subi un tort moral certain. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui octroyer 4 000 EUR de ce chef.

B. Frais et dépens

83. La requérante ne demande rien à ce titre.

C. Intérêts moratoires

84. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur la violation alléguée de l’article 5 § 3 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président